Transplantation rénale Dossier thématique Facteurs de risque cardio-vasculaire non traditionnels en transplantation rénale Nontraditional cardiovascular risk factors after renal transplantation »»Les facteurs de risque cardio-vasculaire traditionnels n’expliquent pas entièrement le risque accru d’événements athéromateux des transplantés rénaux. Une plus grande fréquence de facteurs de risque dits non traditionnels, tels que l’insuffisance rénale ou des anomalies acquises des réponses immunitaires, pourrait rendre compte de cet excès de risque. Summary Résumé D. Ducloux* Mots-clés : Risque cardio-vasculaire – Homocystéine – Inflammation – Lymphopénie T CD4. L * Service de néphrologie, dialyse et transplantation rénale, hôpital Saint-Jacques, CHU de Besançon ; Inserm, UMR645 Inserm/ EFS/UFC, Besançon ; université de Besançon, IFR133, Besançon. 20 Traditional cardiovascular risk factors do not entirely explain the excess in cardiovascular risk observed in renal transplant recipients. Some frequent nontraditional cardiovascular risk factors, such as renal failure and abnormal immune responses, could explain the increased risk of atherosclerotic disease after transplantation Keywords: Cardiovascular risk – Homocysteine – Inflammation – CD4 T cell lymphopenia. es facteurs de risque cardio-vasculaire traditionnels sont les mieux connus et sont couramment utilisés au sein de la population générale dans différents types d’algorithmes de risque, additionnels ou exponentiels (www.hassante.fr/portail/upload/docs/ application/pdf/Risque_cardio_vasculaire_rap.pdf ). Néanmoins, les algorithmes de risque fondés sur les facteurs de risque traditionnels, tel que celui issu de Framingham, sont peu ou mal validés en transplantation rénale. Kasiske et al. (1) ont montré que l’équation de Framingham permettait de prédire le risque coronarien, mais avec un certain degré de sous-estimation. Dans une étude plus récente (2), nous avons montré que cet excès non mesuré du risque était restreint à une faible proportion de patients cumulant ces facteurs de risque traditionnels. La sous-estimation du risque cardio-vasculaire par les algorithmes de risque conventionnels peut avoir deux explications : ✓✓ un poids différent des facteurs de risque traditionnels dans la population générale et dans la population des transplantés rénaux ; ✓✓ une prévalence accrue d’autres facteurs de risque, non traditionnels, qui ne sont pas pris en compte par les algorithmes classiques. Cette seconde hypothèse est étayée par le fait que ces facteurs de risque non traditionnels seraient présents en excès chez les patients ayant un risque cardio-vasculaire sous-estimé par l’équation de Framingham (2). Ces nouveaux et très nombreux facteurs de risque pourraient participer à l’augmentation du risque cardio-vasculaire chez les transplantés rénaux. Cependant, si plusieurs études s’y sont intéressées, les preuves de leur responsabilité effective dans l’augmentation du risque cardiovasculaire des transplantés restent faibles. Cet article résume l’état des connaissances sur la contribution des principaux facteurs de risque non traditionnels dans les pathologies cardio-vasculaires survenant après transplantation rénale. Insuffisance rénale De nombreuses études menées au sein de la population générale (3, 4) ont montré qu’une réduction même modérée du débit de filtration glomérulaire (DFG) augmentait le risque d’événement coronarien. Des résultats similaires ont été rapportés en transplantation rénale (5, 6). Compte tenu de la prévalence d’une Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 1 - janvier-février-mars 2011 Facteurs de risque cardio-vasculaire non traditionnels en transplantation rénale réduction significative du DFG après transplantation, il est probable que l’insuffisance rénale joue un rôle majeur dans l’excès de risque cardio-vasculaire des patients transplantés. Les relations entre insuffisance rénale et athérosclérose sont complexes et impliquent une multitude de mécanismes (figure 1). Il est intéressant de noter que la plupart des facteurs de risque non traditionnels suspectés de jouer un rôle en transplantation sont modifiés par l’existence d’une diminution du DFG. C’est le cas du stress oxydant, des diméthylarginines asymétriques (7) et, surtout, de l’hyperhomocystéinémie, qui a été le plus étudié de ces facteurs de risque après transplantation. Homocystéine Stress oxydatif Métabolisme phosphocalcique Calcifications vasculaires athérosclérose Figure 1. L’insuffisance rénale participe par différents mécanismes à la progression de l’athérosclérose. Homocystéine L’homocystéine est un acide aminé formé à partir de la méthionine au cours d’une réaction de transméthylation, et qui peut être retransformé en méthionine après une étape de reméthylation dépendant des vitamines B9 et B12 (8). L’homocystéine aurait un effet toxique direct sur les cellules endothéliales et diminuerait la capacité de synthèse de NO à l’origine d’une dysfonction endothéliale (8). L’homocystéine a d’autres effets proathérogènes, dont l’augmentation de l’oxydation des particules de cholestérol LDL, un effet procoagulant et l’induction d’une prolifération des cellules musculaires lisses vasculaires (8). Plusieurs études ont montré que l’hyperhomocystéinémie était un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant dans la population générale (9-11). En revanche, les études interventionnelles n’ont pas montré d’efficacité de la baisse de l’homocystéine sous vitamine B9 sur la survenue d’événements cardio-vasculaires (12). L’homocystéine plasmatique s’élève au cours de l’insuffisance rénale (13). Ainsi, les dialysés ont des taux constamment élevés d’homocystéine, compris entre 20 et 50 µmol/l (14). Une hyperhomocystéinémie, le plus souvent modérée, est retrouvée chez 70 % des transplantés rénaux (15) ; plusieurs études montrent qu’elle participe à l’augmentation de l’incidence des événements coronariens et augmente le risque de décès (16, 17). Contrairement à ce qui est observé chez les patients dialysés (18), la supplémentation en vitamine B9 normalise l’homocystéine chez la majorité des patients transplantés (19). Récemment, l’étude FAVORIT (Folic Acid for Vascular Outcome Reduction In Transplantation ; http://www.cscc.unc.edu/favorit/ favdescrip.htm), qui visait à déterminer si la réduction des taux d’homocystéine par de fortes doses de vitamine B permettait de diminuer l’incidence des Dysfonction endothéliale Insuffisance rénale Inflammation événements athéromateux chez le transplanté rénal, a montré que, comme dans la population générale, la supplémentation en vitamine B n’était associée à aucune diminution des événements cardio-vasculaires chez les transplantés. Par conséquent, ni la recherche d’une hyperhomocystéinémie ni son traitement ne sont recommandés chez le transplanté rénal (20). Inflammation La plaque d’athérome est le siège d’une réaction inflammatoire, dont l’agent initiateur le plus important est le cholestérol LDL (lipoprotéines de faible densité) sous une forme oxydée (LDL oxydées). Différents arguments étayent l’hypothèse déjà ancienne faisant de l’athérosclérose une maladie inflammatoire (21). L’analyse histologique de la plaque d’athérome, l’utilisation des modèles animaux explorant l’immunité innée et adaptative, le rôle particulier de différentes cytokines et, enfin, les études épidémiologiques (22) ont montré le rôle de la réponse immunitaire dans l’initiation et la progression de la maladie athéromateuse (figure 2, p. 22). Ainsi, de nombreux travaux ont montré que l’élévation de la protéine C réactive (CRP) était un facteur de risque indépendant de complications coronariennes dans la population générale (23) et chez les dialysés (2426). Nous avons montré que l’élévation de la CRP était fréquente chez les patients transplantés et contribuait de façon indépendante à la survenue de complications coronariennes (2). Nous avons également étudié le rôle de TLR-4 (Toll-Like Receptor-4) dans l’athérosclérose post- Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 1 - janvier-février-mars 2011 21 Transplantation rénale Dossier thématique prévention de la maladie coronarienne dans la population générale (30). Th3 Tr1 CD4+ CD25+ TGF-β Th2 LyB IL-18 IL-10 Th0 IL-12 Th1 NK Plasmocytes La transplantation induit un véritable état thrombophilique acquis (31). Les immunosuppresseurs, les infections virales (29) et l’arrêt des antiagrégants dans les premières semaines suivant la transplantation contribuent à cette condition prothrombotique (32, 33). DC oxLDL IFN-γ IgG anti-oxLDL Thrombophilie acquise + Macrophages EC Cytomégalovirus (CMV) CML Effet antiathérogène Effet proathérogène Les LDL oxydées sont reconnues par des PRR à la surface des macrophages et des cellules dendritiques (DC). L’IL-18 et l’IL-12, produites par les DC, agissent de façon synergique sur les lymphocytes de type 1 et les cellules NK. Ces cellules produisent de l’IFN-γ dont l’action est proathérogène. L’action des lymphocytes de type 2 est plus ambivalente. Ils aggravent l’athérosclérose via l’augmentation de l’expression de VCAM-1 et MCP-1, mais pourraient avoir une action antiathérogène via la production, par les plasmocytes, d’IgG anti-LDL oxydées dépendante de l’activation des lymphocytes de type 2. Les T-reg inhibent les voies Th1 et Th2 et ont donc une action antiathérogène. CML : cellules musculaires lisses. Figure 2. Schéma simplifié des effets des différentes voies de polarisation des lymphocytes TCD4 sur la plaque d’athérome. transplantation. Les TLR sont des récepteurs transmembranaires impliqués dans la reconnaissance des agents pathogènes. Ainsi, TLR-4 est le récepteur du lipopolysaccharide (LPS) ; il peut aussi se lier à des ligands endogènes (DAMP) [27] ou exogènes (PAMP), activant alors l’immunité innée. Récemment, 2 polymorphismes de TLR-4 aboutissant à des substitutions d’un acide aminé dans le domaine extracellulaire et conduisant à des modifications fonctionnelles du récepteur ont été découverts (28). Nous avons montré que ces défauts de la signalisation TLR-4 diminuaient le développement et/ou les complications de l’athérosclérose après transplantation (29), ce qui confirme le rôle de l’immunité et de l’inflammation dans l’athérosclérose post-transplantation. Néanmoins, il n’existe pas de recommandations officielles sur la prise en charge de la micro-inflammation comme facteur de risque cardio-vasculaire. Certains traitements, largement utilisés dans la prévention du risque cardiovasculaire comme les statines ou l’aspirine, peuvent cependant diminuer la CRP ; or, la réduction de la CRP sous statines est corrélée à l’importance de la 22 Malgré l’utilisation de plus en plus répandue des traitements antiviraux préventifs, l’infection à CMV reste fréquente après transplantation. Le CMV a un tropisme particulier pour les cellules endothéliales, et les mécanismes des lésions endothéliales induites par le CMV ont été bien décrits (33, 34). In fine, le CMV transforme le phénotype anticoagulant des cellules endothéliales en phénotype procoagulant. Par ailleurs, dans des modèles animaux, le virus de Marek, proche du CMV humain, induit des lésions athéromateuses qui sont prévenues par une vaccination spécifique (35). L’infection par le CMV a été impliquée dans la récidive d’événements coronariens chez des patients ayant reçu un stent intracoronaire (36), et également dans la maladie coronarienne du greffon cardiaque (37, 38). L’infection à CMV pourrait également influencer la mortalité globale (39) et cardio-vasculaire (40) après transplantation rénale. Cependant, nous ne disposons actuellement d’aucune donnée concernant l’impact des prophylaxies antivirales sur l’évolution des maladies coronariennes après transplantation rénale. Utilisation des globulines antilymphocytaires polyclonales et lymphopénie T CD4 persistante Les globulines antilymphocytaires (ATG) sont utilisées en prévention lors des traitements d’induction, mais aussi lors du traitement du rejet aigu en greffe d’organe (41-43). Les ATG sont à l’origine d’une élimination brutale et majeure des lymphocytes T CD4, dont le pool se reconstitue ensuite progressivement. Néanmoins, une lymphopénie T CD4 peut persister durant plusieurs années chez certains patients (environ 20 %) [44). Nous avons Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 1 - janvier-février-mars 2011 Facteurs de risque cardio-vasculaire non traditionnels en transplantation rénale montré que la lymphopénie T CD4 persistante (en utilisant le seuil de 300/mm3 en référence au suivi immunologique des patients infectés par le VIH) après ATG était associée à des complications évocatrices de surimmunosuppression, telles que les cancers (45, 46) et les infections opportunistes (45). Nous avons également rapporté que l’existence d’une lymphopénie T CD4 prolongée était un facteur de risque indépendant de complications athéromateuses (47) et, plus récemment, un facteur prédictif de mortalité, en particulier d’origine cardio-vasculaire (48). Ce résultat s’intègre difficilement dans le modèle classique de l’immunologie de la plaque d’athérome, où les lymphocytes T CD4 joueraient plutôt un rôle proathérogène (1). En effet, chez les souris génétiquement susceptibles de développer des lésions athéromateuses (souris déficientes en apolipoprotéine E) et rendues par ailleurs immunodéficientes par croisement avec des souris SCID, le transfert de lymphocytes T CD4 rétablit des lésions athéromateuses similaires à celles observées chez les souris ApoE immunocompétentes (49). Des résultats préliminaires obtenus dans notre laboratoire montrent que, dans un contexte d’allogreffe, la déplétion des lymphocytes T CD4 par un anticorps monoclonal anti-CD4 réduit de façon majeure les lésions d’athérosclérose chez cette même souris ApoE (figure 2). Plusieurs explications peuvent rendre compte de la discordance entre les modèles animaux et nos observations chez les patients transplantés rénaux, et ainsi expliquer l’association entre lymphopénie T CD4 et athérosclérose chez l’homme. Les patients lymphopéniques ont un syndrome inflammatoire plus marqué, comme en témoignent leurs concentrations sériques de CRP plus élevées (48). Ce syndrome inflammatoire favoriserait l’athérogenèse. Selon une autre hypothèse, le déficit immunitaire résultant de la lymphopénie T CD4 pourrait favoriser la survenue d’infections occultes contribuant au syndrome inflammatoire et à la progression de l’athérosclérose. Une explication alternative consiste à considérer les lymphocytes T CD4 comme une population hétérogène regroupant des lymphocytes T CD4 pro-inflammatoires proathérogènes comme les lymphocytes T CD4 de type 1 (produisant du TNF-α [Tumor necrosis factor-α] et de l’IFN-γ [interféron-γ]) ou Th17 (produisant de l’IL-17), et des lymphocytes T CD4 anti-inflammatoires antiathérogènes comme les lymphocytes T régulateurs (50). La lymphopénie T CD4 après ATG toucherait donc principalement les lymphocytes T CD4 régulateurs antiathérogènes au profit des lymphocytes T CD4 proathérogènes. La reconstitution se ferait au détriment des lymphocytes T régulateurs. La dernière hypothèse, liée à l’origine de la lymphopénie, suppose que l’ATG induit une sénescence accélérée du système immunitaire. Après déplétion, les lymphocytes T peuvent être générés selon 2 mécanismes majeurs : une production accrue par le thymus (thymopoïèse), ou une expansion clonale en rapport avec une prolifération homéostatique des lymphocytes T épargnés par l’ATG. L’activité thymique peut être analysée par la quantification des cercles d’excision d’ADN générés lors du réarrangement de la chaîne alpha du TCR ; les TREC (TCR rearrangement excision circles) peuvent être mesurés par PCR dans les lymphocytes T périphériques et leur quantification reflète l’activité thymique (51, 52). Nous avons récemment montré l’importance de la fonction thymique (mesurée par le nombre de TREC) dans la reconstitution lymphocytaire qui suit la déplétion induite par les ATG (48). Dans cette étude, la quantité de TREC avant transplantation était en effet prédictive du nombre de lymphocytes T CD4 circulants 1 an et 2 ans après l’administration d’ATG. Un autre phénomène associé à l’utilisation des ATG serait lié à la technique de production des anticorps polyclonaux. Les ATG, produits soit à partir d’extraits thymiques soit à partir de cellules lymphocytaires Jurkat, reconnaissent en effet différentes structures antigéniques et sont probablement capables de reconnaître et de détruire les cellules thymiques stromales qui participent à la thymopoïèse. Chez les patients ayant une fonction thymique déjà altérée, l’administration d’ATG aboutirait à une involution thymique accélérée ne permettant plus la reconstitution du pool de lymphocytes T CD4 naïfs. Les conséquences de l’immunosénescence (c’est-à-dire l’incapacité de produire des lymphocytes T naïfs) ont été bien décrites (52, 53) : différents aspects (augmentation des lymphocytes T produisant de l’interféron-γ ; élévation des concentrations sériques d’IL-6 et de TNF-α à l’origine d’un état inflammatoire ; déficit fonctionnel des lymphocytes B) sont retrouvés chez les patients transplantés lymphopéniques qui pourraient contribuer à une athérosclérose accélérée. Conclusion De nombreuses études épidémiologiques suggèrent l’intervention de facteurs de risque non traditionnels dans l’augmentation du risque cardio-vasculaire des transplantés rénaux. Certains ne sont pas particuliers à cette population, mais ils sont retrouvés avec Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 1 - janvier-février-mars 2011 23 Transplantation rénale Dossier thématique une forte prévalence après transplantation. D’autres, en rapport avec l’immunosuppression et ses conséquences, sont plus spécifiques du transplanté. Il est néanmoins nécessaire d’attendre les résultats d’études interventionnelles avant d’intégrer ces facteurs de risque dans la pratique courante. ◾ Références bibliographiques ischemic heart disease risk after renal transplantation. J Am Soc Nephrol 2000;11:1735-43. 2. Ducloux D, Kazory A, Chalopin JM. Predicting coronary heart disease in renal transplant recipients: a prospective study. Kidney Int 2004;66:441-7. 3. Ruilope LM, Salvetti A, Jamerson K et al. Renal function and intensive lowering of blood pressure in hypertensive participants of the hypertension optimal treatment (HOT) study. J Am Soc Nephrol 2005;12:218-25. 18. D ucloux D, Aboubak r A, Motte G et al. Hyperhomocysteinaemia therapy in haemodialysis patients: folinic versus folic acid in combination with vitamin B6 and B12. Nephrol Dial Transplant 2002;17:865-70. 19. 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