Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 2, mai 2000 74
Monsieur B., âgé de
soixante-quatorze ans,
buveur invétéré mais en
très bonne santé par
ailleurs, présenta rapi-
dement, à la sortie du
bistrot, un trouble de
l’équilibre puis une
confusion suivie d’un
trouble de la vigilance
confinant au coma et
motivant son hospitalisa-
tion en urgence. Par la
suite, des périodes de
somnolence alternèrent
avec une agitation par-
fois délirante, toujours
agressive, et une fâcheu-
se tendance aux inter-
jections grossières
envers les infirmières.
L’ e xamen notait une rigidité du membre
supérieur gauche, fixé parfois dans une
position dystonique et, dans tous les cas,
mal utilisé. La station debout et la marche
étaient impossibles en l’absence de déficit.
Progressivement, sur plusieurs semaines,
des signes frontaux (grasping, sucking,
écholalie, collectionnisme, apathie) appa-
rurent, rendant la prise en charge plus faci-
le. Les signes de dysconnexion calleuse
restaient discrets, limités à une apraxie
idéomotrice gauche. Deux mois après le
début de son hospitalisation, les signes
frontaux régressèrent. Après quatre mois,
son discours et son comportement lui per-
mettaient la reprise de ses activités (lecture,
télévision). Il ne subsistait lors de son
départ, qu’une difficulté à la marche sur-
tout liée à l’immobilisation et un trouble de
mémoire concernant les événements du
premier mois. Le scanner, puis l’IRM céré-
brale (figure) confirmèrent le diagnostic
de maladie de Marchiafava et Bignami.
La discussion devant une encéphalopathie
chez l’alcoolique se concentre autour de
quatre diagnostics : l’encéphalopathie de
Gayet-Wernicke, la pseudo-pellagre alcoo-
lique, la myélinolyse centropontine et enfin
la maladie de Marachiafava et Bignami.
C’est plus un terrain dénutri avec amaigris-
sement qu’un long passé alcoolique qui
motive les deux premiers diagnostics. Si le
syndrome confuso-amnésique, les paraly-
sies oculomotrices et le nystagmus caracté-
risent la carence en vitamine B1, la carence
en PP est à l’origine d’une encéphalopathie
moins spécifique, marquée par un délire
agité et des hallucinations. Certains ont
souligné la présence d’une hypertonie oppo-
sitionnelle intense et diffuse. Dans les deux
cas, les séquelles sont fréquentes.
La myélinolyse centroponti-
ne se résume à un syndrome
tétrapyramidal et pseudobul-
baire évoluant vers un mutis-
me akinétique, voire un
décès lors du premier mois,
très différent de ce qui était
observé chez notre patient.
Finalement, le diagnostic de
démyélinisation calleuse est
évoqué après un supplément
vitaminique toujours indis-
pensable mais resté peu effi-
cace. Il est souvent difficile à
affirmer, et un grand nombre
de cas passent inaperçus. La
recherche d’un syndrome cal-
leux n’est pas systématique
car parfois difficile à repérer
au sein d’une multitude
d’autres signes. Au scanner,
sur les coupes horizontales, les lésions
comprises entre deux couches de tissu sain
peuvent être difficiles à visualiser.
C’est finalement le contexte de survenue
qui va orienter le diagnostic. Il s’agit de
grands alcooliques ayant derrière eux en
moyenne trente ans d’intoxication, le plus
souvent sans complication majeure. Une
carence vitaminique n’est présente que
dans un peu moins de la moitié des cas,
contrairement aux autres complications
plus classiques comme l’encéphalopathie
de Gayet-Wernicke. Les signes cliniques
de la maladie de Marchiafava-Bignami
peuvent ressembler à ceux d’une démence
alcoolique, auxquels s’ajoutent des signes
sous-corticaux : dysarthrie, tremblement,
hypertonie diffuse, trouble de l’équilibre
et de la marche, parfois céphalées et diffi-
cultés praxiques. L’évolution se fait lente-
ment, sur trois à quatre ans, vers des
troubles de la conscience et le coma. Des
poussées évolutives peuvent survenir, ryth-
mées par les excès alcooliques. Il existe
Cest au début du siècle qu’une équipe d’anatomo-
pathologistes transalpins, Marchiafava et Bignami,
a décrit précisément, puis donné son nom à la dégénérescence
alcoolique du corps calleux. Pendant presque un demi-siècle
cette complication rare de l’alcoolisme chronique allait rester
une exclusivité italienne, mettant en cause la qualité
des vins mais aussi une prédisposition de la race italienne.
Il est vrai que ces propos suivaient le courant xénophobe de
l’époque. Il a donc fallu attendre, en 1932, l’observation
brésilienne d’un patient hongrois, qui ne connaissait ni l’Italie
ni ses vins, pour innocenter tout un pays. Depuis, la pathologie
a traversé les frontières mais sans effacer certains préjugés
sur la piètre qualité des vins consommés. Nous rapportons
l’observation d’un Français ayant fêté avec enthousiasme
l’arrivée de la cuvée 2000 du beaujolais nouveau.
Service de neurologie,
centre hospitalier René-Dubos, Pontoise.
cas clinique
Un cas donné,
une méthode
à adopter
ou à discuter
Cas Clinique
Le beaujolais nouveau est arrivé…
J. Servan*
une forme aiguë débutant en quelques
semaines par une confusion stuporeuse,
puis une apathie avec mutisme ou, à un
moindre degré, une dysarthrie.
L’ h ypertonie est intense avec attitude en
décortication évoluant par paroxysmes. Par
la suite, il peut apparaître un syndrome fron-
tal, des troubles sphinctériens et de la
marche, un syndrome pyramidal, mais aussi
des troubles du comportement (agitation
délirante). Après trois mois apparaît une
phase de récupération qui peut conduire à la
disparition complète des symptômes. Le
syndrome de dysconnexion calleuse, très
caractéristique, est en fait rarement mention-
né dans les publications. Il est vrai qu’il n’est
réellement connu que depuis 1962. De plus,
il est souvent incomplet – ce sont unique-
ment les fibres centrocalleuses qui sont
lésées – et donc difficile à diagnostiquer au
début de la maladie.
Macroscopiquement, les lésions sont
axiales et prédominent sur le tiers antérieur
du corps calleux. Elles peuvent déborder
largement sur les centres ovales, pédon-
cules cérébelleux moyens et voies optiques.
À l’échelle cellulaire, il peut s’agir, dans
les formes chroniques d’une démyélinisa-
tion isolée évoluant vers l’atrophie. Dans
les formes aiguës, on observe plutôt une
nécrose diffuse, avec des altérations vascu-
laires et une forte réaction macrophagique.
L’évolution se fait alors vers la cavitation.
Dans plus de la moitié des cas étudiés, il
existait une atteinte corticale, surtout fron-
tale, sous la forme d’une sclérose laminai-
re semblable à celle qu’a décrite Morel en
1939 chez des patients alcooliques. Il s’agit
d’ une bande macrogliale laminaire, occu-
pant la troisième couche du cortex (spon-
giose, perte neuronale, réaction gliale), par-
fois la cinquième. Les tubercules
mamillaires sont fréquemment épargnés,
traduisant un mécanisme différent de l’en-
céphalopathie de Gayet-Wernicke.
Le diagnostic radiologique fait une large
place à l’imagerie par résonance magné-
tique nucléaire, plus performante que le
scanner car elle permet des coupes fines et
jointives dans les plans sagittal et coronal.
À la phase aiguë, qui peut durer jusqu’à un
mois, les séquences en premier écho de T2
mettent en évidence l’œdème sous forme
d’un hypersignal et d’un gonflement du
corps calleux. C’est à ce stade qu’il peut
exister une prise de contraste. À la phase
chronique, on observe soit une cavitation
kystique sous la forme d’un hypo- ou
d’un hypersignal, sur les séquences res-
pectivement T1 et T2, soit une atrophie
calleuse qui s’accompagne souvent d’une
dilatation du troisième ventricule. Il y a
rarement une prise de contraste
En 1964, Souckhoroukova et son équipe
ont étudié les effets d’une intoxication
alcoolique subaiguë discontinue sur neuf
chiens, sous la forme d’une seule absorp-
tion quotidienne par sonde nasogastrique
d’alcool à 9 degrés (2 à 8 g/kg/jour, soit
un équivalent de 5 litres de vin à 10
degrés) pendant 7 semaines à 3 ans.
Après 2 mois, ils ont observé des lésions
de myélinolyse calleuse tout à fait iden-
tiques à celles de l’homme mais aussi
extracalleuses et corticales. Il n’existait
aucune lésion évocatrice d’encéphalopa-
thie de Gayet-Wernicke.
L’administration de vitamines B ou PP
n’avait aucun effet protecteur hormis sur
les lésions corticales. Il est difficile de ne
pas penser à ces futurs patients s’autori-
sant chaque année la rituelle multiplica-
tion des assauts alcooliques, qui reprodui-
sent à merveille les conditions expéri-
mentales.
Si le beaujolais nouveau n’est probable-
ment pas le meilleur de nos vins, rien ne
permet de l’incriminer directement. Il
n’en va pas de même du battage média-
tique qui accompagne sa commercialisa-
tion. Sous le prétexte de perpétuer une
tradition – qui n’en est d’ailleurs pas
une –, l’arrivée du beaujolais nouveau
devient chaque année, au plus profond du
mois de novembre, un phénomène de
mode incontournable. Parmi les nom-
breuses fêtes qui se multiplient au long du
calendrier depuis quelques années, celle-
ci risque, pour les plus assidus, de ne pas
se répéter.
Pour en savoir plus…
"Marchiafava E., Bignami A. Sopra un alte-
razione del corpo calloso osservata in sogget-
ti alcoolisti. Rev patologia nervosa mentale
1903 ; 8 : 544-9.
"Logak M., Feve A., Samson Y. et coll.
Contribution of positron emission tomogra-
phy in a case of Marchiafava Bignami disea-
se : Morel’s laminar sclerosis ? Rev Neurol
(Paris) 1996 ; 152(1) : 47-50.
"Vuadens P., Bogousslavsky J. Complications
nerveuses de l’alcoolisme. Encycl. Med.
Chir., Paris, Neurologie, 7-161 B-10.
Figure. IRM cérébrale
(coupe coronale pondé-
rée en T1) : hyposignal
de la partie centrale du
corps calleux).
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cas clinique
Cas Clinique
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