CABINET Nausée et vomissements Partie I M. Pirovino a, A. Straumann b Introduction a b Medizinische Klinik, Kantonsspital Olten Gastroenterologische Konsiliarpraxis, Olten Correspondance: Pr M. Pirovino Medizinische Klinik Kantonsspital CH-4600 Olten La nausée et les vomissements doivent être considérés, au même titre que la toux et la sensation de douleur, comme des réflexes complexes de protection de l’organisme contre des influences internes et externes nocives. Envisagée d’un point de vue téléologique, la nausée permet d’éviter l’ingestion de substances potentiellement nocives, alors que le vomissement permet l’évacuation de produits alimentaires déjà ingérés hors du tractus gastrointestinal supérieur. La nausée est éprouvée comme sensation extrêmement désagréable et pénible, le vomissement est par contre fréquemment ressenti comme processus libérateur. Pendant la grossesse, le vomissement représente un mécanisme de protection pour la mère et l’enfant. Les vomissements sont les plus prononcés dans la phase la plus sensible de l’organogénèse embryonnaire en ce qui concerne les influences chimiques. Plusieurs études épidémiologiques Tableau 1. Vomissements: délimitations et définitions. Reflux gastro-œsophagique (lat. fluxus = écoulement) Reflux acide d’acide et de contenu acide de l’estomac dans l’œsophage. Implique une insuffisance du sphincter inférieur de l’œsophage. Régurgitation (lat. gurges = gorge) Expulsion de contenu gastrique ou œsophagien sans nausée et sans contractions abdomino-diaphragmiques. Implique une relaxation ou une insuffisance cricopharyngique. Eructation (lat. ructus = roter, éructer) Evacuation rétrograde passive d’air parvenu dans l’estomac. Rumination (lat. rumen = ventre ou œsophage, ruminatio = rumination) Retour des aliments de l’estomac dans la bouche pour les mâcher à nouveau avant de les avaler définitivement. Singultus (lat. singultus = hoquet) Contraction involontaire et spastique de la musculature inspiratoire avec occlusion simultanée de la glotte, la plupart du temps de courte durée et provoquée par la déglutition de bouchées insuffisamment mâchées. Contractions musculaires (allem. Würgen, angl. retching) Contractions pénibles et rythmiques de la musculature respiratoire contre la glotte fermée; précède souvent le vomissement. Swiss Medical Forum Nr. 1/2 10 janvier 2001 15 ont apporté la preuve que les femmes souffrant des vomissements pendant la grossesse présentent un risque de fausse-couche spontanée plus faible que les femmes souffrant seulement de nausées [1] (Tableau 1). Le terme de «nausea» est étymologiquement issu du terme grec «naus», nef ou navire, et a sans doute signifié d’abord «mal de navire» ou mal de mer. La nausée correspond à une sensation subjective et ne peut être réalisée dans le modèle animal. La nausée peut être décrite comme «une sensation désagréable, située surtout dans la partie supérieure du tractus gastrointestinal, associée au besoin de vomir». Pathophysiologiquement parlant, elle est caractérisée par une diminution de l’activité motrice de l’estomac, par un tonus duodénal plus élevé et par un reflux du contenu du duodénum dans l’estomac, et elle est accompagnée de symptômes qui sont l’expression d’une activation des systèmes nerveux sympathiques et parasympathiques (sueurs froides, pâleur, tachycardie resp. bradycardie, dilatation pupillaire, augmentation de la salivation, éventuellement hypotension). Les mécanismes qui sont à l’origine de la nausée ne sont que peu connus. On admet en règle générale qu’un stimulus provoquant une nausée conduit à des vomissements s’il est d’une intensité resp. d’une durée suffisante. Des études récentes à l’aide de EEG resp. de MSI (magnetic source imaging) indiquent que des régions corticales spécifiques pourraient être impliquées dans l’origine des nausées. Une activation neurale spécifique d’une surface de 2 à 3 cm dans la zone du gyrus frontal inférieur par des stimuli nauséogènes qualitativement et quantitativement différents a pu ainsi être établie [2]. Nous devons pour une grande part les connaissances actuelles concernant les processus complexes des vomissements à des études expérimentales sur les animaux. Alors que jusqu’en 1980 environ, il s’agissait surtout d’expériences réalisées sur des chats, le furet s’est révélé au cours de ces dernières années un modèle de grande valeur. En ce qui concerne les vomissements, il est intéressant de constater en partie de très grandes différences entre différentes espèces d’animaux. On prétend que les rongeurs, et en particulier les lapins, sont incapables de vomir, et que chez les espèces animales qui ne vomissent pas, des aversions conditionnées à des goûts et des désirs étranges en matière d’alimentation (Pica) sont à considérer comme en corrélation (protectrice) avec la nausée [3]. Certaines espèces de singes semblent ne pas vomir, même après absorption de doses sublétales d’apomorphine. Chez de nombreuses autres espèces animales par contre, qui vont des poissons à certaines espèces de crocodiles, le réflexe de vomir est très bien étudié et devrait revêtir une signification essen- CABINET Tableau 2. Suites et complications du vomissement. Œsophago-gastriques Lésion de Mallory-Weiss (Lacérations au niveau de la zone entre œsophage et estomac) Métaboliques Alcalose métabolique Syndrome de Boerhaave (rupture œsophagienne) Hypokaliémie Hyponatrémie Malnutrition Thérapeutiques Impossibilité de prise de médicaments par voie orale Pulmonaires Laryngo- et bronchospasme Refus d’une chimiothérapie potentiellement curative Pneumonie de déglutition Pneumonie bactérielle (surtout anérobiens) ARDS Cardio-vasculaires Troubles du rythme cardiaque Musculosquelettaires Myalgies (douleurs musculaires) Fractures pathologiques tielle pour la survie individuelle en fonction des différents comportements de chasse. Ainsi par exemple, le vomissement du crocodile après l’ingestion de griffes et de fourrures le protège d’une occlusion intestinale [4]. Pathophysiologie des vomissements L’acte sensoriel de vomir: récepteurs et afférences émétogènes. Pour la réception et la transmission de stimuli émétogènes, l’organisme humain dispose de systèmes sensoriels localisés à la périphérie du système nerveux central et au centre de celui-ci. Des capteurs périphériques sont situés dans le tube digestif et au niveau des organes sensoriels (œil, odorat, goût). Le système sensoriel du tractus gastrointestinal a été le mieux exploré. Il se compose de récepteurs mécaniques et chimiques. Ils sont les plus développés au niveau des sections distales de l’estomac et du duodénum [5]. Les récepteurs mécaniques situés entre le pharynx et l’intestin grêle réagissent à l’étirement, à la compression et à l’obstruction. Leur localisation exacte dans la paroi intestinale n’est pas connue, ils semblent cependant être présents aussi dans la serosa, dans la mesure où le vomissement peut être bloqué par l’ablation de l’estomac et de l’intestin grêle en cas de péritonite induite par endotoxines. Les antagonistes des récepteurs 5-hydroxytryptamine 3 (5-HT3) ne sont pas en mesure d’empêcher le vomissement par stimulation mécanique. Swiss Medical Forum Nr. 1/2 10 janvier 2001 16 Les récepteurs chimiques sont vraisemblablement localisés dans la muqueuse; leur réponse à des substances telles que CuSO 4, une solution hypertonique de chlorure de sodium et Ipecac est expérimentalement reproductible. L’irradiation et les médicaments cytostatiques activent des récepteurs dans le tube digestif, les cytostatiques activent également des récepteurs dans le système nerveux central, comme nous le signalons plus loin. Un vomissement induit par CuSO 4 peut être supprimé par les antagonistes des récepteurs HT4/5 et HT2, mais il ne peut l’être par les antagonistes des récepteurs 5-HT3 [6]. Indépendamment de la nature du stimulus, les afférences neurologiques des vomissements induits dans le tube digestif sont identiques: elles ont lieu surtout dans le nerf vague, en partie également par l’intermédiaire des fibres sympathiques, et se déplacent vers le Nucleus tractus solitarius et vers l’Area postrema à la terminaison caudale du 4e ventricule, dans lequel se trouve la trigger-zone chémoréceptrice (CTZ). Le Nucleus tractus solitarius est un noyau situé dans le tronc cérébral, d’une importance intégratrice centrale, qui est en relation directe avec l’Area postrema par l’intermédiaire de dendrites. Anatomiquement parlant, l’Area postrema correspond moins à un secteur du cerveau proprement dit qu’à un «appendice vasculaire» dont les capillaires sont fenêtrées et perméables à des substances en circulation jusqu’à un poids moléculaire de 60 000. L’absence d’une barrière hématoencéphalique permet aux noxes émétogènes circulant dans le sang d’agir directement dans la trigger-zone chémoréceptrice (CTZ). Centre du vomissement. Le «centre du vomissement», envisagé autrefois comme une unité anatomico-fonctionnelle dans la partie dorsolatérale de la formation réticulaire de la Medulla oblongata, est considéré aujourd’hui plutôt comme une entité fonctionnelle ou pharmacologique, à laquelle participent différents groupes centraux [7]. En plus des afférences du tube digestif citées, le «centre du vomissement» peut être activé par des impulsions afférentes du pharynx, du système vestibulaire, du cœur, du péritoine et des centres supérieurs du système nerveux tels que le thalamus, l’hypothalamus et le cortex cérébral. Bien que la stimulation électrique directe du «centre du vomissement» conduise à des vomissement dans le modèle animal, on ne connaît pas de stimuli physiologiques émétogènes à même de déclencher des vomissements par stimulation directe du «centre du vomissement». Plusieurs types de neurorécepteurs sont représentés dans la CTZ, dont font partie, en plus des récepteurs dopaminergiques, adrénergiques et cholinergiques, des récepteurs histaminer- CABINET Tableau 3. Signification clinique de symptômes associés. V O M I S S E M E N T + DOULEUR ABDOMINALE (type viscéral) obstruction intestinale colique biliaire colique urétérale appendicite (symptôme initial) DOULEUR ABDOMINALE (type somatique) péritonite cholécystite appendicite (symptôme tardif) DOULEUR THORACIQUE infarctus du myocarde aigu dissection aortique FIÈVRE infection systémique infection intestinale infection du système nerveux central DÉSORIENTATION intoxication maladie du système nerveux central désordre métabolique affection endocrinienne VERTIGE vestibulopathie affection cérébellaire intoxication AMÉNORRHÉE grossesse anorexie nerveuse giques. Dans le cas de vomissements dus à des cytostatiques, les récepteurs 5-hydroxytryptaminiques jouent un rôle central. Les récepteurs de la neuroquinine 1 (récepteurs NK1), dont le blocage par les antagonistes sélectifs des récepteurs NK1 est efficace pour un large spectre de stimuli émétogènes, devraient jouer un rôle thérapeutique important à l’avenir [8, 9]. Dans le cas du furet, les antagonistes des récepteurs NK1 présentent une efficacité antiémétique élevée après irradiation, cisplatine, cyclophosphamide, CuSO 4, Ipecac et morphine. Dans un autre modèle animal (suncus murinus), on a pu influencer positivement des vomissements induits par le mouvement. D’autres avantages de cette classe de substances sont une longue durée d’action (au minimum 6 heures) et la possibilité d’une administration orale. Swiss Medical Forum Nr. 1/2 10 janvier 2001 17 L’acte moteur du vomissement. L’acte de vomir proprement dit est coordonné et déclenché par des impulsions efférentes. Elles concernent les structures neurales dans le domaine du nerf phrénique (diaphragme), des nerfs spinaux (musculature abdominale) et des nerfs viscéraux efférents (œsophage, estomac). L’acte moteur du vomissement est constitué de composantes gastrointestinales et respiratoires complexes, ceci parallèlement à des influences sur l’attitude corporelle. Il est induit par une diminution de l’activité motrice gastrique, suivie par une contraction rétrograde puissante du duodénum, qui renvoie le contenu du duodénum proximal dans l’estomac. Cette contraction est accompagnée d’une contraction longitudinale de l’œsophage, qui forme avec le cardia gastro-œsophagien relaxé un tuyau comparable à un tunnel et facilite ainsi le reflux du contenu de l’estomac dans l’œsophage. Contraction musculaire («Würgen) et expulsion sont provoqués par une action puissante et coordonnée des principaux muscles respiratoires: la glotte étant fermée, le diaphragme, la musculature intercostale expiratoire et les muscles abdominaux se contractent simultanément, tandis que la partie du diaphragme qui entoure l’œsophage se détend, pour faciliter le passage rétrograde du contenu de l’estomac. Parallèlement à l’expulsion rétrograde du contenu de l’estomac a lieu une «invagination» des parties de l’estomac proximales dans l’œsophage distal avec danger de traumatisation du cardia gastro-œsophagien («ça me retourne l’estomac»). Conséquences et complications du vomissement. Autant le vomissement assume biologiquement parlant une fonction protectrice importante, autant il peut être pathogène pour la personne concernée s’il se répète sur une période prolongée. Les conséquences négatives sont d’ordre métabolique, mécanique et nutritif (Tableau 2). Une absorption de potassium diminuée, la perte de potassium avec le vomissement et, sans doute le plus important, la perte de potassium rénal dans le cadre d’un hyperaldostéronisme secondaire, peuvent avoir pour conséquence une carence de potassium respectivement une hypokaliémie. La carence de potassium est également responsable, en plus de la perte des ions H+ avec le vomissement et le shift d’ions H+ extracellulaires dans l’intérieur des cellules, de la formation d’une alcalose métabolique. La perte continuelle de sodium avec le vomissement peut être à l’origine d’une carence en sodium. La négation d’un vomissement chronique peut rendre difficile l’attribution étiologique du trouble métabolique mentionné; du point de vue d’un diagnostic différentiel, ce sont une CABINET Swiss Medical Forum Nr. 1/2 10 janvier 2001 consommation excessive de médicaments diurétiques, un hyperaldostéronisme primaire et le syndrome de Bartter qui se trouvent en première ligne en présence d’une alcalose métabolique hyperchlorémique hypokaliémique. Des vomissements répétés accompagnés d’une contraction musculaire («Würgen») intense peuvent conduire à des atteintes mécaniques du tube digestif supérieur. A côté de lésions de Mallory-Weiss superficielles avec hémorragie gastrointestinale supérieure consécutive, des lacérations plus profondes peuvent provoquer une perforation de l’œsophage intramurale resp. transmurale (syndrome de Boerhaave), très rarement même un déchirement de l’artère gastrique avec hématémèse consécutive. L’aspiration du contenu de l’estomac peut provoquer un laryngospasme resp. un bronchospasme et une pneumonie, une puissante contraction des fractures de côtes. Le refus d’une chimiothérapie potentiellement curative représente sans doute l’une des conséquences les plus graves de vomissements éprouvés subjectivement comme très désagréables. Les conséquences nutritives et l’apparition accrue de caries lors de vomissements chroniques doivent êtres mentionnées aussi. 18 Accès clinique au patient souffrant de nausées et de vomissements Pour la discussion du diagnostic différentiel et thérapeutique, il peut sembler utile de faire la distinction entre deux groupes principaux de «nausées et vomissements»: 1. Nausées et vomissements comme symptôme d’une maladie primitive (encore) inconnue resp. nausées et vomissements comme challenge diagnostique Un diagnostic ciblé est nécessaire dans le cas de ce groupe. La thérapie s’oriente en priorité d’après la nature de la pathologie primitive (exemples: vomissements en cas d’hypertension intracrânienne, d’abdomen aigu ou dans le cadre d’une gastroentérite bactérielle) (Tableau 3). 2. Nausées et vomissements comme conséquence d’un état pathologique évident resp. nausées et vomissements comme challenge diagnostique Dans ce groupe, le diagnostic revêt une importance subalterne, il faut le cas échéant rechercher des facteurs favorisants et des complications. La priorité revient à une thérapie surtout resp. exclusivement symptomatique, aussi spécifique que possible. (Exemples: vomissements induits par une chimiothérapie, mal de mer, vomissements pendant une grossesse.) Références 1 Flaxman SM, Sherman PW. Morning sickness: a mechanism for protecting mother and embryo. Q Rev Biol 2000; 75:113-48. 2 Miller AD, Rowley HA, Roberts TPL, Kucharczyk J. Human cortical activity during vestibular- and drug-induced nausea detected using MSI. Ann N Y Acad Sci 1996;781:670-2. 3 Yates BJ, Miller AD, Lucot JB. Physiological basis and pharmacology of motion sickness: an update. Brain Res Bull 1998;15:395-406. 4 Andrews PLR, Axelsson M, Franklin C, Holmgren S. 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