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Sevrage alcoolique : un champ
d’application potentiel
de la stimulation magnétique
transcrânienne répétée (SMTr) ?
Alcohol withdrawal with repeat transcranial magnetic
stimulation (rTMS)
L. Bindler*, M.V. Chopin*, C.S. Peretti *
La stimulation magnétique transcrânienne répétée (SMTr) est une technique relativement récente utilisée en psychiatrie dans diverses pathologies. L’objectif de cet article
est de réaliser une revue de la littérature afin de préciser l’état actuel des connaissances sur les effets de la SMTr dans le traitement du sevrage des patients souffrant
d’alcoolisme.
L’envie impérieuse de consommer (ou craving) semble être la cible principale du
sevrage alcoolique. Les traitements médicamenteux du craving sont d’une efficacité
imparfaite et nous nous sommes demandés si la SMTr peut être envisagée comme un
outil thérapeutique applicable à l’envie de consommer des patients alcooliques.
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La SMTr est une technique non invasive et
bien tolérée de stimulation du cerveau humain
(1). Reposant sur le principe de Faraday, elle
consiste à appliquer de façon répétitive un
champ magnétique en regard de zones cérébrales corticales, entraînant ainsi des modifications cliniques (2). En psychiatrie, la SMTr
a montré une efficacité dans le traitement des
états dépressifs majeurs (3), des hallucinations
auditives (4) et de la symptomatologie déficitaire de la schizophrénie (5, 6).
En ce qui concerne le sevrage alcoolique, les
enjeux et la place de cette nouvelle technique
aigu apparaissent dans les premières heures et
jours suivant l’arrêt de la consommation. Il est
caractérisé par un risque important de survenue de symptômes de sevrage traduisant un
état de manque psychique, comportemental et
physique. Le sevrage aigu est une étape essentielle pour envisager l’abstinence du patient alcoolique. L’hydratation et la vitaminothérapie
mises à part, les benzodiazépines (BZD) sont
aujourd’hui le traitement médicamenteux de
première intention du syndrome de sevrage
* Service de psychiatrie et de psychologie médicale,
hôpital Saint-Antoine, Paris.
alcoolique (7). Elles en réduisent l’incidence et
la sévérité. Cependant, la prescription de BZD
chez les patients alcooliques peut poser deux
problèmes : le premier est un risque de décompensation de la fonction hépatique, fragilisée
chez ces patients par l’intoxication alcoolique
chronique, par la prescription de BZD dont
le métabolisme est principalement hépatique.
Le second est un risque de développer une dépendance aux BZD. En effet, ces psychotropes
ont un potentiel addictogène important, en
particulier chez des patients à risque de dépendance.
Une hypothèse sous-tendant l’étude de l’utilisation de la SMTr dans le sevrage alcoolique
aigu repose sur le fait que ce traitement serait
susceptible de réduire la prescription de BZD
dans cette indication et leurs effets délétères. À
notre connaissance, aucune étude, à ce jour, n’a
analysé les effets de séances de SMTr chez des
patients en période de sevrage aigu alcoolique.
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Question préalable : le sevrage, une affaire de
craving ? Le craving se définit comme l’envie
impérieuse de consommer de l’alcool avec des
pensées obsédantes de consommation (8). Il
est considéré comme le facteur majeur de dépendance alcoolique, responsable du maintien
Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – Janvier-février-mars 2011
18
Mots-clés : Alcool, Stimulation
magnétique transcrânienne répétée
(SMTr), Sevrage, Abstinence.
Keywords : Alcohol, Repeated
transcranial magnetic stimulation (rTMS),
Withdrawal, Abstinence.
des comportements de consommation et de
rechute (9). Il peut être considéré comme la
cible principale des prises en charge au long
cours des patients alcooliques sevrés : une diminution de l’envie impérieuse de consommer
serait une condition du maintien de l’abstinence.
Sur le plan neurobiologique, le craving met en
jeu les systèmes de récompense cérébraux, représentés par la voie méso-cortico-limbique
(10). En particulier, de nombreuses études ont
montré le rôle du cortex dorsolatéral préfrontal dans ces connexions méso-fronto-limbiques (10).
À ce jour, les différents traitements d’aide au
maintien du sevrage alcoolique restent imparfaitement efficaces sur le craving. La SMTr en
a ainsi été proposée comme un traitement spécifique pouvant permettre une abstinence de
plus longue durée.
Peu d’études d’efficacité de cette technique ont
été menées sur le craving dans les addictions
hors alcool. Certaines d’entre elles ont montré
qu’elle avait une action anti-craving dans l’addiction à la nicotine et à la cocaïne. En particulier, trois d'entre elles ont étudié les effets de la
SMTr sur le craving de patients dépendants
à la nicotine. La première, randomisée, a
montré une diminution significativement plus
importante du craving (mesuré par échelle visuelle analogique) chez les patients traités par
une séance de SMTr à haute fréquence comparés à ceux traités par stimulation-placebo (11).
La seconde, menée chez 14 patients traités
par une session unique de SMTr à haute fréquence (10 Hz), en regard du cortex préfrontal
dorsolatéral gauche, a montré une diminution
(non significative) du craving et du nombre
de cigarettes fumées (12). Enfin, la troisième,
de Amiaz et al. (13), a, elle aussi, montré une
réduction significative du craving et de la
consommation de cigarettes chez 48 patients
dépendants à la nicotine traités par 10 sessions
de SMTr à haute fréquence.
Une étude menée en cross-over chez des patients présentant les critères de dépendance à
la cocaïne a montré que 2 sessions de SMTr à
haute fréquence appliquée en regard du cortex dorsolatéral préfrontal droit diminuent de
plus de 19 % le craving (mesuré par échelles visuelles analogiques) chez les patients, pendant
près de 4 heures (14). Les deux sessions identiques de SMTr appliquées en regard du cortex
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dorsolatéral préfrontal gauche n’entraînent
pas de diminution du craving dans cette étude
(14). Cependant, dans une autre étude, Politi
et al. (15) ont montré que la répétition des
séances de SMTr à haute fréquence (10 Hz)
en regard du cortex dorso-latéral préfrontal
gauche permet d’obtenir une diminution du
craving chez des patients dépendants à la cocaïne.
Le nombre très faible d’études et l’absence de
réplication des résultats sur de grands échantillons limitent la portée de ces résultats, mais
celles qui existent suggèrent une tendance de
la SMTr à diminuer le craving à la nicotine et à
la cocaïne. Le choix du côté de la stimulation,
en particulier la latéralisation en regard du
cortex dorsolatéral préfrontal droit ou gauche,
semble jouer un rôle fondamental.
La technique serait-elle efficace sur le craving
pour l’alcool de patients sevrés ? Dans la littérature internationale, il n’existe qu’une seule
étude explorant les effets de sessions de SMTr
sur le craving de patients alcooliques (16). Elle
a été réalisée en simple aveugle comparant les
effets de la SMTr à ceux de stimulations placebo. Les sujets participants étaient 45 patients
droitiers hospitalisés, 30 bénéficiant d’un
traitement par SMTr et 15 de stimulations
placebo, répartis de manière randomisée, alcoolodépendants selon les critères de la CIM10. Les séances de stimulations étaient commencées chez des patients abstinents depuis
plus de 10 jours. Les résultats montrent que
les patients traités par 10 sessions de SMTr à
10 Hz et 110 % du seuil moteur appliquées en
regard du cortex dorsolatéral préfrontal droit
ont une diminution significativement plus importante des scores d’intensité de craving mesurés par l’Alcohol Craving Questionnaire que
ceux traités dans les mêmes conditions par
stimulations placebo. Concernant la tolérance
de la SMTr, un patient a eu une crise convulsive généralisée après la troisième séance de
SMTr. Les auteurs rapportent cet événement
indésirable à un sevrage des BZD peut-être
trop rapide.
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Peu d’éléments nous renseignent sur le mécanisme d’action de la SMTr sur le craving. Certaines études exploratoires ont montré chez le
volontaire sain une activation striatale liée à la
SMTr (17, 18). Pogarell et al. (19) ont trouvé
une augmentation de la dopamine striatale
suivant les séances de SMT à haute fréquence.
L’hypothèse physiopathologique proposée est
celle d’une action de la SMTr sur les circuits
mésocorticolimbiques dopaminergiques, en
particulier les cortex dorsolatéraux préfrontaux droit et gauche. Cette action reste mal
précisée mais pourrait être responsable de
l’activité anti-craving de la SMTr constatée
dans certaines études (16, 20).
D'autres ont montré que le sevrage aigu s’accompagne d’un relargage glutamatergique
massif dans certaines régions cérébrales (21).
Le cortex cingulaire antérieur appartient aux
régions cérébrales impliquées dans les addictions (20). Or, il a également été montré
dans d’autres études une augmentation de la
concentration en glutamate dans le cortex cingulaire antérieur de patients dépressifs traités
par SMTr (22). Il est ainsi possible de penser
qu’il pourrait exister un lien entre l’augmentation de glutamate induite par la SMTr dans le
cortex cingulaire antérieur et les effets potentiels de cette technique sur le sevrage alcoolique aigu.
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Les résultats de cette revue de la littérature
indiquent que la réduction de l’intensité du
craving est un enjeu majeur de la prise en
charge des patients alcooliques. Trop peu de
publications existent, mais les résultats obtenus concernant les effets de la SMTr sur le
sevrage alcoolique, notamment sur le craving,
sont encourageants. Il paraît donc nécessaire
de confirmer et préciser les résultats déjà obtenus par l’étude de populations plus importantes et pendant une durée plus longue. En
effet, si les recherches déjà réalisées ont montré des effets anti-craving de la SMTr, l’enjeu
du sevrage alcoolique réside dans le maintien
de cette réduction du craving dans le temps.
Une perspective de recherche pourrait être
d’étudier l’évolution des scores de craving de
patients alcooliques sevrés et traités par SMTr
sur une période d’observation de plusieurs
semaines et d’explorer l’intérêt de séances de
SMTr d’entretien dans le maintien du sevrage
alcoolique à moyen terme.
Des études de tolérance et de sécurité d’emploi semblent également nécessaires avant
l’utilisation d’une technique modulant l’excitabilité corticale chez des patients qui ont un
seuil épileptogène abaissé par la consommation chronique d’alcool, le sevrage et l’arrêt
v
parfois trop rapide des BZD.
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Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – Janvier-février-mars 2011
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