À Pharmacogénétique en oncologie DOSSIER THÉMATIQUE

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DOSSIER THÉMATIQUE
Pharmacogénétique
Pharmacogénétique
en oncologie
Pharmacogenetics in oncology
L. Becquemont*
À
la fin du siècle dernier, l’avènement des thérapies ciblées, comme les inhibiteurs de tyrosine kinase et les anticorps monoclonaux, a
marqué une véritable révolution en oncologie. Ces
nouvelles thérapeutiques, qui s’opposent aux médicaments cytotoxiques peu spécifiques (toxiques pour
la plupart des cellules de notre organisme), visent une
cible très spécifique au sein de la tumeur. La présence
ou l’absence d’expression de la cible du médicament
permet d’identifier une population cible, susceptible
de répondre ou non au médicament (1).
Contrairement aux autres spécialités médicales, la
pharmacogénétique dans le domaine de l’oncologie
concerne principalement des variations génétiques
au sein des tumeurs et sur les cibles des médicaments. Ces variants génétiques tumoraux prédisent
non pas des modifications de la pharmacocinétique
des médicaments (associées à des surdosages et à
des effets indésirables dose-dépendants), mais des
modifications de leur pharmacodynamie, permettant dans un nombre croissant de cas d’identifier si
le patient est susceptible de répondre ou non à une
thérapie ciblée donnée.
Pharmacogénétique des cibles
de médicaments antitumoraux
(tableau I)
* Pharmacologue médical, faculté
de médecine et université Paris-Sud,
unité de recherche clinique et centre
de recherche clinique, hôpital Bicêtre,
Le Kremlin-Bicêtre.
Les premiers exemples d’indication de traitements
anticancéreux restreints à une population cible ont
concerné le cancer du sein, avec l’identification de
tumeurs exprimant ou non des récepteurs estrogéniques, puis à la progestérone, puis le récepteur HER2, dont les patients atteints bénéficient
d’antiandrogènes, d’inhibiteurs d’aromatase ou de
trastuzumab. La liste des cibles oncologiques (2)
pouvant être inhibées par des petites molécules
ou des anticorps monoclonaux s’est, depuis, considérablement allongée ; chaque année, de nouvelles
cibles tumorales sont identifiées et de nouvelles
molécules apparaissent sur le marché. La présence
de ces cibles dans la tumeur, résultant de mutations
ou de réarrangements, identifie la population cible,
comme dans l’exemple du chromosome de Philadelphie, à l’origine d’une translocation chromosomique conduisant à l’expression d’un gène de fusion
bcr-abl, cible de l’imatinib. Parfois, les mutations
surviennent dans les voies de transduction du signal
de la cible, comme dans le cas des mutations KRAS,
identifiant alors des patients non répondeurs au traitement anti-EGFR. Certains inhibiteurs de tyrosine
kinases à spécificité multiple peuvent être indiqués
dans différents cancers (comme l’imatinib). Enfin,
certaines mutations apparaissent secondairement
au sein de ces mêmes cibles lors d’un échappement
au traitement, et prédisent la résistance au traitement ; il est probable que les thérapies ciblées
sélectionnent d’emblée un clone tumoral résistant
au traitement, responsable de la rechute, tout
comme un antibiotique sélectionne les bactéries
résistantes (cas de l’imatinib ou du géfitinib). Les
découvertes s’accélérant, on rapporte parfois dans
le même temps la cible, le médicament qui l’antagonise et les mutations qui prédisent une résistance
au traitement (3, 4).
L’ensemble de ces marqueurs tumoraux génétiques
identifie des sous-catégories d’un même type de
cancer ; à chacune d’elles correspond une thérapie
ciblée donnée, ouvrant vraiment l’espoir d’une médecine personnalisée lorsque le séquençage entier et
systématique de chaque tumeur sera devenu une
réalité clinique.
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Points forts
»» L’oncologie est le domaine dans lequel la pharmacogénétique s’est le plus développée, avec l’avènement des thérapies ciblées : c’est ce que l’on appelle la médecine personnalisée.
»» Ce sont principalement des variations génétiques de la cible des médicaments au sein des tumeurs qui
permettent de prédire le statut répondeur ou non répondeur du patient à un médicament donné.
»» La fréquence de découverte de nouveaux biomarqueurs génétiques tumoraux croît exponentiellement.
Ils conduisent à une stratification de chaque cancer en fonction des biomarqueurs présents, pour lesquels
de nouveaux médicaments sont alors de plus en plus rapidement développés.
Tableau I. Données pharmacogénétiques tumorales introduites dans les autorisations de mise sur le marché par la Food
and Drug Administration ou l’Agence européenne du médicament : génétique somatique (tumeurs) [5].
Molécule
Cancer
Biomarqueur pharmacogénétique
au sein de la tumeur
Remarques
Imatinib
Tumeurs stromales
gastro-intestinales (GIST)
C-kit (CD117)
Présence de C-kit dans la tumeur :
population cible
Imatinib
Syndromes
myélodysplasiques/
myéloprolifératifs
PDGFR
Présence de réarrangements
de PDGFR dans la tumeur :
population cible
Imatinib, nilotinib,
dasatinib
Leucémie myéloïde
chronique
Gène de fusion aberrant bcr-abl
Population cible
Imatinib
Leucémie myéloïde
chronique
Apparition secondaire de mutations
de bcr-abl (6)
L’apparition secondaire
de mutations est associée
à l’échappement au traitement
Crizotinib
Poumon non à petites
cellules
Gène de fusion aberrant
EML4-ALK (4)
Population cible
Crizotinib
Poumon non à petites
cellules
Apparition secondaire de mutations
d’ALK (3)
L’apparition secondaire
de mutations est associée
à l’échappement au traitement
Géfitinib, erlotinib
Poumon non à petites
cellules
EGFR avec mutations activatrices (7)
Population cible
Géfitinib, erlotinib
Poumon non à petites
cellules
Absence de mutation T790M (7)
La présence de la mutation
T790M d’EGFR est associée
à l’absence de réponse
Panitumumab,
cétuximab
Cancer du côlon
Tumeur exprimant EGFR sans
mutations KRAS (7)
La présence de mutations KRAS
est associée à l’absence de
réponse
Vémurafénib
Mélanome
BRAF avec mutation V600E (8)
Population cible
Mots-clés
Oncogénétique
Médecine
personnalisée
Biomarqueur
Population cible
Highlights
»» Oncology is the area where
pharmacogenetics is the most
developed with the advent
of targeted therapies, participating to the so-called “personalized medicine”.
»» In this context, genetic variations of drug targets in tumors
predict the responder status of
a given patient to a given drug.
»» The rate of discovery of new
tumoral genetic biomarkers
grows exponentially. They lead
to a new stratification of each
cancer, for which new drugs
targeting these biomarkers
are then developed more and
more rapidly.
Keywords
Oncogenetics
Personalized medicine
Biomarker
Target population
Tableau II. Données pharmacogénétiques oncologiques sur les enzymes du métabolisme introduites dans les autorisations
de mise sur le marché par la Food and Drug Administration ou l’Agence européenne du médicament : génétique constitutionnelle (5).
Molécule
Cancer
Biomarqueur
pharmacogénétique
Remarques
6-mercaptopurine
Leucémie aiguë
lymphocytaire de l’enfant
TPMT
Adaptation de posologie chez les patients déficients
en TPMT en raison du risque de neutropénie
5-fluoro-uracile,
capécitabine
Cancer du côlon
DPD
Contre-indication chez les patients déficients
en DPD, risque de toxicité fatale
Irinotécan
Cancer du côlon
UGT1A1
Réduction de posologie chez les patients
homozygotes UGT1A1*28/*28
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DOSSIER THÉMATIQUE
Pharmacogénétique
Pharmacogénétique en oncologie
Pharmacogénétique
oncologique “classique”
identifiant des patients à risque
d’effets indésirables
L ’auteur déclare avoir des liens
d’intérêts avec les laboratoires GSK,
Roche, Sanofi et Servier.
Il existe aussi quelques exemple de pharmacogénétique “conventionnelle”, portant sur des variants
de notre génome (pas celui de la tumeur) au sein
de gènes codant pour des enzymes du métabolisme, comme indiqué dans le tableau II, p. 67. On
identifie alors des patients déficients en certaines
enzymes impliquées dans le métabolisme et l’élimination de certains cytotoxiques ; ces derniers
risquent d’entraîner des effets indésirables du fait
de la cytotoxicité.
L’exemple de la thiopurine méthyltransférase
(TPMT) est détaillé dans l’article page 72. Les
dérivés pyrimidiques sont détoxiqués et éliminés
par une enzyme, la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), dont l’activité peut être déficiente chez
certains patients, pour lesquels ces médicaments
sont alors contre-indiqués en raison d’un risque de
toxicité létale. Il en va de même pour l’irinotécan,
dont la clairance implique une enzyme de glucuroconjugaison, l’UGT1A1. Chez les patients dont
l’activité de l’UGT1A1 est diminuée, une réduction
de la posologie doit être envisagée.
Conclusion
C’est dans le domaine de l’oncologie que la pharmacogénétique connaît le plus grand essor depuis
le début du siècle. L’identification d’un nombre
croissant de nouveaux biomarqueurs génétiques
intratumoraux permet de définir de nouvelles cibles
thérapeutiques et de nouveaux médicaments.
Lorsque le séquençage complet du génome de
chaque tumeur sera pratiqué en routine, les principales anomalies génétiques à l’origine de la croissance de chaque tumeur pourront être identifiées et
spécifiquement antagonisées par une association de
thérapeutiques ciblées, permettant de réellement
atteindre ce que l’on nomme déjà la “médecine
personnalisée”.
■
Références bibliographiques
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and the continuum of cancer care. N Engl J Med 2011;
364(4):340-50.
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in lung cancer that confer resistance to ALK inhibitors. N Engl
J Med 2010;363(18):1734-9.
4. Kwak EL, Bang YJ, Camidge DR et al. Anaplastic lymphoma
kinase inhibition in non-small-cell lung cancer. N Engl J Med
2010;363(18):1693-703.
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and Pharmacogenomics. Pharmacogenomics 2011;12(1):
113-24.
8. Chapman PB, Hauschild A, Robert C et al. Improved
survival with vemurafenib in melanoma with BRAF
V600E mutation. N Engl J Med 2011;364(26):
2507-16.
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