L Compétences en chirurgie colorectale INFORMER

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I N F O R M E R
A r t i c l e s
à
c o n n a î t r e
Compétences en chirurgie colorectale
● E.
Rullier*
1. McCall JL, Cox MR, Wattchow
DA. Analysis of local recurrence
rates after surgery alone for rectal cancer.
Int J Colorect Dis 1995 ;
10 : 126-32.
e traitement des cancers du rectum a suscité beaucoup de
L
discussions au cours de ces dernières années, en particulier depuis la conférence de consensus de décembre 1994. Les
raisons en sont l’émergence simultanée de progrès thérapeutiques issus de la chirurgie et de la radiothérapie. Les faibles taux de récidive
locale (3 à 13 %) rapportés par la technique d’exérèse totale du mésorectum (TME) (1) rendent pour certains discutable l’intérêt de la radiothérapie préopératoire. Toutefois, les résultats
de cette technique proviennent de travaux monocentriques et d’équipes spécialisées. La possibilité jusqu’à présent inconnue, d’étendre ces résultats au sein d’une large population, vient
d’être rapportée dans le Lancet par des chirurgiens suédois (2).
2. Lehander-Martling A, Holm T,
Rutqvist LE et al. for the
Stockholm colorectal cancer study
group and the Basingstoke bowel
cancer research project. Effect of
a surgical training programme on
outcome of rectal cancer in the
county of Stockholm.
Lancet 2000 ; 356 : 93-6.
La région de Stockholm, en Suède, comprend 1,8 million d’habitants. Le Groupe d’étude des
cancers colorectaux a réalisé de 1980 à 1993 deux études randomisées (Stockholm I et II),
montrant l’intérêt de la radiothérapie préopératoire dans le traitement des cancers du rectum.
Une nouvelle étude, initiée en 1994 et intitulée “Projet TME”, avait pour but d’évaluer l’impact de l’introduction de la technique de TME au sein de la population de Stockholm. En 1994,
les chirurgiens ont assisté à trois séminaires de formation sur la technique de TME incluant
des scéances de vidéochirurgie et d’anatomopathologie. Chaque chirurgien devait, par ailleurs,
assister au moins à une intervention réalisée par un chirurgien expert. Le principe de la technique de TME était la réalisation d’une résection minutieuse, aux ciseaux, sous contrôle visuel,
de la totalité du mésorectum avec son enveloppe intacte, s’opposant à l’extirpation rectale
manuelle et aveugle de la chirurgie traditionnelle.
De 1995 à 1996, 447 patients ont eu une résection rectale selon la technique de TME. Les résultats à 2 ans ont été comparés de façon historique à ceux à 2 ans des deux études contrôlées,
Stockholm I et II. Le groupe TME était identique aux groupes contrôles pour l’âge, le sexe, le
stade tumoral, la radiothérapie (48-56 %) mais différait par le type d’intervention : le taux
d’amputation était plus faible dans le groupe TME (27 % versus 55-60 % ; p < 0,0001). Les
résultats à 2 ans montrent que les taux de récidive locale et de décès par cancer étaient significativement plus faibles dans le groupe TME, alors que le taux de métastases était identique
dans les trois groupes (tableau I). Par ailleurs, dans le groupe TME, le taux de récidive locale
était plus faible si les patients avaient reçu une radiothérapie préopératoire par rapport à ceux
qui avaient eu une chirurgie seule : 1,4 % versus 11 %.
* Service de chirurgie digestive,
hôpital Saint-André,
Bordeaux.
Même s’il s’agit d’une étude non contrôlée avec un recul limité à 2 ans, cet article est soutenu
par une bonne méthodologie ; en particulier, les biais de recrutement et de traitement ont été
évités : tous les patients avec un cancer du rectum résécable et potentiellement curable ont été
inclus ; la proportion de patients ayant reçu une radiothérapie était similaire à celle des études
précédentes ; 20 chirurgiens répartis dans 8 hôpitaux sont intervenus. Cette étude a mis en évidence trois faits importants. Le taux de récidive locale a diminué de moitié après introduction
de la technique de TME et est devenu très faible (< 2 %) en cas d’association radiothérapieTME, ce qui va dans le sens de travaux récents (3). L’amélioration du contrôle local a aug-
Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001
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Tableau 1. Résultats à 2 ans après exérèse d’un cancer du rectum.
Récidive locale
Métastases
Décès par cancer rectal
Stockholm I
1980-1987
(n = 686)
Stockholm II
1987-1993
(n = 481)
TME
1995-1996
(n = 381)
p*
15 %
16 %
15 %
14 %
18 %
16 %
6%
14 %
9%
< 0,0001
ns
< 0,002
*TME versus Stockholm I et II.
3. Dahlberg M, Glimelius B,
Pahlman L. Changing strategy
for rectal cancer is associated
with improved outcome.
Br J Surg 1999 ; 86 : 379-84.
4. Porter GA, Sosvohne CL,
Yakinets WW, Newman SC.
Surgeon related factors and
outcome in rectal cancer.
Ann Surg 1998 ; 227 : 157-67.
menté la survie : un concept généralement non admis par les oncologues. Enfin, il est possible
de reproduire à une grande échelle les résultats carcinologiques de la technique de TME, ce
qui était le but essentiel de cette étude.
La possibilité de diffuser la technique de TME est importante pour décider des nouvelles stratégies thérapeutiques des cancers du rectum, dans lesquelles on doit désormais tenir compte
de la formation du chirurgien. En effet, les résultats de cette étude reflètent l’acquisition d’une
compétence en chirurgie colorectale oncologique et sont conformes à de nombreux travaux
récents qui ont mis en évidence l’association entre bons résultats oncologiques et spécialisation chirurgicale ou nombre élevé de cas traités (4). L’originalité de l’étude suédoise est d’avoir
montré par quels moyens on pouvait atteindre ces résultats à partir d’une communauté de chirurgiens “généralistes”. On observe ainsi qu’en Suède, certains chirurgiens ont accepté de se
spécialiser dans le traitement des cancers colorectaux, alors que d’autres ont accepté d’abandonner cette partie de leur activité. Cette évolution, qui a inclu la formation par des chirurgiens
étrangers, la participation à des études et surtout l’évaluation des pratiques chirurgicales, a été
possible grâce à la rigueur du système de santé suédois. Ces résultats ne sont malheureusement pas extrapolables à d’autres pays, en particulier à la France, où la spécialisation colorectale n’existe pas et où les pratiques chirurgicales sont diversifiées, peu homogènes et surtout non évaluées.
Au total, même si cet article montre une diminution du nombre de récidives locales, une diminution des décès par cancer et une diminution du nombre de patients avec une colostomie définitive
dues aux changements de pratique chirurgicale dans la région de Stockholm, tant que de telles
compétences chirurgicales ne seront pas mises en œuvre dans notre pays, la radiothérapie préopératoire devra être discutée.
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