CAS CLINIQUE
220
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no5 - septembre-octobre 2004
L
e trastuzumab (Herceptin
®
), anticorps monoclonal
humanisé anti-HER2, est le premier traitement à cibler
un récepteur de facteur de croissance membranaire pro-
curant un avantage en survie dans le cancer du sein métastatique
(1). Résultant d’un long effort de développement des biotechno-
logies et des progrès dans la connaissance de la biologie molé-
culaire du cancer du sein, il constitue une avancée thérapeutique
importante ayant modifié la prise en charge et le pronostic des
tumeurs présentant une amplification de HER2 (2-6). Nous
rapportons ici le cas de la patiente traitée depuis le plus longtemps
en France par Herceptin
®
.
HISTOIRE DE LA MALADIE
Mme C..., 33 ans, sans antécédent particulier en dehors de
coliques néphrétiques et d’un kyste bénin de l’ovaire opéré, pré-
sente en mars 1995 un cancer inflammatoire du sein gauche avec
une tumeur palpable de 6 cm des quadrants supérieurs et une adé-
nopathie axillaire centimétrique. Le forage biopsique permet le
diagnostic d’adénocarcinome canalaire infiltrant SBR II fort. Le
bilan d’extension avec myélogramme s’étant avéré normal, la
patiente est traitée dans le cadre du protocole PEGASE 2 par de
fortes doses de doxorubicine (120 mg) et de cyclophosphamide
(4 800 mg) par cycle avec support de cellules souches. Au décours
de quatre cycles, la persistance de signes de lymphangite cuta-
née a fait opter pour un traitement local par radiothérapie. En
décembre 1995, une reprise évolutive est confirmée par la biop-
sie cutanée de nouveaux placards lymphangitiques. Après échec
très rapide d’un traitement hormonal par agoniste de la LH-RH
associé au tamoxifène, une chimiothérapie par un protocole FUN
tous les 21 jours est instaurée en janvier 1996 et poursuivie
jusqu’en août 1996.
Apparaît alors une importante progression sous forme d’une lym-
phangite prenant l’ensemble du sein gauche, s’étendant jusqu’à
l’épaule gauche, mais également au niveau de la région para-
sternale droite et du sein droit, où l’on retrouvait une tumeur sus-
aréolaire de 3 x 3,5 cm positive à la ponction cytologique. La
tumeur exprimant fortement HER2 en immunohistochimie, la
patiente est traitée à partir du 27 septembre 1996 dans le cadre
de l’étude pivotale internationale de phase II (HO 649g) par tras-
tuzumab seul, selon le schéma qui deviendra celui de l’AMM
(4 mg/kg en traitement d’induction et 2 mg/kg en traitement heb-
domadaire de maintenance). Dès le mois suivant, il existe une
réponse majeure. Cette réponse, qui ne sera jamais complète, se
maintiendra jusqu’en janvier 1998, où une progression de la
lymphangite et la réapparition d’une tumeur mammaire droite
palpable feront, comme le prévoyait le protocole, doubler les
doses de trastuzumab (4 mg/kg/sem.). Ce traitement sera pour-
suivi jusqu’en avril 1999, date à laquelle il sera arrêté devant la
progression des lésions. Une biopsie pratiquée à la fois au niveau
du sein et de la peau montre la persistance d’une surexpression
intense de la protéine HER2 au niveau de la majorité des cellules
tumorales. Entre mai 1999 et avril 2001, la patiente est traitée
par plusieurs chimiothérapies (THP adriamycine-gemcitabine,
navelbine-méthotrexate, celiptium, capécitabine), qui entraînent
au mieux une stabilisation très transitoire des lésions lymphan-
gitiques. Il faut noter son refus d’un traitement par taxane du fait
du risque d’alopécie.
Devant l’évolutivité des lésions cutanées en cuirasse, ulcérées,
étendues sur l’ensemble des parois thoraciques antérieures droite
et gauche, mais également au niveau cervical et thoracique
postérieur gauche, nous décidons de reprendre le trastuzumab
seul à la dose de 2 mg/kg/sem. à partir d’avril 2001, puis de
6 mg/kg/3 sem. à partir de juin 2002. L’évolution des lésions
semblant se modifier avec le cycle menstruel, malgré l’absence
d’expression de récepteurs à l’estradiol et à la progestérone, un
traitement hormonal combinant agoniste de la LH-RH et anti-
aromatase est institué à partir d’avril 2003. En septembre 2003,
la patiente est opérée d’une métastase cérébrale frontale unique.
Une radiothérapie complémentaire est réalisée et le traitement
général poursuivi, le bilan d’extension ne montrant pas de méta-
stases viscérales et les lésions cutanées étant stables. La patiente
est toujours sous traitement en août 2004, avec des lésions rela-
tivement stables.
DISCUSSION
Cette observation unique montre combien le traitement ciblé par
trastuzumab peut modifier l’évolution naturelle du cancer du sein
exprimant HER2.
Elle est un bon exemple des données qui s’accumulent aujourd’hui
pour mieux prendre en charge ces formes tumorales. Il s’agit de
Une longue histoire avec Herceptin
®
A long story with Herceptin
®
P. Beuzeboc*, S. Scholl*, A. Vincent-Salomon*, X. Sastre*, P. Pouillart*
* Institut Curie, 75005 Paris.
221
La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no5 - septembre-octobre 2004
la patiente traitée depuis le plus longtemps en France par Her-
ceptin®, puisque nous étions le seul centre français ayant parti-
cipé à l’étude pivotale de phase II (7). Cette étude multicentrique
internationale, réalisée dans cinquante-cinq sites et huit pays,
avait inclus 222 patientes avec une tumeur surexprimant HER2
(2+ ou 3+ en immunohistochimie après lecture centralisée),
traitées par une ou deux lignes de chimiothérapie (trois en cas de
traitement adjuvant). Les patientes recrutées étaient, en règle
générale, déjà lourdement traitées : 68 % avaient reçu une chi-
miothérapie adjuvante, 68 % deux lignes en phase métastatique
et 25 % une chimiothérapie myélosuppressive avec autogreffe.
Le taux de réponse objective rapporté par les investigateurs dans
cette étude était de 15 % par le comité d'évaluation indépendant
mis en place (IC95 : 10-20 %). La médiane de durée de réponse
était de 8,5 mois et celle de survie de 13 mois.
Cette observation est un exemple, représentant un moment pri-
vilégié de réflexion pour faire le point sur ce que nous a apporté,
ces dernières années, l’expérience avec Herceptin®, et sur la façon
dont ont évolué les concepts depuis l’AMM.
Il faut sans doute insister sur :
L’intérêt potentiel dans les cancers du sein inflammatoire,
où le taux de surexpression d’HER2 apparaît plus important
(jusqu’à 40 % au lieu des 15-25 % habituels des cancers du sein).
Les résultats décevants de la chimiothérapie utilisée seule
et la résistance au tamoxifène. Il apparaît que la surexpression
de HER2 dans les cancers du sein est prédictive d’une résistance
à une hormonothérapie par tamoxifène (8, 9), parfaitement étayée
par les données biologiques et expérimentales récentes (10), à une
chimiothérapie adjuvante par CMF (11) ou à des doses faibles
d’anthracyclines (12). Les chimiothérapies intensives ne semblent
pas non plus permettre de corriger le paramètre pronostique péjo-
ratif lié à la surexpression de HER2 (13, 14).
Une durée de réponse qui peut être prolongée.
La qualité de vie sous traitement. Cette patiente a continué
ses activités professionnelles pendant tout le temps du traitement
jusqu’à la métastase cérébrale. Son investissement lui a même
permis une promotion professionnelle. Elle s’est aussi rema-
riée… Cela est lié à la parfaite tolérance quand les problèmes
cardiaques ne se posent pas. Il faut relever chez cette patiente
l’absence de retentissement sur la fonction cardiaque, malgré
six ans de traitement par Herceptin®, bel exemple de l’absence
de toxicité cumulative cardiaque du trastuzumab utilisé seul et
du fait que la cardiotoxicité semble bien liée à une inhibition des
mécanismes de réparation des dommages occasionnés habituel-
lement par les anthracyclines (15-18).
La fréquence des métastases cérébro-méningées, comme
nous le constatons actuellement, en rapport avec l’absence de pas-
sage de Herceptin®au niveau de la barrière cérébro-méningée, mais
aussi avec l’allongement de la survie lié au meilleur contrôle des
autres métastases. Le pronostic se joue maintenant souvent au
plan cérébro-méningé. Il est assez étonnant, dans le cas de cette
patiente, qu’elle n’ait pas présenté des métastases viscérales…
L’intérêt en traitement de maintenance des traitements
toutes les trois semaines.
L’intérêt d’un traitement prolongé. La décision de poursuite
des traitements ciblés apparaît différente de celle de la chimio-
thérapie, conditionnée par la réponse thérapeutique et la toxi-
cité. Obtenir une stabilisation prolongée ou ralentir la progres-
sion de la maladie est sans doute un élément essentiel à prendre
en compte. L’intérêt de la poursuite de la thérapeutique ciblée
vient d’être montré dans les GIST avec l’imatinib, qu’il faut
continuer, son arrêt après un an ayant un effet délétère sur la sur-
vie (19). Notons que, chez cette patiente, le traitement n’a pas modi-
fié le taux de positivité ni l’importance de l’expression de HER2
des cellules tumorales résiduelles. Pourtant, le maintien de la
pression thérapeutique ciblée paraît bénéfique. Il semble bien
que l’expérience clinique aille dans le sens, en cas d’échec d’une
première association avec une chimiothérapie, d’un changement de
la chimiothérapie tout en poursuivant Herceptin®. Mais cela reste
à démontrer…
Enfin, l’expérience et les essais thérapeutiques ont confirmé
l’intérêt des associations avec d’autres cytotoxiques que le
paclitaxel (20, 21), notamment avec le docétaxel (22-24) et la
vinorelbine (25). Des études sont en cours avec la capécitabine.
On peut regretter le refus par la patiente d’une association avec
taxane, qui aurait peut-être permis un meilleur résultat thérapeutique.
Quant à l’avenir, il est à la compréhension des mécanismes de
résistance (26, 27), et au blocage associé d’autres cibles biolo-
giques par des traitements spécifiques.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Slamon D, Leyland-Jones B, Shak S et al. Use of chemotherapy plus a mono-
clonal antibody against HER2 for metastatic breast cancer that overexpresses
HER2. N Engl J Med 2001;344,11:783-92.
2.
Slamon DJ, Clark GM, Wrong SG et al. Human breast cancer, correlation of
relapse and survival with amplification of the HER-2/neu oncogene. Science
1987;235:177-82.
3.
Hung MC, Lau YK. Basic science of HER2/neu: a review. Semin Oncol 1999;
26,4(suppl.12):51-9.
4.
Cornez N, Piccart M. Cancer du sein et Herceptin®. Bull Cancer 2000;87,11:
847-58.
5.
Leyland-Jones B. Trastuzumab: hopes and realities. Lancet Oncol 2002;
3:137-44.
6.
Beuzeboc P. Indications de l’Herceptin®dans le traitement du cancer du sein.
Gynécol Obst Fertil 2004;32:164-72.
7.
Cobleigh MA, Vogel CL, Tripathy D et al. Multinational study of the efficacy
and safety of humanized anti-HER2 monoclonal antibody in women who have
HER2-overexpressing metastatic breast cancer that has progressed after chemo-
therapy for metastatic disease. J Clin Oncol 1999;17:2639-48.
8.
Carlomagno C, Perrone F, Gallo C et al. C-erbB2 over-expression decreases
the benefit of adjuvant tamoxifen in early-stage breast cancer without axillary-
lymph node metastases. J Clin Oncol 1996;14:2702-8.
9.
Elledge R, Green S, Ciocca et al. HER-2 expression and response to tamoxi-
fen in estrogen receptor-positive breast cancer: a Southwest Oncology Group
study. Clin Cancer Res 1998;4,7:12.
10.
Shou J, Massarweh S, Osborne CK et al. Mechanisms of tamoxifen resis-
tance: increased estrogen receptor-HER2/neu cross-talk in ER/HER2-positive
breast cancer. J Natl Cancer Inst 2004;96,12:926-35.
11.
Stal O, Sullivan S, Wingren S et al. C-erbB-2 expression and benefit
from adjuvant chemotherapy and radiotherapy of breast cancer. Eur J Cancer
1995;31A(13/14):2185-90.
12.
Muss HB, Thor AD, Berry DA et al. C-erbB2 expression and response to
adjuvant therapy in women with node-positive early breast cancer. N Engl J Med
1994;330:1260-6.
CAS CLINIQUE
13
. Nieto Y, Cagnoni PJ, Nawaz S et al. Evaluation of the predictive value of
Her-2/neu overexpression and p53 mutations in high-risk primary breast cancer
patients treated with high-dose chemotherapy and autologous stem-cell trans-
plantation. J Clin Oncol 2000;18:2070-80.
14.
Vincent-Salomon A, Carton M, Freneaux P. ERBB2 expression in breast
carcinomas: no correlation with pathological response to high dose anthracy-
cline-based chemotherapy. Eur J Cancer 2000;36:586-91.
15.
Seidman A, Hudis C, Pierri MK et al. Cardiac dysfunction in the trastuzu-
mab clinical trials experience. J Clin Oncol 2002;20:1215-21.
16.
Zhao You-Yang, Sawyer DR, Ragavendra R et al. Neuroregulins promote
survival and growth of cardiac myocytes. J Biol Chem 1998;213:10261-9.
17.
Lee KF, Simon H, Chen H et al. Requirement for neuroregulin receptor
erbB2 in neural and cardiac development. Nature 1995;378:334-5.
18.
Crone AS, Zhao YY, Fan I et al. ErbB2 is essential in the prevention of dila-
ted cardiomyopathy. Nat Med 2002;8:459-65.
19.
Blay JY, Berthaud P, Perol D et al. Continuous versus intermittent imatinib
treatment in advanced GIST after one year: a prospective randomized phase III
trial of the French Sarcoma Group. Proc ASCO 2004. Abstract 9006.
20.
Baselga J, Seidman AD, Rosen PP, Norton L. HER2 overexpression and
paclitaxel sensitivity in breast cancer, therapeutic implications. Oncology 1997;
11(3suppl.2):43-8.
21.
Seidman AD, Fornier MN, Esteva FJ et al. Weekly trastuzumab and
paclitaxel therapy for metastatic breast cancer with analysis efficacy by
HER2 immunophenotype and gene amplification. J Clin Oncol
2001;19:2587-95.
22.
Burris HA. Docetaxel (Taxotere) plus trastuzumab (Herceptin) in breast
cancer. Semin Oncol 2001;28(1suppl.3):38-44.
23.
Esteva F, Valero V, Booser D et al. Phase II study of weekly docetaxel and
trastuzumab for patients with HER2-overexpressing metastatic breast cancer.
J Clin Oncol 2002;20,7:1800-8.
24.
Dieras V, Beuzeboc P, Laurence V et al. Interaction between Herceptin and
taxanes. Oncology 2001;61(suppl.S2):43-9.
25.
Burstein HJ, Kuter I, Richardson PG et al. Herceptin and vinorelbine for
HER2-positive metastatic breast cancer: a phase II study. Proc ASCO 2000;
102a.Abstract 392.
26.
Albanell J, Baselga J. Unraveling resistance to trastuzumab (Herceptin):
insulin-like growth factor-I receptor, a new suspect. J Natl Cancer Inst 2001;
93,24:1830-2.
27.
Lu Y, Zi X, Zhao Y et al. Insulin-like growth factor-I receptor signaling
and resistance to trastuzumab (Herceptin). J Natl Cancer Inst 2001;93,24:
1852-7.
ONCOLOGIE
dans votre e-mail
8, 9, 10 et
11 décembre 2004
On Line
On Line
8
-
1
1
d
é
c
e
m
b
r
e
2
0
0
4
,
S
a
n
A
n
t
o
n
i
o
les 8, 9, 10 et
11 décembre 2004
27th
27th
Annual
San Antonio
Breast Cancer
Symposium
Tous les jours, recevez les
du congrès dans votre messagerie électronique.
Un lien hypertexte vous permettra, très facilement,
d’accéder au compte-rendu présenté sous forme
de brèves et de courtes interviews.
recevoir directement le e-journal :
accéder au site :
connectez-vous à partir du 8 décembre 2004
sur www.vivactis-media.com/congres/breast2004.htm
Vous désirez :
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !