Interview de Michel Onfray
MICHEL ONFRAY : "JE NE CROIS PAS EN L'EXISTENCE HISTORIQUE DE JESUS" Â propos recueillis par Radu
Stoenescu Cette interview est parue pour la première fois dans Ring, le 4 novembre 2008.
RS : Est-ce que pour vous le désir n'a qu'une face solaire ? N'y a-t-il pas des souffrances engendrées par le désir, qui
justifieraient d'un point de vue épicurien, qu'on le réprime ?
MO : Le désir n'existe pas ex-nihilo, mais chez un individu qui dispose d'une existence. Dès lors, ce désir est
historique car il a été formaté de manière existentielle. Il peut être solaire ou nocturne... Nombre de personnages
formatés par des abus sexuels disposent d'une libido perverse et d'un désir nocturne. Le désir est ce qu'une histoire
personnelle aura fait d'un être...
RS : Est-ce que la chair ne demeure pas triste, hélas, même si l'on a lu tous vos livres ?
MO : En relation avec cette idée qu'il n'est de désir que subjectif et particulier, certains peuvent le dire d'eux-mêmes.
Pour ma part, je ne le dirai pas... Je trouve la chair joyeuse, ludique, solaire - pourvu que l'on fasse le nécessaire pour
qu'elle le soit...
RS : Que pensez-vous de l'hypothèse de René Girard à propos de la révélation chrétienne, selon laquelle celle-ci serait
en fait une « révélation » anthropologique, de la violence inhérente au désir mimétique humain ?
MO : René Girard est un chrétien qui a lu Freud et les anthropologues, ou les ethnologues... Je ne crois pas à l'existence
historique de Jésus... Dès lors, l'aventure chrétienne se résume à celle d'une mythologie parmi des centaines d'autres.
C'est celle sous laquelle nous vivons... Elle n'en fait pas une vérité pour autant !
RS : Pensez-vous que le désir est mimétique, comme le dit René Girard, ou bien objectal et autonome ?
MO : Il peut être mimétique, il l'est parfois, mais pas toujours. On ne désire pas toujours ce que l'autre désire. On désire
parfois ce que l'on veut voir se répéter car on aura eu avec la résolution du désir en plaisir une expérience suffisamment
marquante pour qu'on ait envie d'y revenir et de créer les mêmes causes pour tenter d'obtenir les mêmes effets. C'est
ce qui conduit chacun, pour le meilleur, mais aussi pour le pire...
RS : Vous enseignez qu'il ne faut pas réprimer le désir. Mais est-ce que vous pensez que le désir nous appartient
toujours ? Est-ce que nous voulons ce que nous voulons, ou bien sommes-nous les jouets du désir que nous croyons Ã
tort nôtre ?
MO : Je ne dis pas qu'il faut faire un principe du refus de la répression du désir, j'affirme qu'il faut réprimer à bon escient
tout désir dangereux pour autrui... Je suis pour une répression utile à la production d'intersubjectivités hédonistes.
RS : Vous développez une théorie du mieux-vivre avec son corps, mais que pensez-vous du mieux vivre avec les autres
? Est-ce que les religions ne seraient pas un moyen pour mieux vivre ensemble, quitte à sacrifier un peu son mieux vivre
personnel ?
MO : Les religions relèvent d'une ère que je souhaiterais voir dépasser. Nous sommes assez adultes pour ne plus
avoir besoin de fables, de mythes, d'histoires infantiles (comme en proposent toutes les religions...) et pour construire
nos règles du jeu non pas avec de l'illusion, mais avec de la réalité et de la vérité. Les temps de la philosophie me
semblent venus... Le mieux vivre avec autrui est une affaire qui relève de la règle du jeu éthique, de la convention
morale et non du commandement descendu du ciel.
RS : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » écrit saint Jean dans son Evangile. Les philosophies
hindoues de leur côté, ont pour visée une liberté totale, voire quasiment démiurgique, selon certaines écoles du Yoga.
Vous, de votre côté, vous semblez prêcher un athéisme fondamental, et assimilez les religions à l'obscurantisme. Ne
pensez-vous pas être un peu réducteur ? Est-ce que vous ne ratez pas dans votre philosophie, un certain aspect
libérateur de la spiritualité, qu'elle soit occidentale ou orientale ?
MO : Si rater un aspect libérateur de la spiritualité passe par la pratique de l'illusion la plus ancestrale, l'autopunition
pratiquée au quotidien, l'autocastration érigée en obsession existentielle, la pratique de l'idéal ascétique, le sacrifice de
l'idéal misogyne, la mort à petit feu chaque jour pour, prétendument, mieux mourir le jour où il faudra vraiment passer
l'arme à gauche, alors je veux bien passer pour quelqu'un de réducteur... Mais conservez présent à l'esprit l'idée qu'on
reproche souvent aux autres ce que l'on n'a pas envie de se reprocher à soi... Et puis prouvez moi que je rate vraiment
quelque chose de formidable, or il reste à démontrer...
RS : Vous professez un matérialisme métaphysique. Que pensez-vous alors de la fameuse phrase de Dostoïevski «
Si Dieu n'existe pas, tout est permis. » ?
MO : Regardez le monde depuis qu'il existe : c'est parce que Dieu existe que tout est permis ! L'histoire des idées n'est
jamais que la vérification de cette thèse... Demandez à Simon de Montfort qui invite à massacrer les cathares et à ne pas
faire de quartier en ajoutant cette phrase célèbre : ' Dieu reconnaîtra les siens"... preuve que, justement parce que
Dieu existe, tout est permis !
RS : Dans votre dernier livre, Le souci des plaisirs : construction d’une érotique solaire, vous opposez au déni du corps
que vous considérez comme essentiel dans le christianisme, une érotique solaire, basée sur le Kama-Sutra et un certain
shivaïsme. Mais que pensez-vous de tous les rites de sacrifices sanglants qui caractérisent le shivaïsme, et le
védisme ancien (les Védas étant des recueils de préceptes sacrificiels) ? Pensez-vous que cette « érotique solaire »
dont vous vous faites le chantre, puisse exister sans le militarisme guerrier des anciens Aryens?
MO : Je préfère la philosophie à la religion, mais dans les religions, je préfère le panthéisme au monothéisme, la
Radu Stoenescu
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religion de la nature contre la religion de la culture. Maintenant ne faites pas de moi un adepte de Shiva, un défenseur de
cette religion après avoir fait de moi il y a quelques instants un athée caricatural qui passe au culte de la spiritualité... Je
suis athée et le reste - avec fierté. Je ne souhaite pas remplacer une religion par une autre...
Radu Stoenescu
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