DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 28 - avril/mai/juin 2005
es différents niveaux de risque métastatique des can-
cers du sein sont encore aujourd’hui établis sur des
facteurs pronostiques très classiques comme la taille
tumorale, l’envahissement ganglionnaire, les emboles péritu-
moraux, le grade histopronostique, les récepteurs hormonaux.
Bien que cette détermination soit déjà multifactorielle, elle
reste imparfaite. Pour augmenter la fiabilité de la détermina-
tion du profil évolutif individuel, il faut se rapprocher le plus
possible de la biologie tumorale spécifique. C’est ce que ten-
dent à déterminer les profils d’expression en microarrays, ou
profiling, en établissant des “signatures” pronostiques, voire de
réponses thérapeutiques. Pour faciliter la compréhension de
ces milliers de gènes, des regroupements sont effectués statisti-
quement sous forme de “métagène” (1-4). Ce système à haut
débit est en voie d’expansion, cependant, il ne prend pas en
compte les aspects topographiques, puisqu’il s’agit d’une
extraction globale de zone tumorale qui peut comporter du
tissu normal ou des foyers de carcinome in situ. Enfin, cette
méthode est dépendante de la congélation et ne s’applique pas
aux petites lésions. Toutes ces raisons ont conduit les patholo-
gistes à développer leur propre système à haut débit que
constitue le tissu array ou TMA. Répondant à un véritable
besoin de validation des profils d’expression au niveau pro-
téique sur un grand nombre d’échantillons, la technique du
TMA s’est imposée comme la technique de transfert de réfé-
rence, à l’interface entre le pathologiste et le biologiste molé-
culaire, permettant la validation de facteurs pronostiques ou la
recherche de cibles thérapeutiques. L’idée de mettre plusieurs
échantillons sur la même lame n’est pas nouvelle puisqu’en
1986 Battifora publiait le “multitumor tissue block”, mais elle
s’est considérablement améliorée depuis. Largement mise au
point par les équipes de O.P. Kallionemi à Bethesda et de
G. Sauter à Bâle, la technique du TMA s’est largement déve-
loppée un peu partout et, notamment, en France dans notre
équipe (5, 6).
Brièvement, pour construire un TMA, des carottes de tissus
inclus en paraffine sont sélectionnées à partir de coupes colo-
rées correspondantes. Les carottes, pouvant mesurer de 0,6 à
4mm, sont ensuite incluses de manière orthonormée selon un
plan préétabli dans un bloc receveur. L’appareil permettant
cette opération est appelé tissue arrayeur. Il utilise deux
aiguilles de calibre différent : une destinée à forer le trou rece-
veur, une à biopsier le tissu donneur. Selon le diamètre des
carottes, jusqu’à 1000 cas peuvent théoriquement être déposés
pour un seul bloc (figure 1). En théorie, le TMA peut être uti-
lisé pour l’analyse in situ de l’ADN, de l’ARN et des protéines
(figure 2).
Des techniques d’analyse automatiques se sont développées,
en fluorescence ou en immunohistochimie (IHC) convention-
nelle. Différents systèmes existent, ils ont en commun la
confection d’une grille adaptée sur le TMA, permettant de
retrouver chaque image en fonction de ses coordonnées. Le
système que nous avons acquis dans notre laboratoire est la
station intégrée Spot Browser (Alphélys, 78370 Plaisir).
Cependant, les fichiers d’analyse de TMA deviennent de plus
en plus lourds, et l’équipe de Stanford a publié, en 2002, un
travail dont l’issue est l’élaboration d’un outil destiné à assister
ces analyses : le TMA-Deconvoluter est capable de reformater
les scores semi-quantitatifs, utilisés quotidiennement par les
1. Département d’oncologie moléculaire. 2. Département de biopathologie. 3.
Département de chirurgie. 4. Département d’oncologie médicale et investiga-
tion clinique, Institut Paoli-Calmettes, 232, bd Sainte-Marguerite, 13009 Mar-
seille. 5. UMR599 Inserm, Marseille Cancer Institute, Marseille, France.
Le tissu microarray : outil de la biopathologie
pour contribuer à l’établissement des thérapeutiques
ciblées “à la carte” dans le cancer du sein
Tissue-micro-array: biopathological tool contributing to the establishment of targeted
therapeutic in breast cancer
J. Jacquemier
(1, 2, 5)
, E. Charafe-Jauffret
(1, 2, 5)
, C. Ginestier
(1)
, J. Geneix
(1)
, G. Houvenaeghel
(3)
, P. Viens
(4)
,
D. Birnbaum
(1)
, F. Bertucci
(1, 4, 5)
L
Figure 1.
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La Lettre du Sénologue - n° 28 - avril/mai/juin 2005
pathologistes, en fichiers numériques utilisables directement
pour les analyses statistiques (figure 2). Les outils statistiques
des microarrays sont applicables aux TMA.
Le premier but du TMA est de permettre de valider sur de plus
grandes séries les données établies par les puces en microar-
rays. Dans la recherche de nouveaux marqueurs, comme dans
la validation pronostique de marqueurs connus, le TMA vient
souvent valider, au niveau protéique, une étape de criblage des
profils d’expression par DNA microarrays, après confirmation
des niveaux d’expression par RT-PCR, quantitative le plus
souvent. Cette complémentarité des deux techniques a été lar-
gement utilisée dans l’étude de nombreux organes comme la
prostate et le rein, dans l’étude des cancers colorectaux, thyroï-
diens, des lymphomes et du cancer du sein.
Dans le cancer du sein, notre équipe a été l’une des premières à tes-
ter la corrélation entre ADNc arrays et TMA sur une série de
55 tumeurs mammaires pour 15 molécules (5). Un tiers des molé-
cules testées présentaient une corrélation entre les deux méthodes,
et la valeur pronostique de certaines molécules comme l’apomu-
cine MUC1 qui n’apparaissait que par IHC sur TMA, met en
exergue la nécessité d’une approche topographique complémen-
taire et multi-méthodologique des paramètres testés.
Quoi qu’il en soit, il paraît de plus en plus évident que le TMA est
en train de devenir une sorte d’équivalent du DNA microarrays
pour effectuer un profil d’expression protéique des tumeurs. Le
développement conjoint de l’analyse d’images et d’outils statis-
tiques va dans ce sens. C’est notamment le
cas pour les tumeurs mammaires : le tra-
vail publié par G. Callagy (10), en 2003, a
permis, à partir de l’analyse en TMA de
107 cancers du sein et de 13 marqueurs,
de classer grâce au logiciel cluster, les
cancers en deux clusters principaux en
fonction de l’expression des récepteurs
hormonaux, puis de les resubdiviser en
fonction de leur profil d’expression lumi-
nal ou basal déterminé par l’expression
des cytokératines 8/18 et 5/6, respective-
ment publiées, depuis 2000, par l’équipe
de Perou et Sorlie (7).
Nous avons récemment établi, selon des
méthodes statistiques identiques sur une série de 552 cancers du
sein, une signature pronostique à 21 protéines (8). En réappliquant
la méthodologie des puces, les patientes considérées comme de
bon pronostic ont une survie globale à 5 ans de 90 contre 61%
pour le mauvais pronostic. Cette signature, opposée aux para-
mètres cliniques classiques en analyse multivariée, est le paramètre
prédictif le plus fort (RR : 2,96 ; p < 0,0001). Nous avons pu éta-
blir, selon les mêmes méthodologies, une signature pour les can-
cers inflammatoires (2, 3, 9) et pour les carcinomes médullaires.
Le TMA permet aussi de réaliser des contrôles de qualité. Des
études ont été largement effectuées en ce sens sur la mise en
évidence de erbB2.
En conclusion, le TMA est un outil de recherche à haut débit
développé dans le cadre des laboratoires de pathologie. Il per-
met d’utiliser le matériel archivé en paraffine pour contribuer à
l’établissement de signature correspondant à des profils pro-
nostiques ou de réponse thérapeutique. Ces nouvelles détermina-
tions nécessitent, pour une meilleure application, un véritable
contrôle de qualité, ce que peut offrir également le TMA.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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3. Bertucci F, Tarpin C, Charafe-Jauffret E et al. Multivariate analysis of survival in
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tissue microarrays. J Pathol 2005;205(3):388-96.
Figure 2. Marquage immunohistochimique réalisé sur un TMA.
Figure 3.
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