Vaccins préventifs anti-VIH : une priorité absolue, des difficultés majeures Preventive anti-HIV vaccines:

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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005
MISE AU POINT
L
a recherche vaccinale a débuté très tôt après la recon-
naissance du VIH comme agent causal du sida mena-
çant la vie des personnes infectées. Le développement
d’un vaccin préventif contre le VIH permettrait d’obtenir une
protection primaire, individuelle, et enrayerait l’épidémie.
Cependant, cette recherche vaccinale s’est heurtée, au fil des
années, à de nombreuses difficultés, et nous ne disposons des
résultats des premiers grands essais vaccinaux préventifs de
phase III que depuis quelques mois. Dans l’intervalle, l’épi-
démie n’a cessé de progresser dans le monde, atteignant tous
les continents, avec en 2003 une estimation de 42 millions de
personnes infectées et de 25 millions de morts. L’apparition
des multithérapies, au milieu des années 1990, a réduit la
morbidité et la mortalité des patients dans les pays du Nord,
mais a montré ses limites en termes d’efficacité et de toxicité,
ainsi que l’absolue nécessité d’une adhésion thérapeutique à
long terme compte tenu de l’absence d’éradication virale (1).
Considérant l’épidémiologie mondiale galopante, et dans ce
contexte d’obstacles successifs à l’obtention rapide d’un vac-
cin préventif contre le VIH, les objectifs vaccinaux se sont
progressivement transformés. Il a été estimé que, en l’absen-
ce de vaccin préventif efficace, un vaccin n’empêchant pas
l’infection virale, mais induisant une infection abortive, ou un
vaccin retardant l’évolution clinique ou immunovirologique
de l’infection, voire même un vaccin limitant la transmission
du VIH chez les personnes infectées, auraient quand même un
impact en termes de santé publique (2).
UNE PROTECTION IMMUNITAIRE IMPARFAITE ET MAL CONNUE
La réponse immunitaire spécifique anti-VIH comporte
deux volets : d’une part la production d’anticorps capables de
neutraliser des protéines clés présentées par les particules
virales libres, ou anticorps “neutralisants” bloquant l’infec-
tion de nouvelles cellules ; d’autre part la stimulation de
Vaccins préventifs anti-VIH :
une priorité absolue,
des difficultés majeures
Preventive anti-HIV vaccines:
an absolute priority, major difficulties
C. Goujard*
* Service de médecine interne, CHU Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex.
RÉSUMÉ.
La recherche vaccinale est actuellement confrontée à de multiples obstacles, limitant le développement rapide d’un vaccin contre le
VIH dans les années à venir. La réponse protectrice anti-VIH est mal connue. Les capacités actuelles d’induction d’anticorps neutralisants et
d’une réponse cytotoxique effectrice et persistante sont limitées avec les immunogènes déjà étudiés. La diversité génétique du virus impose la
recherche de peptides immunogènes conservés et communs entre les isolats, au moins à l’intérieur d’un sous-type, pour éviter l’échappement
immunitaire répété face à des virus modifiés. Les études précliniques doivent donc se poursuivre à la recherche des immunogènes les plus puis-
sants, ou de leurs associations, pour tester ensuite leur efficacité préventive, parallèlement au renforcement des mesures préventives d’infec-
tion et à la généralisation du traitement des patients porteurs du VIH (25).
Mots-clés :
VIH - Vaccin.
ABSTRACT.
The development of a vaccine against HIV is a priority in the context of the ongoing world-wide outbreak but is limited by nume-
rous obstacles. The immune protection against HIV is mainly based on cellular immune responses, but its mechanisms remain incompletely
understood. Because of the difficulty in generating neutralizing antibodies, immunogens are now selected on their capability of inducing CD8
responses. Furthermore, the development of an effective vaccine is restricted by the huge HIV genetic diversity. Phase 1 and 2 clinical
trials led to select potential vaccine candidates. However, the first phase 3 clinical trials with the envelope glycoprotein gp120 have been
disappointing, as gp120 neither prevented HIV infection nor delayed HIV progression in subjects who have been infected despite vaccination.
Other more potent vaccine candidates are currently tested in preclinical trials. Thus, the control of the HIV pandemic will only rely for the next
years on prevention approaches and effective treatment of HIV-infected patients.
Keywords:
HIV - Vaccine.
© E. Caumes
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MISE AU POINT
lymphocytes T CD8 ayant une fonction cytotoxique sur les
cellules infectées, induite et amplifiée par les lymphocytes
CD4 anti-VIH (3).
Les anticorps neutralisants
En fait, la capacité de neutralisation des anticorps produits au
cours de l’infection naturelle est faible ou absente. Pour inhi-
ber l’interaction entre le virus et la cellule susceptible, les
anticorps devraient neutraliser la glycoprotéine d’enveloppe
(gp120). Mais la gp120 est une molécule difficilement acces-
sible aux anticorps pour différentes raisons : ses épitopes sont
masqués par des groupements carbohydrates, associés sous
forme oligomérique et internalisés dans leur structure confor-
mationnelle (4). De fait, les premiers immunogènes testés
comportant des protéines d’enveloppe recombinante n’indui-
saient peu ou pas d’anticorps capables de neutraliser des
souches sauvages de virus (5).
La réponse cellulaire
Par ailleurs, la présence d’une réponse cellulaire possiblement
protectrice vis-à-vis du VIH a été suggérée par différentes
situations chez l’homme et chez l’animal. Une réponse CD8
cytotoxique anti-VIH a été rapportée chez des sujets exposés
au VIH mais non infectés (prostituées, personnel de santé),
suggérant qu’elle pouvait avoir un effet protecteur contre l’in-
fection chez certains individus (6). Une réponse immune CD4
et CD8 puissante a également été mise en évidence chez cer-
tains patients, dits “patients asymptomatiques à long terme”,
parce que infectés depuis de nombreuses années, mais n’ayant
pas de déficit immunitaire et gardant un niveau de réplication
virale faible (7). Par ailleurs, au cours de la primo-infection,
la réplication virale active initiale entraîne l’apparition d’une
réponse spécifique CD4 et CD8, associée à l’obtention d’un
équilibre immunovirologique persistant pendant les premières
années d’infection (8, 9). Ultérieurement, le VIH infectant les
lymphocytes CD4, et en particulier les CD4 anti-VIH, le défi-
cit immunitaire progresse, le niveau de CD8 diminue et la
réplication virale s’accélère. Le rôle protecteur possible des
CD8 cytotoxiques a été confirmé dans les modèles animaux,
où la déplétion en lymphocytes CD8 entraîne une accélération
de l’infection, avec aggravation rapide du déficit immunitaire
conduisant au décès (10).
La définition des immunogènes
Ces éléments ont donc secondairement orienté la recherche
vaccinale vers des immunogènes capables d’induire une
réponse cellulaire CD8 puissante. Depuis le début des années
1990, différents produits ont été testés chez l’homme pour
leur capacité à induire une réponse cellulaire. Il s’agit de virus
inactivés, de vecteurs vaccinaux utilisant un virus non patho-
gène pour l’homme dans lequel sont intégrés des gènes cor-
respondant aux peptides immunogènes du VIH (de type cana-
rypox ALVAC-VIH ou MVA), de vaccins ADN et de lipopep-
tides (peptides viraux associés à une chaîne lipidique aug-
mentant leur pouvoir immunogène). Ces immunogènes indui-
sent effectivement chez les volontaires sains une réponse anti-
corps durable (sans anticorps neutralisant), une réponse CD4
anti-VIH chez la majorité d’entre eux, mais la réponse CD8
est inconstante et souvent transitoire (11, 12). Parallèlement,
les tentatives de protection vaccinale dans les modèles
simiens ont été décevantes, indépendamment des réponses
immunes observées. De fait, la fonction cytotoxique des CD8
contre les cellules infectées par le VIH paraît le plus souvent
insuffisante pour limiter la réplication virale (13).
De façon récente, plusieurs cas de “surinfection” ont été rap-
portés. Ils correspondent à la contamination d’un patient déjà
infecté par une souche VIH par d’autres souches de même
sous-type ou de sous-type différent (14, 15). Dans ces cas, la
surinfection s’accompagne d’une ascension importante de la
charge virale liée à la réplication de la nouvelle souche trans-
mise et d’une baisse rapide des CD4, et l’immunité dévelop-
pée contre la première souche est inefficace à contrôler un
nouvel isolat viral (16). Ce problème, difficile à identifier
chez des patients non traités, est probablement largement
sous-estimé, et renforce l’hypothèse d’un effet protecteur
faible induit par une première souche virale n’empêchant pas
la “surcontamination” par d’autres souches d’origine géné-
tique proche (17).
Finalement, les corrélations entre réponse CD4 et CD8 anti-
VIH et protection virale in vivo restent largement méconnus,
s’ils existent, et en l’absence de traitement, la majorité des per-
sonnes infectées par le VIH ont une évolution fatale, contraire-
ment à nombre d’infections virales (VHB, grippe…) pour les-
quelles une immunité acquise limite effectivement la réplica-
tion virale et la pathologie, et avec un vaccin préventif efficace.
Les modèles animaux apportent finalement peu d’éléments
extrapolables à l’homme pour cette recherche vaccinale.
DES OBSTACLES LIÉS AU VIRUS
La diversité génétique du VIH est très importante, chez un
individu, entre individus et entre zones géographiques. Le
VIH se subdivise en différents sous-types, entre lesquels la
variabilité peut atteindre de 15 % (Gag) à 20 % (Env) au
niveau protéique. Des souches de sous-types différents peu-
vent se recombiner entre elles, formant de nouveaux variants.
De plus, le niveau de réplication virale du VIH est très élevé,
associé à un taux de mutations important induisant rapide-
ment une grande variabilité virale à partir d’un isolat transmis.
Celle-ci entraîne un échappement rapide des souches virales à
la réponse immunitaire cellulaire et humorale de l’hôte (18).
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005
MISE AU POINT
Cette formidable variabilité génétique est un obstacle supplé-
mentaire à la conception d’un vaccin. Elle impliquerait la
reconnaissance d’épitopes stables (peu accessibles aux muta-
tions spontanées) et communs entre les différents sous-types,
reconnaissables dans différents contextes HLA, pour qu’un
vaccin ait une chance d’efficacité durable et soit utilisable dans
des zones géographiques larges. Actuellement, la recherche a
essentiellement porté sur des vaccins dirigés contre un ou deux
sous-types dominants dans une région donnée.
LES ESSAIS VACCINAUX PRÉVENTIFS CHEZ L’HOMME
À ce jour, presque 10 000 volontaires ont participé dans le
monde à de nombreux essais vaccinaux de phase I et II, dont
l’objectif principal était d’évaluer la tolérance et l’immunogé-
nicité. Les schémas vaccinaux différaient selon les essais,
pour la périodicité des injections, la réalisation d’injections de
rappel, les vaccins testés seuls ou en association. Ils étaient en
règle bien tolérés. Les vecteurs viraux utilisant le canarypox
et le MVA, dans lesquels sont intégrés des gènes VIH, étaient
plus immunogènes que les vaccins plasmidiques (vaccins
ADN). Ils induisaient pour la majorité d’entre eux une répon-
se humorale, avec “pseudo-positivité” de la sérologie VIH,
alors que la réponse cellulaire était inconstante (19). Dans les
essais vaccinaux préventifs, les volontaires doivent d’ailleurs
être informés de la séropositivité induite par la procédure vac-
cinale, qui est durable, s’accompagne d’une positivité de
Western-Blot avec les vecteurs vaccinaux, et nécessite pour le
diagnostic d’infection de réaliser une recherche d’ARN-VIH
plasmatique. Ces sujets sains peuvent être considérés à tort
comme étant “séropositifs, donc infectés”, avec un impact
psycho-économique négatif.
Les résultats des essais de phase III sont malheureusement
décevants.
Récemment, en 2003, puis en 2004, les résultats des deux pre-
miers grands essais vaccinaux de phase III ont été communiqués.
Ils avaient pour objectif principal d’évaluer l’efficacité préventi-
ve de vaccins recombinants utilisant la glycoprotéine d’envelop-
pe (rgp120) de sous-type B pour l’essai AIDSVAX 004 mené en
Amérique et Europe du Nord, et l’association des deux sous-
types B et E pour l’essai AIDSVAX 003 en Thaïlande.
L’essai AIDSVAX 004 a inclus 5 403 sujets à risque de conta-
mination par voie sexuelle, dont 3 598 ont reçu la protéine
immunogène et 1 805 le placebo (20). Les résultats ont été
décevants, le vaccin n’ayant aucune efficacité vaccinale, avec
7% d’infections par le VIH dans le bras placebo versus 6,7 %
dans le bras vaccin. Bien que l’analyse initiale ne l’ait pas
prévu, une analyse en fonction de l’origine ethnique a secon-
dairement été réalisée, et a retrouvé un effet protecteur du vac-
cin chez les Noirs américains et les Asiatiques (21). Il n’y a pas
d’explication claire à cet effet observé dans un sous-groupe
particulier, et il pourrait s’agir d’un “artefact statistique”. Des
analyses supplémentaires sont en cours, en particulier pour
déterminer si le terrain génétique pourrait influer sur l’effet
vaccinal, via la production d’anticorps neutralisants.
Dans l’essai AIDSVAX 003, 2 546 toxicomanes par voie intra-
veineuse ont été inclus, dont la moitié a reçu le vaccin et l’autre
le placebo (22). Les résultats sont superposables à l’essai pré-
cédent, avec 6,7 % d’infections par le VIH dans le bras placebo
versus 7 % dans le bras vaccin. L’effet vaccinal ne diffère pas
en fonction du niveau de risque (faible ou élevé) des usagers de
drogues, ni en fonction du sous-type B ou E. En revanche, l’au-
teur a souligné les effets latéraux bénéfiques de cet essai, avec
pendant l’étude une diminution de 5,8 à 3,4/100 patients-
années de l’incidence de nouvelles infections par le VIH, pro-
bablement liée à la diffusion de mesures préventives et à la
meilleure prise en charge de cette population à risque.
Dans ces deux essais, les personnes contaminées par le VIH
ont été suivies après la primo-infection, et, là encore, l’évolu-
tion de l’infection par le VIH en termes de CD4 et de charge
virale ne différait pas entre les sujets ayant reçu le vaccin et le
placebo. Le vaccin n’a donc pas d’effet bénéfique ultérieur
chez les personnes infectées malgré le vaccin (22, 23).
L’échec de ces deux premiers essais de phase III a prouvé l’in-
efficacité des immunogènes induisant une réponse anticorps
sans réponse cellulaire. L’essai préventif de phase III prévu en
Thaïlande en 2004 avec une stratégie de prime-boost avec
l’ALVAC + rgp120 a été rediscuté et confirmé, bien que fai-
sant l’objet de controverses (24). On attend de cette associa-
tion vaccinale l’induction d’une immunité CD4 auxiliaire
capable de renforcer les réponses cytotoxiques et humorales,
avec pour objectif final la prévention de l’infection et/ou le
contrôle immunologique de la réplication virale chez les per-
sonnes infectées malgré le vaccin.
D’autres essais de phase I/II avec des immunogènes plus puis-
sants, induisant une réponse cellulaire CTL associée ou non à
une réponse anticorps, sont déjà en cours d’évaluation pour
leur tolérance et de leur immunogénicité.
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