Les troubles fonctionnels intestinaux (TFI) affectent, selon les

publicité
Troubles fonctionnels intestinaux de l'adulte
R JIAN – Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris.
L’histoire naturelle des troubles fonctionnels intestinaux (TFI) est mal connue. Chez
l’adulte, la prévalence des TFI varie de 4 à 20 % avec un pourcentage de cas évoluant depuis
l’enfance faible mais plus élevé que celui d'une population adulte témoin (12 % vs 3 %) [1].
De même, les séries pédiatriques de TFI ou de douleurs abdominales récidivantes mettent en
évidence un risque modérément majoré de TFI à l'âge adulte par rapport à des sujets indemnes
de TFI dans leur enfance (RR ≈ 1,5). Ce risque semble davantage lié à des facteurs
environnementaux ou génétiques qu’à l’évolutivité propre de l’affection. Pour ce qui est de
l'évolution des TFI de l’adulte, la prévalence par tranche d'âge est relativement stable mais
varie à l'échelon individuel. Ainsi, après une dizaine d’années de suivi d'une cohorte de TFI,
40 % des patients sont en rémission complète, 20% ont des symptômes inchangés et 40 % des
TFI de typologie différente [2].
La physiopathologie des TFI associe, dans un modèle multifactoriel, des troubles de la
motricité digestive et de la sensibilité viscérale [3]. Les facteurs psychologiques ne semblent
pas directement impliqués dans la physiopathologie des TFI mais ils amplifient l'expression
clinique des anomalies sensitivomotrices et ils majorent le recours aux soins. Les pistes
physiopathologies actuellement en vogue chez l'adulte concernent : (a) les perturbations des
communications bidirectionnelles qui relient le tube digestif et le système nerveux central, et
en particulier, des rétrocontrôles négatifs de la douleur viscérale [4] ; (b) la sensibilisation des
terminaisons nerveuses digestives par des phénomènes inflammatoires [5]. Cette piste
inflammatoire s’est développée à la suite d’études montrant une augmentation de l’incidence
des TFI dans l’année suivant une épidémie de gastroentérite aiguë bactérienne. D'autres
études ont mis en évidence une augmentation de la densité des cellules inflammatoires, des
mastocytes, des cellules endocrines et de plusieurs médiateurs (5HT1, IL1, IL6) au contact
des terminaisons nerveuses de la paroi digestive. Un déficit de la barrière épithéliale digestive
à l'égard d'agents pathogènes ou d'allergènes a été également évoqué dans la physiopathologie
des TFI.
La présentation clinque des TFI de l'adulte associe des douleurs abdominales et des
modifications du transit (syndrome de l'intestin irritable). Plus rarement, les TFI comportent
uniquement des troubles du transit (constipation, diarrhée ou alternance des deux) ou des
douleurs abdominales (douleurs fonctionnelles). Ces symptômes ont une évolution chronique
continue ou irrégulière. Les formes paroxystiques avec crises douloureuses abdominales
brèves entrecoupées de phases de rémission complètes sont rares chez l'adulte et souvent
sous-tendues par des troubles psychiatriques.
La démarche diagnostique vise à exclure une pathologie organique. Les critères
diagnostiques, dits de Rome, régulièrement revisités à grand frais [6] n'ont aucune utilité à cet
égard. En effet, le recours aux examens complémentaires n’est pas basé sur les symptômes
des TFI et leur évolution mais sur la présence de signes d'alarme (symptômes en faveur d'une
pathologie organique), l'âge des patients (plus de 50 ans habituellement) et les facteurs de
risques personnels, familiaux et ethniques [3]. Chez l'adulte, la chronicité des symptômes et le
contexte psychologique conduisent très souvent à la pratique d'explorations qui comportent un
bilan biologique, une parasitologie des selles et une coloscopie avec biopsies étagées
systématiques en cas de diarrhée. Les autres explorations se discutent en fonction du contexte
clinique.
Les conseils diététiques dont sont si friands les patients victimes de TFI ne reposent sur
aucune base scientifique [3,7]. L’allergie et l’intolérance alimentaire sont exceptionnellement
en cause. Les régimes d’exclusion peuvent avoir des effets psychologiques et nutritionnels
délétères. L'enrichissement de la ration alimentaire par des fibres ne bénéficie qu’au sousgroupe des TFI avec constipation et majore l'inconfort abdominal et les ballonnements,
notamment lorsque les fibres sont apportées sous la forme insolubles (son de blé et dérivés).
Le traitement des TFI de l’adulte a fait récemment l’objet d’essais contrôlés
multicentriques rigoureux avec des résultats encourageants [3,7] mais qui n’ont pas encore
abouti à des avancées significatives en pratique clinique. Les ligands de la sérotonine ont été
les agents les mieux étudiés. L’alosétron (5HT3-) a fait preuve d’une efficacité significative
dans les TFI avec diarrhée de la femme mais son développement a été entravé par la survenue
de colites ischémiques. Le tégasérod (5HT4+) dont l’efficacité a été établie dans les TFI avec
constipation et le cilansetron (5HT3-) ont connu un sort comparable. Les antidépresseurs
(tricycliques pour l’essentiel) ont une efficacité étayée par de nombreuses études contrôlées et
des méta-analyses [3,7] mais les français, grands consommateurs d’antidépresseurs, sont
souvent peu enclins à prendre ces médicaments dans le but de soulager des TFI. Les
probiotiques, et tout particulièrement les préparations à base de bifidobactéries, ont fait l’objet
des essais contrôlés encourageants [7] mais il convient de résister à l’engouement médiatique
suscité par ces agents dont l’efficacité doit être confirmée et dont les effets ne peuvent être
extrapolés d’une souche à l’autre. En pratique, les antispasmodiques (trimébutine,
mébévérine, phloroglucinol…) restent les médicaments les plus prescrits chez l’adulte et
doivent être associés à une approche thérapeutique globale et personnalisée. Soulignons à cet
égard, l'intérêt des techniques de psychothérapie cognitive et comportementale, et tout
particulièrement de l’hypnose [8] qui a fait preuve d'une efficacité remarquable tant chez
l'adulte que chez l'enfant [9].
Au total, les TFI de l’adulte ont, dans la plupart des cas, une présentation différente de ceux
de l’enfant et le passage des formes pédiatriques à celles de l’adulte semble davantage lié à
des facteurs physiopathologiques communs qu’à l'évolutivité propre de cette affection. Chez
l’adulte, les progrès physiopathologiques concernent pour l’essentiel les facteurs sensitifs et
l’inflammation pariétale. Malgré la réalisation d’essais contrôlés rigoureux, les avancées
thérapeutiques significatives se font attendre. Une approche globale et personnalisée de cette
affection, à l’évidence multifactorielle, reste l’élément majeur de la prise en charge des TFI de
l’adulte.
Références
1. Jones R, Lydeard S. Irritable bowel syndrome in the general population. Br Med J,
1992, 304, 87-90.
2. Halder SLS et al. Natural history of functional gastrointestinal disorders: A 12-year
longitudinal population-based study. Gastroenterology, 2007, 133, 799-807.
3. Spiller R et al. Guidelines on the irritable bowel syndrome: mechanisms and practical
management. Gut, 200756, 1770-98.
4. Coffin B et al. Alteration of the spinal modulation of nociceptive processing in patients
with irritable bowel syndrome. Gut. 2004 53, 1465-70.
5. Spiller RC. Irritable bowel syndrome: bacteria and inflammation--clinical relevance now.
Curr Treat Options Gastroenterol. 2007, 10, 312-21.
6. Drossman DA. The functional gastrointestinal disorders and the Rome III process.
Gastroenterology, 2006, 130, 1377-90.
7. Tack et al. Systematic review: the efficacy of treatments for irritable bowel syndrome
– a European perspective. Alim Pharmacol Ther, 2006, 24, 183-205.
8. Whorwell PJ et al. Efficacy of an encapsulated probiotic Bifidobacterium infantis 35624
in women with irritable bowel syndrome. Am J Gastroenterol. 2006, 101, 1581-90.
9. Vlieger AM, Hypnotherapy for children with functional abdominal pain or irritable
bowel syndrome: a randomized controlled trial. Gastroenterology, 2007, 133, 1430-6.
Téléchargement