D ossier thématique Infections transmises par le greffon Coordinateur : Y. Calmus Recommandations : quelle information pour le futur receveur ? Recommendations: which information for the future recipient? ● C. Antoine* R é s u m é S u m m a ry Le recours à des donneurs présentant un risque infectieux pour le receveur (donneurs porteurs de marqueurs viraux de l’hépa­tite B ou C) a été rendu possible en 2005, de manière dérogatoire et sous la forme de protocoles rédigés par un groupe d’experts, mandatés par l’Afssaps. Le nombre de greffons supplémentaires apporté par les greffes dérogatoires a permis l’accès à la greffe pour 360 malades. L’information à délivrer au patient en attente d’une greffe est délicate et complexe, et nécessite une bonne maîtrise des données de la littérature et des protocoles édictés par l’Afssaps concernant les critères d’inclusion, les mesures prophylactiques ou les modalités de suivi. L’implication des sociétés savantes concernées et les informations délivrées par l’évaluation rigoureuse devraient permettre de mieux déterminer les profils de receveurs “bénéficiaires” de ce type de greffe, plus particulièrement en cas de donneur VHC+, promouvoir ces protocoles et diffuser l’information sur les recommandations qui l’entourent. Use of donors carrying an infectious risk for the recipient (donors with serologic markers for hepatitis B or C) has been possible since 2005, in a derogatory manner following protocols written by a group of experts called on by the AFSSAPS. The number of supplemental harvested organs brought by this measure has allowed transplantation of 360 patients.The information about those organs that has to be given to the patient is complex and delicate, and needs an excellent knowledge of the current medical literature as well as of the protocols written for these transplantations, including the inclusion criteria, the prophylactic measures to be taken and the necessary follow-up.The input of the medical societies involved and the informations coming from the follow-up of such transplanted patients should allow to better define the profiles of the patients benefiting most from this type of organs, most notably organs from HCV-positive donors, raise the number of patients concerned by this procedure and finally allow for a wider information of the procedure for both patients and physicians. “Consentement éclairé” du receveur, notamment en cas de greffe dérogatoire L’information au patient est un exercice difficile, et il est important pour le malade de pouvoir accéder à la connaissance des conditions de réalisation de sa greffe. La formalisation de cette information soulève beaucoup d’interrogations : pourquoi ? quand ? où ? qui ? quoi ? et comment ? Ces questions sont l’essence même du principe éthique du consentement éclairé (tableau). * Service de néphrologie, hôpital Saint-Louis, Paris. 82 CT N°2 2008.indd 82 Le consentement et les protocoles “dérogatoires” Ces protocoles permettent le recours à des donneurs présentant un risque infectieux pour le receveur (donneur porteur de marqueurs viraux de l’hépa­tite C [VHC+] ou de l’hépatite B [AcHBc+]). C’est une extension du dispositif de 1997 mis en place du fait de la pénurie d’organes, pour l’instant à titre dérogatoire. Ces protocoles émanent de recommandations d’un groupe d’experts mandatés par l’Afssaps (Décret n° 2005-1618 du 21 décembre 2005 relatif aux règles de sécurité sanitaire portant sur le prélèvement et l’utilisation des éléments et Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:35:07 D ossier thématique Tableau. Les principes éthiques qui ont conduit au concept de “consentement éclairé”, d’après P. Le Coz. Petit traité de la décision médicale, Édition Seuil. Principe d’autonomie Principe de bienfaisance Principe de non-malfaisance Devoir de valoriser la capacité du patient de décider par lui-même et pour lui-même, ce qui suppose qu’il soit informé en connaissance de cause et qu’il ne subisse pas de coercition. Accomplir un bien en faveur du patient = réfléchir sur les bénéfices possibles, en termes de qualité de vie, qu’est susceptible de lui apporter la transplantation. Devoir du médecin de ne pas exposer le malade au risque de subir un mal qui ne serait pas la contrepartie du rétablissement de sa santé primum non nocere hippocratique. produits du corps humain et modifiant le code de la santé publique [partie réglementaire] ; avis Afssaps du 11 mars 2006 [JO 11 mars 2006]). pourquoi ? Pour permettre l’accès à ces dérogations, un dispositif réglementaire transitoire a été mis en place en vue de procéder à l’évaluation de ce type de greffes. Dans tous les cas, le patient doit être préalablement informé et doit donner son accord sur la possibilité de recevoir un greffon porteur de marqueur(s) viral(aux) ou bactérien(s) [VHB, VHC et syphilis]. Il doit également bénéficier d’une prise en charge thérapeutique et d’un suivi post-greffe appropriés, comportant un suivi sérologique, biochimique et éventuellement histologique. La loi du 22 avril 2005 consacre la pré­éminence du consentement du patient, disposant de la manière la plus nette que : “Toute personne prend, avec le professionnel de santé, compte tenu des informations et des préconisations qu’il fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de son choix. […] Aucun acte médical, ni aucun traitement, ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment”. Le patient est donc partenaire à part entière de la prise de décision de recevoir une greffe dérogatoire. Où, qui et quand ? Cette information est délivrée lors de la ou des consultations pré-transplantation aussi bien pour les nouveaux inscrits que pour ceux déjà inscrits lors de la parution des textes législatifs. Cette disposition implique de reconvoquer les patients, soit près de 6 000 patients pour la seule liste d’attente en greffe rénale, volume qui explique en partie le nombre peu important d’inclusions. L’information est délivrée aux patients répondant aux critères d’inclusion et capables de recevoir l’information. Cette information doit être confirmée en préopératoire, notamment s’il s’agit d’un protocole dérogatoire, et doit porter sur le statut sérologique et virologique du donneur de greffon ainsi que sur l’impact de ce type de greffe. C’est en principe le médecin de l’équipe de greffe qui doit délivrer l’information, mais il est souhaitable que celle-ci soit connue et relayée par les médecins du réseau de soins pré- et post-greffe. Comment ? De la complexité accrue des propositions thérapeutiques Les informations prodiguées doivent permettent de prendre une décision éclairée. Pour ce faire, il est bien sûr nécessaire de sortir du discours scientifique, ce qui n’est pas toujours simple : “Une information utilisant toutes les ressources de la communication scientifique et culturelle doit pouvoir faire prendre conscience de l’intérêt de la stratégie, sans qu’une attitude de chantage 83 CT N°2 2008.indd 83 ne soit exercée”. Tout cela sans aggraver l’anxiété du patient, en lui laissant un délai de réflexion et en l’informant de son droit de revenir sur sa décision. De la notion de bénéfice/risque Le rapport entre le risque potentiel de transmission et le bénéfice de la greffe est très difficile à appréhender. Le contexte est celui de la pénurie d’organes avec la mortalité en liste d’attente pour les organes vitaux et les délais d’attente prolongés pour la greffe rénale. Il existe des contraintes logistiques de temps (ischémie) et de performance des examens microbiologiques qui ne permettent pas de pouvoir caractériser le risque au moment de la greffe. Le risque infectieux potentiel survient dans un contexte de receveurs “fragilisés” par l’insuffisance terminale d’organe puis par l’immunosuppression, mais aussi d’amélioration majeure des prophylaxies et des traitements curatifs anti-infectieux (efficacité attendue des traitements). Quelles informations ? Si l’on se réfère à l’avis du CCNE (Comité consultatif national d’éthique), une information est “l’expression de faits ou d’opinions explicités de façon apparemment objective, fondés sur un savoir porté par une personne, mais qui s’adressent à la subjectivité d’une autre personne. Une information ne peut donc jamais être purement objective, car la subjectivité de l’émetteur et celle du récepteur inter­agissent dans le processus de communication et modifient en permanence les conditions de l’échange”. Ainsi, tout ou une partie se résume au degré de connaissance et de conviction du transplanteur sur le sujet. Un des arguments ayant conduit à l’élaboration de ces recommandations, et devant être pris en compte Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:35:07 D ossier thématique Contenu de l’information : ◆ Les critères d’inclusion des receveurs ◆ Le risque de contamination ◆ Le fait que le risque réel ne soit pas connu au moment de l’information initiale ni au moment de la greffe (virémie, génotype) ◆ Les risques encourus par les greffons concernés par les protocoles dérogatoires ◆ Les possibilités de prise en charge thérapeutique (traitement à vie, etc.) ◆ Le protocole de suivi post-greffe (virologique, sérologique et histologique) ◆ Le fait que le futur receveur reste toujours candidat pour un greffon issu d’un donneur non porteur des marqueurs viraux ◆ La possibilité de se rétracter à tout moment imposés dans le texte réglementaire qui ont pour objectif, certes l’évaluation de cette pratique, mais surtout l’évaluation du risque réel et sa prévention. Il existe en tout 24 protocoles dérogatoires pour organes et tissus. Ils se déclinent pour la greffe d’organes en 12 protocoles de qualification et de suivi des receveurs avec 10 protocoles pour l’hépatite B (5 communs au cœur, poumons et reins et 5 pour le foie) et 2 protocoles concernant l’hépatite C. Jusqu’en avril 2007, la proposition d’un greffon porteur d’AcHBc+ était possible pour tous les receveurs à l’exception de ceux qui s’y étaient opposés et avaient été déclarés comme tel dans la base de données CRISTAL gérée par l’Agence de la biomédecine. Depuis avril 2007, pour les organes thoraciques et hépatiProtocoles dérogatoires : les critères d’inclusion dans ­l’information, est l’augmentation potentielle du nombre de greffes et donc, à l’échelon du patient en attente, une diminution de sa durée d’attente. Effectivement, entre janvier 2006 et septembre 2007, le protocole dérogatoire pour le VHB a permis le prélèvement de 171 donneurs porteurs de l’AcHBc+ isolé ou associé à l’Ac anti-HBs et 360 greffes dont : ✓ 255 greffes rénales (71 %), soit + 5 % de greffes ; ✓ 81 greffes hépatiques (23 %), soit + 4,4 % de greffes ; ✓ 14 greffes cardiaques (4 %), soit + 2 % de greffes ; ✓ 8 greffes pulmonaires, 1 greffe cœurpoumon, soit + 2,5 % de greffes ; ✓ 1 greffe de la face. L’information sur le ou les risques est plus délicate. Il s’agit non seulement de maîtriser les données prolifiques de la littérature médicale dans ce domaine, mais aussi de connaître les recommandations concernant les critères d’inclusion et les modalités de traitement et de suivi ◆ Greffons VHC+ : • ciblés sur les receveurs virémiques, ARN-VHC+ (recherche de virémie datant de moins de 6 mois) ; • histologie hépatique de référence et génotype connu. ◆ Greffons AcHBc+ : • Ac anti-HBc+ isolé ou associé à l’Ac anti-HBs+ ; • à l’exclusion des donneurs porteurs de l’Ag HBs ; • concerne tous les receveurs ; • vaccination anti-VHB systématique des receveurs naïfs ; • non recommandée en cas d’échec de la vaccination. ◆ Pour les donneurs vivants : avant le prélèvement, consultation obligatoire du collège d’experts “donneurs vivants”, animé par l’Agence de la biomédecine et présidé par le Pr S. Pol. L’avis du comité est ensuite transmis au comité “donneurs vivants”, qui examine la situation et la motivation du donneur. 84 CT N°2 2008.indd 84 ques, et depuis juin 2007 pour la greffe rénale, un enregistrement de l’accord volontaire du receveur sur CRISTAL est obligatoire. Cet enregistrement a d’emblée été rendu obligatoire pour le protocole dérogatoire VHC+. Les mesures prophylactiques Protocoles de l’Afssaps ◆ Protocoles de soins spécifiques en pré- et post-transplantation en cas de donneur AcHBc+ isolé ou associé à l’anti-HBs, stratifié selon : • le statut sérologique du receveur (taux d’Ac anti-HBs protecteur) ; • la présence d’ADN du VHB chez le donneur. ◆ Prise en charge thérapeutique : • maintien du titre d’anti-HBs supérieur à 100 UI/l par immunoprophylaxie par Ig anti-HBs ; • antiviraux si nécessaire, seuls ou en association ; • tentative de (re)vaccination à distance de la greffe. Protocole de surveillance post-greffe L’objectif est de déterminer le risque de transmission, l’évolution de l’hépatite et les conséquences sur la survie du greffon. Les données de la surveillance devraient nous apporter les éléments nécessaires à une prise de décision plus éclairée. La surveillance post-greffe consiste à rechercher et à quantifier la charge virale du donneur en rétrospectif. Il y a également tout un protocole de suivi virologique et histologique spécifique au statut sérologique du couple receveur/donneur. Si cette surveillance n’est pas pratiquée de façon correcte, l’évaluation des résultats en sera affectée, faisant prendre le risque que les autorités de santé remettent en cause ce dispositif au-delà du 21 décembre 2009. Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:35:07 D ossier thématique L’évaluation réalisée par l’Agence de la biomédecine et exigée dans les textes réglementaires souligne les difficultés d’appropriation par les cliniciens des critères d’inclusion, des différentes déclinaisons prophylactiques et du suivi pour les greffes dérogatoires. Cette évaluation requiert que les modalités et le calendrier de suivi des patients inclus dans ces protocoles définis par l’Agence de la biomédecine soient strictement respectés par les équipes médicales. Exemple du protocole dérogatoire pour le VHB Le bilan du 1 er janvier 2006 au 24 septembre 2007 montre qu’il manque environ 36 % des suivis sérologiques. Onze pour cent des greffes rénales dérogatoires ont été réalisées chez des receveurs naïfs alors que les textes règlementaires ne le prévoient qu’en cas de menace vitale. Chez 3 patients AcHBcet AcHBs- ayant reçu un greffon hépatique de donneurs AcHBc+ et AcHBs+, le suivi a montré une séroconversion AgHBs+. Du fait de la méconnaissance du protocole dérogatoire par l’équipe de suivi, ces patients n’ont pas reçu de traitement prophylactique. Par ailleurs, le suivi révèle une séroconversion potentielle anti-HBC+ chez 4 patients, 2 greffes pulmonaires, une greffe rénale et une greffe hépatique et l’absence de séroconversion AgHBs+ chez les receveurs AcHBc+ en prégreffe. L’examen de la liste d’attente a surtout montré qu’un nombre important de patients n’avaient pas été inclus alors qu’ils répondaient aux critères sérologiques d’inclusion. Exemple du protocole dérogatoire pour le VHC Le bilan en 2006 montre qu’il y a eu 23 donneurs VHC+ non prélevés faute de candidats à la greffe en attente. Parmi les 4 donneurs AcVHC+ prélevés, 3 étaient virémiques et ont donné lieu à 8 greffes (4 greffes hépatiques, 3 greffes rénales, 1 greffe cardiaque). Le suivi post-greffe (seuls 4 suivis de receveurs étaient disponibles) a révélé, certes sur un petit nombre de cas, la domination du génotype du donneur sur celui du receveur et ­l’absence d’hépatite aiguë. Ces données sont extraites du bilan d’activité des protocoles dérogatoires présenté par le Dr F. Pessione, de la direction médicale et scientifique de l’Agence de la biomédecine. Le faible nombre de patients inclus dans ce protocole a vraisemblablement une explication multifactorielle : baisse importante de la prévalence de cette infection dans la population des patients dialysés, meilleure efficacité du traitement antiviral mais aussi probablement des interrogations des praticiens quant à l’impact sur la survie des patients et l’évolution de l’hépatopathie, de l’utilisation d’un greffon VHC+ chez un receveur virémique VHC+. Le recours à des greffons porteurs de marqueurs sérologiques du VHC est en place depuis longtemps dans d’autres pays européens et outre-atlantique. Les données de la littérature sont plutôt favorables en termes d’amélioration d’accès à la greffe et de résultats mais restent parfois difficiles à interpréter, avec des résultats contradictoires, quant à l’évolution de la maladie hépatique en cas d’infection virale C et avec une inconnue de poids sur le long terme, notamment en cas de surinfection par un génotype VHC différent de celui du receveur. La littérature ne rapporte que des données sur le court ou moyen terme, avec une définition souvent imprécise de la population étudiée donneurs-receveurs, en particulier visà-vis de leur statut virémique pour le VHC. 85 CT N°2 2008.indd 85 Conclusion Le nombre de greffons supplémentaires apportés par les greffes dérogatoires est important dans le contexte de pénurie (5,7 % des greffes en 2007 pour les dérogations VHB+). L’information qui doit être délivrée au patient en attente de greffe est délicate et complexe et nécessite de bien maîtriser les protocoles édictés par l’Afssaps, aussi bien pour les critères d’inclusion que dans l’administration des mesures prophylactiques ou dans les modalités de suivi, dans le but d’identifier et de prévenir le risque infectieux potentiel. Les protocoles prophylactiques sont synthétiques et gagneraient certainement en lisibilité si les mesures thérapeutiques étaient argumentées et détaillées. Beaucoup de cliniciens sont encore très hésitants visà-vis de la balance bénéfice-risque, notamment en cas de greffon VHC+. Les sociétés savantes impliquées dans l’activité de transplantation et les informations délivrées par l’évaluation rigoureuse de ces protocoles faite par l’Agence de la biomédecine devraient permettre de mieux déterminer les profils des receveurs “bénéficiaires” de ce type de greffe, plus particulièrement en cas de donneur VHC+, de promouvoir ces protocoles, de diffuser l’information sur les recommandations qui l’entourent et peut-être même de proposer une notice d’information commune destinée aux patients. Les protocoles dérogatoires doivent être évalués et suivis régulièrement et rigoureusement pour alimenter le contenu de l’information et poursuivre ce type de greffe. Il serait intéressant d’étendre cette réflexion aux donneurs porteurs d’autres marqueurs viraux – HTLV+, par exemple. ■ Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:35:08