Déficits secondaires et primitifs
du langage
La première démarche devant un
trouble du développement du langage
est de différencier les déficits secon-
daires des déficits spécifiques. Dans
les déficits secondaires, le trouble du
développement du langage oral peut
être expliqué par une autre pathologie.
Le retard mental en est la cause la plus
fréquente et les compétences verbales
doivent toujours être comparées aux
compétences non verbales. En cas de
doute sur les compétences non ver-
bales, l’intelligence non verbale doit
être mesurée par un test psycho-
métrique (W1PPSI ou WISC). Une
surdité, une paralysie des organes de
la voix, une infirmité motrice céré-
brale sont également responsables de
troubles secondaires du langage oral.
Les troubles de la communication, en
particulier les troubles envahissants du
développement, se présentent aussi
comme un trouble du développement
du langage oral associé à un trouble
des communications visuelle et tactile.
Enfin, les carences psychoaffectives et
socioculturelles profondes peuvent
également entraîner un déficit du
développement du langage oral. Les
troubles spécifiques (ou primitifs) du
langage oral se définissent, au
contraire, comme les troubles ne s’ex-
pliquant pas par un des grands cadres
pathologiques évoqués. Les retards de
langage et les dysphasies de dévelop-
pement sont les deux cadres de ces
troubles spécifiques du développe-
ment du langage oral.
Du retard de langage aux dysphasies
de développement
Les dysphasies de développement se
définissent comme un trouble du
développement du langage oral sévère,
spécifique, structurel, durable, perdu-
rant bien au-delà de 6 ans, tandis que
les retards de langage se caractérisent
par un langage se développant avec
délai, mais en suivant les étapes habi-
tuelles et se normalisant avant ou
autour de 6 ans. Dans les deux cadres,
le trouble du langage oral est spéci-
fique. Sans que l’on dispose de
chiffres épidémiologiques formels, on
estime que les retards sont de loin les
plus fréquents et que les dysphasies
sont rares (0,5 à 1 % des enfants).
La symptomatologie des retards de
langage est caractérisée par un déficit
isolé de la production phonologique,
syntaxique et éventuellement de l’évo-
cation lexicale. La production phono-
logique est simplifiée (élision :
“voitu” pour “voiture” ; inversion des
groupes consonantiques : “carpo”
pour “crapaud”). La cible est recon-
naissable. Les phrases sont aussi sim-
plifiées avec des articles supprimés,
des verbes non conjugués et des
formes immatures (“à le garçon” pour
“au garçon”). Le langage s’étaye sur
celui de l’adulte et les formes incor-
rectes sont progressivement rempla-
cées par les formes correctes. Le voca-
bulaire est éventuellement pauvre.
La symptomatologie des dysphasies
de développement est caractérisée par
des signes communs quasi constants et
par une grande diversité du déficit du
langage oral qui conditionne la diver-
sité des prises en charges et du pro-
nostic (6). Le trouble du langage oral
touche toujours l’expression du lan-
gage, qui reste inintelligible pour l’en-
tourage, bien au-delà de 6 ans. Il
affecte toujours, mais à un degré et
sous une forme variables, la phono-
logie et la structure de la syntaxe. S’il
existe une simplification, comme dans
le retard de langage, il existe aussi des
signes de déviance du langage,
comme des complexifications (“pala-
papluie” pour “parapluie”), des pro-
ductions longtemps loin de la cible
(“ani” pour “parapluie”), de nom-
breuses approches phonémiques (“ra”,
“rami”, “rapi”, puis “radis”), et des
paraphasies sémantiques (“fourchette”
pour “cuillère”), ou phonémiques
(“raladateu” pour “radiateur”). Les
productions ne sont jamais stabilisées,
et les formes très pathologiques
coexistent longtemps avec les formes
simplifiées ou normales, témoignant
Plate-forme : troubles du langage II
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C
aroline, à 4 ans, parle mal. La passation
de la BREV montre que ses compé-
tences en graphisme, raisonnement spatial,
résolution de labyrinthes, discrimination,
attention visuelle et calcul sont normales.
Son niveau de compréhension syntaxique
est également normal, mais sa production
phonologique, la qualité de son évocation
lexicale et la structure de ses phrases sont
bien inférieures aux - 2 écarts-types des
enfants de son âge. À 5 ans elle aborde la
grande section de maternelle avec un lan-
gage qui reste encore modérément et spéci-
fiquement déficitaire sur le plan de la pro-
duction. Un bilan formel de langage
confirme un niveau de production phono-
logique et syntaxique à - 3 écarts-types des
enfants de son âge. Après 20 séances de
rééducation orthophonique, le langage se
normalise. Ses acquisitions scolaires seront
normales.
Caroline présente un retard
de langage typique
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S
téphane est le second d’une fratrie de
quatre. Deux de ses sœurs n’ont aucun
trouble des apprentissages tandis que sa
sœur cadette est suivie pour un retard de
langage. Son père, deux de ses oncles et
tantes ainsi que sa grand-mère paternelle
parlent peu, mal et sont illettrés. Stéphane a
un développement moteur et relationnel
normal, mais à 3 ans, il n’a aucune expres-
sion de langage. À 5 ans, son langage est
limité à une dizaine de mots intelligibles
sans phrase. À 7 ans, après deux grandes
sections de maternelle, le langage reste
quasi inintelligible. Il n’apprendra pas à lire
malgré deux cours préparatoires. Stéphane
sera orienté vers une structure pour enfants
dysphasiques où il apprendra à lire avec une
dysorthographie sévère mais sans difficultés
majeures en mathématiques. Il réintégrera
un collège d’éducation spécialisée, passera
son CAP de menuisier. Stéphane est devenu
un adulte au langage encore réduit, avec
une persistance de difficultés phono-
logiques et syntaxiques n’entravant plus
l’intelligibilité.
L’histoire de Stéphane est une
histoire caractéristique de dys-
phasie de développement
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Plate-forme