Le Courrier des addictions (15) – n ° 3 – Juillet-août-septembre 2013
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des admissions à l’hôpital en service médico-
chirurgical et 3 % des passages en services d’ur-
gences (qui doivent être distingués des 16 % à
18 % de sujets avec alcoolémie positive en
services d’urgences lors de dosages systéma-
tiques, soit le sextuple).
Pour l’ensemble de ces séjours, la valeur médiane
d’alcoolémie est de 2,1 g/l, très variable selon les
âges dans une étude prospective sur 10ans et
près de 10 000 dosages d’alcoolémie.
Parmi tous les sujets ainsi admis à l’hôpital, 70 %
présentent des dommages dus à l’alcool (54 %
physiques, 47 % psychiques, 62 % sociaux, 38 %
professionnels, 18 % judiciaires) [7, 8]. Et plus
spécifiquement, on retrouve les critères d’un
mésusage d’alcool chez 92 % des sujets admis
avec dosage d’alcoolémie, variant peu selon
les âges (tableau) [11], soulignant que, dans
ces circonstances, l’arrivée à l’hôpital n’est pas
fortuite mais reflète une problématiques très
présente. Dans le cadre de la procédure décrite
de rencontre clinique du lendemain de l’ivresse,
50 % à 60 % sont rencontrés chaque année dans
le cadre de l’ELSA, lors d’entretiens acceptés
par 96 % des sujets : 2 % de refus d’échange après
présentation, 2 % d’écoute simple passive (7, 8).
Alors, selon les caractéristiques des IEA, divers
éléments notables apparaissent : 11 % des épi-
sodes, parmi lesquels on retrouve cependant
plus de 70 % de dommages et de mésusage d’al-
cool, sont associés à des alcoolémies modérées
(<0,50g/l) [12].
Pour les IEA massives (au-delà de 5g/l), ou
répétées (rencontrées plus de 10fois en 10 ans
pour la même personne), une forte comorbidité
psychiatrique et mortalité apparaissent associées
(jusqu’à1/5 en 10ans) [13].
Plus généralement, considérant la répétition des
passages en 10 ans, elle ne concerne que moins
du quart des sujets (18 % des femmes, 25 % des
hommes), soulignant de ce fait que plus des3/4
ne présenteront qu’un seul épisode les condui-
sant à l’hôpital(10). L’occasion d’échanger avec
eux est donc souvent unique.
Selon les âges des sujets concernés, les
plus jeunes sont minoritaires (5 % <20ans,
1 %<16ans), sans élévation significative de
la proportion entre 2000 et 2010, alors que la
question de l’alcool chez les jeunes est envisagée
comme une problématique en plein développe-
ment : l’hôpital n’est peut être pas le lieu adapté
pour les rencontrer ?(14). À l’inverse, les plus
âgés sont représentés, même dans les dernières
décades de la vie, de manière non anecdotique
(16 % > 60 ans, 4 % > 75ans) [15, 16].
L’importance de la
rencontre au lendemain
Elle est souvent l’occasion d’aller au-devant d’un
usager, d’un malade, d’un patient, et surtout
d’une personne nécessitant aide et soins, au
risque de faire considérer cette offre de rencontre
comme une éventuelle ingérence auprès de celui
ou celle qui ne la sollicite pas. Cependant, dans
le même temps, n’est-ce pas aussi un devoir que
de proposer de “parler d’alcool à des patients
qui ne demandent rien”(17), dans le contexte
particulier qu’est l’admission à l’hôpital ?
Et surtout de tout faire pour “transformer la
cuite dans un coin des urgences en une prise en
charge de l’intoxication éthylique aiguë”(3) ?
Elle est aussi le moyen de prendre en considé-
ration “le patient alcoolisé : un client si présent
et si oublié des urgences” (18), en envisageant la
notion “d’ivresse appel” comme le témoignage
d’une souffrance et d’une demande que le sujet
ne peut immédiatement mettre en mots.
C’est enfin le moyen de lutter contre la bana-
lisation de l’ivresse arrivant à l’hôpital, ce qui
ne doit pas être confondu avec un éventuel
prohibitionnisme de l’alcool ou de son usage.
Ainsi, considérer les risques des IEA, pour en
informer soignants et patients, permet d’envi-
sager un abord de réduction de ces risques, en
prenant en compte la place sociale de l’ivresse
ainsi que des nouveaux modes de boire (dont
le binge drinking, peu connu des cultures médi-
terranéennes)[19].
En somme, même si l’hôpital concentre de mul-
tiples professionnels du soin, de divers horizons
complémentaires, l’abord des addictions peut
toujours y être amélioré. Autour des addictions,
la demande d’aide et de soin est rarement simple,
claire, directe et explicite. À nous de tendre vers
ces usagers, en difficulté et en souffrance, une main
bienveillante et prêter une oreille attentive. À nous
d’oser aller vers eux (plutôt que de vouloir s’en
protéger ou s’en prémunir), et de leur proposer un
soin global qui débute bien en amont de demandes
en bonne et due forme, lors de situations de crise.
Même s’ils ne le clament pas toujours avec des
mots, mais plutôt avec des actes.
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P.M., L.R., S.K., L.G.
Références bibliographiques
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la parole auprès du patient alcoolodépendant. J Psy
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Transformer “la cuite” dans un coin des urgences en
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ivresses associées et répétées. Alcoologie Addictologie
2003;25:325-30.
Tableau.
Alcoolémies moyennes, proportion des femmes et du mésusage d’alcool par décade d’âge (10).
< 20 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79 80-89 > 89
Proportion de l’effectif
total
5,5 % 11,3 % 16,8 % 27,7 % 22,2 % 8,8 % 5,8 % 1,8 % 0,2 %
Proportion de femmes 23,2 % 19,1 % 24,5 % 28,8 % 28,1 % 24,7 % 27,0 % 39,0 % 56,3 %
Alcoolémie moyenne (g/l) 1,6 1,8 2,1 2,4 2,3 1,9 1,3 1,0 0,8
Proportion identifiée
de mésusage d’alcool
73 % 89 % 95 % 98 % 98 % 98 % 95 % 94 % 92 %
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