K. Jaton
J. Schrenzel
G. Greub
introduction : pneumonie
La pneumonie est une infection des voies aériennes inférieu res
se manifestant, par exemple, par a) des signes d’inflammation
ou de pathologies locales telles que la toux, des expectorations
productives, une dyspnée ; b) des signes d’inflammation gé-
nérale tels que fièvre, leucocytose et c) caractérisée par la pré-
sence d’un infiltrat visible sur une plage pulmonaire à la radio-
graphie thoracique.1 La présence de cet infiltrat permet de
différencier la pneumonie de la bronchite. Ainsi, le vrai défi pour
le clinicien n’est pas de poser le diagnostic de pneumonie, mais
bien d’en identifier la cause.
La pneumonie est une maladie fréquente associée à une mortalité significative,2,3
et possède souvent un certain potentiel épidémique. On distingue les pneumonies
atypiques, souvent caractérisées par une inflammation interstitielle épargnant les
alvéoles, et les pneumonies lobaires, caractérisées par un comblement des alvéoles.
Cependant, la réalité est plus complexe puisque par exemple la légionellose, due
à un germe atypique, cause souvent une atteinte lobaire.
pourquoi identifier lagent dune pneumonie ?
Identifier l’agent étiologique d’une pneumonie permet de choisir le traitement
le mieux adapté. Lorsque la cause est bactérienne, ceci permet une antibiothé-
rapie ciblée, qui aura moins d’effets secondaires qu’une association d’antibioti ques
et sera associée à une moindre pression de sélection (moins de développement
de résistance bactérienne aux antibiotiques).4 Le diagnostic étiologique est plus
complexe chez les patients immunosupprimés, comme les greffés, chez lesquels
les virus respiratoires et les pathogènes opportunistes s’ajoutent au diagnostic
différentiel. L’identification de l’agent d’une pneumonie est donc encore plus im-
portante actuellement du fait de l’augmentation des résistances bactériennes et
du nombre croissant de sujets immunosupprimés. En effet, le diagnostic étiolo-
gique peut améliorer la prise en charge du patient en influençant la décision de
donner ou d’arrêter le traitement antibiotique, d’initier un traitement antiviral, et/
Microbiological diagnosis of pneumonia
Pneumonia is an importance cause of morta-
lity and morbidity in adults. Two types of pneu-
monia are defined : community-acquired and
nosocomial pneumonia with their correspon-
ding etiology such as pneumococci or Haemo-
philus influenzae and Pseudomonas or entero-
bacteriaceae, respectively. However, the rea-
lity is more complex with aspiration pneumonia,
pneumonia in immunocompromised patient,
and pneumonia in ventilated patients. Culture
in the case of nosocomial pneumonia is es-
pecially important to obtain the antibiotic
susceptibility of the infectious agent and to
adjust therapy. Moreover for immunocompro-
mised patients, the differential diagnosis is
much wider looking for viruses, filamentous
fungi and Pneumocystis can be very informa-
tive, using new molecular assays.
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 2126-9
Les pneumonies causent une mortalité et une morbidité signi-
ficatives. De manière simplifiée, deux types de pneumonie sont
décrits : la pneumonie communautaire et la pneumonie noso-
comiale avec le pneumocoque et l’
Haemophilus influenzae
comme causes principales pour la première, le
Pseudomonas
et diverses entérobactéries pour la deuxième. La réalité est
cependant plus complexe puisque l’on distingue aussi la pneu-
monie d’aspiration par exemple. La culture est très importante
dans le cas des pneumonies nosocomiales car elle permet de
déterminer la sensibilité aux antibiotiques de l’agent infectieux
et d’adapter le traitement. Pour les patients immunosupprimés,
le diagnostic différentiel est plus large et la recherche par tests
moléculaires de certains virus, de champignons filamenteux et
du
Pneumocystis
peut se révéler informative.
Diagnostic microbiologique
de la pneumonie
le point sur…
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12 novembre 2014
Dr Katia Jaton
Pr Gilbert Greub
Institut de microbiologie
Université de Lausanne et CHUV
Service des maladies infectieuses (GG)
CHUV, 1011 Lausanne
Pr Jacques Schrenzel
Laboratoire de bactériologie
HUG, 1211 Genève 14
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ou de prendre des mesures d’isolement afin de prévenir la
transmission en milieu hospitalier par exemple.
agents étiologiques des pneumonies
Les agents les plus fréquents de la pneumonie commu-
nautaire sont le pneumocoque
(Streptococcus pneumoniae)
et
l’
Haemophilus influenzae
.
Mycoplasma pneumoniae
est également
un agent fréquent de pneumonie communautaire, survenant
souvent par vagues épidémiques en automne, principale-
ment chez les enfants d’âge scolaire et les adultes exposés
(parents, enseignants…). Contrairement au pneumocoque
qui cause généralement une pneumonie lobaire,
Mycoplasma
pneumoniae
est un agent causant souvent des pneumonies
interstitielles. Quant à
Chlamydia pneumoniae
, il a été long-
temps considéré comme un agent de pneumonie commu-
nautaire fréquent sur la base d’études qui montraient jus-
qu’à L 70% de séroprévalence chez l’adulte.5 Cependant,
C. pneumoniae
est rarement détecté en dehors d’épidémie
(0,4% de prévalence), probablement parce qu’il n’est pas
souvent recherché dans le contexte où il est présent : toux
chronique et asthme communautaire.6,7
Les agents les plus fréquents de pneumonie nosocomiale
sont le
Pseudomonas aeruginosa
et diverses entérobactéries
(
Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Enterobacter cloacae, Mor-
ganella morganii
et
Citrobacter freundii
, par exemple). D’au tres
bactéries non fermentatives peuvent également causer des
pneumonies nosocomiales, dont notamment
Stenotrophomo-
nas maltophilia
. Plusieurs espèces bactériennes peuvent cau-
ser des pneumonies communautaires et des pneumonies
nosocomiales, comme notamment
Staphylococcus aureus
et
Legionella pneumophila
.
A ce jour, le traitement empirique de la pneumonie est
basé sur l’étiologie probable dans une population donnée
et, malgré tous les progrès diagnostiques, l’étiologie de la
pneumonie est établie dans moins de la moitié des cas.8,9
comment identifier lagent dune
pneumonie ?
Prélèvements
Afin d’identifier l’agent étiologique d’une pneumonie,
divers échantillons peuvent être utiles. L’expectoration est
un prélèvement partiellement représentatif du tractus res-
piratoire inférieur. Ce prélèvement est obtenu de manière
indirecte et transite au niveau de l’oropharynx. Lors du
passage dans la cavité buccale, le prélèvement peut être
contaminé par de la flore oropharyngée. Il est donc indis-
pensable que ce type de prélèvement soit examiné par
une coloration de Gram afin de juger de sa qualité avant
ensemencement (figure 1). La qualité de l’expectoration
sera considérée comme acceptable s’il y a présence de
beaucoup de leucocytes (expectoration purulente) et de
peu de cellules épithéliales (d’origine buccale). La pré-
sence d’une flore polymicrobienne est également un signe
d’une mauvaise qualité d’expectoration sauf lors de pneu-
monie d’aspiration. La qualité de l’expectoration peut être
améliorée, par exemple via une induction par physiothéra-
pie. Lorsqu’on recherche l’agent pathogène par une PCR
ciblée, qui ne va amplifier que ce que l’on cherche comme
Mycoplasma pneumoniae
ou
Chlamydia pneumoniae
, la qualité
de l’expectoration est moins importante car l’amplification
ne sera pas perturbée par la présence de l’ADN des autres
bactéries.10 Mais comme la charge bactérienne est généra-
lement 1000 x plus importante au niveau du tractus respi-
ratoire inférieur qu’au niveau de l’oropharynx, on risque des
faux négatifs.
Lorsque les expectorations ne sont pas disponibles, il est
possible de recourir à des prélèvements par bronchoscopie.
On distingue alors deux types principaux de prélève ment :
l’aspiration bronchique et le lavage broncho-alvéolaire (LBA).
L’aspiration bronchique est plus souvent contaminée par de
la flore oropharyngée que le LBA, et la signification clinique
d’un germe obtenu en faible quantité dans une aspiration
bronchique sera moindre que si ce même germe est obtenu
par LBA. La présence de bactéries dans le liquide du LBA
en quantité supérieure à 10 4 bactéries par ml suggère que
cette bactérie est en situation pathogène.1
Pour les virus respiratoires, un frottis nasopharyngé est
suffisant car les virus se retrouvent en grande quantité dans
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Figure 1. Examen direct
A. Expectoration de bonne qualité, avec la présence de nombreux poly-
morphonucléaires.
B. Expectoration de mauvaise qualité, avec la présence de nombreuses
cellules épithéliales.
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toute la sphère ORL. Ce type de prélèvement est également
plus facile à obtenir (surtout chez les enfants).
Le diagnostic de pneumonie peut parfois également se
faire de manière indirecte pour certains pathogènes, en re-
cherchant les antigènes bactériens au niveau des urines
comme pour les pneumocoques et les légionelles. Enfin, la
présence d’une bactériémie dans le contexte d’une pneu-
monie cliniquement documentée permet parfois d’identi-
fier l’agent étiologique par hémoculture.
Examen direct
L’examen direct à la recherche des bactéries, telles que
le pneumocoque et l’
Haemophilus influenzae
, se pratique sur
des prélèvements provenant du tractus respiratoire inférieur
et permet non seulement d’évaluer la qualité de l’échantil-
lon (figure 1), mais également de donner une réponse rapide
préliminaire au clinicien. La sensibilité de cet examen est
cependant faible, puisque l’on ne détecte qu’environ une
bac térie par champ microscopique au grossissement de
1000 x lorsque 10 5 bactéries par ml d’échantillon sont pré-
sentes. De plus, l’examen direct par coloration de Gram ne
permet qu’une identification présomptive de l’agent étio-
logique. Ainsi, par exemple, si l’on retrouve des diploco-
ques Gram positif avec un halo témoin de la présence d’une
capsule, on suspectera qu’il s’agit d’un pneumocoque, mais
le diag nostic définitif devra être apporté par d’autres tech-
niques, dont la culture.
Culture
Trois types de gélose sont ensemencés afin de cultiver
la plupart des agents bactériens de pneumonie (figure 2). La
gélose au sang de mouton permettra de détecter diverses
espèces bactériennes, dont le pneumocoque, qui se carac-
térise par une alpha-hémolyse (hémolyse partielle) et une
sensibilité à l’optochine. La flore oropharyngée rendant la
visualisation et l’isolement des pneumocoques présents
dans l’isolement très difficiles, on utilise un disque d’opto-
chine mis systématiquement sur la gélose afin d’aisément
différencier les
Streptococcus pneumoniae
sensibles à l’opto-
chine des autres streptocoques alpha-hémolytiques, large-
ment présents dans la flore oropharyngée et résistant à l’op-
tochine.
Outre la gélose au sang, on ensemence également une
gélose au sang cuit (gélose chocolat) contenant un antibio-
tique, la bacitracine, qui permet d’inhiber la croissance des
streptocoques et de la plupart des bactéries présentes dans
la flore oropharyngée. Cette gélose chocolat bacitracine per-
met la croissance d’
Haemophilus influenzae
, notamment grâce
à la présence de cofacteurs indispensables.
La troisième gélose ensemencée en routine pour des
prélèvements respiratoires est la gélose McConkey, une
gélose sélective et différentielle qui permet la croissance
des bacilles Gram négatif : entérobactéries et germes non
fermentatifs surtout présents dans les cas d’infections no-
socomiales.
Enfin, selon la situation clinique et sur demande des
médecins cliniciens, il est possible d’ajouter d’autres milieux
de culture, dont par exemple une gélose contenant de la
cystéine et du fer indispensables à la croissance de
Legio-
nella pneumophila
. Cependant, le temps de rendu du résultat
pour
Legionella pneumophila
peut être de plusieurs jours et,
actuellement, la PCR est préférée à la culture. Le seul in-
convénient au diagnostic moléculaire est que seule l’espèce
«pneumophila» est généralement recherchée, mais plusieurs
autres espèces peuvent être détectées avec des PCR dé-
diées ou spécifiques au genre.11,12
Des milieux de culture particuliers sont également indis-
pensables pour détecter la présence par culture de l’agent
de la tuberculose
(Mycobacterium tuberculosis)
. Ainsi, même si
la culture est une approche non dirigée permettant d’iden-
tifier de nombreux germes différents, potentiellement en
cause dans la pneumonie d’un patient donné, il est indis-
pensable qu’une bonne communication entre le médecin
traitant et le microbiologiste soit assurée afin d’effectuer
un ensemencement et des examens complémentaires sur
mesure selon le germe suspecté.
Certaines bactéries, dites intracellulaires obligatoires
telles que
Chlamydia pneumoniae
ou
Coxiella burnetii
, ne pous-
sent qu’en culture cellulaire. Cette technique complexe est
de moins en moins utilisée dans les laboratoires diagnosti-
ques, ayant été largement remplacée par des approches de
diag nostic moléculaire et la sérologie.
Biologie moléculaire
La détection moléculaire de
S. pneumoniae
et
H. influenzae
dans les prélèvements respiratoires n’a que peu de valeur
ajoutée lorsque les résultats ne sont pas quantitatifs. En
effet, un résultat positif peut correspondre à une colonisa-
tion ou à une infection. Un résultat PCR quantitatif élevé
peut suggérer une infection mais pour les pneumocoques,
du fait de la relation génétique très proche entre le pneu-
mocoque et le
Streptococcus mitis
, le risque de faux positifs
liés à la présence d’un
Streptococcus mitis
est grand si la PCR
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12 novembre 2014
Figure 2. Culture
A. Streptococcus pneumoniae : notez l’alpha-hémolyse (hémolyse incomplète,
verdissante) et la sensibilité à l’optochine ; B. Haemophilus influenzae :
croissance sur gélose chocolat-bacitracine ; C. Pseudomonas : lactose né-
gatif sur gélose McConkey et D. Legionella pneumophila : croissance sur
gélose au charbon (BCYE).
A
C
B
D
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n’est pas absolument spécifique.
Par contre, en raison des difficultés à cultiver les agents
responsables surtout des pneumonies atypiques, tels que
Legionella pneumophila, Chlamydia pneumoniae, Mycoplasma pneu-
moniae, Chlamydia psittaci
et
Coxiella burnetii
, ou la détection
des virus respiratoires, le diagnostic moléculaire s’est déve-
loppé de manière drastique et de nombreuses études ont
été effectuées.13,14 La PCR en temps réel est en général la
méthode la plus sensible et la plus rapide donnant un ré-
sultat en moins de 24 heures. La valeur prédictive négative
de ces tests est généralement excellente et peut (si ces ré-
sultats sont rapi des) réduire la consommation inutile d’anti-
biotiques prescrits empiriquement.15,16
Un autre domaine où le diagnostic moléculaire est très
utile est le diagnostic de la tuberculose. En effet,
Mycobac-
terium tuberculosis
, en raison de sa croissance lente et de sa
nature pauci-bactérienne, est difficile à mettre en évidence
par culture. Il nécessite des milieux particuliers et huit se-
maines de culture avant de considérer que cette dernière
est négative. Les PCR ont raccourci de manière très im-
portante ce diagnostic, permettant, grâce à des systèmes
miniaturisés comme le GeneXpert, de savoir en moins de
2 heures s’il y a ou non de l’ADN de
M. tuberculosis
dans un
prélèvement et s’il existe une possible résistance à la rifam-
picine.17,18
Finalement, lorsqu’aucun germe n’a été documenté par
les approches de biologie moléculaire et de culture classi-
ques, la PCR eubactérienne à large spectre peut être effec-
tuée sur des prélèvements normalement stériles tels que
le liquide pleural ou des biopsies pulmonaires. Cette PCR
peut détecter la plupart des bactéries grâce à la conserva-
tion de la cible de cette PCR, le gène codant pour la sous-
unité 16S de l’ARN ribosomal. Elle n’est pas appliquée aux
autres prélèvements respiratoires.10
Sérologie
La sérologie est peu utilisée pour le diagnostic de la
pneumonie en raison de l’élévation retardée des anticorps,
qui ne permet généralement qu’un diagnostic rétrospectif
sur le sérum du patient convalescent. De plus, la spécificité
de la sérologie est souvent imparfaite en raison de réactions
croisées, notamment à IgM entre divers agents.
conclusion
Le diagnostic microbiologique est particulièrement utile
au clinicien afin d’adapter l’antibiothérapie au vu de la grande
variété d’agents de pneumonie. Le diagnostic étiologique
repose sur l’examen de Gram, la culture, la PCR et la séro-
logie, et ces approches ont toutes des avantages et des li-
mites qui méritent d’être connues du praticien afin de faci-
liter l’interprétation des résultats. De plus, les résultats ob-
tenus doivent toujours être confrontés au tableau clinique
puisque la présence de certains germes dans les expecto-
rations peut n’être que le reflet d’une colonisation.
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12 novembre 2014
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec
cet article.
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* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Implications pratiques
Les agents les plus fréquents de la pneumonie communautaire
bactérienne sont le pneumocoque (Streptococcus pneumoniae)
et l’Haemophilus influenzae. Une culture est nécessaire pour
mettre en évidence ces agents pathogènes
Par contre, du fait des difficultés pour cultiver les agents
responsables des pneumonies dites «atypiques», la mise en
évidence de Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae,
Chlamydia psittaci, Coxiella burnetii et Legionella pneumophila
se fait par biologie moléculaire
La place des panels moléculaires, pour effectuer un diag nostic
syndromique, reste encore à définir
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