La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 6 - novembre-décembre 2009 | 127
Résumé
Certains travaux récents relatifs au retentissement fonctionnel des troubles schizophréniques s’efforcent
d’apprécier le
real-world functioning
(fonctionnement dans un environnement réel [RWF]) des sujets
afin de mieux appréhender la problématique de leur vie quotidienne. Cette approche, bien qu’encore
peu conceptualisée, paraît susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons, tant pour la compréhension de
la personne que pour son accompagnement. Même s’il reste à en délimiter les contours précis et à en
évaluer l’efficacité opérationnelle, le RWF pourrait ainsi contribuer à une meilleure prise en compte de
la subjectivité, de la singularité et de la globalité du vécu individuel, dans une perspective “écologique”
d’interaction avec l’environnement.
Mots-clés
Fonctionnement dans
l’environnement réel
Insertion
Retentissement
fonctionnel
Schizophrénie
Highlights
In the last few years, some
studies about functional
outcomes have attempted
to measure the real-world
functioning of schizophrenia
patients. Although this notion
must be more conceptual-
ized, it opens new ways of
thinking for comprehension
and support of the persons.
After a necessary theoretical
and operational clarifica-
tion of the concept of RWF, it
would lead to a conception of
the patient which better inte-
grates some dimensions like
subjectivity, singularity and
complexity of real-life experi-
ence, in an ecological point of
view of the individual and his
environment.
Keywords
Real-world functioning
Rehabilitation
Functional outcomes
Schizophrenia
Or, ce type de mesure est apparu de plus en plus
insuffisant, compte tenu des évolutions évoquées.
La nécessité d’évaluer le retentissement fonctionnel
(functional outcome) des troubles – c’est-à-dire leur
impact sur le fonctionnement même des patients –
s’est alors peu à peu imposée. Ainsi, surtout à partir
des années 1990, certains chercheurs se sont penchés
sur les relations entre les résultats aux tests neuro-
psychologiques et le retentissement fonctionnel,
ce qui a conduit à élaborer de nouveaux tests et à
préciser ce qu’il convient de mesurer. Par exemple,
M.F. Green suggère de s’intéresser à des notions
telles que la cognition sociale, la capacité d’acquisi-
tion et d’utilisation des compétences pratiques de vie
(entretien de soi, relations avec les autres, relations
au travail, tâches ménagères), ou encore le poten-
tiel d’apprentissage (4). Cette dernière notion, par
exemple, issue des travaux de Lev Vygotski (1896-
1934) et de Joseph Zubin (1900-1990), implique de
se concentrer sur les capacités latentes plutôt que
sur les capacités déjà développées et nécessite la
mise en place d’une évaluation dynamique prenant
en compte la variabilité intra-individuelle.
De telles suggestions constituent autant de tenta-
tives pour mieux appréhender la réalité du patient,
sa dynamique propre et son insertion dans le monde.
Mais les études cherchant à mesurer le retentisse-
ment fonctionnel s’appuient sur des outils d’évalua-
tion utilisés en laboratoire qui ne font que simuler
la réalité. L’UPSA (UCSD Performance-Based Skills
Assessment) [5], par exemple, mesure les capacités
du patient à comprendre un document écrit décri-
vant des activités de loisir en vue de les planifier et
d’identifier les actions nécessaires pour les mener à
bien. Les domaines concernés sont les compétences
financières (estimer un coût, faire la monnaie), la
communication (composer un numéro d’urgence,
appeler les renseignements pour demander un
numéro de téléphone) et la mobilité (utiliser des
horaires et des plans pour déterminer le prix d’un
ticket de bus, repérer une destination sur une carte
et déterminer le trajet approprié pour s’y rendre).
Dès les années 1980, des auteurs se sont intéressés
à l’évaluation des compétences de vie quotidienne
des patients dans leur environnement réel. Par
exemple, la Specific Level of Function Scale (SLoF) [6]
est fondée sur les comptes-rendus de personnes
suivant le patient dans son quotidien, et porte sur
les domaines suivants : fonctionnement physique
(vision, ouïe, etc.), soins personnels (se nourrir,
faire sa toilette, etc.), compétences interperson-
nelles (instaurer, accepter et maintenir des contacts
sociaux, communiquer efficacement, etc.), accepta-
bilité sociale (absence d’abus verbaux ou physiques,
absence de comportements répétitifs, etc.), activités
communautaires (faire les courses, téléphoner, avoir
des activités de loisir, etc.) et compétences profes-
sionnelles (niveau de maîtrise, ponctualité, etc.).
Comprendre les relations
entre cognition
et fonctionnement
dans le monde réel
Actuellement, les travaux menés autour de ces ques-
tions cherchent à mettre en évidence, en utilisant
des outils existants ou en créant de nouveaux au
besoin, les relations entre les capacités neuropsycho-
logiques, le retentissement fonctionnel et la capacité
à s’adapter à un environnement réel.
Certaines capacités cognitives semblent être souvent
corrélées aux capacités fonctionnelles : attention,
habiletés motrices, apprentissage verbal, mémoire
verbale, fluidité verbale, fonctionnement exécutif,
etc. Cependant, C.R. Bowie met en évidence la
complexité des relations entre ces différents types
de capacité :
➤
dans de nombreux domaines, les relations entre
la performance neuropsychologique et le fonction-
nement en environnement réel sont médiatisées par
la capacité fonctionnelle ;
➤
le déploiement de la capacité fonctionnelle paraît
aussi être affecté par d’autres facteurs (symptômes
négatifs, facteurs affectifs, etc.). En fait, ce type
d’étude semble révéler des problèmes de fond liés
à la pertinence des tests, à la difficulté de déter-
miner la façon optimale de mesurer les performances
en environnement réel, ou encore au fait que les
événements de base qui permettent en principe de
mesurer le retentissement fonctionnel (mariage,
indépendance, emploi compétitif à temps plein, etc.)
sont rarement réalisés chez les schizophrènes.