CONSTRUCTIVISMES : USAGES ET PERSPECTIVES EN EDUCATION
Introduction
Le terme constructivisme est très polysémique. Il en existe même une variante russe
en histoire de l’art (du côté du suprématisme de Malévitch ou Lissitzky) qui semble
avoir inspiré le graphisme du logo de ce colloque. En éducation et en formation, la
référence au constructivisme est aujourd’hui générale et survalorisée, quasi obligée.
La situation était différente voilà encore une quinzaine d’années, où le constructi-
visme était porté par des minorités actives, comme les mouvements pédagogiques ou
les didactiques naissantes. C’est maintenant devenu la langue commune de nos sys-
tèmes éducatifs et des textes qu’ils produisent, avec notamment cette formule sur
laquelle je reviendrai: Placer l’élève au centre du système, au centre de ses appren-
tissages. C’est le discours des directeurs, des formateurs, des inspecteurs, des cher-
cheurs, d’autant plus vigoureux, dirai-je un peu perfidement, que celui qui le tient n’a
pas à l’appliquer au quotidien, mais occupe une position lui permettant de dire ce
qu’il conviendrait de faire… Seuls quelques intellectuels médiatiques français
paraissent échapper au charme des idées constructivistes dont ils font leur bête noire,
même s’ils préfèrent l’attaquer à l’abri du mythe de l’égalité républicaine. Je fais
entièrement miens ici les propos de Bernard Charlot quand il écrit que «le discours
sur la Raison que quelques intellectuels déversent dans les médias présente la parti-
cularité de ne pas répondre à la question de l’appropriation des savoirs, et même de
refuser obstinément qu’elle soit posée(…) ». Ce combat de la Raison contre la Péda-
gogie n’est «qu’un conservatisme social et pédagogique, couvert pudiquement du
manteau de Condorcet (…)». Cette «défense des privilèges au nom de l’universel,
c’est le ressort profond de toute idéologie, d’autant plus mystificatrice ici qu’elle se
présente comme porteuse des droits de la Raison». Pauvre Condorcet!
Le problème actuel du constructivisme en éducation est donc qu’il risque d’apparaître
comme étant de l’ordre du «didactiquement correct», d’autant qu’il concerne souvent
davantage les discours que les pratiques. Il n’est pas sain que la référence se fasse ainsi
révérence, ce qui nous obligera à clarifier des distinctions sur différents plans, pour
éviter de tout dissoudre dans un discours dominant sans caractère opératoire.
Dans une première partie, je tenterai de défaire les amalgames fréquents entre les
apports de Piaget, Bachelard et Vygotsky, tous trois constructivistes mais dont les
positions sont loin de coïncider. Je caractériserai ensuite par contraste trois versions
du constructivisme, que je qualifierai de psychologique, épistémologique et pédago-
gique. Pour terminer, je commenterai quelques expressions issues du constructivisme
et passées dans la langue pédagogique en soulignant leurs ambiguïtés.
Le constructivisme sans amalgames
D’un point de vue théorique, les référents du constructivisme sont divers mais pas
nécessairement convergents. Jean Piaget, Gaston Bachelard et Lev Vygotsky sont
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