cas clinique Cas Clinique Un cas donné, une méthode à adopter ou à discuter Le beaujolais nouveau est arrivé… J. Servan* Monsieur B., âgé de La myélinolyse centroponti’ est au début du siècle qu’une équipe d’anatomosoixante-quatorze ans, ne se résume à un syndrome buveur invétéré mais en tétrapyramidal et pseudobulpathologistes transalpins, Marchiafava et Bignami, très bonne santé par a décrit précisément, puis donné son nom à la dégénérescence baire évoluant vers un mutisailleurs, présenta rapime akinétique, voire un alcoolique du corps calleux. Pendant presque un demi-siècle dement, à la sortie du décès lors du premier mois, cette complication rare de l’alcoolisme chronique allait rester bistrot, un trouble de très différent de ce qui était l’équilibre puis une une exclusivité italienne, mettant en cause la qualité observé chez notre patient. confusion suivie d’un Finalement, le diagnostic de des vins mais aussi une prédisposition de la race italienne. trouble de la vigilance démyélinisation calleuse est Il est vrai que ces propos suivaient le courant xénophobe de confinant au coma et évoqué après un supplément l’époque. Il a donc fallu attendre, en 1932, l’observation motivant son hospitalisavitaminique toujours indisbrésilienne d’un patient hongrois, qui ne connaissait ni l’Italie pensable mais resté peu effition en urgence. Par la suite, des périodes de ni ses vins, pour innocenter tout un pays. Depuis, la pathologie cace. Il est souvent difficile à somnolence alternèrent affirmer, et un grand nombre a traversé les frontières mais sans effacer certains préjugés avec une agitation parde cas passent inaperçus. La sur la piètre qualité des vins consommés. Nous rapportons fois délirante, toujours recherche d’un syndrome call’observation d’un Français ayant fêté avec enthousiasme agressive, et une fâcheuleux n’est pas systématique se tendance aux interl’arrivée de la cuvée 2000 du beaujolais nouveau. car parfois difficile à repérer jections g rossières au sein d’une multitude envers les infirmières. d’autres signes. Au scanner, L’examen notait une rigidité du membre sur les coupes horizontales, les lésions départ, qu’une difficulté à la marche sursupérieur gauche, fixé parfois dans une comprises entre deux couches de tissu sain tout liée à l’immobilisation et un trouble de position dystonique et, dans tous les cas, peuvent être difficiles à visualiser. mémoire concernant les événements du mal utilisé. La station debout et la marche C’est finalement le contexte de survenue premier mois. Le scanner, puis l’IRM céréétaient impossibles en l’absence de déficit. qui va orienter le diagnostic. Il s’agit de brale (figure) confirmèrent le diagnostic Progressivement, sur plusieurs semaines, grands alcooliques ayant derrière eux en de maladie de Marchiafava et Bignami. des signes frontaux (grasping, sucking, moyenne trente ans d’intoxication, le plus La discussion devant une encéphalopathie écholalie, collectionnisme, apathie) appasouvent sans complication majeure. Une chez l’alcoolique se concentre autour de rurent, rendant la prise en charge plus facicarence vitaminique n’est présente que quatre diagnostics : l’encéphalopathie de le. Les signes de dysconnexion calleuse dans un peu moins de la moitié des cas, Gayet-Wernicke, la pseudo-pellagre alcoocontrairement aux autres complications restaient discrets, limités à une apraxie lique, la myélinolyse centropontine et enfin plus classiques comme l’encéphalopathie idéomotrice gauche. Deux mois après le la maladie de Marachiafava et Bignami. de Gayet-Wernicke. Les signes cliniques début de son hospitalisation, les signes C’est plus un terrain dénutri avec amaigrisde la maladie de Marchiafava-Bignami frontaux régressèrent. Après quatre mois, sement qu’un long passé alcoolique qui peuvent ressembler à ceux d’une démence son discours et son comportement lui permotive les deux premiers diagnostics. Si le alcoolique, auxquels s’ajoutent des signes mettaient la reprise de ses activités (lecture, syndrome confuso-amnésique, les paralysous-corticaux : dysarthrie, tremblement, télévision). Il ne subsistait lors de son sies oculomotrices et le nystagmus caractéhypertonie diffuse, trouble de l’équilibre risent la carence en vitamine B1, la carence et de la marche, parfois céphalées et diffien PP est à l’origine d’une encéphalopathie cultés praxiques. L’évolution se fait lentemoins spécifique, marquée par un délire ment, sur trois à quatre ans, vers des agité et des hallucinations. Certains ont troubles de la conscience et le coma. Des souligné la présence d’une hypertonie oppoService de neurologie, sitionnelle intense et diffuse. Dans les deux poussées évolutives peuvent survenir, rythcentre hospitalier René-Dubos, Pontoise. cas, les séquelles sont fréquentes. mées par les excès alcooliques. Il existe C Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 2, mai 2000 74 cas clinique Cas Clinique une forme aiguë débutant en quelques semaines par une confusion stuporeuse, puis une apathie avec mutisme ou, à un moindre deg ré, une dysar thrie. L’hypertonie est intense avec attitude en décortication évoluant par paroxysmes. Par la suite, il peut apparaître un syndrome frontal, des troubles sphinctériens et de la marche, un syndrome pyramidal, mais aussi des troubles du comportement (agitation délirante). Après trois mois apparaît une phase de récupération qui peut conduire à la disparition complète des symptômes. Le syndrome de dysconnexion calleuse, très caractéristique, est en fait rarement mentionné dans les publications. Il est vrai qu’il n’est réellement connu que depuis 1962. De plus, il est souvent incomplet – ce sont uniquement les fibres centrocalleuses qui sont lésées – et donc difficile à diagnostiquer au début de la maladie. Macroscopiquement, les lésions sont axiales et prédominent sur le tiers antérieur du corps calleux. Elles peuvent déborder largement sur les centres ovales, pédoncules cérébelleux moyens et voies optiques. À l’échelle cellulaire, il peut s’agir, dans les formes chroniques d’une démyélinisation isolée évoluant vers l’atrophie. Dans les formes aiguës, on observe plutôt une nécrose diffuse, avec des altérations vasculaires et une forte réaction macrophagique. L’évolution se fait alors vers la cavitation. Dans plus de la moitié des cas étudiés, il existait une atteinte corticale, surtout frontale, sous la forme d’une sclérose laminaire semblable à celle qu’a décrite Morel en 1939 chez des patients alcooliques. Il s’agit d’ une bande macrogliale laminaire, occupant la troisième couche du cortex (spongiose, perte neuronale, réaction gliale), parfois la cinquième. Les tubercules mamillaires sont fréquemment épargnés, traduisant un mécanisme différent de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Le diagnostic radiologique fait une large place à l’imagerie par résonance magnétique nucléaire, plus performante que le scanner car elle permet des coupes fines et jointives dans les plans sagittal et coronal. À la phase aiguë, qui peut durer jusqu’à un mois, les séquences en premier écho de T2 mettent en évidence l’œdème sous forme d’un hypersignal et d’un gonflement du corps calleux. C’est à ce stade qu’il peut exister une prise de contraste. À la phase chronique, on observe soit une cavitation kystique sous la forme d’un hypo- ou d’un hypersignal, sur les séquences respectivement T1 et T2, soit une atrophie calleuse qui s’accompagne souvent d’une dilatation du troisième ventricule. Il y a rarement une prise de contraste En 1964, Souckhoroukova et son équipe ont étudié les effets d’une intoxication alcoolique subaiguë discontinue sur neuf chiens, sous la forme d’une seule absorption quotidienne par sonde nasogastrique d’alcool à 9 degrés (2 à 8 g/kg/jour, soit un équivalent de 5 litres de vin à 10 degrés) pendant 7 semaines à 3 ans. Après 2 mois, ils ont observé des lésions de myélinolyse calleuse tout à fait identiques à celles de l’homme mais aussi extracalleuses et corticales. Il n’existait aucune lésion évocatrice d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke. L’administration de vitamines B ou PP n’avait aucun effet protecteur hormis sur les lésions corticales. Il est difficile de ne pas penser à ces futurs patients s’autorisant chaque année la rituelle multiplica- tion des assauts alcooliques, qui reproduisent à merveille les conditions expérimentales. Si le beaujolais nouveau n’est probablement pas le meilleur de nos vins, rien ne permet de l’incriminer directement. Il n’en va pas de même du battage médiatique qui accompagne sa commercialisation. Sous le prétexte de perpétuer une tradition – qui n’en est d’ailleurs pas une –, l’arrivée du beaujolais nouveau devient chaque année, au plus profond du mois de novembre, un phénomène de mode incontournable. Parmi les nombreuses fêtes qui se multiplient au long du calendrier depuis quelques années, celleci risque, pour les plus assidus, de ne pas se répéter. Pour en savoir plus… Marchiafava E., Bignami A. Sopra un alterazione del corpo calloso osservata in soggetti alcoolisti. Rev patologia nervosa mentale 1903 ; 8 : 544-9. " Logak M., Feve A., Samson Y. et coll. Contribution of positron emission tomography in a case of Marchiafava Bignami disease : Morel’s laminar sclerosis ? Rev Neurol (Paris) 1996 ; 152(1) : 47-50. " Vuadens P., Bogousslavsky J. Complications nerveuses de l’alcoolisme. Encycl. Med. Chir., Paris, Neurologie, 7-161 B-10. " Figure. IRM cérébrale (coupe coronale pondérée en T1) : hyposignal de la partie centrale du corps calleux). 75