Faut-il encore faire des lavements barytés?

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Éditorial
Faut-il encore faire des lavements barytés?
● Visualiser
directement la muqueuse colique.
Poser un diagnostic lésionnel de manière
sensible et spécifique.
● Préciser les caractéristiques de la lésion par le
biais de prélèvements biopsiques, éventuellement
orientés par des colorations vitales ou des
grossissements optiques ou électroniques.
● Traiter la lésion par destruction physicochimique
(injection sclérosante, laser, plasma argon)
ou par exérèse (polypectomie ou mucosectomie).
● Assurer la liberté endoluminale (dilatation
et pose de prothèse)…
●
Cet inventaire “à la Prévert” n’est pas une utopie
mais la réalité ordinaire des endoscopistes. Avec
plus de 900000 actes de coloscopies et environ
130000 rectoscopies par an en France (et moins de
2% d’échecs), l’endoscopie basse est l’exploration
recto-colique la plus prescrite. Malgré la nécessité
d’une préparation souvent pénible pour le patient,
le caractère douloureux de l’examen faisant préférer
sa réalisation sous anesthésie dans plus de 80% des
cas et imposant alors une courte hospitalisation et
un arrêt de travail, le coût du matériel et des procédures de désinfection, les risques de complications
rares (moins de une pour mille) mais parfois graves
(mortalité recensée de une pour dix mille !) –, la
qualité des résultats diagnostiques et surtout la possibilité de réaliser un geste thérapeutique dans le
même temps ont imposé la recto-coloscopie comme
le “gold standard” reléguant les autres techniques
parmi les rares indications “accessoires” ou de
deuxième intention (1). Cependant, de nombreuses
prescriptions de lavements opaques sont encore réalisées, souvent en première intention, nous faisant
nous interroger sur leurs motivations, voire leur utilité.
* Créteil.
Si l’on suit strictement les références médicales
opposables, l’opacification radiologique du côlon
n’est indiquée qu’en cas de contre-indication à la
coloscopie (volumineux anévrisme de l’aorte abdominale), de suspicion de perforation ou de fistule,
de sigmoïdite diverticulaire ou d’occlusion et en
période postopératoire précoce. On ajoutera,
compte tenu du recours fréquent à l’anesthésie, les
contre-indications à l’acte anesthésique lui-même :
insuffisance cardiaque ou respiratoire notamment.
L’âge, en revanche, n’est pas un facteur limitant de
la réalisation de la coloscopie, dont la faisabilité et
l’innocuité ont été montrées chez l’octogénaire (2).
Le lavement baryté est par ailleurs déconseillé
chez le sujet âgé, principalement en raison de son
taux d’échec (41 % dans une étude gériatrique
récente) faisant préférer, chez cette population, la
coloscopie en cas d’hémorragie basse et la tomodensitométrie devant une suspicion de tumeur obstructive (3).
La prise d’un traitement anticoagulant n’oriente
pas vers la réalisation première d’un lavement
baryté. L’endoscopie est toujours possible soit en
conservant, soit en arrêtant ce traitement (souvent
au prix d’un “switch” antivitamine K/héparine). Le
problème est, là encore, de bien peser l’indication
de cette exploration.
Les contraintes de préparation et d’anesthésie de
l’endoscopie sont souvent invoquées pour expliquer
le choix radiologique. Le problème de la préparation
est sans nul doute un prétexte, notamment en ce qui
concerne le dépistage et le diagnostic des tumeurs
colorectales. Dans cette indication, la supériorité de
la coloscopie est bien établie. Pour ne citer que l’étude princeps publiée dans le New England, 75 % des
polypes de moins de 5 mm et 50 % des polypes de
10mm repérés endoscopiquement avaient été ignorés par le lavement baryté. Qu’en est-il des lésions
planes ? Dans cette étude, la coloscopie était pourtant comparée à la technique radiologique la plus
sensible, le lavement baryté en double contraste, qui,
comme la coloscopie, impose une préparation méticuleuse et soumet à l’inconfort douloureux de l’in-
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 2, mars 2003
Éditorial
G. Tordjman*
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sufflation colique (4). Le dogme de l’anesthésie est
plus difficile à remettre en cause en l’absence d’une
politique visant à privilégier la sédation plutôt que
l’anesthésie générale. L’idée entretenue çà et là
d’élargir les indications de coloscopie sans prémédication expose au risque d’examen incomplet ou
d’examens itératifs. Il paraît cependant sage de proposer, aux patients refusant totalement l’anesthésie,
une tentative de coloscopie complète, après préparation efficace, sans anesthésie et de compléter par un
lavement baryté en cas d’échec. Cette attitude s’inspire des recommandations en cas d’échec technique
de la coloscopie de dépistage, récemment renforcées
par les résultats d’une étude canadienne prouvant la
faisabilité et l’intérêt de la réalisation immédiate
d’un lavement baryté en double contraste dans les
suites d’une coloscopie incomplète (5).
L’indication du lavement baryté ne peut pas non plus
être motivée par la seule crainte des complications
liées à la coloscopie. De rares cas de perforation
sont rapportés lors des lavements barytés en double
contraste et, même si le taux de complications de la
coloscopie, évalué rétrospectivement, apparaît
important, peu de données prospectives sont disponibles, et le risque réel des coloscopies simplement
diagnostiques n’est pas clairement établi.
Quant au problème économique… Le choix d’une
exploration au rendement diagnostique faible, uniquement déterminé, en particulier, par des critères financiers, paraît inacceptable. Le coût du lavement baryté
est plus faible que celui de la coloscopie, mais qu’en
est-il du rapport coût/efficacité ? En termes de dépistage, connaissant l’absence d’efficacité du lavement
baryté et l’impossibilité de la division par zéro, ce rapport pourrait bien se révéler non calculable.
Cependant, si plusieurs études de modélisation, américaines et donc non transposables, ont montré un intérêt en termes de coût/efficacité de la coloscopie de
dépistage, aucune évaluation en France n’est aujourd’hui disponible. L’augmentation prévisible des
demandes d’investigations morphologiques coliques
liées à la généralisation progressive du dépistage par
Hemoccult® doit nous rendre vigilants. On peut
craindre que le souci économique ne limite l’usage de
la coloscopie dans ces indications et n’induise une
efflorescence de prescriptions non valides de lavements
barytés. Cette crainte est renforcée par les difficultés
attendues d’accès à la coloscopie : diminution des lits
d’hospitalisation ambulatoire, diminution du nombre
des anesthésistes, accroissement du coût de la tech-
nique, spectre d’une diminution de cotation de l’acte…
L’avènement du scanner hélicoïdal a également porté
un rude “coup” au lavement baryté. Le lavement
opaque est longtemps resté le seul examen permettant
d’affirmer la diverticulite malgré une sémiologie
radiologique complexe. En rendant possible la visualisation périphérique de la paroi colique, siège essentiel de l’inflammation, la tomodensitométrie permet
un diagnostic plus sensible et plus spécifique de la
diverticulite et de ses complications et apparaît
comme étant l’examen de première intention dans ce
cas. Il convient cependant de noter qu’il ne permet
pas d’éliminer formellement un cancer abcédé rendant légitime la réalisation à froid d’une coloscopie
plus spécifique plutôt que d’un lavement baryté (6).
Dans les syndromes abdominaux aigus, et notamment
les syndromes occlusifs, l’orientation étiologique
colique est souvent confirmée par le lavement aux
hydrosolubles en urgence. Dans ce cas, la tomodensitométrie semble cependant plus informative, sa principale limitation étant encore trop souvent sa difficulté d’obtention en urgence.
En conclusion, dans l’attente d’une hypothétique
capsule permettant l’exploration du côlon et après
le “flop” de la coloscopie virtuelle, le lavement
baryté ne conserve que des indications limitées aux
contre-indications ou aux échecs de la coloscopie.
Le lavement aux hydrosolubles demeure souvent
incontournable dans les urgences digestives, même
si l’avenir est à une plus large utilisation de la
tomodensitométrie.
Références
1. Le livre blanc de l’hépato-gastroentérologie. SNFGE 2001.
2. Lukens FJ, Loeb DS, Machicao VI et al. Colonoscopy in
octogenarians : a prospective outpatient study. AJG 2002 ;
97 : 1722.
3. Segal R, Khalil A, Leibovitz A et al. Barium enema in frail
elderly patient. Gerontology 2000 ; 46 : 78-82.
4. Winaver SJ, Stewart ET, Zauber AG et al. Comparaison of
colonoscopy and double contrast barium enema for surveillance after polypectomy. N Eng J Med 2000; 342 : 1766-72.
5. AL Brown, SJ Skehan, T Greaney et al. Value of double
contrast barium enema performed immediately after incomplete
colonoscopy. Am J Roentgenol 2001 : 176 ; 943-5.
6. O Wargnier, B Scotto, D Alison. Apport de l’imagerie au
diagnostic et au traitement de la diverticulite colique. In :
Progrès en hépato-gastroentérologie, ed. Les diverticuloses.
Paris : Doin, 1998 : 207-18.
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 2, mars 2003
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