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être mise au crédit de notre modèle alimentaire.
Celui-ci, en effet, constitue un filet de protection
face aux incitations diverses de l’offre et des
prescripteurs. Transmis par l’expérience et un
substrat culturel commun - bien que variant
selon les milieux sociaux - il demeure la norme
alimentaire dominante et sert de référence
collective. Il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit
pas d’un système figé. C’est pourquoi le terme
de modèle est parfois critiqué. Il s’agit davantage
d’une matrice, d’ailleurs de plus en plus prégnante,
mais autour de laquelle se greffent des pratiques
socialement différenciées qui contribuent à
en modifier la physionomie. Ce “modèle” est en
réalité un organisme vivant qui se perpétue
en se renouvelant. Pour cette raison, il convient
d’envisager les changements à la lumière du
sens global sur lequel cet organisme est fondé.
On constate une très forte synchronisation des
repas, un maintien des deux repas principaux,
le partage des repas et la forte socialisation
associée. La cuisine et le plaisir de manger
se sont développés depuis 6 ans, mais la crise
conduit à des sauts de petits-déjeuners et des
simplifications de repas.
En France, le modèle alimentaire apparaît comme
une véritable institution, la quasi-totalité des
individus respectant globalement ses normes.
Ainsi, une forte synchronisation des repas
français a été observée. Selon une étude menée
à l’échelle européenne, 57 % des Français
sont en train de manger à 12h30 contre 38 %
des Belges, 20 % des Allemands, 14 % des
Britanniques. Au système à trois repas,
aujourd’hui, une quatrième prise alimentaire,
le goûter, se développe et pèse de plus en plus
en termes d’apports énergétiques sur une journée,
à la fois chez les enfants et chez les adultes. Cette
évolution est à attribuer aux recommandations
des nutritionnistes qui ont installé la pratique
du goûter chez les enfants. Sur une journée
type, les trois repas principaux des enfants (3-14
ans) représentent 78 % à 83 % de l’ensemble
des apports énergétiques d’une journée contre
85 % à 94 % chez les adultes (15 ans et plus).
La concentration des apports énergétiques sur
ces trois prises alimentaires est plus importante
au fur et à mesure que l’on avance en âge.
Le déjeuner et le dîner pèsent davantage, alors
que le goûter s’allège.
Au-delà de son rôle nutritionnel, le petit-déjeuner
revêt un enjeu particulier pour le maintien du
lien familial ; il est, après le dîner, le repas le plus
souvent pris en famille. Pourtant l’individualisation
grandissante de la vie quotidienne des familles
conduit à une forte hausse de petits-déjeuners
pris seuls en semaine. La durée de cette occasion
est de plus en plus courte : le petit-déjeuner pris
en moins de 15 minutes progresse en semaine.
On observe une très forte dégradation de la prise
quotidienne d’un petit-déjeuner entre 2013
et 2010. Cette baisse est plus accentuée chez les
enfants. En effet, 29 % d’entre eux sautent
au moins un petit-déjeuner sur sept jours, alors
qu’ils n’étaient que 11 %, dix ans plus tôt.
La proportion d’adultes concernés augmente
également régulièrement depuis 2003. En 2013,
ils sont 21 % à sauter au moins une fois par
semaine le premier repas de la journée contre
11 % en 2003. Cette baisse traduit un délitement
de cette occasion de consommation. Sous l’effet
des préférences personnelles et du rythme de
chacun, le rituel d’une prise commune en famille
s’estompe et le nombre de petits-déjeuners
sautés croît. Les apports d’un petit-déjeuner
complet (produit céréalier, produit laitier, fruit
et boissons) ont des conséquences sur l’équilibre
alimentaire de la journée. Pour compenser le
besoin en énergie, les portions consommées aux
repas suivants sont plus importantes sans pour
autant ajouter de nouvelles catégories d’aliments,
ce qui pourrait en partie expliquer que les Français
n’atteignent pas les recommandations
de consommation du PNNS.
Quand un sonore “A table !” se fait entendre
dans la maisonnée, tous savent que leurs
rythmes personnels vont être interrompus pour
un temps familial. Ainsi, 87 % des ménages
composés d’au moins deux personnes mangent
ensemble le soir. Ce pourcentage est stable
depuis 1988. La convivialité constitue le principal
moteur de la prise de repas en commun au sein
des familles ou entre amis. Les déjeuners et
dîners sont plus rapides mais se partagent
toujours en famille et en mangeant le même
menu. En plus de dîner en famille, les Français
sont bien loin d’un modèle où chacun irait
chercher dans le réfrigérateur la nourriture
qui lui sied. De façon très stable depuis 1988,
encore 8 ménages sur 10 mangent le même
menu au dîner. La table est un lieu privilégié
de l’échange familial. Toutefois, la télévision
s’invite toujours autant à table, avec même une
évolution de 4 points au petit-déjeuner entre
2010 et 2013. Elle joue un rôle important, et est
très révélatrice de ce qui se joue en ce moment
particulier.
La tendance à la simplification des repas, déjà
amorcée depuis quelques années, semble
désormais bien installée. Pour autant, les dîners
demeurent relativement structurés : l’abandon
progressif de la formule “repas complet” à
quatre composantes (entrée, plat, fromage,
dessert) s’accompagne de la diffusion d’un
repas à deux composantes, dans lequel le plat
principal est maintenu et complété par autre
chose (une entrée, du fromage, un fruit ou un
dessert). On peut se demander si nous ne
sommes pas en voie de glisser vers un rapport
dual à l’alimentation : une nourriture du quotidien
simplifiée avec de nouveaux codes qui sortent
progressivement de nos schémas culturels,
à savoir un repas familial pris à table, devant
des plats élaborés et variés, avec des goûts
affirmés ; et une nourriture “de plaisir”, festive,
nécessitant un réel investissement, que l’on
aime partager avec d’autres, réalisée
occasionnellement. La simplification des repas
du quotidien et le saut des petits-déjeuners
se traduit par une forte baisse de la diversité
alimentaire chez les enfants. Cette baisse de la
diversité alimentaire a nécessairement des
conséquences en termes de nutrition. Les baisses
de consommation de fruits et légumes conduit
notamment à la hausse de la proportion d’individus
en deçà des besoins nutritionnels moyens.