e e entr t i en entr tien Les groupes d’entraide de malades alcooliques : “pour sortir du chaos” L’alcoologie n’existait pas, mais les associations, si ! Le courrier : Peut-on parler de votre parcours? Celui d’un précurseur en alcoologie ? Un entretien avec le Dr Claude Orsel* Propos recueillis par Didier Touzeau et Patricia Depostis Elles sont nombreuses, anciennes, reconnues efficaces, mais encore mises de côté par toute une partie des soignants : les “associations d’anciens buveurs” intriguent encore, irritent souvent et attirent toujours ceux qui ont en charge les personnes dépendantes de l’alcool. D’origine souvent religieuse pour la Croix Bleue et la Croix d’Or, spirituelle pour les Alcooliques Anonymes, sociale pour Vie Libre, corporatives pour la Fédération nationale des Amis de la Santé, Joie et Santé et les adhérentes à la FITPAT, voire maçonnique pour les Bons Templiers… la neutralité n’est jamais leur credo. Et pour cause ! Claude Orsel, psychiatre et psychanalyste, a été membre des instances administratives des AA, membre cofondateur de la Société française d’alcoologie et de la Fédération française d’addictologie, nous parle de leur combat. Du sien et du leur. Avec les alcooliques. Inter vi ew Claude Orsel, psychiatre et psychanalyste, a ouvert un groupe de malades alcooliques en 1963 à l’hôpital psychiatrique de la Queue-en-Brie, dans le Val-de-Marne. Il a jeté les bases du premier intersecteur de psychiatrie spécialisé en toxicomanie (IST) en 1969 à Paris, dirigé, jusqu’à sa fermeture en 1986, l’institution pour toxicomanes L’Abbaye à Saint-Germain des Prés. Sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1968, a pour titre : Contribution à l’étude de certains groupes thérapeutiques chez les alcooliques (à propos des groupes néphalistes) 57, rue des Francs-Bourgeois, 75004 Paris. 97 Claude Orsel : On n’est jamais seul, même lorsque l’on est dit “pionnier”. Il est vrai que je me suis intéressé aux malades alcooliques à une période où on avait encore tendance à les percevoir, au mieux comme intégrés à notre folklore national, au pire comme des pervers coupables de bien des dérèglements sociaux ! Dans les années 1960, leur prise en charge se résumait encore en l’institution d’impitoyables cures de dégoût : on les plaçait à l’hôpital, on les regroupait dans des salles de quarante appelées “dégueuloirs” ! L’humiliation faisait implicitement partie du traitement, dans une dialectique forcenée de la souille et du propre. C’est dire ! Donc l’alcoologie n’existait pas en fait, dans ces années-là, et j’ai été très frappé de voir le peu de choses que l’on faisait pour ces malades hospitalisés lorsque j’ai décidé de constituer un groupe d’alcooliques à l’hôpital psychiatrique de la Queue-en-Brie en 1963 ! J’ai rencontré un étudiant proche du Comité national de défense contre l’alcoolisme (le CNDCA, ANPA aujourd’hui). Il m’a convaincu de venir à leur réunion, il m’a présenté à eux, et j’ai fait la connaissance du Dr Daniel Champeau qui m’a invité à l’aider à sa consultation pour alcooliques de la Croix d’or, au “café Suisse” dans le dixième arrondissement de Paris. Arrivé en fin de formation psychiatrique sur le secteur du sixième arrondissement, j’ai planché sur un projet d’hôpital de jour, que j’ai présenté à l’Office de protection et d’hygiène sociale (l’OPHS, ancêtre de la DDASS). J’ai essuyé un refus, car on ne pouvait à l’époque concevoir une telle structure pour ces malades. J’ai sollicité un budget “hygiène mentale”, monté un Centre médico-psycho-pédagogique (C.M.P.P.) pour délinquants. Réponse : “Non, appelez-le comme vous voulez, mais ce ne peut être ni un CMPP ni un hôpital de jour !” C’est ainsi qu’est né un CMPP avec trois antennes, dans le cadre d’une PMI, dans un CMPP classique et un pôle pour toxicomanes alcooliques, sans domicile fixe. L’Abbaye, consultation d’hygiène mentale du sixième arrondissement et ses annexes associatives (équipe de rue, centre de formation STM, IREMA, l’Orangerie, centre pour parents, l’atelier d’insertion et le traitement résidentiel. Cette institution pour alcoolo-dépendants et toxicomanes disparaîtra pour être reprise en ordre dispersé par la Croix Rouge en 1986, quand on se sera aperçu que le comptable, joueur “addict” (il venait d’assister à un séminaire que nous venions d’organiser sur ce thème !), puisait dans la caisse pour jouer aux courses... Le Courrier : Quand vous êtes-vous intéressé aux AA ? C.O. : Entre-temps, j’avais lu Avec les AA, de Joseph Kessel paru en 1960 chez Gallimard, et j’avais été contacté par les Alcooliques Anonymes, dont je serai, durant six ans, l’un des membres du conseil d’administration et, pendant six autres années, le président. Ma thèse de doctorat, que j’ai soutenue en 1967, est d’ailleurs dédiée au mouvement néphaliste, aux groupes d’entraide de buveurs et plus particulièrement aux AA. J’ai aussi fait la cuisante expérience de la participation à une émission polémique, L’Huile sur le feu, à laquelle Philippe e e entr t i en entr tien Bouvard m’avait invité avec Paul Ricard. Ce fut la brasse coulée, Paul Ricard m’écrasant sans pitié. Goguenard, il affirmait entre autres : “Pas d’alcooliques chez Pernod-Ricard !”. Un publicitaire m’a téléphoné après cette émission pour me dire “vous vous y prenez vraiment très mal !”. Mais, l’IREB (l’Institut de recherches et d’études sur les boissons, émanation des alcooliers), a trouvé, pour sa part, que Paul Ricard avait vraiment exagéré. Et mon échec s’est, en fait, transformé encore en résultat positif pour eux, puisque l’IREB décida alors de modifier le poids de la communication des alcooliers pour l’orienter vers des messages moins triomphalistes… Puis, j’ai participé à la création de la Société française d’alcoologie (SFA), puis à celle de la Fédération française d’addictologie, aux côtés, notamment, de l’Association nationale des intervenants en toxicomanie (l’ANIT)et de la Société d’addictologie francophone (la SAF), que votre journal soutient… variété de dénominations correspond une variété de mouvements, mal comprise en France et pourtant nécessaire pour permettre à tous de trouver éventuellement celui qui leur “va” le mieux, tous ayant un seul but, sincère : celui d’aider le malade alcoolique. En ce qui concerne le terme “néphalisme”, introduit dans la langue anglaise vers 1860 par James Miller, un chirurgien de la Reine, il n’a plus cours car obscur, moralisateur. Ce terme vient, en effet, du grec nêphalios, qui signifie abstinent de vin, sobre, d’où sage, vigilant, prudent. Les néphalies désignaient, dans l’Antiquité, des offrandes de breuvages sans vin, composés d’eau, de miel, de lait, que l’on présentait régulièrement aux muses, et, au XIXe siècle, des fêtes organisées par des associations de tempérance. Inter vi ew Le Courrier : Comment nommer ces groupes : “néphalistes” ? Que signifie ce terme ? Anciens buveurs ? Buveurs guéris ?… C.O. : Lorsque nous en discutons à la SFA, nous parlions de “groupes d’anciens buveurs”. D’autres disaient “Sociétés de buveurs guéris”, “mouvements d’abstinents de l’alcool”, “mouvements de buveurs guéris”, le terme “guéri” n’étant pas accepté par les mouvements eux-mêmes, qui se disent plus volontiers “groupes d’entraide” ou “groupes d’aide aux buveurs”, “aux sujets ayant eu des problèmes avec l’alcool”, ou “mouvements d’anciens buveurs” (bien que ces associations comportent souvent des membres abstinents volontaires, qui n’ont jamais été alcooliques). À cette La galaxie des “associations d’alcooliques” Le Courrier : Les associations d’anciens buveurs sont nombreuses, anciennes, puissantes. Pour-quoi cette nécessité impérieuse de se regrouper ainsi ? C.O. : C’est vrai que l’on est frappé de voir la puissance de ces mouvements, qui ne font pas souvent parler d’eux, et cela d’autant que, comme les AA, ils s’efforcent d’éviter le vedettariat, “la carrière” personnelle… Ces mouvements ont, pour certains d’entre eux, leur origine dans les sociétés d’abstinence ou de tempérance des pays anglo-saxons de la première moitié du XIXe siècle. Ainsi, vers 1870, les “Odd Fellows and Forsters”, “Catch My Pall”, “Reform Club”, “Mouvements Ruban Rouge et Ruban Bleu”… Ou encore le mouvement irlandais de Father Mathew vers 1838, un capucin dynamique qui Le Courrier des addictions (3), n° 3, juillet/août/septembre 2001 98 a créé dans toute l’Irlande des fanfares de tempérance… Il faut bien se souvenir que c’est dans ces pays, où la vie de club est extrêmement répandue, que sont nés ces mouvements comme le Washingtonian movement aux États-Unis dès 1840 (celui-ci était une société de tempérance créée par six alcooliques qui est allée jusqu’à regrouper 100 000 sympathisants alcooliques et trois fois plus de buveurs d’habitude. Il a donné naissance, en 1852, à l’Ordre Indépendant des Bons Templiers). C’est encore en Angleterre, en 1878, que furent fondés L’Armée du Salut et L’Oxford Group, ou Groupement du réarmement moral. En France, le mouvement a été plus tardif, lancé le plus souvent par des médecins (Association contre l’abus des boissons alcooliques en 1871, Société française de tempérance en 1880, Union française anti-alcoolique en 1897…). Bref, il y a chez l’alcoolique une vraie tendance à se regrouper (le groupishness), au café où ils constituent ainsi un groupe primaire. Ce phénomène de regroupement s’est accentué avec la poussée de l’ère industrielle, la croissance des cités, la nécessité de s’organiser en syndicats et sociétés, et de se retrouver dans les bars, les pubs, les cafés. Toujours autour d’un verre ! À l’époque se constituaient aussi La Confrérie du Taste-Vin, (en 1898), la Ligue vinicole (en 1899), le Syndicat général des bouilleurs de cru (en 1897)… Tous ces lobbies, agressifs, puissants, capables de faire et défaire des élections, devaient être combattus avec les mêmes armes publicitaires, la même conviction. Et le jeu a rapidement consisté, comme le disait Requet, un Lyonnais, à faire passer l’éthylique de son groupe de buveurs à un groupe de gens qui ne boivent plus du tout… Penser qu’il y a audessus de soi une puissance supérieure est sécurisant Le Courrier : La plupart de ces associations font référence, d’une façon ou d’une autre, à Dieu, à la religion, à une puissance supérieure. Est-ce donc un passage obligé pour les alcooliques ? Est-ce que cette référence est encore adaptée ? C.O. : Il ne m’appartient pas de juger la validité d’une référence ou d’une autre. D’ailleurs, la plupart de ces mouvements, comme plus généralement ceux de tempérance, ont été portés sur les fonts baptismaux (c’est le cas de le dire) par des prêtres et des pasteurs. La plupart aussi se sont clairement laïcisés. Mais cette référence à une puissance supérieure demeure forte, comme un moteur de sécurisation personnelle et collective et non comme une valeur métaphysique. On l’accepte ou on ne l’accepte pas, on s’en accommode, mais on ne peut pas la nier. En revanche, il faut étudier le pourquoi des motivations de cette thématique religieuse, comme on observe aujourd’hui que des jeunes incarcérés dans les prisons française sont embrassés par la religion musulmane. Le Coran gère effectivement avec ses interdits des dénis de comportements. Dans les religions chrétiennes, on retrouve la même attitude mais mêlée à des métaphores moins accessibles. Le Courrier : Ne comportet-elle pas un risque de dérive sectaire ? C.O. : Oui, bien sûr, cette dérive a bel et bien existé, mais les mouvements ne la “raconte” pas. Ainsi, Chuck Diedrich, ancien alcoolique et héroïno- mane, qui a fondé un traitement résidentiel devenu une communauté thérapeutique, au sud de San Francisco (Synanon), était bien devenu le référent unique, pour ne pas dire le gourou des patients et de l’équipe. Et, bien entendu, comme à d’autres périodes dans la religion catholique, grande fut alors la tentation de forger, à l’extérieur de son entité, un groupe d’ennemis à combattre pour maintenir la cohésion de l’intérieur. Une dérive sectaire-paranoïaque que nous avons bien connue en France avec Engelmajer et son association Le Patriarche ! Pourtant, la notion même d’anonymat, de respect du mouvement, qui est très forte chez les AA, les préserve de cette dérive. Bien sûr, ils tiennent à fonctionner en réunions fermées (certaines sont nommées “réunions ouvertes” pour les familles, les amis et les professionnels). Mais c’est aussi pour renforcer la cohésion et la détermination des membres, qui ont par ailleurs subi réellement, à l’extérieur, une certaine maltraitance. Significatif : “En” AA, quand les membres parlent des gens de l’extérieur, ils disent encore les civils. Dans le groupe, on trouve parfois une autre identité, une sorte de renaissance. Il faut donner ici mention de l’association qui regroupe les “codépendants” de AA. Ce sont les Al-Anon. L’anonymat, pour maintenir l’abstinence Le Courrier : Pourquoi les AA font-ils de l’anonymat la base spirituelle de leurs “Douze Traditions“ ? C.O. : C’est là un des points qui m’ont le plus intrigué et que j’ai voulu comprendre, sans savoir à ce moment-là que nous étions en train de préparer la loi de 1970 qui allait corroborer ce principe. Je suis parti en 1964 pour l’Algérie comme médecin à la Légion étrangère, et j’ai compris que, pour eux, le changement d’identité pouvait permettre l’oubli de la souffrance ancienne, des saccages infantiles subis, et aussi la reconstruction d’une nouvelle existence, après des parcours dans la violence, le viol, les rackets, commis ou “agis”. Ainsi, le nouveau nom pris à la Légion, le nouveau prénom en religion, l’anonymat des buveurs des AA permettent une renaissance. D’ailleurs, aux AA, on fête les dates anniversaires du début de l’abstinence : “J’ai 1 an”, “2 ans”, “3 ans”… et à cette occasion, je donne un “dollar, le dollar de sobriété” (une sorte de médaille) à l’association. Le Courrier : Cela ne veutil pas dire que tout buveur est toujours en dette vis-à-vis des autres ? C.O. : Peut-être est-ce pour cela que les choses sont inversées. Celui qui vient dans le groupe est considéré comme “un cadeau”. Et, loin de vouloir gommer tout ce qui a fait “l’avant”-AA, la dégradation, les humiliations, ses soirées de grande ivresse, de défonce alcoolique… Avec ce dollar de sobriété, on rachète peut-être une faute, mais on met en scène de nouveaux comportements, de nouvelles façons d’être au monde, par rapport aux autres. C’est le même sens que revêt la coupe de cheveu “boule à zéro” pour tous les légionnaires punis. Ce concept de renaissance, de liberté que l’on peut recouvrer, est fondamental et “opérant”. Ce concept a été décliné pour nombre de comportements addictifs : les adeptes des narcotiques (NA), joueurs (GA), débiteurs (DA), boulimiques (DEA), regroupement d’une minorité le groupe gay d’alcooliques anonymes, le groupe de langue anglaise, toujours en structures d’entraide. Dans les autres associations, comme Vie Libre, on n’a 99 pas cette notion d’anonymat au sens strict, mais on adopte celle, très forte aussi, d’appartenance au mouvement, signifie par exemple sous forme d’une carte de membre, qui marque aussi la reconnaissance de la souffrance. Ce concept d’appartenance aiguillonne de façon insupportable les “psys”, les travailleurs sociaux. Enfin, cette façon de dire “je suis un parmi les autres” a sa justification thérapeutique : il s’agit bien là, chez les AA, de parer aux sales coups des “chevilles qui enflent” (ou plutôt de l’estime de soi qui monte, qui monte…), des leaders du groupe qui se mettent exagérément en avant, font monter leur propre tension interne, ce qui les rend vulnérables, psychiquement, à une reprise de l’abus de boisson. Qui va piano, va sano… La crise, l’envie de boire, c’est comme le mal aux dents : ça passe Le Courrier : C’est une façon de prévoir, ou de prédire, la fragilité de la “guérison” ? C.O. : Oui. D’ailleurs, dans les associations de malades alcooliques, on n’est pas “tricard” lorsque l’on rechute, ou même lorsque l’on ne parvient pas à cesser de boire assez vite. Il faut seulement respecter un cadre, une règle (dans le cas des AA, les Douze Traditions : voir encadré), mais chacun, avec l’aide des autres, fait ce qu’il peut. C’est un programme en douze étapes, une sorte de thérapie comportementale cognitive, que l’on fait “fonctionner” par petits pas, 24 heures par 24, voire moins si l’on n’est pas prêt à faire mieux. “Je n’ai pas bu pendant deux heures, trois…”. Toute “victoire” est bonne. Cette compréhension du mécanisme physique et psychologique de l’addiction me semble très juste, et je regrette qu’il n’ait pas été plus tôt pris en compte par les spécialistes en toxicomanie et les alcoologues. Un patient, un jour, m’a résumé ce concept de la façon suivante : “L’envie de boire, c’est comme le mal aux dents, ça passe…”. Cette façon de penser les choses est transposable dans le champ de la prise en charge des angoisses, des troubles obsessionnels compulsifs, des compulsions à agir… Et puis, elle est proche de la notion d’alliance thérapeutique préférable à celle d’accompagnement d’alliance thérapeutique : c’est avec le patient, avec ses possibilités et ses attentes que l’on travaille et non pas en lui fixant un objectif du “clean” dans un univers binaire du tout ou rien. Ils vivent du chapeau Le Courrier : La loi de 1970 a posé comme principe, outre l’anonymat, la gratuité des soins. Est-ce important d’éluder ainsi la question de l’argent dans la problématique de la prise en charge des addictions ? C.O. : Oui, dans le mouvement AA, il est primordial de refuser les dons massifs et nominatifs, il en a été de même des subventions d’État, encore une fois pour éviter la “surtension d’un membre” de l’association et la mainmise d’une personnalité sur les autres. Le donateur pourrait se sentir magnifique et risquerait de rechuter, par mégalomanie. D’où le mode de fonctionnement financier des AA qui consiste à faire “passer le chapeau” à la fin de chaque réunion pour recueillir la contribution de chacun. Bien sûr, ils bénéficient de prêts de locaux par les églises protestantes, catholiques, les collectivités locales, de baux de logement social… Et puis, il faut remonter plus loin dans la signification de l’argent et de la ruine chez les personnes e e entr t i en entr tien Lesgroupes d’entraide à idéologie forte Toutes se déclarent libres de liens avec une obédience politique, religieuse ou syndicale. Elles gardent, toutefois, leurs références spirituelles, morales, idéologiques… La plupart prennent en charge des actions de formation, de prévention, d’accompagnement des malades. – La Croix Bleue, fondée en 1877. À l’origine, d’obédience protestante, laïcisée depuis. Dix mille adhérents environ, 12 groupes régionaux, 3 centres de post-cure, une revue (Le libérateur). 189, rue Belliard. 75018 Paris. Tél. : 01 42 27 38 38. E-mail : [email protected] – http://www.croixbleue.fr.st – La Croix d’Or française/Alcool Assistance, fondée en 1910. À l’origine, catholique, laïcisée en 1971. Soixante-quatorze associations départementales, 12 000 membres bénévoles, centres de post-cure, une revue (Alcool Assistance). 10, rue des Messageries, 75010 Paris. Tél. : 01 47 70 34 18. – Vie Libre, fondée en 1953 par un prêtre, André-Marie Talvas, et Germaine Campion, une malade. Elle se veut laïque et se bat pour la promotion familiale, professionnelle et sociale à travers l’abstinence. Elle s’inscrit dans tous les programmes de réadaptation des exclus mis en place au niveau de l’État. Quinze mille adhérents environ, plusieurs foyers d’anciens buveurs, action importante dans les prisons. 8, impasse Dumur, 92110 Clichy. Tél. : 01 47 39 40 80 – http://www.multimania.com/vielibre – E-mail : [email protected]/[email protected] – Alcooliques Anonymes France, née aux États-Unis en 1935, introduite en France en 1955, à peu près 30 000 membres dans le monde, répartis dans une centaine de pays, plus de 3 000 membres en France. Contrairement aux associations précédentes, les AA ne s’occupent pas de prévention, ni des aspects politiques et sociaux de l’alcoolisme. La référence à Dieu est éventuellement remplacée par celle de “Puissance supérieure”. 21, rue Trousseau, 75011 Paris. Tél. : 01 48 06 43 68. Permanence Accueil Ile-de-France : 3, rue Frédéric-Sauton, 75005 Paris. Tél. : 01 43 25 75 00 – 3615 AA France. Inter vi ew Les groupes d’origine médico-sociale ou corporative Plus spécifiquement ancrées dans l’entreprise et étroitement liées avec les équipes médico-sociales existantes. – Fédération nationale Joie et Santé, fondée en 1964 à partir de multiples associations regroupées en Fédération nationale des amis de la santé (FNAS), rejointe par le mouvement Joie et Santé. Groupes départementaux, sorties thérapeutiques, une revue (Mieux-Être). 8, boulevard de l’Hôpital, 75005 Paris. Tél. : 01 43 36 83 29. – Nombreuses associations corporatives, dotées de centres de post-cure spécifiques, au sein des services publics surtout : Amitié PTT, Santé de la Famille des Chemins de Fer Français, Union des Cheminots abstinents (ces deux dernières fusionnées en 1972), Amitié EDF-GDF, Amitié Présence RATP, Santé Amitié Ville de Paris, Sobriété Éducation Nationale, Amitié Préfecture, Amitié des Communautaires et Municipaux, Amitié Police Entraide Liaison, Amitié Entraide Air France, Amitié Peugeot Poissy… La plupart sont désormais regroupées au sein de la Fédération interprofessionnelle de traitement et de prévention de l’alcoolisme et des autres toxicomanies (FITPAT), créée en 1978. Elle regroupe 22 associations, soit 30 000 adhérents, et est au contact d’environ 3 millions de salariés. Siège national de la FITPAT : Usine Renault de Flins BP 203 – 78410 Aubergenville. Tél. : 01 30 95 23 75. Renseignements complémentaires : http://www.alcoweb.com/french/info_gen/associations/nationales/france. Ce site, accessible au grand public mais avec un accès réservé aussi aux professionnels, est réalisé par les Laboratoires LIPHASANTÉ. Il est une base de données complète sur l’alcoolo-dépendance : actualités, informations sur l’alcool et la santé, la prévention, questions-réponses, sélection d’ouvrages spécialisés, listes d’associations… Site en français et en anglais. Mot de passe accessible au 04 72 78 27 04 ou par courriel : [email protected]. Et toujours : le site de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (la MILDT), le site de référence sur les drogues et les dépendances par excellence : http://www.drogues.gouv.fr souffrant de comportements addictifs. La toute-puissance de ceux-ci n’est-elle pas, en effet, leur capacité à se ruiner (les joueurs, les débiteurs compulsifs…), à ruiner sa santé (les alcooliques, toxicomanes, boulimiques…) ? À entraîner dans sa propre ruine celle de sa famille ? Les conduites, que certains de nos collègues ont décrites comme ordalies, ne recouvriraient-elles pas la reconnaissance de la capacité de ces personnes à se ruiner, à souhaiter au fond que le parachute ne puisse pas s’ouvrir pour celui qui aime passionné- 100 ment sauter ? N’avons-nous pas nous-mêmes obtenu tous nos budgets sur la nécessité de cette réduction du risque du chaos ? Jusqu’à présent, nous n’avions pas vraiment fait le lien entre les accès maniaques de dépense des malades atteints de psychose maniaco-dépressive et les conduites addictives. Nous voyons bien aujourd’hui avec les consommations de crack quels mécanismes de ruine sont mis en place : comme une chasse d’eau qui se vide. Et les toxicomanes et alcooliques sont avec nous dans cette recherche permanente du chaos… y compris celui de notre propre relation avec eux ! Et ils testent ainsi notre capacité à moudre du grain dans le même sens qu’eux… Voilà dans quel contexte s’inscrit la question de l’argent dans ces associations, chez ces patients. Le Courrier : Pourquoi cette tentation permanente du chaos ? Pour la recherche d’un vertige qui fait perdre tous les repères du corps et de l’esprit ? C.O. : Peut-être, car au-delà de la restauration de la santé physique qui nous a tant occupée, il y a celle de la reconnaissance de la souffrance c’est-à-dire du saccage infantile que la plupart de ces patients ont subi. À nous, les thérapeutes, de parvenir à entendre cette souffrance, à lui donner un nom, une histoire, inscrite souvent dans des parcours collectifs traumatiques, de migrations économiques ou politiques, parfois indicibles, harkis, collaborateurs, comme les retour d’Indochine et de la guerre d’Algérie, une génération, deux générations, trois générations ne suffisent pas encore à régler le silence, le déni, le mensonge. Ce sont des individus englués dans un refus encore actuel de la société. À propos de l’inceste “dans les villes”, il nous était dit : “Regardez comment ‘la vie’ se passe chez vous, avec ces viols, ces incestes, le rhum…”, me racontaient ces gens des îles autrefois. J’ai eu du mal à les entendre, à écouter leur souffrance… On peut pen- ser que ces thérapies cognitivocomportementales telles qu’elles sont, au fond, en œuvre dans ces groupes d’entraide font silence sur cette souffrance infantile du sujet, l’aident à réorganiser sa vie, ses gestes, par un jeu de contraires à ce chaos de façon que certains trouvent orthopédique. On voit bien ici l’antagonisme psychanalyse et comportementalisme. Des concurrentes ou des co-thérapeutes ? Le courrier : Quelle(s) place (s) prennent ces associations au décours et après la prise en charge d’un buveur ? C.O. : On peut l’exprimer de plusieurs façons : dire, par exemple que, pour certains psychothérapeutes, adresser le patient alcoolique à une association, c’est faire l’économie du contre-transfert qu’ils refusent. Le renvoi sur le groupe fonctionnera alors comme contre-transfert négatif. Cette relation-là, le buveur va pouvoir la gérer comme il l’entend, et elle pourra faire écran avec le thérapeute. Dans ce sens, l’association peut devenir une concurrente d’une thérapie. D’ailleurs, le recours à un groupe d’entraide n’est pas forcément indiqué ni souhaité dans tous les cas. Le patient trouve dans l’association une qualité d’accueil, une empathie que ne peut lui donner le thérapeute ou même l’appareil de soins : dès qu’il sonne à la porte des AA, cinq personnes l’accueillent, l’une d’entre elles deviendra peut-être son parrain ou sa marraine, il disposera des numéros de téléphone personnels des autres membres qui l’auront choisi lui. Bien sûr, au fur et à mesure qu’il sera parvenu à se caler à “zéro alcool” – un principe qui fonctionne formidablement bien chez les alcooliques, car la diabolisation de la ré-alcoo- lisation, qui permet de nommer l’ennemi à l’extérieur de soi, est un bon “truc” opératoire –, il va devenir moins intéressant pour le groupe, dont il ne sera plus le centre des préoccupations. Il devra être moins histrion… Au thérapeute, alors, d’accompagner aussi cette évolution afin qu’il ne se sente pas tenté de boire à nouveau pour redevenir intéressant. De toute façon, bien des alcooliques ont besoin de se retrouver entre eux. Un mot sur le transfert pluriel Le transfert pluriel ou multifocal, qui joue aussi dans une institution dans laquelle le patient a plusieurs référents avec différents membres de l’équipe, est indispensable (des patients toxicomanes ou alcooliques ont besoin d’un lien social, éducatif fort, et pas seulement d’une relation exclusive, élitiste, avec le psy). Même si le thérapeute a l’impression que le parrain ou la marraine de l’association s’interpose souvent – entre le psy et le sujet. Ce que je trouve regrettable, c’est que les médecins (et bien des psy) demandent à se “faire aider” par ces associations, mais, qu’en retour, ils n’imaginent pas de leur apporter le soutien de leurs compétences, d’avoir des contacts directs avec elles… P. Depostis Références bibliographiques – Kessel J. Avec les AA. Gallimard, 1960. – Hillemand B. Le cheminement de l’alcoolodépendant vers la liberté. L’alcoolisme. Paris : PUF. Que sais-je ?, 1999 : 120-74. – Reynaud M, Parquet Ph-J. Les mouvements d’anciens buveurs. In : Les personnes en difficulté 101 Les douze étapes des AA “1. Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool ; que nous avions perdu la maîtrise de nos vies. 2. Nous en sommes venus à croire qu’une puissance supérieure à nous-mêmes pourrait nous rendre la raison. 3. Nous avons décidé de confier notre volonté et nos vies aux soins de Dieu tel que nous Le concevons. 4. Nous avons courageusement procédé à un inventaire moral minutieux de nous-mêmes. 5. Nous avons avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts. 6. Nous avons pleinement consenti à ce que Dieu éliminât tous ces défauts de caractère. 7. Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos déficiences. 8. Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons résolu de leur faire amende honorable. 9. Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes partout où c’était possible, sauf lorsque, ce faisant, nous pouvions leur nuire ou faire tort à d’autres. 10. Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus. 11. Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu tel que nous Le concevions, Le priant seulement pour connaître Sa volonté à notre égard et nous donner la force de l’exécuter. 12. Comme résultat de ces étapes, nous avons connu un éveil spirituel, nous avons alors essayé de transmettre ce message aux alcooliques et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.” avec l’alcool. Paris : Éditions CFES, 1999 : 148-51. – Reynaud M, Parquet Ph-J, Lagrue G. Les éléments cliniques et épidémiologi-ques en faveur d’une approche commune. In : Les pratiques addictives. Paris : Éditions Odile Jacob, 2000 : 41-51. – Descombey JP. Le traitement, les associations, les groupes et les alcooliques, les mouvements néphaliques. Précis d’alcoologie clinique. Paris : Dunod, 1995 : 138-41. – Boisset B. Groupes d’entraide, un lien à privilégier. In : Alcoologie et addictologie, 2001 : 23 (1) : 41-4. – Fainzang S. Ethnologie des anciens alcooliques. La liberté ou la mort. Avec le soutien de l’IREB. PUF, Collection Ethnologie. Liste des annonceurs Glaxo (Zyban) p. 130-131 ; Pharmacia-Upjohn (Nicorette) p. 136. Les articles publiés dans notre revue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Leur reproduction est interdite.