L Actualité thérapeutique Fréquence des symptômes

publicité
Fréquence
des symptômes
et facteurs
déclenchants
chez des
patients adultes
ayant des
troubles
fonctionnels
intestinaux.
Résultats
d’une enquête
transversale
en médecine
générale
Benoit Coffin*, François Dyard**
* Service d’hépato-gastroentérologie,
hôpital Louis Mourier, Colombes.
** Laboratoire Solvay-Pharma, Suresnes.
L
es troubles fonctionnels intestinaux (TFI) représentent une affection fréquente chez l’adulte, source de nombreuses consultations
aussi bien en médecine générale qu’auprès des spécialistes d’organe (1, 2). Le diagnostic de TFI peut être retenu sur des critères cliniques dominés par la douleur abdominale (ou son équivalent l’inconfort intestinal), combinés à des critères de durée dans le temps et
d’ancienneté ; la dernière version de ces critères a été diffusée sous le
nom de critères de Rome II (3) ; ils sont utiles pour définir des populations homogènes de patients pour des études cliniques ou pharmacologiques; ils ne sont pas utilisés en pratique clinique quotidienne.
Dans cette situation, le diagnostic de TFI par le praticien est fait de
manière pragmatique devant l’association des différents symptômes
cliniques que l’on peut schématiquement regrouper en symptômes
sensitifs (douleur abdominale, inconfort intestinal, gêne abdominale
diffuse), moteurs (diarrhée ou constipation) ou gazeux (ballonnements,
émissions de gaz), et ce, en l’absence de signes d’organicité.
Ces dernières années, de nombreux travaux ont montré qu’il existait
des troubles de la motricité digestive au cours des TFI et qu’une hypersensibilité viscérale pouvait être considérée comme un mécanisme
physiopathologique majeur. À côté de la douleur abdominale, certaines études suggèrent que les symptômes gazeux seraient liés en
fait à un trouble du transit des gaz. On retrouve ainsi cette notion de
perturbation du transit, qui pourrait être le témoin d’un dysfonctionnement intestinal.
Les principaux facteurs déclenchant les symptômes identifiés dans la
littérature sont une situation anxiogène ou stressante, des épisodes
de gastroentérite, des épisodes gynécologiques chez la femme, et le
repas (2, 4, 5).
Il n’existe que peu de données observationnelles sur la répartition des
symptômes au cours des TFI et le type de facteur déclenchant incriminé par le patient recherchant une demande de soins en médecine
générale.
Le but de cette enquête transversale multicentrique était de préciser
auprès d’un large échantillon de médecins généralistes, la fréquence
des différents symptômes sensitifs, moteurs et gazeux et le(s) facteur(s)
déclenchant(s) incriminé(s) par les patients consultant pour TFI.
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005
14
Actualité thérapeutique
Actualité thérapeutique
Matériel et méthodes
Résultats
Une enquête épidémiologique transversale, réalisée durant 2 semaines de
consultation, a été proposée auprès
d’un échantillon de 2 500 médecins
généralistes exerçant en France métropolitaine. Le diagnostic de TFI était
établi par le médecin d’après sa
connaissance antérieure du malade ; il
n’était pas fondé sur les critères de
Rome II. Il n’y avait aucun critère de
non-inclusion, mis à part un âge inférieur à 15 ans. Le médecin enquêteur
voyait son patient dans le cadre du
suivi clinique habituel et disposait d’un
registre anonyme. Aucune information
sur la prise en charge diagnostique et
thérapeutique n’était demandée. Le
registre était composé de 18 “questionnaires”, qui, chacun d’eux, correspondait à un patient donné, soit, d’une
part, 15 “questionnaires simplifiés”
comportant pour chaque patient l’âge,
le sexe, les facteur(s) déclenchant(s)
éventuel(s) et les type(s) de symptôme(s) regroupé(s) en trois entités :
1. symptômes sensitifs : douleur
abdominale, inconfort digestif, gêne
abdominale ;
2. symptômes moteurs : diarrhée ou
constipation ;
3. symptômes gazeux : ballonnements, émissions de gaz.
Et, d’autre part, trois “questionnaires
plus complets” (numéro de questionnaires : 6, 12 et 18) comportaient, en
plus des paramètres précédents, les
symptômes détaillés des TFI, le lien
potentiel entre le(s) facteur(s) déclenchant(s) et les symptômes, la perception de la douleur et le degré de
connaissance du patient sur les mécanismes physiopathologiques de la
maladie.
Mille huit cent soixante-six médecins
répartis de manière homogène sur le
territoire métropolitain ont participé à
l’étude et ont retourné 31 371 questionnaires analysables dont 26 204 questionnaires simples et 5 167 questionnaires
complets, soit une moyenne de 17 patients consultant pour TFI en 2 semaines.
51,1 % pour les patients âgés de plus
de 75 ans). L’association des trois types
de symptômes était retrouvée chez
23,5 % des patients, de deux types de
symptômes dans 20,5 % pour l’association symptômes sensitifs et gazeux,
et d’autre part, dans 16,3 % pour l’association symptômes sensitifs et moteurs ;
dans 15,8 %, les symptômes étaient uniquement sensitifs. La répartition des facteurs déclenchants incriminés par les
patients est reportée sur la figure 1.
Analyse globale des questionnaires
simples (n = 26 204)
L’âge moyen des patients était de
47,2 ± 16,8 ans ; il y avait 65,4 % de
femmes. Plus de la moitié des patients
(57,4 %) avaient entre 30 et 59 ans ;
74,5 % des patients se plaignaient de
symptômes sensitifs, 55,2 % de symptômes moteurs et 57,9 % de symptômes
gazeux. La fréquence des symptômes
sensitifs et des symptômes gazeux n’était
pas différente quel que soit l’âge. En
revanche, la fréquence de la constipation
augmentait avec l’âge (33,2 % pour les
patients âgés de 15 à 29 ans contre
Analyse des questionnaires
complets (n = 5 167)
Dans ce groupe de patients, le groupe de
symptômes de loin les plus fréquents
était celui des symptômes sensitifs avec
la douleur abdominale dans 65,6 % des
cas, l’inconfort digestif dans 42,1 % et
la gêne abdominale diffuse dans 38,2 % ;
dans la majorité des cas (62,3 %), ces
symptômes n’étaient pas associés entre
eux ; les douleurs et l’inconfort digestif
étaient perçus par les patients comme
modérés dans 49,3 % des cas ou intenses
dans 39,5 % ou insupportables dans
6,3 %. Les autres symptômes étaient la
Les paramètres quantitatifs sont exprimés en moyenne ± écart type et les
paramètres qualitatifs en pourcentage
par modalités. Les tests statistiques utilisés étaient des tests bilatéraux avec
un risque alpha égal à 5 %.
6%
14 %
12 %
4%
15 %
26 %
4%
19 %
Autre
Postgastroentérite
Repas
Repas + stress
Événements gynécologiques
Stress
Stress + événements gynécologiques
Autres associations
Figure 1. Fréquence des facteurs déclenchant les symptômes chez l’ensemble des patients
(n = 31 123).
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005
15
Actualité thérapeutique
Actualité thérapeutique
Actualité thérapeutique
Actualité thérapeutique
TFI
Symptômes
sensitifs
Symptômes
moteurs
Symptômes
gazeux
Repas : 47,5 %
Repas : 24,9 %
Repas : 35,4 %
Stress : 53,4 %
Stress : 35,4 %
Stress : 33,9 %
Gastroentérite : 10,6 %
Gastroentérite : 11,4 %
Gastroentérite : 9,7 %
Événements gynécologiques :
9,5 %
Événements gynécologiques :
6,4 %
Événements gynécologiques :
4,9 %
Figure 2. Fréquence des facteurs déclenchants en fonction des symptômes.
constipation dans 39,5 % des cas, la diarrhée dans 35,0 % et l’association de
diarrhée et de constipation dans 5,3 % ;
la constipation était plus fréquente chez
les femmes que chez les hommes
(44,7 % contre 29,3 % respectivement,
p < 0,001) et, à l’inverse, les hommes
se plaignaient plus souvent d’une diarrhée (40,8 % contre 32,2 % ; p < 0,001) ;
enfin, 56,7 % des patients avaient des
ballonnements isolés, 11,9 % une émission anormale de gaz, et 31,4 % une
association des deux. Les femmes se
plaignaient plus souvent de symptômes
sensitifs que les hommes (77,5 % contre
69,8 %, respectivement ; p < 0,001),
alors que les hommes se plaignaient un
peu plus souvent de symptômes gazeux
(59,5 % contre 57,6 %).
Globalement, les facteurs déclenchants
étaient identiques dans les deux populations étudiées. Trois grands facteurs déclenchants peuvent être isolés (figure 1) :
le stress psychologique isolément (26 %),
l’alimentation isolément (15 %), ou associés (19 %), et les épisodes de gastroentérite (12 %). L’analyse en fonction
des symptômes spécifiques (figure 2)
montre que le stress était considéré
comme le facteur déclenchant principal
des symptômes moteurs (37,6 %), quel
que soit le sexe, et des symptômes sensitifs chez la femme (56,5 %), alors que
le repas était considéré comme le facteur déclenchant principal des symptômes gazeux, quel que soit le sexe
(39,6 %), et des symptômes sensitifs chez
l’homme (52 %). L’analyse selon les
classes d’âge montre que chez les patients
jeunes, le facteur stress est le principal
facteur déclenchant, suivi par les épisodes
de gastroentérite, alors qu’à l’inverse chez
les patients âgés, le repas était le principal facteur déclenchant et que la fréquence des épisodes de gastroentérite
à l’origine des symptômes diminuait à
mesure de l’avancée en âge.
Discussion
part la répartition des symptômes (prédominance des symptômes dits sensitifs, tels la douleur abdominale et l’inconfort digestif) et d’autre part, le rôle
important du stress, des repas et des épisodes de gastroentérite comme facteurs
déclenchant les symptômes.
Les caractéristiques de la population
des patients, comme la très nette
prédominance féminine, le sex-ratio
(femme/homme) proche de 2/1, l’âge
moyen de 47 ans, la plus grande fréquence de la constipation chez la femme
et de la diarrhée chez l’homme, sont tout
à fait comparables aux données épidémiologiques habituelles obtenues lors
d’enquêtes fondées sur des critères académiques (2), y compris en France (6, 7).
Ces remarques, ainsi que le grand échantillon de patients, permettent de valider nos résultats.
Cette très large enquête menée en situation quotidienne chez des patients ayant
des TFI consultant en médecine générale
a pour intérêt principal de montrer d’une
Les symptômes sensitifs, douleur abdominale et inconfort digestif, étaient les
plus fréquents, notamment chez la femme
et près de 8 patients sur 10 signalaient
des symptômes d’intensité modérée à
sévère, ce qui rejoint des résultats de la
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005
16
littérature (8). Cela souligne bien la
nécessité de la prise en compte des symptômes allégués par le patient.
Le stress et l’alimentation sont les deux
principaux facteurs déclenchant des
symptômes et leur fréquence respective
s’inverse avec l’âge. Le rôle du stress
et des facteurs psycho-sociaux dans la
physiopathologie des TFI est évoqué
depuis longtemps (4, 9) et fait intervenir
des mécanismes variés encore incomplètement identifiés. La diminution
progressive de ce facteur avec l’âge, suggère, qu’avec le temps, soit les patients
apprennent à “vivre avec” leur stress,
soit ils sont soumis à moins de stress.
Cet effet néfaste du stress sur les symptômes, essentiellement sensitifs, pourrait expliquer l’efficacité thérapeutique
des techniques de relaxation, dont
l’hypnose, au cours des TFI (10). Le
repas est le deuxième facteur déclenchant identifié par les patients. Ces
données rejoignent également des données de la littérature rapportées par
Ragnarsson et al. (11) qui signalaient
que 55 % des épisodes douloureux
étaient rapportés après la prise alimentaire, facteur ignoré dans les critères
diagnostics de Rome II. Les relations
entre alimentation et symptômes gazeux
sont trouvées dans les deux sexes ; cela
pourrait être dû, comme le suggèrent
les résultats d’études, à une anomalie
du transit des gaz (12), ce qui doit être
mis en perspective d’un trouble global
du transit, non seulement des matières,
mais également des gaz. Le rôle déclenchant de l’alimentation dans la genèse
des TFI est sans doute complexe et
reste l’objet de nombreuses discussions ;
il s’agit d’une réalité quotidienne qu’il
faut prendre en compte (13). L’association stress et repas, sans doute un repas
pris rapidement dans le temps de travail, était rapportée par près de 20 % des
patients. Cette association est ignorée
dans la littérature récente mais pourrait
déboucher sur des conseils hygiénodiététiques simples pouvant éventuellement améliorer la symptomatologie.
Enfin, le rôle des gastroentérites dans
la genèse des TFI, rapporté dans notre
enquête par un patient sur 8, est régulièrement exploré (14) ; on connaît à ce
propos la part importante des phénomènes
douloureux à côté des phénomènes
moteurs au cours des gastro-entérites.
Finalement, ce travail souligne une
double réalité assez peu prise en compte :
d’une part, la très nette prédominance de
la symptomatologie sensitive (douleurs
abdominales, inconfort intestinal, gêne
abdominale), et d’autre part, l’influence
majeure du stress et des repas sur la
symptomatologie. Ces constatations
poussent à prendre en charge de manière
spécifique ces deux facteurs. L’apprentissage de la prise en charge du stress par
des méthodes simples ou plus sophistiquées, comme les techniques de relaxation profonde dont l’hypnose, est certainement un objectif thérapeutique
facile à obtenir. Concernant le rôle de
l’alimentation, il serait facile de prescrire
des régimes plus ou moins stricts (15) ;
malheureusement, la pratique clinique
quotidienne montre que cette attitude est
peu efficace, voire parfois délétère (16).
Des données récentes montrent qu’une
réponse immunologique spécifique à
certains aliments serait impliquée chez
quelques patients, ce qui pourrait être
une piste thérapeutique (17), par le
biais d’une désensibilisation.
■
Références
1. Dapoigny M, Dyard F, Grimaud JC et
al. Irritable bowel syndrome and healthcare consumption. An observational study
in private gastroenterology. Gastroenterol
Clin Biol 2003;27:265-71.
2. Drossman DA, Camilleri M, Mayer
EA, Whitehead WE. AGA technical review
on irritable bowel syndrome. Gastroenterology 2002;123:2108-31.
3. Thompson WG, Longstreth GF, Drossman DA et al. Functional bowel disorders
and functional abdominal pain. Gut 1999;
45 suppl 2:II43-7.
4. Dickhaus B, Mayer EA, Firooz N et al.
Irritable bowel syndrome patients show
enhanced modulation of visceral perception by auditory stress. Am J Gastroenterol
2003;98:135-43.
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005
5. Simren M, Mansson A, Langkilde AM
et al. Food-related gastrointestinal symptoms in the irritable bowel syndrome.
Digestion 2001;63:108-15.
6. Bommelaer G, Dorval E, Denis P et al.
Prevalence of irritable bowel syndrome in
the French population according to the
Rome I criteria. Gastroenterol Clin Biol
2002;26:1118-23.
7. Dapoigny M, Bellanger J, Bonaz B et al.
Irritable bowel syndrome in France: a common, debilitating and costly disorder. Eur
J Gastroenterol Hepatol 2004;16:995-1001.
8. Drossman DA. Review article: an integrated approach to the irritable bowel syndrome. Aliment Pharmacol Ther 1999;13
suppl 2:3-14.
9. Mayer EA, Naliboff BD, Chang L, Coutinho SV. Stress and irritable bowel syndrome. Am J Physiol Gastrointest Liver
Physiol 2001;280:G519-24.
10. Gonsalkorale WM, Miller V, Afzal A,
Whorwell PJ. Long term benefits of hypnotherapy for irritable bowel syndrome.
Gut 2003;52:1623-9.
11. Ragnarsson G, Bodemar G. Pain is
temporally related to eating but not to
defaecation in the irritable bowel syndrome
(IBS). Patients’ description of diarrhea,
constipation and symptom variation during
a prospective 6-week study. Eur J Gastroenterol Hepatol 1998;10:415-21.
12. Serra J, Salvioli B, Azpiroz F, Malagelada JR. Lipid-induced intestinal gas
retention in irritable bowel syndrome.
Gastroenterology 2002;123:700-6.
13. Dapoigny M, Stockbrugger RW,
Azpiroz F et al. Role of alimentation in
irritable bowel syndrome. Digestion 2003;
67:225-33.
14. Okhuysen PC, Jiang ZD, Carlin L et
al. Post-diarrhea chronic intestinal symptoms and irritable bowel syndrome in
North American travelers to Mexico. Am J
Gastroenterol 2004;99:1774-8.
15. Whorwell P, Lea R. Dietary Treatment
of the Irritable Bowel Syndrome. Curr Treat
Options Gastroenterol 2004;7:307-16.
16. Francis CY, Whorwell PJ. Bran and
irritable bowel syndrome: time for reappraisal. Lancet 1994;344:39-40.
17. Atkinson W, Sheldon TA, Shaath N,
Whorwell PJ. Food elimination based on
IgG antibodies in irritable bowel syndrome:
a randomised controlled trial. Gut 2004;
53:1459-64.
17
Actualité thérapeutique
Actualité thérapeutique
Téléchargement