JURISPRUDENCE Les délits involontaires (I) « Quand un chef de service donne un ordre à un interne qui le délègue à un étudiant stagiaire… » La responsabilité pénale médicale des praticiens est le plus souvent mise en jeu pour atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique de la personne. Ces infractions sont appelées « délits involontaires ». e nombre de procédures pénales à l’encontre des professionnels de santé est croissant. Trois raisons principales expliquent cette augmentation. Les progrès scientifiques s’accompagnent d’une augmentation des risques.Les appareils chirurgicaux les plus performants sont souvent les plus sophistiqués, ce qui explique que leur maniement soit délicat et risqué. Les médicaments les plus efficaces sont parfois aussi les plus agressifs. De ce fait, les patients subissent des préjudices de plus en plus lourds, et corrélativement à un espoir de la médecine apparaissent une crainte et une méfiance face à elle. Le tout est relayé par la presse qui médiatise à outrance les accidents médicaux et les dramatise. Les avancées médicales sont la source d’un nouvel état d’esprit.Les événements malheureux (maladie,mort) autrefois acceptés avec résignation,ne sont plus considérés de la même manière.Toute personne,saine ou malade, finit par se persuader que la santé est un droit fondamental, la guérison une issue normale, et l’échec le signe indéniable d’un manquement et d’une carence de la part du soignant. On entend souvent les médias dire que telle ou telle personne a été « condamnée par la médecine ». Les caractéristiques du procès pénal. Il revêt trois avantages sur le procès civil pour un patient qui s’estime être victime des agissements fautifs d’un médecin : – il peut être à la fois réparateur par le biais de dommages et intérêts comme le procès civil, et pénalisant en assouvissant la volonté de « vengeance » du patient ; – contrairement à l’action civile, le malade ici n’accomplit aucun acte de procédure. Le juge d’instruction mène lui-même une information au cours de laquelle il peut L diligenter toute mesure propre à mettre en lumière la culpabilité du médecin ; – le patient doit avancer les frais d’une procédure civile et payer l’expertise et son avocat. Les frais occasionnés par une action pénale sont à la charge de la justice. Par Christine Bou avocat bouchristine@ yahoo.fr RESPONSABILITÉ PÉNALE POUR DÉLITS INVOLONTAIRES L’étude des cas de mise en jeu de la responsabilité pénale médicale montre que le plus souvent les praticiens sont poursuivis pour atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique de la personne. Ces infractions, qui entrent dans la catégorie des « infractions volontaires », sont aussi appelées « homicides involontaires » ou « coups et blessures involontaires ». En la matière, deux lois récentes sont venues modifier le paysage juridique : – la première date de 1996 (loi no 96-393 du 13 mai 1996. JCP G. 1996, III, 67976). Elle impose au juge d’apprécier la faute pénale de façon concrète en fonction des circonstances de chaque espèce. Elle n’a pu avoir qu’un impact très faible,car le juge examinait déjà avant ce texte le comportement du médecin en fonction des faits qui lui étaient soumis et des caractéristiques de l’art médical ; – la seconde date du 10 juillet 2000. Elle a été conçue pour pallier la crise des vocations électives liée aux nombreuses mises en cause des élus locaux.La loi a un impact important en matière médicale, car elle impose de déterminer avec précision le niveau de la faute du professionnel de santé avant de retenir sa culpabilité. Ce texte opère désormais une distinction entre l’auteur L A R E V U E D U P R AT I C I E N - M É D E C I N E G É N É R A L E . T O M E 1 8 . N ° 6 4 6 / 6 4 7 D U 2 9 M A R S 2 0 0 4 Cette rubrique commente des arrêts des cours d’appel et de la Cour de cassation qui enrichissent les notions juridiques de façon très concrète. Un texte introductif présente la théorie nécessaire à la compréhension des décisions de justice. 437 D É L I T S I N V O L O N TA I R E S direct du dommage et celui qui en est l’auteur indirect par action ou par omission : – dans le premier cas, une faute simple est suffisante pour retenir sa culpabilité ; – dans le second cas, une faute plus importante est exigée, soit la violation manifeste d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée, exposant autrui à un danger qui ne pouvait être ignoré. EXEMPLE 1 : DISTINCTION ENTRE L’AUTEUR DIRECT DU DOMMAGE ET L’AUTEUR INDIRECT Cour de cassation, chambre criminelle 5 septembre 2000 : JCP G. 2001, II, 10507 rejette le pourvoi interjeté contre un arrêt de la cour d’appel de Nancy. Un ordre, destiné à un interne spécialisé, est délégué à un étudiant stagiaire Un chef de service de réanimation médicale d’un hôpital demande à un interne de transférer un patient en radiologie. Ce dernier délègue l’ordre à un étudiant stagiaire. Lors du transfert,le malade subit un grave préjudice du fait d’une réintubation commise « à l’aveugle » par l’étudiant. Le chef de service, auteur indirect, est relaxé en l’absence de faute caractérisée Le chef de service, auteur de la prescription de l’examen radiologique, à qui il était reproché un défaut de suivi dans sa décision, est relaxé ; il a sollicité un interne spécialisé, compétent pour effectuer le transfert du malade. Le comportement du chef de service est très éloigné dans l’enchaînement causal des faits. On ne peut pas lui reprocher une faute caractérisée, seule propre à révéler une culpabilité pénale pour blessures involontaires. L’interne, auteur direct du dommage, est condamné pour une faute simple Tel n’est pas le cas de l’interne, considéré par les juges comme l’auteur direct du dommage pour avoir délégué l’ordre reçu, à une personne non qualifiée et non habilitée pour opérer le transfert (et cela sans l’accord du chef de service).Une faute simple suffit à retenir sa culpabilité. EXEMPLE 2 : DISSOCIATION ENTRE LA FAUTE CIVILE ET LA FAUTE PÉNALE Cour de cassation,chambre criminelle (n°G,01-80.871,F-D). Une oxygénation insuffisante au cours d’une anesthésie * Une relaxe est une décisison du juge pénal prononçant la non-culpabilité d’un prévenu. 438 Au cours d’une opération effectuée dans une clinique privée, un patient est intubé et placé sous respirateur. Il meurt à la suite d’une oxygénation insuffisante aboutissant à une hypoventilation majeure. La famille intente une action pénale contre l’anesthésiste ainsi que le directeur de la clinique et se constitue partie civile. L’expertise révèle une fuite sur le respirateur en rapport avec la déconnexion d’une cellule servant à mesurer la concentration en oxygène. Le médecin est condamné pénalement pour une négligence d’une gravité certaine Le médecin est condamné, car il avait été averti par l’infirmier que la salle dans laquelle il souhaitait prendre en charge le patient était hors d’usage en raison de l’absence d’oxymètre de pouls (en réparation). Le praticien a cependant procédé à l’anesthésie dans cette pièce au prétexte que l’absence d’un tel appareil ne lui faisait pas peur, car il avait déjà endormi des patients bien avant l’existence d’un tel instrument. Le juge correctionnel a considéré qu’il a agi avec un manque de prudence et que sa négligence est d’une gravité certaine dans la mesure où la présence de l’oxymètre était courante et lui aurait permis de détecter plus précocement l’hypoxie. Conformément à l’arrêté du ministre de la Santé « le médecin anesthésiste-réanimateur qui pratique l’anesthésie s’assure avant l’induction que les vérifications relatives au bon état et au bon fonctionnement des matériels ont été faites ». Le directeur de la clinique… … est relaxé sur le plan pénal. Le directeur de la clinique, lui aussi mis en cause, est relaxé car son comportement n’avait qu’un lien indirect avec le décès et qu’il n’a pas commis de « violation manifeste d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou de faute caractérisée, exposant autrui à un danger qui ne pouvait être ignoré ». Il lui était reproché d’avoir omis de mettre en place une procédure efficace de non-utilisation de la salle en question,au moins visuelle par affichage. Le directeur de la clinique ayant fait confiance à la transmission orale,pratiquée de longue date dans son établissement, n’a pas commis de faute caractérisée nécessaire pour le mettre en cause sur le plan pénal. … mais mis en cause civilement. Si sa carence est insuffisante pour constituer une faute pénalement sanctionnée, il est tout de même condamné à réparer une partie du préjudice moral de la famille (sur le fondement de l’article 1383 du Code civil : « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence »). Cette mise en cause civile en dépit d’une relaxe * est une nouveauté instituée par la loi du 10 juillet 2000. Cette dernière dissocie la faute civile et la faute pénale pour les infractions non intentionnelles.En la matière,le pénal n’a plus autorité sur le civil. CONCLUSION La loi du 10 juillet 2000 est réaliste et paraît équitable. Dans certains cas, il sera néanmoins difficile pour le juge d’identifier les auteurs directs et indirects des délits. ■ L A R E V U E D U P R AT I C I E N - M É D E C I N E G É N É R A L E . T O M E 1 8 . N ° 6 4 6 / 6 4 7 D U 2 9 M A R S 2 0 0 4