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La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no5 - septembre-octobre 2004
la patiente traitée depuis le plus longtemps en France par Her-
ceptin®, puisque nous étions le seul centre français ayant parti-
cipé à l’étude pivotale de phase II (7). Cette étude multicentrique
internationale, réalisée dans cinquante-cinq sites et huit pays,
avait inclus 222 patientes avec une tumeur surexprimant HER2
(2+ ou 3+ en immunohistochimie après lecture centralisée),
traitées par une ou deux lignes de chimiothérapie (trois en cas de
traitement adjuvant). Les patientes recrutées étaient, en règle
générale, déjà lourdement traitées : 68 % avaient reçu une chi-
miothérapie adjuvante, 68 % deux lignes en phase métastatique
et 25 % une chimiothérapie myélosuppressive avec autogreffe.
Le taux de réponse objective rapporté par les investigateurs dans
cette étude était de 15 % par le comité d'évaluation indépendant
mis en place (IC95 : 10-20 %). La médiane de durée de réponse
était de 8,5 mois et celle de survie de 13 mois.
Cette observation est un exemple, représentant un moment pri-
vilégié de réflexion pour faire le point sur ce que nous a apporté,
ces dernières années, l’expérience avec Herceptin®, et sur la façon
dont ont évolué les concepts depuis l’AMM.
Il faut sans doute insister sur :
✓L’intérêt potentiel dans les cancers du sein inflammatoire,
où le taux de surexpression d’HER2 apparaît plus important
(jusqu’à 40 % au lieu des 15-25 % habituels des cancers du sein).
✓Les résultats décevants de la chimiothérapie utilisée seule
et la résistance au tamoxifène. Il apparaît que la surexpression
de HER2 dans les cancers du sein est prédictive d’une résistance
à une hormonothérapie par tamoxifène (8, 9), parfaitement étayée
par les données biologiques et expérimentales récentes (10), à une
chimiothérapie adjuvante par CMF (11) ou à des doses faibles
d’anthracyclines (12). Les chimiothérapies intensives ne semblent
pas non plus permettre de corriger le paramètre pronostique péjo-
ratif lié à la surexpression de HER2 (13, 14).
✓Une durée de réponse qui peut être prolongée.
✓La qualité de vie sous traitement. Cette patiente a continué
ses activités professionnelles pendant tout le temps du traitement
jusqu’à la métastase cérébrale. Son investissement lui a même
permis une promotion professionnelle. Elle s’est aussi rema-
riée… Cela est lié à la parfaite tolérance quand les problèmes
cardiaques ne se posent pas. Il faut relever chez cette patiente
l’absence de retentissement sur la fonction cardiaque, malgré
six ans de traitement par Herceptin®, bel exemple de l’absence
de toxicité cumulative cardiaque du trastuzumab utilisé seul et
du fait que la cardiotoxicité semble bien liée à une inhibition des
mécanismes de réparation des dommages occasionnés habituel-
lement par les anthracyclines (15-18).
✓La fréquence des métastases cérébro-méningées, comme
nous le constatons actuellement, en rapport avec l’absence de pas-
sage de Herceptin®au niveau de la barrière cérébro-méningée, mais
aussi avec l’allongement de la survie lié au meilleur contrôle des
autres métastases. Le pronostic se joue maintenant souvent au
plan cérébro-méningé. Il est assez étonnant, dans le cas de cette
patiente, qu’elle n’ait pas présenté des métastases viscérales…
✓L’intérêt en traitement de maintenance des traitements
toutes les trois semaines.
✓L’intérêt d’un traitement prolongé. La décision de poursuite
des traitements ciblés apparaît différente de celle de la chimio-
thérapie, conditionnée par la réponse thérapeutique et la toxi-
cité. Obtenir une stabilisation prolongée ou ralentir la progres-
sion de la maladie est sans doute un élément essentiel à prendre
en compte. L’intérêt de la poursuite de la thérapeutique ciblée
vient d’être montré dans les GIST avec l’imatinib, qu’il faut
continuer, son arrêt après un an ayant un effet délétère sur la sur-
vie (19). Notons que, chez cette patiente, le traitement n’a pas modi-
fié le taux de positivité ni l’importance de l’expression de HER2
des cellules tumorales résiduelles. Pourtant, le maintien de la
pression thérapeutique ciblée paraît bénéfique. Il semble bien
que l’expérience clinique aille dans le sens, en cas d’échec d’une
première association avec une chimiothérapie, d’un changement de
la chimiothérapie tout en poursuivant Herceptin®. Mais cela reste
à démontrer…
✓Enfin, l’expérience et les essais thérapeutiques ont confirmé
l’intérêt des associations avec d’autres cytotoxiques que le
paclitaxel (20, 21), notamment avec le docétaxel (22-24) et la
vinorelbine (25). Des études sont en cours avec la capécitabine.
On peut regretter le refus par la patiente d’une association avec
taxane, qui aurait peut-être permis un meilleur résultat thérapeutique.
Quant à l’avenir, il est à la compréhension des mécanismes de
résistance (26, 27), et au blocage associé d’autres cibles biolo-
giques par des traitements spécifiques. ■
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