LA REVUE DU PRATICIEN - MÉDECINE GÉNÉRALE. TOME 18. N° 646/647 DU 29 MARS 2004 437
JURISPRUDENCE
Le nombre de procédures pénales à l’encontre des
professionnels de santé est croissant. Trois raisons
principales expliquent cette augmentation.
Les progrès scientifiques s’accompagnent d’une aug-
mentation des risques. Les appareils chirurgicaux les plus
performants sont souvent les plus sophistiqués, ce qui
explique que leur maniement soit délicat et risqué.Les
médicaments les plus efficaces sont parfois aussi les plus
agressifs.De ce fait,les patients subissent des préjudices
de plus en plus lourds,et corrélativement à un espoir de
la médecine apparaissent une crainte et une méfiance face
à elle. Le tout est relayé par la presse qui médiatise à
outrance les accidents médicaux et les dramatise.
Les avancées médicales sont la source dun nouvel
état desprit.Les événements malheureux (maladie,mort)
autrefois acceptés avec résignation,ne sont plus considé-
rés de la même manière. Toute personne,saine ou malade,
finit par se persuader que la santé est un droit fonda-
mental,la guérison une issue normale, et l’échec le signe
indéniable dun manquement et dune carence de la part
du soignant. On entend souvent les médias dire que telle
ou telle personne a été «condamnée par la médecine ».
Les caractéristiques du procès pénal. Il revêt trois
avantages sur le procès civil pour un patient qui sestime
être victime des agissements fautifs dun médecin:
il peut être à la fois réparateur par le biais de dommages
et intérêts comme le procès civil, et pénalisant en assou-
vissant la volonté de «vengeance» du patient ;
contrairement à laction civile, le malade ici naccom-
plit aucun acte de procédure.Le juge dinstruction mène
lui-même une information au cours de laquelle il peut
diligenter toute mesure propre à mettre en lumière la
culpabilité du médecin;
le patient doit avancer les frais dune procédure civile et
payer lexpertise et son avocat.Les frais occasionnés par
une action pénale sont à la charge de la justice.
RESPONSABILITÉ PÉNALE POUR DÉLITS
INVOLONTAIRES
L’étude des cas de mise en jeu de la responsabilité pénale
médicale montre que le plus souvent les praticiens sont
poursuivis pour atteintes involontaires à la vie ou à lin-
tégrité physique de la personne.Ces infractions, qui
entrent dans la catégorie des « infractions volontaires »,
sont aussi appelées «homicides involontaires » ou
« coups et blessures involontaires ».
En la matière,deux lois récentes sont venues modifier le
paysage juridique :
la première date de 1996 (loi no96-393 du 13 mai 1996.
JCP G.1996, III,67976). Elle impose au juge dapprécier
la faute pénale de façon concrète en fonction des circons-
tances de chaque espèce.Elle na pu avoir quun impact
très faible,car le juge examinait déjà avant ce texte le com-
portement du médecin en fonction des faits qui lui
étaient soumis et des caractéristiques de lart médical;
la seconde date du 10 juillet 2000.Elle a été conçue
pour pallier la crise des vocations électives liée aux nom-
breuses mises en cause des élus locaux.La loi a un impact
important en matière médicale,car elle impose de déter-
miner avec précision le niveau de la faute du profession-
nel de santé avant de retenir sa culpabilité.
Ce texte opère désormais une distinction entre lauteur
« Quand un chef de service donne
un ordre à un interne qui le délègue
à un étudiant stagiaire…»
La responsabilité pénale médicale des praticiens est le plus souvent mise en jeu
pour atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique de la personne.
Ces infractions sont appelées « délits involontaires ».
Par Christine Bou
avocat
bouchristine@
yahoo.fr
Les délits involontaires (I)
Cette rubrique
commente des
arrêts des cours
d’appel et de la
Cour de cassation
qui enrichissent
les notions
juridiques
de façon très
concrète.
Un texte
introductif
présente
la théorie
nécessaire à la
compréhension
des décisions
de justice.
direct du dommage et celui qui en est lauteur indirect
par action ou par omission :
dans le premier cas,une faute simple est suffisante
pour retenir sa culpabilité;
dans le second cas,une faute plus importante est exi-
gée,soit la violation manifeste dune obligation particu-
lière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement, soit une faute caractérisée,exposant autrui à
un danger qui ne pouvait être ignoré.
EXEMPLE 1: DISTINCTION ENTRE LAUTEUR
DIRECT DU DOMMAGE ET LAUTEUR INDIRECT
Cour de cassation,chambre criminelle 5 septembre
2000 : JCP G.2001, II,10507 rejette le pourvoi interjeté
contre un arrêt de la cour dappel de Nancy.
Un ordre,destiné à un interne spécialisé, est
délégué à un étudiant stagiaire
Un chef de service de réanimation médicale dun hôpital
demande à un interne de transférer un patient en radio-
logie. Ce dernier délègue lordre à un étudiant stagiaire.
Lors du transfert,le malade subit un grave préjudice du fait
dune réintubation commise «à laveugle» par l’étudiant.
Le chef de service,auteur indirect, est relaxé
en l’absence de faute caractérisée
Le chef de service, auteur de la prescription de lexamen
radiologique,à qui il était reproché un défaut de suivi
dans sa décision,est relaxé; il a sollicité un interne spé-
cialisé,compétent pour effectuer le transfert du malade.
Le comportement du chef de service est très éloigné
dans lenchaînement causal des faits.On ne peut pas lui
reprocher une faute caractérisée,seule propre à révéler
une culpabilité pénale pour blessures involontaires.
L’interne, auteur direct du dommage,
est condamné pour une faute simple
Tel nest pas le cas de linterne,considéré par les juges
comme lauteur direct du dommage pour avoir délégué
lordre reçu,à une personne non qualifiée et non habili-
tée pour opérer le transfert (et cela sans laccord du chef
de service).Une faute simple suffit à retenir sa culpabilité.
EXEMPLE 2: DISSOCIATION ENTRE LA FAUTE
CIVILE ET LA FAUTE PÉNALE
Cour de cassation,chambre criminelle (n°G,01-80.871,F-D).
Une oxygénation insuffisante au cours
d’une anesthésie
Au cours dune opération effectuée dans une clinique
privée,un patient est intubé et placé sous respirateur.Il
meurt à la suite dune oxygénation insuffisante aboutis-
sant à une hypoventilation majeure.La famille intente
une action pénale contre lanesthésiste ainsi que le direc-
teur de la clinique et se constitue partie civile.
Lexpertise révèle une fuite sur le respirateur en rapport
avec la déconnexion dune cellule servant à mesurer la
concentration en oxygène.
Le médecin est condamné pénalement
pour une négligence d’une gravité certaine
Le médecin est condamné,car il avait été averti par lin-
firmier que la salle dans laquelle il souhaitait prendre en
charge le patient était hors dusage en raison de lab-
sence doxymètre de pouls (en réparation).Le praticien
a cependant procédé à lanesthésie dans cette pièce au
prétexte que labsence dun tel appareil ne lui faisait pas
peur, car il avait déjà endormi des patients bien avant
lexistence dun tel instrument. Le juge correctionnel a
considéré quil a agi avec un manque de prudence et que
sa négligence est dune gravité certaine dans la mesure
où la présence de loxymètre était courante et lui aurait
permis de détecter plus précocement lhypoxie.Confor-
mément à larrêté du ministre de la Santé « le médecin
anesthésiste-réanimateur qui pratique l’anesthésie s’as-
sure avant l’induction que les vérifications relatives au bon
état et au bon fonctionnement des matériels ont été faites ».
Le directeur de la clinique…
est relaxé sur le plan pénal.Le directeur de la cli-
nique,lui aussi mis en cause, est relaxé car son compor-
tement navait quun lien indirect avec le décès et quil na
pas commis de «violation manifeste dune obligation par-
ticulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement, ou de faute caractérisée, exposant autrui à un
danger qui ne pouvait être ignoré». Il lui était reproché
davoir omis de mettre en place une procédure efficace
de non-utilisation de la salle en question,au moins visuelle
par affichage. Le directeur de la clinique ayant fait
confiance à la transmission orale,pratiquée de longue date
dans son établissement,na pas commis de faute caracté-
risée nécessaire pour le mettre en cause sur le plan pénal.
mais mis en cause civilement. Si sa carence est
insuffisante pour constituer une faute pénalement sanc-
tionnée, il est tout de même condamné à réparer une
partie du préjudice moral de la famille (sur le fondement
de larticle 1383 du Code civil : «chacun est responsable
du dommage quil a causé non seulement par son fait, mais
encore par sa négligence ou son imprudence »). Cette mise
en cause civile en dépit dune relaxe *est une nouveauté
instituée par la loi du 10 juillet 2000.Cette dernière dis-
socie la faute civile et la faute pénale pour les infractions
non intentionnelles.En la matière,le pénal na plus auto-
rité sur le civil.
CONCLUSION
La loi du 10 juillet 2000 est réaliste et paraît équitable.
Dans certains cas,il sera néanmoins difficile pour le juge
didentifier les auteurs directs et indirects des délits.
438 LA REVUE DU PRATICIEN - MÉDECINE GÉNÉRALE. TOME 18. N°646/647 DU 29 MARS 2004
DÉLITS INVOLONTAIRES
*Une relaxe est une
décisison du juge
pénal prononçant
la non-culpabilité
dun prévenu.
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