M I S E A U P O I N T © E. Caumes Vaccins préventifs anti-VIH : une priorité absolue, des difficultés majeures Preventive anti-HIV vaccines: an absolute priority, major difficulties ● C. Goujard* RÉSUMÉ. La recherche vaccinale est actuellement confrontée à de multiples obstacles, limitant le développement rapide d’un vaccin contre le VIH dans les années à venir. La réponse protectrice anti-VIH est mal connue. Les capacités actuelles d’induction d’anticorps neutralisants et d’une réponse cytotoxique effectrice et persistante sont limitées avec les immunogènes déjà étudiés. La diversité génétique du virus impose la recherche de peptides immunogènes conservés et communs entre les isolats, au moins à l’intérieur d’un sous-type, pour éviter l’échappement immunitaire répété face à des virus modifiés. Les études précliniques doivent donc se poursuivre à la recherche des immunogènes les plus puissants, ou de leurs associations, pour tester ensuite leur efficacité préventive, parallèlement au renforcement des mesures préventives d’infection et à la généralisation du traitement des patients porteurs du VIH (25). Mots-clés : VIH - Vaccin. ABSTRACT. The development of a vaccine against HIV is a priority in the context of the ongoing world-wide outbreak but is limited by numerous obstacles. The immune protection against HIV is mainly based on cellular immune responses, but its mechanisms remain incompletely understood. Because of the difficulty in generating neutralizing antibodies, immunogens are now selected on their capability of inducing CD8 responses. Furthermore, the development of an effective vaccine is restricted by the huge HIV genetic diversity. Phase 1 and 2 clinical trials led to select potential vaccine candidates. However, the first phase 3 clinical trials with the envelope glycoprotein gp120 have been disappointing, as gp120 neither prevented HIV infection nor delayed HIV progression in subjects who have been infected despite vaccination. Other more potent vaccine candidates are currently tested in preclinical trials. Thus, the control of the HIV pandemic will only rely for the next years on prevention approaches and effective treatment of HIV-infected patients. Keywords: HIV - Vaccine. a recherche vaccinale a débuté très tôt après la reconnaissance du VIH comme agent causal du sida menaçant la vie des personnes infectées. Le développement d’un vaccin préventif contre le VIH permettrait d’obtenir une protection primaire, individuelle, et enrayerait l’épidémie. Cependant, cette recherche vaccinale s’est heurtée, au fil des années, à de nombreuses difficultés, et nous ne disposons des résultats des premiers grands essais vaccinaux préventifs de phase III que depuis quelques mois. Dans l’intervalle, l’épidémie n’a cessé de progresser dans le monde, atteignant tous les continents, avec en 2003 une estimation de 42 millions de personnes infectées et de 25 millions de morts. L’apparition des multithérapies, au milieu des années 1990, a réduit la morbidité et la mortalité des patients dans les pays du Nord, mais a montré ses limites en termes d’efficacité et de toxicité, ainsi que l’absolue nécessité d’une adhésion thérapeutique à long terme compte tenu de l’absence d’éradication virale (1). L * Service de médecine interne, CHU Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex. 6 Considérant l’épidémiologie mondiale galopante, et dans ce contexte d’obstacles successifs à l’obtention rapide d’un vaccin préventif contre le VIH, les objectifs vaccinaux se sont progressivement transformés. Il a été estimé que, en l’absence de vaccin préventif efficace, un vaccin n’empêchant pas l’infection virale, mais induisant une infection abortive, ou un vaccin retardant l’évolution clinique ou immunovirologique de l’infection, voire même un vaccin limitant la transmission du VIH chez les personnes infectées, auraient quand même un impact en termes de santé publique (2). UNE PROTECTION IMMUNITAIRE IMPARFAITE ET MAL CONNUE La réponse immunitaire spécifique anti-VIH comporte deux volets : d’une part la production d’anticorps capables de neutraliser des protéines clés présentées par les particules virales libres, ou anticorps “neutralisants” bloquant l’infection de nouvelles cellules ; d’autre part la stimulation de La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005 M lymphocytes T CD8 ayant une fonction cytotoxique sur les cellules infectées, induite et amplifiée par les lymphocytes CD4 anti-VIH (3). Les anticorps neutralisants En fait, la capacité de neutralisation des anticorps produits au cours de l’infection naturelle est faible ou absente. Pour inhiber l’interaction entre le virus et la cellule susceptible, les anticorps devraient neutraliser la glycoprotéine d’enveloppe (gp120). Mais la gp120 est une molécule difficilement accessible aux anticorps pour différentes raisons : ses épitopes sont masqués par des groupements carbohydrates, associés sous forme oligomérique et internalisés dans leur structure conformationnelle (4). De fait, les premiers immunogènes testés comportant des protéines d’enveloppe recombinante n’induisaient peu ou pas d’anticorps capables de neutraliser des souches sauvages de virus (5). La réponse cellulaire Par ailleurs, la présence d’une réponse cellulaire possiblement protectrice vis-à-vis du VIH a été suggérée par différentes situations chez l’homme et chez l’animal. Une réponse CD8 cytotoxique anti-VIH a été rapportée chez des sujets exposés au VIH mais non infectés (prostituées, personnel de santé), suggérant qu’elle pouvait avoir un effet protecteur contre l’infection chez certains individus (6). Une réponse immune CD4 et CD8 puissante a également été mise en évidence chez certains patients, dits “patients asymptomatiques à long terme”, parce que infectés depuis de nombreuses années, mais n’ayant pas de déficit immunitaire et gardant un niveau de réplication virale faible (7). Par ailleurs, au cours de la primo-infection, la réplication virale active initiale entraîne l’apparition d’une réponse spécifique CD4 et CD8, associée à l’obtention d’un équilibre immunovirologique persistant pendant les premières années d’infection (8, 9). Ultérieurement, le VIH infectant les lymphocytes CD4, et en particulier les CD4 anti-VIH, le déficit immunitaire progresse, le niveau de CD8 diminue et la réplication virale s’accélère. Le rôle protecteur possible des CD8 cytotoxiques a été confirmé dans les modèles animaux, où la déplétion en lymphocytes CD8 entraîne une accélération de l’infection, avec aggravation rapide du déficit immunitaire conduisant au décès (10). La définition des immunogènes Ces éléments ont donc secondairement orienté la recherche vaccinale vers des immunogènes capables d’induire une réponse cellulaire CD8 puissante. Depuis le début des années 1990, différents produits ont été testés chez l’homme pour leur capacité à induire une réponse cellulaire. Il s’agit de virus inactivés, de vecteurs vaccinaux utilisant un virus non pathogène pour l’homme dans lequel sont intégrés des gènes correspondant aux peptides immunogènes du VIH (de type cana- La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005 I S E A U P O I N T rypox ALVAC-VIH ou MVA), de vaccins ADN et de lipopeptides (peptides viraux associés à une chaîne lipidique augmentant leur pouvoir immunogène). Ces immunogènes induisent effectivement chez les volontaires sains une réponse anticorps durable (sans anticorps neutralisant), une réponse CD4 anti-VIH chez la majorité d’entre eux, mais la réponse CD8 est inconstante et souvent transitoire (11, 12). Parallèlement, les tentatives de protection vaccinale dans les modèles simiens ont été décevantes, indépendamment des réponses immunes observées. De fait, la fonction cytotoxique des CD8 contre les cellules infectées par le VIH paraît le plus souvent insuffisante pour limiter la réplication virale (13). De façon récente, plusieurs cas de “surinfection” ont été rapportés. Ils correspondent à la contamination d’un patient déjà infecté par une souche VIH par d’autres souches de même sous-type ou de sous-type différent (14, 15). Dans ces cas, la surinfection s’accompagne d’une ascension importante de la charge virale liée à la réplication de la nouvelle souche transmise et d’une baisse rapide des CD4, et l’immunité développée contre la première souche est inefficace à contrôler un nouvel isolat viral (16). Ce problème, difficile à identifier chez des patients non traités, est probablement largement sous-estimé, et renforce l’hypothèse d’un effet protecteur faible induit par une première souche virale n’empêchant pas la “surcontamination” par d’autres souches d’origine génétique proche (17). Finalement, les corrélations entre réponse CD4 et CD8 antiVIH et protection virale in vivo restent largement méconnus, s’ils existent, et en l’absence de traitement, la majorité des personnes infectées par le VIH ont une évolution fatale, contrairement à nombre d’infections virales (VHB, grippe…) pour lesquelles une immunité acquise limite effectivement la réplication virale et la pathologie, et avec un vaccin préventif efficace. Les modèles animaux apportent finalement peu d’éléments extrapolables à l’homme pour cette recherche vaccinale. DES OBSTACLES LIÉS AU VIRUS La diversité génétique du VIH est très importante, chez un individu, entre individus et entre zones géographiques. Le VIH se subdivise en différents sous-types, entre lesquels la variabilité peut atteindre de 15 % (Gag) à 20 % (Env) au niveau protéique. Des souches de sous-types différents peuvent se recombiner entre elles, formant de nouveaux variants. De plus, le niveau de réplication virale du VIH est très élevé, associé à un taux de mutations important induisant rapidement une grande variabilité virale à partir d’un isolat transmis. Celle-ci entraîne un échappement rapide des souches virales à la réponse immunitaire cellulaire et humorale de l’hôte (18). 7 M I S E A U P O I N T Cette formidable variabilité génétique est un obstacle supplémentaire à la conception d’un vaccin. Elle impliquerait la reconnaissance d’épitopes stables (peu accessibles aux mutations spontanées) et communs entre les différents sous-types, reconnaissables dans différents contextes HLA, pour qu’un vaccin ait une chance d’efficacité durable et soit utilisable dans des zones géographiques larges. Actuellement, la recherche a essentiellement porté sur des vaccins dirigés contre un ou deux sous-types dominants dans une région donnée. LES ESSAIS VACCINAUX PRÉVENTIFS CHEZ L’HOMME À ce jour, presque 10 000 volontaires ont participé dans le monde à de nombreux essais vaccinaux de phase I et II, dont l’objectif principal était d’évaluer la tolérance et l’immunogénicité. Les schémas vaccinaux différaient selon les essais, pour la périodicité des injections, la réalisation d’injections de rappel, les vaccins testés seuls ou en association. Ils étaient en règle bien tolérés. Les vecteurs viraux utilisant le canarypox et le MVA, dans lesquels sont intégrés des gènes VIH, étaient plus immunogènes que les vaccins plasmidiques (vaccins ADN). Ils induisaient pour la majorité d’entre eux une réponse humorale, avec “pseudo-positivité” de la sérologie VIH, alors que la réponse cellulaire était inconstante (19). Dans les essais vaccinaux préventifs, les volontaires doivent d’ailleurs être informés de la séropositivité induite par la procédure vaccinale, qui est durable, s’accompagne d’une positivité de Western-Blot avec les vecteurs vaccinaux, et nécessite pour le diagnostic d’infection de réaliser une recherche d’ARN-VIH plasmatique. Ces sujets sains peuvent être considérés à tort comme étant “séropositifs, donc infectés”, avec un impact psycho-économique négatif. Les résultats des essais de phase III sont malheureusement décevants. Récemment, en 2003, puis en 2004, les résultats des deux premiers grands essais vaccinaux de phase III ont été communiqués. Ils avaient pour objectif principal d’évaluer l’efficacité préventive de vaccins recombinants utilisant la glycoprotéine d’enveloppe (rgp120) de sous-type B pour l’essai AIDSVAX 004 mené en Amérique et Europe du Nord, et l’association des deux soustypes B et E pour l’essai AIDSVAX 003 en Thaïlande. L’essai AIDSVAX 004 a inclus 5 403 sujets à risque de contamination par voie sexuelle, dont 3 598 ont reçu la protéine immunogène et 1 805 le placebo (20). Les résultats ont été décevants, le vaccin n’ayant aucune efficacité vaccinale, avec 7 % d’infections par le VIH dans le bras placebo versus 6,7 % dans le bras vaccin. Bien que l’analyse initiale ne l’ait pas prévu, une analyse en fonction de l’origine ethnique a secon- 8 dairement été réalisée, et a retrouvé un effet protecteur du vaccin chez les Noirs américains et les Asiatiques (21). Il n’y a pas d’explication claire à cet effet observé dans un sous-groupe particulier, et il pourrait s’agir d’un “artefact statistique”. Des analyses supplémentaires sont en cours, en particulier pour déterminer si le terrain génétique pourrait influer sur l’effet vaccinal, via la production d’anticorps neutralisants. Dans l’essai AIDSVAX 003, 2 546 toxicomanes par voie intraveineuse ont été inclus, dont la moitié a reçu le vaccin et l’autre le placebo (22). Les résultats sont superposables à l’essai précédent, avec 6,7 % d’infections par le VIH dans le bras placebo versus 7 % dans le bras vaccin. L’effet vaccinal ne diffère pas en fonction du niveau de risque (faible ou élevé) des usagers de drogues, ni en fonction du sous-type B ou E. En revanche, l’auteur a souligné les effets latéraux bénéfiques de cet essai, avec pendant l’étude une diminution de 5,8 à 3,4/100 patientsannées de l’incidence de nouvelles infections par le VIH, probablement liée à la diffusion de mesures préventives et à la meilleure prise en charge de cette population à risque. Dans ces deux essais, les personnes contaminées par le VIH ont été suivies après la primo-infection, et, là encore, l’évolution de l’infection par le VIH en termes de CD4 et de charge virale ne différait pas entre les sujets ayant reçu le vaccin et le placebo. Le vaccin n’a donc pas d’effet bénéfique ultérieur chez les personnes infectées malgré le vaccin (22, 23). L’échec de ces deux premiers essais de phase III a prouvé l’inefficacité des immunogènes induisant une réponse anticorps sans réponse cellulaire. L’essai préventif de phase III prévu en Thaïlande en 2004 avec une stratégie de prime-boost avec l’ALVAC + rgp120 a été rediscuté et confirmé, bien que faisant l’objet de controverses (24). On attend de cette association vaccinale l’induction d’une immunité CD4 auxiliaire capable de renforcer les réponses cytotoxiques et humorales, avec pour objectif final la prévention de l’infection et/ou le contrôle immunologique de la réplication virale chez les personnes infectées malgré le vaccin. D’autres essais de phase I/II avec des immunogènes plus puissants, induisant une réponse cellulaire CTL associée ou non à une réponse anticorps, sont déjà en cours d’évaluation pour leur tolérance et de leur immunogénicité. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Palella FS, Delaney KM, Moorman AC. Declining morbidity and mortality among patients with advanced human immunodeficiency virus infection. N Engl J Med 1998;338:853-60. 2. Gilbert PB, de Gruttola VG, Hudgens MG et al. What constitutes efficacy for a human immunodeficiency virus vaccine that ameliorates viremia: issues involving surrogate end points in phase 3 trials. J Infect Dis 2003;188:179-93. 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Sur un sujet où les données sont éparses et les pratiques hétérogènes, une mise au point proposant des algorithmes décisionnels très utiles. Vaccination contre l’hépatite A chez l’enfant. Gendrel D. Arch Pediatr 2004;11:1360-6. Un excellent article sur les indications de cette vaccination chez les enfants. f h s a l Prevention of hepatitis B with the hepatitis B vaccine. Poland GA, Jacobson RM. N Engl J Med 2004;351:2832-8. Alors que les discussions sur les risques potentiels de la vaccination anti-VHB restent d’actualité en France, cet article de synthèse renforce l’intérêt du vaccin et discute de ses indications. Acute pericarditis. Lande RA, Hillis LD. N Engl J Med 2004;351:2195-202. Des propositions pour l’évaluation et le traitement des péricardites aiguës dans cet article principalement destiné aux cliniciens. Pegylated interferon alfa-2b vs standard interferon alfa-2b, plus ribavirin, for chronic hepatitis C in HIV-infected patients. Carrat F, Bani-Sadr F, Pol S et al. JAMA 2004;292:2839-48. Cette importante étude française randomisée apporte des éléments supplémentaires sur les modalités de prise en charge du VHC chez les patients co-infectés VIH-VHC. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005 9