Infection par le VIH et comorbidité Coordonné par le Dr Jean-Luc Meynard Cette rubrique a été réalisée avec le soutien institutionnel du laboratoire Abbott. Interview du Dr Emmanuelle Plaisier Néphrologue Hôpital Tenon, Paris Dans le respect total de l’indépendance scientifique et éditoriale. Risque rénal chez le patient infecté par le VIH Comment – et à quel rythme – peuton évaluer la fonction rénale chez les patients infectés par le VIH ? Y a-t-il des précautions particulières à prendre lors de l’instauration d’un traitement antirétroviral ? Si l’on se réfère aux recommandations actuelles de prise en charge des patients infectés par le VIH (Rapport Yeni 2010) [1], l’évaluation de la fonction rénale repose sur le dosage de la créatinine, le calcul du débit de filtration glomérulaire (DFG) grâce à la formule MDRD* et le dépistage d’une protéinurie/ hématurie à la bandelette urinaire. Une valeur du DFG inférieure à 60 ml/mn et/ou l’existence d’une protéinurie/hématurie constituent des indications à un avis spécialisé néphrologique. Cette évaluation de la fonction rénale doit être réalisée au diagnostic d’infection, à l’instauration du premier traitement antirétroviral, avec un bilan annuel chez les patients considérés comme étant à risque particulier (sujets d’origine africaine, co-infectés VIH-VHC, diabétiques, hypertendus, ayant un taux de CD4 inférieur à 200 cellules/ mm 3 et/ou une charge virale non contrôlée). Concernant les traitements antirétroviraux, le résumé des caractéristiques du produit du ténofovir stipule qu’il est nécessaire de réaliser un calcul du DFG et une mesure de la phosphorémie en préthérapeutique, et la surveillance de la fonction rénale sous traitement est mensuelle la première année, puis trimestrielle les années suivantes. Quels sont les autres facteurs de risque d’altération de la fonction rénale chez ces patients ? Il existe en effet de nombreux autres facteurs de risque chez les patients infectés par le VIH. Pour l’essentiel, il s’agit de la prise de médicaments néphro toxiques (lithium, anti-inflammatoires, chimiothérapies telles que le méthotrexate, le cisplatine ou le cyclophosphamide). Il importe également de prendre en compte toutes les causes d’uropathie, particulièrement fréquentes dans ce type de population : pathologies prostatiques, infections urinaires basses ou hautes, lithiase rénale… Au final, un pourcentage important de patients est concerné par cette surveillance rapprochée (au moins 1 fois par an) de la fonction rénale. Quelle est la relation entre fonction rénale et risque cardiovasculaire ? En population générale, les études épidémiologiques (2) ont montré que l’existence d’une maladie rénale multipliait par 2 ou 3 le risque de survenue d’événements cardiovasculaires. Chez le patient dialysé, stade ultime d’altération de la fonction rénale, ce risque est multiplié par 15 à 30 (2). Cela illustre bien le poids de la maladie rénale chronique dans le risque cardiovasculaire, et ce d’autant plus que les facteurs classiques de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, tabagisme, obésité, diabète) sont également des facteurs connus d’aggravation de la fonction rénale. Chez le patient infecté par le VIH, les données issues des études de cohorte (EuroSIDA, cohorte Aquitaine) [3, 4] ont montré que l’incidence de la maladie rénale chronique est environ 10 fois plus importante qu’en population générale, même si l’on manque pour l’instant d’études épidémiologiques ayant établi un lien direct avec une augmentation du risque cardiovasculaire chez ces patients. Quoi qu’il en soit, l’évaluation de la fonction rénale dans toutes ses composantes est indispensable au cours du suivi des patients infectés par le VIH et encore trop souvent négligée. La prise en compte de ce risque rénal à court, moyen et long terme représente un enjeu majeur pour les années à venir. Références bibliographiques * Calcul de la clairance de la créatinine selon la formule MDRD (Modification of Diet in Renal Disease) : calculateur accessible sur Internet : http://mdrd.com/ Chez l’homme : 186 × [créatinine (μmol/l) × 0,0113]-1,154 × âge- 0,203. – × 1,21 pour les sujets d’origine africaine. – × 0,742 pour les femmes. 1. Rapport Yeni 2010, www.sante. gouv.fr 2. Go AS et al. N Engl J Med 2004; 351:1296-305. 3. Mocroft A et al. AIDS 2010; 24:1667-78. 4. Déti EK et al. HIV Med 2010; 11:308-17. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 3 - mai-juin 2012 | 103