n°237 16/04/04 C 11:30 O Page 6 U R R I E R D E S L E C T E U R S Passer sous les fourches caudines* ● G.L. Larvaron** L a 3e Conférence internationale consacrée au neurinome de l’acoustique et autres tumeurs cérébrales aura lieu à Rome du 12 au 16 juin 1999, sous l’égide du docteur Mario Sanna. Le neurinome de l’acoustique est bien connu des ORL, qui le dépistent souvent mais l’opèrent rarement, à moins d’avoir atteint une renommée oto-neurologique chirurgicale à laquelle bien peu peuvent espérer prétendre un jour. Le but de mon article n’est pas, bien évidemment, de vous enseigner quoi que ce soit sur le neurinome : c’est là le rôle de nos maîtres (signalons l’excellente monographie du CCA Wagram). Il est plutôt, à l’aide de quelques exemples personnels, de vous montrer comment ledit neurinome peut se présenter à vous en simple consultation et vous amener devant une juridiction quelconque : soit l’Ordre des médecins sur plainte d’un patient, voire de sa famille, pour absence de diligence dans les soins et retard au diagnostic d’une affection pouvant entraîner des séquelles, soit la commission paritaire de la Sécurité sociale pour recherche abusive et coûteuse d’une affection rare, soit, pourquoi pas, en Chambre civile pour non-diagnostic de l’affection selon les données conformes de la science. De toute façon, le parcours qui vous attend est rude et semé d’embûches. En voici quelques exemples : DOSSIER N° 1 Sexe féminin, née en 1926. La patiente présente un problème à l’oreille droite : déficit auditif de type perception et acouphènes. * Furculae caudinae (Tite-Live). ** ORL de l'hôpital de Neuilly. 6 Elle consulte en 1988 et présente des audiogrammes antérieurs de 1986 : - 54 dB ; 1987 : - 66 dB ; 1988 : - 71 dB. Elle a eu des PEA en janvier 1987, évoquant une origine rétro-cochléaire possible, mais le scanner pratiqué n’a rien montré de particulier. Une électro-nystagmographie de janvier 1997 ayant montré une hypo-excitabilité droite compensée, le diagnostic de névrite vestibulaire est retenu. La patiente demande un autre avis et consulte en expliquant son histoire, mais refuse un nouveau scanner. Elle accepte un examen labyrinthique calibré classique, qui confirme l’hypo-excitabilité droite. Le dialogue permet de convaincre la patiente de l’intérêt d’un nouveau scanner. Celui-ci révèle la présence d’un neurinome de stade II. L’opération est un succès ; le neurinome est enlevé et les séquelles resteront modérées : surdité, acouphènes et quelques otalgies de type myalgies du sterno-cléido-mastoïdien. La patiente est perdue de vue en 1992. La patiente n’est pas revue l’année suivante. Nous apprenons, cinq ans plus tard, qu’elle présente un neurinome de 4 à 5 cm... DOSSIER N° 3 Sexe masculin, né en 1919. Le patient consulte en 1997, pour des épisodes de vertiges initialement rattachés à une hypertension. Le bilan audiométrique montre une hypoacousie de perception bilatérale prédominante à gauche. L’électronystagmographie évoque un possible vertige paroxystique bénin gauche. Les potentiels évoqués sont désynchronisés du côté gauche... Le scanner fera émettre un doute, mais du côté opposé... et l’IRM confirmera le neurinome du côté droit, soit le côté opposé au VPPB... Du fait de la petite taille du neurinome et de l’âge du patient, l’évolution de la lésion est suivie par imagerie. DOSSIER N° 4 DOSSIER N° 2 Sexe féminin, née en 1947. La patiente aurait eu un vertige avec nausée en 1972. Quand elle consulte, en 1980, l’audition est normale. Elle est revue en 1981 pour un problème thyroïdien, qui s’avérera être un goitre nodulaire justiciable d’une intervention en 1989. Revue en 1992, pour un grésillement de l’oreille gauche, elle n’a pas eu d’épisodes de vertiges. L’audiogramme montre un scotome sur l’oreille gauche à - 30 dB sur la fréquence 4 000 Hz. Le grésillement revient en 1993 et l’audiogramme montre un scotome à - 40 dB. La patiente est sous traitement hormonal depuis six mois. Sexe féminin, née en 1925. Lors de la première consultation en ORL en 1993, la patiente présente une surdité de perception sur l’oreille gauche, évoquée comme surdité brusque, mais datant de plusieurs semaines au moment de la consultation. Dans le cadre du bilan, un avis cardiologique est requis, dont l’ORL n’aura pas connaissance, la patiente ne consultant pas une deuxième fois... Que croyez-vous qu’il arriva ? – En 1995, un neurinome est découvert, la patiente est opérée et décède ; – l’ORL est poursuivi en justice par la famille ; – une condamnation paraît très envisageable. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 237 - novembre 1998 n°237 16/04/04 11:30 Page 7 CONCLUSION Ces cas montrent à quel point le neurinome peut être insidieux dans ses manifestations cliniques, et aussi combien notre persévérance pour le traquer doit être forte. Ils montrent aussi que des examens prématurés peuvent passer à côté, sans préjuger de la valeur du centre qui pratique le bilan. Le diagnostic est en général le fruit d’un contact et d’un suivi entre le praticien et le patient, et il peut demander plusieurs mois. Nos confrères généralistes sont bien peu informés de ce type de pathologie. Il est également vrai que La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 237 - novembre 1998 le coût et la redondance des examens ont de quoi surprendre des praticiens constamment soumis à des pressions en faveur d’une médecine à moindre coût, et auxquels on rabâche que le spécialiste est à l’origine du déficit de la Sécurité sociale. L’avenir sera rude ! ■ 7