r Hémopathies malignes chez les sujets immunodéprimés dossier thématique Quels déficits immunitaires héréditaires faut-il rechercher lors du diagnostic de lymphome chez un adulte jeune ? Which primary immune deficiencies should be sought for when diagnosing lymphoma in a young adult? F. Touzot* génétiquement hétérogène de maladies prédisposant aux infections récurrentes, aux manifestations dysimmunitaires et, dans certains cas, à la survenue de néoplasies. Les hémopathies malignes lymphoïdes sont observées dans de nombreuses formes de DIP, surtout lorsque l’immunité cellulaire est compromise. La survenue d’un lymphome chez un adulte jeune, aux antécédents infectieux multiples avec des manifestations dysimmunitaires ou développementales, doit faire rechercher l’existence d’un DIP sous-jacent, surtout si l’hémopathie est associée à un virus à potentiel transformant. L’établissement de ce diagnostic peut avoir en effet des conséquences − parfois à très court terme − sur la prise en charge du malade. Mots-clés : Déficits immunitaires primitifs − Lymphome. L es déficits immunitaires primitifs (DIP) constituent un groupe génétiquement hétérogène de maladies affectant le développement et/ou la fonction des différentes composantes du système immunitaire inné et adaptatif. Les DIP sont, le plus souvent, des maladies monogéniques suivant un héritage mendélien, mais certains ont une origine plus complexe, polygénique. La pénétrance de la maladie, sa variabilité d’expression et les interactions entre facteurs génétiques et environnementaux contribuent également à la diversité phénotypique des DIP. À l’exception du déficit en IgA, toutes les formes de DIP sont rares avec une prévalence globale d’environ 1 pour 10 000 naissances vivantes. Ils sont caractérisés par une susceptibilité accrue aux infections − récurrentes et/ou graves − assortie d’une sensibilité particulière à divers types d’agents pathogènes en fonction de la nature du déficit immunitaire (1). Cependant, la susceptibilité aux infections n’est qu’un aspect d’un phénotype souvent plus complexe : manifestations dysimmunitaires, troubles Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013 Summary RÉSUMÉ »»Les déficits immunitaires primitifs (DIP) constituent un groupe Primary immunodeficiencies (PID) are a heterogeneous group of diseases characterized by a predisposition to recurrent infections, dysimmunity and neoplasia. Lymphoid malignancies occur in many forms of PID, especially when cellular immunity is compromised. The occurrence of lymphoma in a young adult with a history of multiple infectious events, dysimmunity, developmental defects or harbouring an oncogenic virus, should lead to investigate for an underlying PID. The diagnosis of PID associated to lymphoma has indeed a direct impact on the management of the patient. Keywords : Primary immunodeficiency – Lymphoma. développementaux, susceptibilité au développement de cancers. Cette prédisposition à la survenue d’une néoplasie − hématologique ou extra-hématologique − résulte de l’interaction entre les processus physiopathologiques inhérents à la maladie de base (défaut d’apoptose, maladie cassante), à un défaut d’immunosurveillance et, parfois, à la rencontre avec un virus transformant (figure, p. 126). Si, la plupart du temps, la survenue d’une néoplasie hématologique émaille le suivi d’un patient dont le DIP est déjà diagnostiqué, il est important de savoir évoquer une pathologie immunitaire sous-jacente devant certaines présentations de lymphome : adulte jeune, anamnèse infectieuse riche, antécédents de manifestations dysimmunitaires ou développementales, association à des virus transformants (virus Epstein-Barr [EBV], virus herpès humain 8 [HHV-8]). Le diagnostic d’un DIP chez un patient présentant un lymphome peut, en effet, avoir des conséquences, à court ou à long terme, sur la prise en charge du malade. * Biothérapie, hôpital Necker Enfants-Malades, Paris. 125 dossier thématique Altération génétique de gènes suppresseurs de tumeurs et d’oncogène Défaut d’apoptose (ALPS) Instabilité génétique (A-T) Lymphome Immunodéficience Altération de l’immuno-surveillance Virus transformant EBV HHV-8 Figure. Facteurs contribuant à la lymphomagenèse au cours du déficit immunitaire primitif. Dans la suite de cet article, les principaux DIP à évoquer devant la survenue d’un lymphome chez l’adulte jeune seront abordés (tableau). La liste des DIP évoqués cidessous est loin d’être exhaustive, un grand nombre n’étant encore pas formellement caractérisés sur le plan génétique. Il faut garder à l’esprit que tout déficit immunitaire combiné peut se compliquer éventuellement d’une néoplasie hématologique. Syndrome lymphoprolifératif lié à l’X de type 1 Le syndrome lymphoprolifératif lié à l’X de type 1 (XLP‑1), ou syndrome de Purtilo, est un déficit immunitaire primitif caractérisé par une vulnérabilité particulière vis-à-vis du virus EBV. Il est causé par des mutations dans le gène SH2D1A codant SAP (SLAM-associated protein), une protéine adaptatrice qui se lie au domaine intracellulaire des récepteurs de la famille SLAM exprimée dans les lymphocytes T, NK et NKT (2). La plupart des patients sont asymptomatiques avant de rencontrer l’EBV. Cependant, 20 % des sujets peuvent présenter des infections ORL et respiratoires à répétition révélant une hypogamma­globulinémie. La manifestation clinique la plus fréquente est le syndrome d’activation macrophagique (55 % des patients), le plus souvent induit par une primo-infection EBV, dont l’issue est généralement fatale. D’autres manifestations plus rares ont été rapportées, comme des aplasies médullaires, des vascularites, des granulomatoses lymphomatoïdes 126 Hémopathies malignes chez les sujets immunodéprimés pulmonaires ou des gastrites chroniques (3, 4). Environ 15 à 30 % des patients déficients en SAP présentent un lymphome comme première manifestation de la maladie avec un âge moyen au diagnostic de 15 ans (extrêmes : 2-40 ans). Les hémopathies lymphoïdes ne sont pas forcément associées à l’EBV, mais elles surviennent généralement plus tôt chez les patients infectés par l’EBV que chez les patients non infectés (2). La majorité des lymphomes sont de type B non hodgkiniens (LNH-B), avec 50 à 60 % de lymphomes de type Burkitt associés à l’EBV. D’autres variétés histologiques ont été décrites : LNH-B immunoblastique, LNH-B à grandes cellules (12 %), lymphome de Hodgkin (LH), lymphome T. La localisation iléo-cæcale est préférentielle, mais des atteintes cervicales, spinales ou cérébrales ont été décrites (3, 4). Les anomalies biologiques retrouvées chez les patients sont les suivantes : ✓✓ hypogammaglobulinémie, trait immunologique le plus fréquent (67 % des cas), nécessitant une substitution par immunoglobulines intraveineuses (IVIG) ; ✓✓ absence de cellules NKT ; ✓✓ cytotoxicité anormale des lymphocytes cytotoxiques spécifiques de l’EBV ; ✓✓ diminution de la cytotoxicité NK ; ✓✓ déficit de la mort cellulaire induite par réactivation. La cytométrie en flux offre un moyen rapide de dépistage des patients XLP-1 par la détection de l’expression intracytoplasmique de la protéine SAP (5). Le lien entre la déficience en SAP et la lymphomatogenèse n’est pas encore clairement établi. Il est possible que ce processus soit relié à la perte de la fonction pro-apoptotique de SAP dans les cellules T et B ainsi qu’à une altération de la surveillance antitumorale en lien avec l’absence de cellules NKT et les défauts de cytotoxicité NK et CD8+ observés chez ces patients (6). Syndrome lymphoprolifératif avec auto-immunité Le syndrome lymphoprolifératif avec auto-immunité (ALPS) est caractérisé par l’apparition précoce d’un syndrome tumoral bénin (splénomégalie, lymphadénopathie), d’une hypergammaglobulinémie polyclonale, de l’accumulation d’une population polyclonale de lymphocytes T matures TCRαβ CD4–CD8– (aussi appelés lymphocytes T double négatifs [DN]), d’une cytopénie multilignée auto-immune et d’un risque accru de lymphome (7). Dans les ALPS, l’homéostasie lymphocytaire est perturbée par un défaut de l’apoptose cellulaire médiée par le récepteur de surface Fas (ou CD95). La majorité des patients présentant un ALPS sont porteurs Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013 Quels déficits immunitaires héréditaires faut-il rechercher lors du diagnostic de lymphome chez un adulte jeune ? de mutations germinales hétérozygotes dominantes dans le gène TNFRSF6 codant Fas (ALPS-FAS). Fait intéressant, 10 à 15 % des patients présentent des mutations somatiques hétérozygotes dominantes de TNFRSF6 (ALPS-sFAS). Par ailleurs, des mutations germinales des gènes codant Fas ligand (Fas-L), les caspases 8 et 10, Tableau. Déficits immunitaires primitifs associés à la survenue d’un lymphome. Maladie Défaut génétique (transmission) Signes évocateurs SH2D1A (XL) Syndrome hémophagocytaire Splénomégalie Infections à répétition Hypogammaglobulinémie 67 % Déficit en lymphocytes NKT Phénotypage des NKT Mesure de la mort cellulaire par réactivation Marquage intracytoplasmique en cytométrie en flux LNHB, Burkitt majoritairement EBV+ Fréquence : 30 % Syndrome TNFRSF6 (AD) lymphoproAutres (RA) lifératif avec auto-immunité (ALPS) Syndrome tumoral Cytopénie autoimmune Hypergammaglobulinémie Excès de lymphocytes T TCRαβ + DN Élévation des lymphocytes T DN, de Fas-L, de l’IL-10 et de la vitamine B12 plasmatique LNH et LH Fréquence : 7 % Syndrome de Buckley Dysmorphie, scoliose, hyperlaxité Infections ORL et cutanées à pyogènes Hyperéosinophilie Hyper IgE Lymphopénie B mémoire Syndrome lymphopro­ lifératif lié à l’X de type 1 (XLP-1) STAT3 (AD) Anomalies immunologiques Explorations simples permettant d’orienter le diagnostic Type de lymphome Fréquence LNH B essentiellement Fréquence : 7 % Maladies cassantes Ataxie Télangiectasie ATM (AR) Ataxie Télangiectasie Anomalie pigmentation cutanée Infections récurrentes Lymphopénie T surtout CD4+ et CD4 naïfs Diminution des sous-classes IgG, absence d’IgA Cytogénétique sur lymphocytes : instabilité chromosomique spontanée ou induite (MMC), Test de sensibilité aux rayons X ou MMC sur fibroblastes LNH T et B Fréquence : 15 % Syndrome de Nijmegen NBS1 (AR) Microcéphalie Retard mental modéré Dysmorphie faciale Taches café au lait Lymphopénie T Hypo- ou agammaglobulinémie Cytogénétique sur lymphocytes : instabilité chromosomique spontanée ou induite (MMC), Test de sensibilité aux rayons X ou MMC sur fibroblastes LNH T et B Fréquence : 50 % WiskottAldrich WASP (XL) Eczéma Infections récurrentes Thrombopénie Lymphopénie T surtout CD4+ et CD4 naïfs Proliférations lympho­cytaires diminuées (mitogènes + antigènes) Hypergammaglobulinémie Diminution des réponses anticorps aux antigènes poly­ saccharidiques et protéiques Volume plaquettaire < 6 fl Marquage intracytoplasmique en cytométrie en flux (formes sans expression protéique) LNH B EBV+ Fréquence : 9 % Cartilage Hair hypoplasia (CHH) RMRP (RA) Nanisme – chondrodysplasie Cheveux fins et clairs Infections récurrentes Anémie/neutropénie Lymphopénie surtout CD4 Proliférations lympho­cytaires diminuées (mitogènes + antigènes) Ig variables Radiographies du squelette LNH Fréquence : 7% Infections respiratoires répétées Manifestations autoimmunes Atteinte granulo­ mateuse Lymphopénie surtout CD4 Lymphopénie B-mémoire Déficit Majoritairement Immunitaire non identifiées Commun (variable) Variable (DICV) LNH B Fréquence globale de 8 % mais variable selon le sous-groupe AD : autosomique dominant ; AR : autosomique récessif ; DN : doubles négatifs ; EBV : virus d’Epstein-Barr ; FACS : Fluorescence-activated cell sorting (cytométrie en flux) ; Ig : immunoglobuline ; LNH : lymphome non hodgkinien ; LH : lymphome de Hodgkin ; MMC : mitomycine C ; XL : liée à l’X. Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013 127 dossier thématique ainsi que les gènes NRAS et KRAS ont été identifiés chez un petit nombre de patients atteints du même syndrome (8). Les éléments caractéristiques du diagnostic biologique sont le nombre élevé de lymphocytes T TCRαβ+ CD4– CD8– DN ainsi que des taux plasmatiques élevés de Fas-L, d’interleukine 10 (IL-10) et de vitamine B12 (7). Les manifestations d’ALPS-FAS débutent dans les premières années de la vie, à 2,5 ans en moyenne. L’analyse de 17 cas français d’ALPS-FAS diagnostiqués à l’âge adulte a montré que 12 des 17 patients avaient présenté leurs premiers symptômes pendant l’enfance, les 5 autres patients étant devenus symptomatiques après l’âge de 16 ans (9). Des symptômes cliniques inhabituels et l’apparition de mutations somatiques de Fas étaient responsables du diagnostic tardif de ces patients. À l’âge adulte, les symptômes de l’ALPS peuvent être moins marqués, ce qui rend le diagnostic encore plus difficile pour des soignants non familiers des DIP. De nombreux diagnostics différentiels ont été évoqués dans les cas adultes : syndrome d’Evans, maladie de Castleman atypique, lymphadénopathie angioimmunoblastique ou maladie de Rosai-Dorfman. Au cours d’une étude observationnelle française menée sur 90 patients (8), il a été constaté la survenue de 7 cas de lymphomes ; l’âge médian de survenue était de 24,5 ans (extrêmes : 14-51 ans). Trois cas de LH ont été rapportés et 4 cas de LNH-B à grandes cellules, dont 1 lymphome EBV induit survenu sous traitement par immunosuppresseur. Il est intéressant de noter que la plupart des patients développant un lymphome sont porteurs d’une mutation impliquant la partie intracytoplasmique (en particulier le Death Domain) de Fas. Le processus de lymphomatogenèse pourrait résulter de la conjugaison d’une activation lymphocytaire B chronique, favorisée par l’augmentation de l’IL-10 circulante, du déficit d’apoptose et d’un défaut d’immuno-surveillance. Les autres anomalies notables sont une dysmorphie faciale (front proéminent, prognathisme ou rétrognathisme, traits grossiers), un retard à la chute des dents de lait, des anomalies osseuses (ostéopénie, craniosténose, scoliose), et une hyperextensibilité ligamentaire. Les principaux signes biologiques sont une hyperéosinophilie associée à un taux d’IgE sériques élevé. Le syndrome de Buckley est causé par des mutations hétérozygotes du gène STAT3 avec effet dominant négatif (11). STAT3 est une molécule assurant la transduction du signal en aval de récepteurs de facteurs de croissance et de cytokines (dont gp130, récepteur aux cytokines de la famille IL-6). Les patients STAT3-déficients présentent un déficit en lymphocytes TH17 produisant de l’IL-17A et de l’IL-22, ainsi qu’une diminution des lymphocytes B mémoires CD27+ circulants (12). Dans une étude de cohorte française menée sur 60 patients STAT3déficients (10), l’âge moyen au diagnostic était de 17 ans (extrêmes : 1 mois- 46 ans). La variabilité clinique était considérable entre les individus portant la même mutation et cela jusques et y compris au sein d’une même famille. Quatre patients de la cohorte (7 %) ont présenté un LNH au cours du suivi avec un âge moyen de début de 21 ans (extrêmes : 8-34 ans), 2 cas de lymphome de Burkitt (1 forme disséminée et 1 forme localisée), 1 cas de lymphome anaplasique diffus ALK-négatif, et 1 lymphome B à grandes cellules. Aucune association avec l’EBV n’a été observée. Vingt-deux cas avaient été rapportés précédemment dans la littérature avec un âge de début comparable : 6 lymphomes T, 12 lymphomes B et 4 LH. La plupart n’étaient pas associés à l’EBV. STAT3 étant un oncogène impliqué dans le développement d’hémopathies malignes et de néoplasies diverses (13), la survenue d’un lymphome chez les patients STAT3déficients est paradoxale et reste à ce jour sans explication physiopathologique claire. Syndrome de Buckley ou syndrome hyper-IgE autosomique dominant Maladies “cassantes” Le syndrome hyper-IgE est un DIP complexe décrit pour la première fois par S. Davis et al. en 1966 sous le nom de “syndrome de Job”, puis par R.H. Buckley en 1972, qui avait noté pour la première fois son association à un taux plasmatique d’IgE très élevé. Ce syndrome, de transmission autosomique dominante, confère une immunodéficience sélective accompagnée d’une susceptibilité aux infections cutanées et pulmonaires à bactéries pyogènes (staphylocoque doré, pneumocoque et Haemophilius influenzae essentiellement), ainsi que des candidoses cutanéo-muqueuses chroniques (10). 128 Hémopathies malignes chez les sujets immunodéprimés Le cadre des maladies “cassantes” regroupe l’ensemble des pathologies héréditaires caractérisées par un défaut de réparation de l’ADN. Ces pathologies sont souvent évoquées devant la triade atteinte neurologique − microcéphalie et/ou ataxie cérébelleuse − déficit immunitaire et prédisposition au cancer. Des anomalies cutanées comme des taches dépigmentées, une hyperpigmentation, ou encore des taches café au lait sont souvent associées. Le spectre phénotypique peut cependant être très variable pour une même maladie et pour un même type de mutation. Les étiologies moléculaires sont nombreuses et impliquent des facteurs Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013 Quels déficits immunitaires héréditaires faut-il rechercher lors du diagnostic de lymphome chez un adulte jeune ? intervenant dans diverses voies de réparation de l’ADN, signalisation des dommages à l’ADN, réparation des cassures doubles brins d’ADN ou réparation des ponts interbrins d’ADN. L’ataxie-télangiectasie (AT) est l’exemple type de maladie cassante avec une fréquence d’environ 1 pour 100 000 enfants (14). Elle associe dans sa forme typique un déficit combiné portant surtout sur l’immunité humorale, une ataxie cérébelleuse progressive, des télangiectasies cutanéo-muqueuses, et un risque accru de cancers. L’AT est une maladie récessive autosomique due à la mutation du gène ATM codant une protéine kinase ubiquitaire qui joue un rôle clé dans le contrôle de la réparation des cassures doubles brins de l’ADN. Des formes variantes plus rares ont été décrites, liées à des mutations dans d’autres facteurs de réparation. Il s’agit de mutations de MRE11 donnant un syndrome AT-like, ou de NBS1 responsable du syndrome de Nijmegen caractérisé par une microcéphalie majeure (15, 16). Le diagnostic de maladie cassante peut être fortement suspecté par des dosages sériques (alpha-fœtoprotéine élevée dans l’AT), des tests cytogénétiques (test de cassures, translocations spontanées 7-14 caractéristiques) ou des tests plus complexes de radiosensibilité sur fibroblastes. Dans l’AT, le risque de lymphome, essentiellement LNH, est accru de 250 à 750 fois par rapport à la population générale avec un risque d’hémopathie lymphoïde T 4 à 5 fois plus important que celui d’hémopathie B (17). Seuls 11 cas de LH ont été décrits sur une série de 412 patients atteints d’AT. L’instabilité génomique est l’acteur prépondérant de la lymphomagenèse dans ce groupe de pathologies. Il est crucial de pouvoir évoquer le diagnostic rapidement car la radiothérapie et certaines chimiothérapies (alkylants) doivent être utilisées avec prudence du fait de la radiosensibilité. Déficit immunitaire commun variable Le déficit immunitaire commun variable (DICV) est un cadre nosologique regroupant des DIP caractérisés par un défaut de production d’anticorps et une hypogammaglobulinémie. Le terme DICV n’est en rien un diagnostic. Il englobe un groupe hétérogène de maladies qui ont cependant des caractéristiques cliniques communes : infections ORL et respiratoires récurrentes, manifestations auto-immunes, atteinte granulomateuse et syndrome lymphoprolifératif (18). Si certaines causes génétiques de DICV ont été identifiées (ICOS, TACI, BAFF-R et CD19, par exemple), la plupart des patients restent sans diagnostic moléculaire précis. Les anoma- Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. VIII - n° 3 - Mai-juin 2013 lies immunologiques les plus fréquentes, en dehors de l’hypogammaglobulinémie, sont un défaut de cellules B-mémoires et une diminution des lymphocytes T CD4 (18). Dans une cohorte américaine (n = 473), 8,2 % des patients ont présenté une hémopathie lymphoïde. Il s’agissait essentiellement de LNH-B (33 cas sur 39), avec une prédominance féminine. Les lymphomes observés dans les DICV sont généralement extraganglionnaires, de type B, et le plus souvent EBV négatifs (19). La gravité clinique, infectieuse, dysimmunitaire et proliférative du DICV est liée à la profondeur du déficit immunitaire combiné (DIC). Ainsi, parmi les 313 patients de la cohorte française DEFI, 28 sujets (8,9 %) présentaient un DIC profond défini par la survenue d’une infection opportuniste et/ou un taux de CD4 inférieur à 200/mm3 (20). Cette population de patients, plus fréquemment issus d’unions consanguines, présente une fréquence accrue de splénomégalie (64 % versus 31 %), d’atteinte granulomateuse cutanée (43 % versus 10 %), de pathologie gastro-intestinale (75 % versus 42 %) et de lymphome (29 % versus 4 %). Dans ce sous-groupe, 5 patients ont présenté des lymphomes. Trois de ces 5 lymphomes étaient associés à l’EBV, 2 étaient des LNH et le dernier était un LH. Les lymphomes non liés à l’EBV étaient des LNH-B et -T. Quatre lymphomes ont été diagnostiqués plus de 2 ans après le premier symptôme évocateur d’une hypogammaglobulinémie. L’âge moyen de survenue était de 30 ans (extrêmes : 17-62 ans). Syndrome de Wiskott-Aldrich Le syndrome de Wiskott-Aldrich est un DIP rare caractérisé par une triade associant une thrombopénie à petites plaquettes (< 6 fl), un eczéma et un déficit immunitaire combiné entraînant des infections récurrentes. Le syndrome est causé par des mutations hémizygotes du gène WAS (Xp11.22-23), codant la protéine Was (ou WASP [Wiskott-Aldrich Syndrome Protein]) [21]. Cette protéine est exprimée exclusivement dans les cellules hématopoïétiques et joue un rôle majeur dans la polymérisation de l’actine, la réorganisation du cytosquelette, la transduction du signal et l’apoptose (22). Les mutations dans le gène WAS conduisent à un large éventail de phénotypes (23), allant d’une forme bénigne − la thrombocytopénie liée à l’X −, à l’archétype sévère du syndrome de Wiskott-Aldrich. Le déficit immunitaire est caractérisé par une lymphopénie progressive de gravité variable. Les proliférations lymphocytaires T sont diminuées en réponse aux mitogènes et antigènes vaccinaux. Sur le plan humoral, les taux d’IgG sont normaux ou élevés, avec une élévation des IgA et des IgE. 129 thématique La réponse anticorps aux antigènes polysaccharidiques et aux antigènes conjugués est le plus souvent diminuée (21). L’incidence de survenue d’une néoplasie chez les patients présentant une mutation de WAS est de 13 à 22 % (24), avec une incidence de 9 % de lymphomes, le plus souvent LNH-B EBV+ bien que des LH aient été déjà rapportés. Un défaut prépondérant de cytotoxicité lymphocytaire par anomalie de polarisation des granules cytotoxiques pourrait jouer un rôle prépondérant dans le processus de lymphomagenèse (25). Syndrome de Cartilage Hair Hypoplasia L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Le syndrome de Cartilage Hair Hypoplasia (CHH) est une maladie autosomique récessive rare causée par des mutations dans le gène RMRP, qui code le composant ARN du complexe ribonucléoprotéique endonucléase mitochondrial. Les mutations de RMRP conduisent à un large spectre d’anomalies : un nanisme lié à une chondrodysplasie métaphysaire, des cheveux clairsemés, des anomalies hématologiques (anémie macrocytaire par dysérythropoïèse, neutropénie), un déficit immunitaire combiné, une incidence accrue de maladie de Hirschsprung et des tumeurs malignes, en particulier des carcinomes basocellulaires et des LNH (26). Les anomalies immunologiques sont caractérisées par une lymphopénie T, essentiellement CD4, avec une diminution des proliférations lymphocytaires T en réponse aux mitogènes. La réponse humorale est le plus souvent normale, même si la prolifération lymphocytaire B est diminuée in vitro. Dans une cohorte de 123 patients finlandais atteints du syndrome de CHH, 9 ont présenté des LNH (7 %), ce qui atteste d’un risque accru de 90 fois par rapport à celui de la population générale finnoise. Les deux tiers des cas ont été diagnostiqués chez de jeunes adultes, âgés de 15 à 49 ans. Conclusion La survenue d’un lymphome chez un patient présentant un DIP résulte de la combinaison entre un défaut d’immuno-surveillance, le risque représenté par les virus à potentiel transformant et la physiopathologie de la maladie de base. Il est important d’évoquer la possibilité d’un DIP sous-jacent lors de la survenue d’un lymphome chez un adulte jeune. D’une part, l’association DIPlymphome n’est pas aussi rare que l’on peut le croire, et, d’autre part, le diagnostic de DIP chez un patient a une répercussion immédiate sur sa prise en charge médicale. La liste des déficits immunitaires abordés ci-dessus est loin d’être exhaustive, car de nombreux DIP restent non caractérisés, soit parce qu’ils relèvent de variants hypomorphes de maladies déjà connues, soit parce qu’ils relèvent d’étiologies moléculaires encore non caractérisées. Il est enfin important de garder à l’esprit que la connaissance des mécanismes physiopathologiques des DIP associés à la survenue d’un lymphome présente également un grand intérêt pour la compréhension des phénomènes sous-tendant la lymphomagenèse. ■ Références 1. Al-Herz W, Bousfiha A, Casanova JL et al. Primary immuno- deficiency diseases: an update on the classification from the international union of immunological societies expert committee for primary immunodeficiency. Front Immunol 2011;2:54. 2. Latour S, Veillette A. Molecular and immunological basis of X-linked lymphoproliferative disease. Immunol Rev 2003;192:212-24. 3. Booth C, Gilmour KC, Veys P et al. X-linked lymphoprolife- 9. Lambotte O, Neven B, Galicier L et al. Diagnosis of autoimmune lymphoproliferative syndrome caused by FAS deficiency in adults. Haematologica 2013;98(3):389-92. 10. Chandesris MO, Melki I, Natividad A et al. 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