ACTUALITÉ NEURO JUIN 3/09/02 16:49 Page 104 repères repères Neuro-Psychiatrie Démence et dépression C. Castel* Structure et fonction Neuroanatomie Neurochimie I ncontournable pour la prise en charge du patient, le diagnostic différentiel démence/dépression se pose rarement en termes simples pour le clinicien. La symptomatologie de ces deux affections mentales les plus fréquentes chez les personnes âgées se recoupe en effet partiellement. En confortant l’hypothèse d’un dysfonctionnement sous-cortico-frontal, la neuro-imagerie et la neurochimie contribuent à expliquer un tel recoupement. Au cours de la dépression ◆ La tomodensitométrie à émission de positons (TEP) révèle des anomalies du débit sanguin et du métabolisme au n iv e a u d e c e r t a i n e s structures, posant le problème de leur implication : – diminution du métabolisme en frontolatéral gauche ; – réduction du flux sanguin et du métabolisme au niveau du noyau caudé ; – lésions postérieures droites (dépressions endogènes). ◆ L’IRM : hyperintensité de signaux dans la substance blanche sous-corticale, et diminution de volume du putamen (rôle possible de cette région dans le ralentissement psychomoteur, commun aux dépressions et à certaines démences sous-corticales ?). Dans la maladie d’Alzheimer (MA) diminution du métabolisme et des débits dans les deux hémisphères, en particulier dans les régions associatives pariéto-temporo-occipitales ; ◆ respect des aires primaires sensorielles et motrices, des noyaux gris centraux et du cervelet ; ◆ ◆ hypoperfusion frontale (hypofrontalité à prédominance dorsolatérale préfrontale gauche) et bitemporale plus prononcée. La neuropathologie classique Elle n’a jamais clairement démontré de lésions au cours de la dépression. En revanche, la MA peut affecter des zones impliquées dans le contrôle de l’humeur. Stimuli d’environnement (informations sensorielles, événements de vie…) SÉROTONINE modulation inhibitrice NORADRÉNALINE activité du locus cœruleus et des zones corticales sur lesquelles il projette… DOPAMINE (système mésolimbique) NIVEAU THYMIQUE * Service de pédopsychiatrie, hôpital intercommunal, Créteil. Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 3, juin 2000 La cascade monoaminergique Trois décennies neuroscientifiques ont érigé le rôle des amines cérébrales dans la régulation de l’humeur au rang de postulat Il s’en dégage actuellement un schéma unificateur opérationnel sinon explicatif (figure). La cascade monoaminergique 5HT ➜ NA ➜ Dopamine sous-corticale serait primordiale dans le maintien d’un niveau thymique satisfaisant. La dépression correspondrait à un épuisement des mécanismes habituellemnt mis en œuvre pour maintenir le psychisme dans un état d’équilibre. Figure. La cascade monoaminergique. 104 ACTUALITÉ NEURO JUIN 3/09/02 16:49 Page 105 repères repères Neuro-Psychiatrie Le rôle important du locus cœruleus La perte neuronale dans le locus cœruleus est plus importante chez les déprimés atteints de MA que chez les nondéprimés. L’hétérogénéité des altérations neurochimiques au cours des deux maladies (1) (Tableau I) Électrophysiologie ◆ L’EEG classique contribue éventuellement au diagnostic différentiel entre démence et dépression par sa relative normalité dans ce dernier cas. La cartographie en affine éventuellement les données. ◆ L’EEG de sommeil serait plus intéressant, car il montre des anomalies soustendues par des anomalies biochimiques opposées (Tableau II). Chez le déprimé non dément, il existe une augmentation relative du sommeil paradoxal traduisant une hyperactivité cholinergique. Au cours de la MA, il existe au contraire un déficit en acétylcholine Potentiels évoqués cognitifs (2) ◆ Chez les déprimés : l’onde N200 est peu développée en réponse aux stimuli rares et serait remplacée par une onde négative frontale plus tardive et plus durable. L’onde P300 présente une amplitude diminuée sans modification de sa latence. ◆ Chez les déments : on observe une augmentation de la latence de la P300. Tableau I. Altérations neurochimiques. Neuropeptide Alzheimer # ou " # Arginine vasopressine Cholécystokinine Dépression # ou " = CRF " Neuropeptide # = " β endorphine # " Substance P # " Corticotrophine # = Somatostatine # # Tableau II. Étude de EEG de sommeil. Démence # de latence et " de pourcentage Sommeil REM Sommeil non REM Dépression " spindles et K complexes # spindles et K complexes grande fréquence des réveils matinaux précoces Psychométrie Échelles d’évaluation de la dépression chez les patients déments : – Cornell Scale for Depression in Dementia (Alexopoulos 1988) ; – Demential Mood Assessement Scale (Sunderland 1988). Symptomatologie Associations possibles entre les deux pathologies (à partir des critères de Wells) Il exise une opposition schématique entre les manifestations psychocomportementales de la démence et de la dépression, que la coexistence fréquente des deux pathologies tend à atténuer (Tableau III, page suivante) (3). Toutes les associations entre démence et dépression sont possibles, selon le modèle de Feinberg et Goodman. ◆ Type 1 : la dépression se présente comme une démence ; ◆ Type 2 : la démence est secondaire à la dépression ; 105 3 : la démence se présente comme une dépression ; ◆ Type 4 : la dépression est secondaire à la démence. La pseudodémence dépressive (4), représentant une variété particulière de dépression du sujet âgé avec troubles cognitifs au premier plan, le suivi prospectif de ce type de patient, au-delà de l’épisode dépressif, montre dans la majorité des cas, une amélioration des performances cognitives, suivie d’une évolution vers la MA. ◆ Type Thérapeutique Le traitement des troubles psychiatriques des sujets déments améliore le bien-être et les fonctions cognitives. Il associe traitement médicamenteux (ou ECT dans ACTUALITÉ NEURO JUIN 3/09/02 16:49 Page 106 repères repères Neuro-Psychiatrie certains cas) et soutien psychothérapique. Néanmoins, les antidépresseurs semblent moins efficaces dans les dépressions sur terrain d’affection neurodégénérative cérébrale ; ce qui pourrait être expliqué par la blessure narcissique liée à la présence des déficits cognitifs, ainsi qu’à la modification des récepteurs cérébraux. Le risque d’aggravation du déficit cholinergique invite à limiter l’usage des tricycliques. Il a été décrit deux types de patients déments déprimés en fonction de leur perturbation émotionnelle (5) : – type émoussé : avec hypoexpressivité émotionnelle, anhédonie, indifférence affective, pour lequel il semble plus judicieux de prescrire des antidépresseurs adrénergiques et/ou dopaminergiques ; – avec hyperexpressivité émotionnelle, anxiété, irritabilité, pour lequel l’utilisation des IRS semble préconisée. Références 1. Leake A, Ferrier IN. Alterations in neuropeptides in aging and disease : pathophysiology and potential for clinical intervention Drugs and Aging 1993 : 3 ; 408-13. 2. Kumar A. Functional brain imaging in late life depression and dementia. J Clin Psychiatr 1993 ;54 :11(suppl.) 21-5. 3. Ames D, Dolan R, Mann A. The distinction between depression and dementia in the very old. Int J Geriatr Psychiatr 1990 : 5 ; 193-8. 4. Carney M. Pseudodementia. British Journal of Hospital Medicine 1983 : 29 ; 312-8. 5. Alexopoulos GS. The course of geriatric depression with “reversible dementia” : a controlled study. AMJ Psychiatry 1993 : 150 ; 11. Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 3, juin 2000 Tableau III. Symptomatologie (à partir des critères de Wells). Dépression Démence le patient consulte seul le patient est amené par l’entourage début rapide des troubles début insidieux des troubles plainte sévère du déficit intellectuel anosognosie ou minimisation des troubles évolution rapide des troubles évolution lente des troubles ATCD psychiatriques (parfois très anciens) troubles mnésiques pour les activités demandant le plus d’effort altération de la mémoire portant sur les faits récents et anciens processus d’accès au savoir antérieurement acquis intact amélioration des performances mnésiques par des procédés de facilitation encodage préservé mais difficultés d’accès à la trace mnésique orientation temporospatiale respectée rare passé psychiatrique troubles mnésiques des faits récents syndrome de Capgras accès au savoir antérieurement acquis altér impossibilité de restituer "trois mots” après une activité interférente trouble de l’encodage orientation temporospatiale perturbée fréquence des réponses de type “je ne sais pas” réponses erronées hyperthymie douloureuse labilité émotionnelle ou abrasion des affect ralentissement psychomoteur global plaisir préservé pour des activités simples perte de l’estime de soi incurie, opposition, gestes ritualisés autoaccusation, idées noires aggravation vespérale des troubles aggravation matinale des troubles trouble de l’appétit, insomnie perte précoce des habiletés sociales pas d’anomalie à l’examen neurologique 106 appétit et sommeil conservés hypersomnie diurne tardive habiletés sociales maintenues apraxie réflexive précoce manque du mot, mot pour l’autre anomalie des réflexes