P La dépression : quels impacts chez le patient atteint de cancer ?

450 | La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010
DOSSIER THÉMATIQUE
Dépression et cancer
La dépression :
quels impacts chez le patient
atteint de cancer ?
Depression: what impact in patients with cancer?
W. Rhondali*
* Service de psychiatrie, Hospices
civils de Lyon, centre hospitalier
universitaire Lyon-Sud, Pierre-Bénite.
P
ar pression, on entend ici un épisode dépressif
majeur, qui touche au moins 5 à 10 % des patients
en cancérologie. Ce syndrome se manifeste en
canrologie par un ensemble de sympmes tels que la
tristesse, la culpabilité ou encore un sentiment d’incu-
rabili. Il y a un impact potentiel majeur sur la relation
decin-malade, ainsi que sur ladéquation du patient
avec son traitement et lobservance de ce dernier et sur
sa qualité de vie. À l’heure où toutes les évaluations
thérapeutiques se doivent de prendre en compte la
qualité de vie, il est capital d’être conscient des effets
potentiels de la dépression sur celle-ci. Cet article fait
le point sur l’impact au quotidien d’une pathologie qui
alourdit indûment un parcours souvent déjà difficile
pour les patients.
Dépression
et relation médecin-malade
La relation médecin-malade est déterminée par de
nombreux facteurs, individuels et socio-culturels. De
même que le malade réagit à sa maladie en fonction
de sa personnalité propre, le médecin fait face à son
malade par un certain nombre d’attitudes, conscientes
et inconscientes, qui dépendent de sa personnalité et
de son histoire, et sont susceptibles d’infléchir le cours
de la relation thérapeutique, dont l’une des clés est la
confiance. Pendant ce temps de rencontre, un échange
d’informations permettra au praticien d’établir un
diagnostic correct et un projet thérapeutique adapté.
Pour le patient, il sera également l’occasion d’une
prise de décision relative au traitement, son choix
étant alors guidé par ses expériences passées et sa
compréhension de l’information.
La relation médecin-malade repose en grande partie
sur la qualité de cette communication interactive.
Revenons maintenant à la problématique de la
dépression. Tout au long de la maladie cancéreuse,
la relation médecin-malade risque d’être altérée
par des symptômes dépressifs (1), que ce soit au
moment de l’annonce, du choix des traitements,
lors de la phase de rémission et de la période de
surveillance ou en situation palliative. Le patient
déprimé pourra se présenter avec des symptômes
physiques réfractaires, un ralentissement psycho-
moteur majeur ou une irritabilité rendant l’entretien
difficile (figure 1). L’annonce de “mauvaises
nouvelles”, comme l’arrêt des traitements, sera
encore plus difficile chez un patient dépressif avec,
parfois, des idées suicidaires ou des pleurs incoer-
cibles… D’autres symptômes peuvent également
gêner la communication soignant-soigné, comme un
pessimisme omniprésent, une perte de l’espoir, une
autodépréciation, un sentiment d’impuissance ou
de la culpabilité. Tous ces symptômes vont fragiliser
le lien d’empathie nécessaire à ce colloque singulier
et limiter la capacité du patient à s’engager dans un
projet thérapeutique.
La dépression affectera également la transmission
d’informations entre le médecin et le patient. Elle
conditionnera le contenu des pensées du patient et
représentera un “biais” cognitif, avec une rétention
significativement plus importante des contenus
d’information négatifs (2-4).
Par ailleurs, le médecin peut être tenté de n’informer
le patient déprimé que partiellement, dans le souci
de le protéger.
Figure 1. Communication interpersonnelle : les aspects généraux (5).
Culture et contexte
Variables
• physiques
• attitudes
• cognitions
• émotions
Récepteur
(émetteur)
Ton de la voix,
amimie,
ralentissement psychomoteur
Émetteur
(récepteur)
Idées d’incurabilité,
pessimisme,
irritabilité
Mode
• verbal (digital)
• non verbal (analogique)
Code
• langagier
• gestuel
• interactionnel
• social
La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 451
Résumé
En cancérologie, la pathologie dépressive touche de nombreux patients rendant plus difficile leurs parcours
de soin. La dépression va affecter la relation médecin-malade par plusieurs mécanismes comme le ralen-
tissement psychomoteur ou des idées d’incurabilité. Cette relation médecin-malade est fondamentale
pour permettre au patient de participer à la décision quant au projet de soin et de ce fait améliorer sa
compliance thérapeutique. Enfin, la dépression altère de façon significative la qualité de vie des patients
atteints de cancer (par la majoration de certains symptômes comme la fatigue mais également par la
limitation de leur capacité d’adaptation).
Mots-clés
Dépression
Cancer
Compliance
Qualité de vie
Highlights
In the oncology field, depres-
sion affects many patients
making their care more diffi-
cult. Depression will affect the
doctor-patient relationship
by several mechanisms such
as psychomotor impairment,
or ideas for incurable. The
doctor-patient relationship is
fundamental to enabling the
patient to participate in the
decision on the design of care
and thereby improve patient
compliance. Finally depression
significantly impairs quality of
life of cancer patients (by the
increase of some symptoms
like fatigue but also by limiting
their ability to cope).
Keywords
Depression
Cancer
Compliance
Quality of life
La reconnaissance de la pathologie dépressive
apparaît ainsi comme un préalable indispensable
à une prise en charge optimale du cancer ou des
symptômes associés.
Ces difficultés auront des répercussions sur
l’ensemble de la prise en charge thérapeutique,
la détournant potentiellement de la pathologie
tumorale vers des problématiques plus bruyantes
(fatigue, douleur, idées suicidaires).
Dépression
et compliance thérapeutique
La compliance thérapeutique représente la
conformité à la prescription sans tenir compte du
degré réel d’adhésion du patient. Ladhésion au
traitement suppose la collaboration volontaire du
patient en accord avec le plan thérapeutique établi
avec le médecin suite à une information claire et
intelligible. Enfin, l’observance est la dimension
comportementale et mesurable d’une pratique de
soin consistant à suivre la thérapeutique prescrite,
ce qui englobe le traitement mais aussi l’ensemble
des régimes associés et les styles de vie (6, 7).
Il existe différents facteurs influençant la compliance
thérapeutique des patients (8, 9) :
des facteurs cognitifs (attention, mémoire,
compréhension des explications) ;
les représentations sociales (perception de la
maladie par la société en fonction d’une culture et
d’une période donnée) et individuelles (en fonction
des expériences personnelles) de la maladie cancé-
reuse ;
des facteurs socio-démographiques (âge,
présence ou non d’aidants naturels) ;
des facteurs cliniques liés à l’affection cancéreuse
et aux symptômes associés.
Par ailleurs, la compliance thérapeutique dépend en
grande partie de la qualité de l’interaction entre le
patient et le soignant (10).
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La dépression : quels impacts chez le patient atteint de cancer ?
Dépression et cancer
DOSSIER THÉMATIQUE
Chez le patient atteint de cancer, la dépression vient
nuire à cette attitude d’observance thérapeutique
et entraîne :
une diminution de la capacité à comprendre les
explications (ralentissement psychomoteur, diffi-
cultés de concentration), le sens ou les objectifs
du traitement ;
une diminution de la capacité à s’investir person-
nellement dans une prise de décision de façon
continue (aboulie, culpabilité) ;
une majoration de la symptomatologie doulou-
reuse, de la fatigue ;
des refus de traitements inattendus (incurie).
Enfin, un autre symptôme de la dépression est le
retrait social, avec un isolement important et/ou
une irritabilité rendant les relations interpersonnelles
difficiles, ce qui altère potentiellement la relation de
soins, support de la bonne observance et de l’adé-
quation entre le projet thérapeutique et les souhaits
du patient. N’oublions pas que la dépression est
également associée aux demandes d’euthanasie ou
au désir de mort anticipée avec une prévalence de
ce type de demande jusqu’à 4 fois plus élevée en
présence d’un état dépressif (11).
Dépression et qualité de vie
L’amélioration des effets sur la survie des théra-
peutiques anticancéreuses, l’allongement de la
durée de vie prévisible des patients, l’adminis-
tration au long cours de certains traitements ont
rendu l’évaluation de la qualité de vie incontour-
nable aujourd’hui en cancérologie. Un traitement
nouveau doit démontrer qu’il améliore non
seulement le contrôle biologique de la tumeur et
la durée de vie du patient, mais aussi sa qualité
de vie.
Cette extension des objectifs part d’une vision holis-
tique de la personne, conçue dans sa globalité. La
qualité de vie englobe 4 dimensions : physique,
psychologique, sociale et spirituelle. La plupart
des études consacrées à ce sujet comportent une
évaluation quantitative de la qualité de vie globale
ou de ses différentes dimensions.
Lexistence d’un syndrome dépressif va moduler
l’évaluation de la qualité de vie de 2 façons :
par son impact sur l’évaluation d’au moins une
des 3 dimensions non somatiques (psychologique,
sociale ou spirituelle) ;
par son impact sur l’évaluation du fonction-
nement physique, lié soit à une symptomatologie
d’origine potentiellement somatique, soit à la
modification par le patient déprimé de l’évaluation
de ses symptômes (12).
Ainsi, M.A. Weitzner et al. ont retrouvé, sur un échan-
tillon de 60 patientes atteintes d’un cancer du sein
(en rémission), une prévalence de la dépression de
29 % et une association de la dépression à un bas
niveau de qualité de vie (13).
D’autres études ont rapporté une influence négative
de la dépression sur les effets secondaires des traite-
ments spécifiques (chirurgie, radiothérapie, chimio-
thérapie, hormonothérapie), celle-ci majorant les
troubles digestifs (nausées), ainsi que la perception
de la fatigue, et altérant les fonctions cognitives
(troubles de la concentration), tous ces facteurs
ayant un impact négatif sur la qualité de vie (14, 15).
M. Lloyd-Williams et al. ont également rapporté
une corrélation entre la dépression et la cotation
de l’intensité d’autres symptômes physiques : les
patients présentant un état dépressif attribuent
une cotation plus élevée aux symptômes tels que
la douleur ou la fatigue (16).
L’intrication de la douleur et de la fatigue avec les
troubles émotionnels est en effet importante. La
perception douloureuse des patients déprimés
augmente et, inversement, une douleur persistante
crée ou accentue la dépression (16, 17). Les patients
dont la dépression est bien prise en charge, c’est-
à-dire dépistée et traitée, sont plus favorisés avec,
en particulier, une amélioration des symptômes
douloureux.
La fatigue est l’un des symptômes les plus
fréquemment ressentis par les femmes atteintes d’un
cancer du sein, et elle perturbe considérablement
leur vie au quotidien. Cette fatigue peut être liée
à la maladie elle-même et/ou à son traitement,
notamment en cas de chimiothérapie. Elle peut
être physique ou psychique, avoir plusieurs causes
comme le traitement ou la dépression, et être
majorée par des troubles du sommeil.
Les interactions entre la dépression et d’autres
symptômes comme la douleur, la fatigue, l’anxiété et
les troubles cognitifs sont complexes (figure 2). Cette
complexité doit être un facteur d’incitation suppmen-
taire à l’évaluation stricte de chaque dimension consi-
dérée isolément (fatigue, douleur, état émotionnel,
etc.), seule à même de permettre un bon repérage
symptomatique et une bonne prise en charge.
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Figure 2. Relations entre la dépression et des symptômes fréquents en oncologie. D’après
Rhondali W. Comment améliorer le diagnostic de la dépression chez les patients porteurs
d’un cancer en phase avancée. UCBL 2009.
Dépression
Anxiété
Fatigue Douleur
Altération
de l’état général
Diminution
de la
mobilité Fonctionnement
émotionnel
et cognitif
Figure 3. Impact de la dépression sur l’information délivrée au patient, la prise de décision
et d’adhésion au projet de soins et la compliance thérapeutique. Un système complexe.
SoignantsPatients
Aidants
naturels
Participation
à la prise de décision
et adhésion au projet
INFORMATION
Compliance
thérapeutique
Épuisement
“Burn out”
Dépression
Dépression
Épuisement
La Lettre du Cancérologue Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 453
Dépression et cancer
DOSSIER THÉMATIQUE
Enfin, dernier point important dans cet impact
des symptômes physiques de la dépression sur le
traitement, les patients dépressifs déjà en proie à
des symptômes physiques gênants du fait même
de leur dépression (asthénie, troubles du sommeil,
anorexie, etc.) peuvent avoir d’autant plus de mal
à s’engager dans certains traitements spécifiques
susceptibles de majorer cette symptomatologie
(patiente en post-traitement d’un cancer du sein
refusant la reconstruction mammaire par peur de la
douleur, patient métastatique traité au long cours
par chimiothérapie et en demandant l’arrêt pour
une asthénie au moins en partie dépressive, patiente
demandant l’arrêt de l’hormonothérapie pour des
douleurs majorées par un syndrome dépressif, etc.).
Dépression et proches
L’impact de la dépression du patient sur ses proches
est également à prendre en compte. Il est établi que
la détresse émotionnelle des patients est un facteur
prédictif de celle des proches et de leur qualité de
vie, tout comme l’existence d’un syndrome dépressif
non traité chez le patient est un facteur de risque
établi de dépression chez ses proches. Ces derniers
sont pris au dépourvu par leurs propres difficultés
émotionnelles, qui détériorent la qualité de leur
relation avec les patients et les confrontent à des
difcultés inconnues : comment faire face à une
tristesse majeure, à des idées de suicide clairement
exprimées par le patient ?
Les proches sont souvent déstabilisés, ne sachant
pas à qui s’adresser, et la communication devient
difficile. Ils peuvent alors se trouver plus rapidement
en situation d’épuisement et soutenir de façon
moins efficace le projet thérapeutique. Nous
connaissons l’importance de cet accompagnement,
non seulement lors des consultations pour soutenir
le patient et parfois l’aider à saisir l’ensemble des
informations, mais également lors de temps théra-
peutiques, pour maintenir sa motivation et son
engagement. L’impact de la dépression du patient
sur le proche majore donc potentiellement les diffi-
cultés de compliance déjà évoquées précédemment
(figure 3).
La dépression des patients risque ainsi d’amplifier
l’épuisement des aidants et, en fragilisant le lien
du patient avec son entourage, de diminuer encore
ses capacités d’adaptation. Elle aggrave par ailleurs
la perte de repères familiaux lorsque le patient
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La dépression : quels impacts chez le patient atteint de cancer ?
Dépression et cancer
DOSSIER THÉMATIQUE
apragmatique ne peut plus faire face à ses rôles et à
ses tâches quotidiennes : ainsi, les enfants de mères
malades déprimées semblent présenter un impact
plus important de la maladie que les autres enfants
de mères atteintes de cancer.
Conclusion
La dépression est une pathologie fréquente chez le
patient atteint de cancer. On peut voir, au travers de
ces quelques lignes, à quel point cette pathologie est
“infiltrée” dans les différents temps du traitement
d’un cancer. Elle diminue la qualité de vie des
patients et l’adhérence aux traitements, et interfère
avec la prise en charge des autres symptômes. Elle
a un impact sur les liens sociaux et familiaux, et le
soutien que les patients reçoivent. Les manifes-
tations de la pression ne sont pas toujours au
premier plan et on parle souvent de “symptômes
en creux”. Ces symptômes sont souvent négligés
ou banalisés dans ce contexte en regard d’enjeux
plus importants. Il est d’autant plus important
d’en faire le diagnostic qu’il existe un traitement
efficace. La prise en charge correcte de la dépression
doit s’intégrer dans une prise en charge globale,
et implique de connaître les possibles symptômes
associés, les facteurs de risque et les facteurs aggra-
vants. Elle doit être un élément incontournable de
la prise en charge globale du patient cancéreux.
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Le cancer à l’épreuve du temps
32es journées de la Société française de sénologie et de pathologie mammaire
La femme jeune face au cancer du sein
15-16 octobre 2010, Bordeaux
Agence Rive Sud Organisation 04 92 98 05 01 - contact@rive-sud.fr - www.rive-sud.fr
Pour toute information complémentaire, consulter le site www.crol.fr
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