Médecine & enfance Le rôle de l’orthoptiste OPHTALMOLOGIE C. Orssaud, consultation d’ophtalmologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris, et service d’ophtalmologie, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris L’exercice de l’orthoptie, profession paramédicale inscrite au Code de la santé publique depuis 1964, nécessite d’être en possession du certificat de capacité d’orthoptiste, lequel est délivré par différentes facultés de médecine au terme de trois années d’étude. Cette formation n’a été créée qu’en 1956. La profession d’orthoptiste, très nettement mais non exclusivement féminine, s’exerce soit en libéral, soit comme salarié d’un cabinet d’ophtalmologie, soit au sein d’un centre de santé, d’un centre de rééducation d’enfants handicapés, d’un centre de rééducation de la basse vision, soit enfin à l’hôpital. Les rôles propres de l’orthoptiste ont beaucoup évolués au fil des années. Considérée à l’origine comme s’adressant à «des jeunes filles de bonnes familles aimant travailler avec des enfants» (sic !), l’activité d’orthoptiste est strictement encadrée par un décret de compétence qui a été modifié pour la dernière fois en 2007. Dans sa version actuelle, ce décret permet de répondre aux recommandations du rapport du Doyen Berland sur les délégations de tâches entre professions médicales et paramédicales. L’orthoptiste travaille ainsi en collaboration avec le médecin et uniquement sur prescription médicale. Enfin, il faut noter que cette profession est exercée de manière différente dans les autres pays. Ainsi, en Allemagne, les orthoptistes ne peuvent pas ouvrir un cabinet libéral. rubrique dirigée par C. Orssaud PLACE DE L’ORTHOPTISTE DANS LE « PARCOURS DE SOIN » De par leur décret de compétence, les orthoptistes travaillant en libéral dans leur cabinet peuvent pratiquer certains actes, mais uniquement sur prescription médicale et sans les interpréter, l’interprétation restant du domaine médical. A l’hôpital ou dans un cabinet d’ophtalmologie (1), les délégations de tâches permettent aux orthoptistes de pratiquer un plus grand nombre d’actes sous la responsabilité d’un médecin ; les orthoptistes débutent souvent la consultation en mesurant la réfraction et l’acuité visuelle du patient, qui ne voit l’ophtalmologiste que dans un second temps. juin 2008 page 247 ORTHOPTIE ET OCULOMOTRICITÉ Nous séparerons la prise en charge des strabismes et troubles oculomoteurs de celle des handicaps à composante visuelle, bien qu’elles soient alors complémentaires et doivent être menées conjointement si nécessaire. L’analyse et le traitement des troubles oculomoteurs, quels qu’ils soient, a été pendant longtemps la raison d’être des orthoptistes. Leur formation pratique et théorique est particulièrement adaptée à cette tâche. ACTIONS DIAGNOSTIQUES ET THÉRAPEUTIQUE SUR LES TROPIES Les orthoptistes ont un rôle essentiel Médecine & enfance dans le dépistage et la caractérisation du strabisme. Si tout ophtalmologiste (ou pédiatre avec l’habitude) est capable de mettre en évidence un strabisme franc, il est des formes plus difficiles à objectiver, qui requièrent l’expérience des orthoptistes et des bilans itératifs. Tel est le cas des microstrabismes, qui n’ont aucun retentissement esthétique, mais sont responsables d’amblyopies profondes et rebelles à toute rééducation. Les orthoptistes vont affirmer le strabisme et en préciser les caractéristiques : direction, valeur de l’angle de déviation oculaire, caractère alternant (2), éventuelles hyper- ou hypoactions musculaires, possibilités de vision binoculaire et stéréoscopique. Ce bilan doit être répété, car tous ces paramètres, notamment la valeur de l’angle de déviation, peuvent se modifier avec le temps et constituent des éléments importants dans le choix d’une stratégie thérapeutique, optique (simples ou doubles foyers, prismes, etc.) ou chirurgicale. De plus, les orthoptistes peuvent conseiller sur la valeur des prismes à prescrire ou sur le type de geste chirurgical à pratiquer. La confiance et l’identité de conception strabologique au sein du couple « strabologue-orthoptiste » sont ainsi essentielles. La rééducation orthoptique n’a plus sa place dans la prise en charge des enfants strabiques. Néanmoins, il peut être nécessaire de pratiquer quelques séances de rééducation en postopératoire pour renforcer une liaison binoculaire préexistante. Enfin, les orthoptistes doivent surveiller les enfants après traitement pour évaluer d’éventuelles récidives. ACTIONS DIAGNOSTIQUES ET THÉRAPEUTIQUE SUR LES PHORIES ET INSUFFISANCES DES VERGENCES Nous avions évoqué les relations entre troubles de l’accommodation et anomalies de la convergence (3). Les orthoptistes évaluent la valeur d’une hétérophorie existante (4) et les capacités de convergence/divergence. Une hétérophorie importante et/ou une insuffisan- ce de convergence/divergence à l’origine de manifestations de fatigue visuelle (céphalées, irritation oculaire, prurit, hyperhémie, etc.) nécessitent une prise en charge. Il en est de même des hétérophories décompensées, aboutissant à des épisodes de diplopie intermittente à la fatigue. Ces troubles s’observent à tout âge mais sont souvent négligés chez l’enfant. Ces séances de rééducation, pratiquées uniquement par les orthoptistes, durent environ vingt minutes. Il faut noter que l’orthoptiste doit donner au patient une demande d’entente préalable pour une douzaine de séances avant le début de la rééducation. AUTRES TROUBLES OCULOMOTEURS Face à un nystagmus, l’orthoptiste déter- mine, comme pour le strabisme, plusieurs paramètres : orientation, direction, vitesse, intensité, forme, nystagmus latent ou manifeste… Ces éléments sont plus ou moins difficiles à mettre en évidence, nécessitant une bonne expérience de l’analyse de l’oculomotricité. Une rééducation fonctionnelle de la vision, relevant de la compétence de l’orthoptiste, est parfois nécessaire chez les enfants nystagmiques. Les paralysies oculomotrices aboutissent à une déviation d’un axe oculaire par rapport à l’autre. L’orthoptiste précise au mieux le ou les muscles oculomoteurs ou nerfs atteints et suit l’évolution de ce déficit, soit par mesure de l’angle de déviation à l’aide de prismes, soit par un relevé (test de Lancaster par exemple) avant ou après traitement. Enfin, l’orthoptiste propose à l’ophtalmologiste la valeur du prisme à placer pour supprimer la diplopie induite. ORTHOPTIE ET ACUITÉ VISUELLE fraction ne peut donc servir qu’à évaluer si un patient devrait porter une correction optique ou à vérifier l’adéquation de celle-ci avant d’entreprendre une prise en charge orthoptique. Les orthoptistes ne sont pas non plus autoriser à prescrire de collyres, et, par conséquent, ne peuvent pas effectuer de réfractions sous cycloplégie, en particulier chez l’enfant. Les orthoptistes libéraux doivent donc s’adresser à un ophtalmologiste pour lui demander de vérifier la réfraction sous cycloplégie en cas d’échec d’une rééducation de l’amblyopie ou d’une rééducation orthoptique. Cela peut parfois poser des « problèmes diplomatiques » quand il existe des divergences sur le choix du cycloplégique (atropine ou cyclopentolate). MESURE DE L’ACUITÉ VISUELLE ET TRAITEMENT DE L’AMBLYOPIE Les orthoptistes peuvent mesurer l’acuité visuelle, soit avant une prise en charge orthoptique, soit sur prescription médicale. Ainsi, ils peuvent mesurer (mais non « interpréter ») l’acuité visuelle d’un enfant de six à dix-huit mois environ avec des tests de regard préférentiel comme le Bébévision. Mais, il faut être prudent avec ces tests dont la normalité ne signifie pas l’absence d’amblyopie sous-jacente ; leurs résultats ne sauraient remplacer un avis ophtalmologique. La rééducation de l’amblyopie nécessite une surveillance régulière, notamment lorsqu’une occlusion permanente est prescrite. Cette surveillance peut être effectuée par l’orthoptiste, qui réalise alors une mesure, parfois bihebdomadaire, de l’acuité visuelle et renvoie l’enfant à l’ophtalmologiste en cas de bascule de l’amblyopie ou d’échec du traitement. ORTHOPTIE ET EXAMENS COMPLÉMENTAIRES RÉFRACTION Les orthoptistes ont la possibilité de mesurer la réfraction de leurs patients mais non de leur prescrire des lunettes. En pratique libérale, la mesure de la réjuin 2008 page 248 TESTS DE LA VISION DU RELIEF Les orthoptistes ont un rôle important dans l’étude de la vision binoculaire et du relief, vision qui nécessite un bon Médecine & enfance équilibre oculomoteur. La détermination du degré de vision binoculaire et du seuil de la vision stéréoscopique (5) fait partie de tout bilan orthoptique. Ces éléments sont perturbés en cas de strabisme précoce. Par contre, si le strabisme est apparu tardivement, il peut exister des potentialités binoculaires qu’il est important de faire travailler. Plusieurs méthodes d’examen sont disponibles pour cette étude. Certaines sont utilisables par un pédiatre, comme les tests de Titmus ou Lang ; d’autres, comme le synoptophore, sont « réservées » aux orthoptistes du fait de leur coût et de leur maniement. CHAMP VISUEL Le relevé du champ visuel est souvent effectué par les orthoptistes, qui peuvent pratiquer ces examens, sur prescription médicale, en l’absence d’un ophtalmologiste et donc à leur cabinet privé. Par contre, leur interprétation reste strictement médicale, de même que le choix du type de champ visuel (manuel, automatisé…). L’ophtalmologiste doit également indiquer la pathologie du patient, sa réfraction et les anomalies recherchées. ELECTROPHYSIOLOGIE Le terme d’électrophysiologie regroupe plusieurs examens qui permettent d’étudier le fonctionnement de la rétine et des voies optiques (électrorétinogramme, potentiels évoqués visuels et électro-oculogramme) et d’analyser les mouvements oculomoteurs anormaux (électromotilogramme). Les orthoptistes sont habilités à pratiquer ces examens uniquement par délégation, en présence d’un médecin à qui il revient de les analyser et d’en rédiger les comptes rendus. AUTRES Il s’agit principalement de l’étude du sens chromatique, mais aussi de l’angiographie à la fluorescéine, de l’OCT et d’examens ophtalmologiques techniques réalisés par délégation, en présence d’un ophtalmologiste (6). Enfin, les orthoptistes peuvent pratiquer des examens de stratégie ou d’étude des gnosies visuelles. ORTHOPTIE ET RÉÉDUCATION DES HANDICAPS VISUELS La rééducation des troubles du développement psychovisuel ou de la basse vision constitue un nouveau volet de l’activité orthoptique. Troubles du développement. Les orthoptistes s’intéressent de plus en plus à la prise en charge de troubles tels que la dyslexie ou la dyspraxie. L’utilisation de prismes en posturologie n’est pas étrangère à ce nouvel intérêt. Mais, une anomalie oculomotrice ou de stratégie visuelle est souvent présente dans ces pathologies et relève bien du domaine de l’orthoptie. Des orthoptistes en centres spécialisés s’intéressent également à la prise en charge des déficits du développement psychovisuel (agnosie visuelle, cécité corticale, etc.) et psychomoteur chez des enfants infirmes moteurs cérébraux ou nés prématurés. Basse vision. Il est souvent nécessaire de proposer une rééducation pour apprendre à utiliser de manière optimale la vision résiduelle en cas de baisses d’acuité visuelle bilatérales et définitives. Cette rééducation, à laquelle participent les orthoptistes, permet d’améliorer les capacités visuelles en développant et créant de nouvelles stratégies du regard. CONCLUSION L’orthoptiste a un rôle essentiel dans la prise en charge des patients ayant des troubles oculomoteurs et sensoriels. Cette profession apparaît comme un complément naturel de l’activité des ophtalmologistes, notamment dans la réalisation de certaines tâches, dont la mesure de l’acuité visuelle et de la réfraction. Cependant, il ne faut pas oublier que ces examens sont pratiqués sur prescription et que leur analyse n’est pas du ressort de l’orthoptiste. Enfin, le domaine de l’orthoptiste tend actuellement à s’élargir à la prise en charge de certains handicaps visuels. Notes (1) Comme salarié ou en ayant leur cabinet libéral au sein d’un cabinet de groupe. (2) Dans un strabisme alternant, chaque œil est capable de fixer à un moment ou à un autre et donc de développer sa vision. A l’inverse, si le strabisme n’est pas alternant, le même œil est en permanence dévié et risque de devenir amblyope. (3) « Les troubles de l’accommodation de l’enfant », Méd. Enf., 2007 ; 27 : 329-32. (4) Les hétérophories correspondent au mouvement qu’effectue un œil dont on rompt la fixation pour prendre une position " de repos anatomique ". Cet œil est capable de reprendre la fixation sans que l’autre ne bouge, ce qui différencie hétérophorie et strabisme (ou tropie). (5) Il existe trois degrés de vision binoculaire. Le premier degré est la vision simultanée (une cage est présentée devant un œil et un lion devant l’autre : le patient voit le lion dans la cage). Le deuxième degré est la fusion binoculaire (un dessin ne différant de l’autre que par un détail est présenté devant chaque œil : le patient voit l’objet avec les deux éléments différents). Le troisième degré est la vision stéréoscopique ou vision du relief. (6) Ils sont donc uniquement pratiqués en cabinet d’ophtalmologiste ou à l’hôpital. JOURNÉES MÉDECINE ET ENFANCE 2008 samedi 13 septembre 2008 - 9e Journée AREPEGE-Médecine et enfance Grand amphithéâtre, Maison de la chimie, 28 bis, rue Saint-Dominique, 75007 Paris samedi 11 octobre 2008 - 12e Journée de pathologie infectieuse pédiatrique ambulatoire organisée par Médecine et enfance, sous la direction de Robert Cohen, avec l’ACTIV, Infovac-France et le GPIP Grand amphithéâtre, Maison de la chimie, 28 bis, rue Saint-Dominique, 75007 Paris Inscriptions et programmes : [email protected] juin 2008 page 249