À Pharmacogénétique en oncologie DOSSIER THÉMATIQUE

66 | La Lettre du Pharmacologue Vol. 27 - n° 3 - juillet-août-septembre 2013
DOSSIER THÉMATIQUE
Pharmacogénétique
Pharmacogénétique
en oncologie
Pharmacogenetics in oncology
L. Becquemont*
* Pharmacologue médical, faculté
de médecine et université Paris-Sud,
unité de recherche clinique et centre
de recherche clinique, hôpital Bicêtre,
Le Kremlin-Bicêtre.
À
la fin du siècle dernier, l’avènement des théra-
pies ciblées, comme les inhibiteurs de tyro-
sine kinase et les anticorps monoclonaux, a
marqué une véritable révolution en oncologie. Ces
nouvelles thérapeutiques, qui s’opposent aux médi-
caments cytotoxiques peu spécifiques (toxiques pour
la plupart des cellules de notre organisme), visent une
cible très spécifique au sein de la tumeur. La présence
ou l’absence d’expression de la cible du médicament
permet d’identifier une population cible, susceptible
de répondre ou non au médicament (1).
Contrairement aux autres spécialités médicales, la
pharmacogénétique dans le domaine de l’oncologie
concerne principalement des variations génétiques
au sein des tumeurs et sur les cibles des médica-
ments. Ces variants génétiques tumoraux prédisent
non pas des modifications de la pharmacocinétique
des médicaments (associées à des surdosages et à
des effets indésirables dose-dépendants), mais des
modifications de leur pharmacodynamie, permet-
tant dans un nombre croissant de cas d’identifier si
le patient est susceptible de répondre ou non à une
thérapie ciblée donnée.
Pharmacogénétique des cibles
de médicaments antitumoraux
(tableau I)
Les premiers exemples d’indication de traitements
anticancéreux restreints à une population cible ont
concerné le cancer du sein, avec l’identification de
tumeurs exprimant ou non des récepteurs estro-
géniques, puis à la progestérone, puis le récep-
teur HER2, dont les patients atteints bénéficient
d’antiandrogènes, d’inhibiteurs d’aromatase ou de
trastuzumab. La liste des cibles oncologiques (2)
pouvant être inhibées par des petites molécules
ou des anticorps monoclonaux s’est, depuis, consi-
dérablement allongée ; chaque année, de nouvelles
cibles tumorales sont identifiées et de nouvelles
molécules apparaissent sur le marché. La présence
de ces cibles dans la tumeur, résultant de mutations
ou de réarrangements, identifie la population cible,
comme dans l’exemple du chromosome de Phila-
delphie, à l’origine d’une translocation chromoso-
mique conduisant à l’expression d’un gène de fusion
bcr-abl, cible de l’imatinib. Parfois, les mutations
surviennent dans les voies de transduction du signal
de la cible, comme dans le cas des mutations KRAS,
identifiant alors des patients non répondeurs au trai-
tement anti-EGFR. Certains inhibiteurs de tyrosine
kinases à spécificité multiple peuvent être indiqués
dans différents cancers (comme l’imatinib). Enfin,
certaines mutations apparaissent secondairement
au sein de ces mêmes cibles lors d’un échappement
au traitement, et prédisent la résistance au trai-
tement ; il est probable que les thérapies ciblées
sélectionnent d’emblée un clone tumoral résistant
au traitement, responsable de la rechute, tout
comme un antibiotique sélectionne les bactéries
résistantes (cas de l’imatinib ou du géfitinib). Les
découvertes s’accélérant, on rapporte parfois dans
le même temps la cible, le médicament qui l’anta-
gonise et les mutations qui prédisent une résistance
au traitement (3, 4).
Lensemble de ces marqueurs tumoraux génétiques
identifie des sous-catégories d’un même type de
cancer ; à chacune d’elles correspond une thérapie
ciblée donnée, ouvrant vraiment l’espoir d’une méde-
cine personnalisée lorsque le séquençage entier et
systématique de chaque tumeur sera devenu une
réalité clinique.
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Points forts
»L’oncologie est le domaine dans lequel la pharmacogénétique s’est le plus développée, avec l’avène-
ment des thérapies ciblées : c’est ce que l’on appelle la médecine personnalisée.
»
Ce sont principalement des variations génétiques de la cible des médicaments au sein des tumeurs qui
permettent de prédire le statut répondeur ou non répondeur du patient à un médicament donné.
»
La fréquence de découverte de nouveaux biomarqueurs génétiques tumoraux croît exponentiellement.
Ils conduisent à une stratification de chaque cancer en fonction des biomarqueurs présents, pour lesquels
de nouveaux médicaments sont alors de plus en plus rapidement développés.
Mots-clés
Oncogénétique
Médecine
personnalisée
Biomarqueur
Population cible
Highlights
»
Oncology is the area where
pharmacogenetics is the most
developed with the advent
of targeted therapies, partici-
pating to the so-called “person-
alized medicine”.
»
In this context, genetic varia-
tions of drug targets in tumors
predict the responder status of
a given patient to a given drug.
»
The rate of discovery of new
tumoral genetic biomarkers
grows exponentially. They lead
to a new stratification of each
cancer, for which new drugs
targeting these biomarkers
are then developed more and
more rapidly.
Keywords
Oncogenetics
Personalized medicine
Biomarker
Target population
Tableau I. Données pharmacogénétiques tumorales introduites dans les autorisations de mise sur le marché par la Food
and Drug Administration ou l’Agence européenne du médicament : génétique somatique (tumeurs) [5].
Molécule Cancer Biomarqueur pharmacogénétique
au sein de la tumeur
Remarques
Imatinib Tumeurs stromales
gastro-intestinales (GIST)
C-kit (CD117) Présence de C-kit dans la tumeur:
populationcible
Imatinib Syndromes
myélodysplasiques/
myéloprolifératifs
PDGFR Présence de réarrangements
dePDGFR danslatumeur :
population cible
Imatinib, nilotinib,
dasatinib
Leucémie myéloïde
chronique
Gène de fusion aberrant bcr-abl Population cible
Imatinib Leucémie myéloïde
chronique
Apparition secondaire demutations
debcr-abl
(6)
L’apparition secondaire
de mutations est associée
àl’échappement autraitement
Crizotinib Poumon non à petites
cellules
Gène de fusion aberrant
EML4-ALK
(4)
Population cible
Crizotinib Poumon non à petites
cellules
Apparition secondaire demutations
d’ALK
(3)
L’apparition secondaire
de mutations est associée
àl’échappement autraitement
Géfitinib, erlotinib Poumon non à petites
cellules
EGFR avec mutations activatrices
(7)
Population cible
Géfitinib, erlotinib Poumon non à petites
cellules
Absence de mutation T790M
(7)
La présence de la mutation
T790M d’EGFR estassociée
àl’absence deréponse
Panitumumab,
cétuximab
Cancer du côlon Tumeur exprimant EGFR sans
mutations KRAS
(7)
La présence de mutations KRAS
estassociée àl’absence de
réponse
Vémurafénib Mélanome BRAF avec mutation V600E
(8)
Population cible
Tableau II. Données pharmacogénétiques oncologiques sur les enzymes du métabolisme introduites dans les autorisations
de mise sur le marché par la Food and Drug Administration ou l’Agence européenne du médicament : génétique constitu-
tionnelle (5).
Molécule Cancer Biomarqueur
pharmacogénétique
Remarques
6-mercaptopurine Leucémie aiguë
lymphocytaire de l’enfant
TPMT Adaptation de posologie chez les patients déficients
en TPMT en raison du risque de neutropénie
5-fluoro-uracile,
capécitabine
Cancer du côlon DPD Contre-indication chez les patients déficients
enDPD, risque de toxicité fatale
Irinotécan Cancer du côlon UGT1A1 Réduction de posologie chez les patients
homozygotes UGT1A1*28/*28
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Pharmacogénétique enoncologie
DOSSIER THÉMATIQUE
Pharmacogénétique
Pharmacogénétique
oncologique “classique”
identifiant des patients à risque
d’effets indésirables
Il existe aussi quelques exemple de pharmacogé-
nétique “conventionnelle”, portant sur des variants
de notre génome (pas celui de la tumeur) au sein
de gènes codant pour des enzymes du métabo-
lisme, comme indiqué dans le tableau II, p. 67. On
identifie alors des patients déficients en certaines
enzymes impliquées dans le métabolisme et l’éli-
mination de certains cytotoxiques ; ces derniers
risquent d’entraîner des effets indésirables du fait
de la cytotoxicité.
Lexemple de la thiopurine méthyltransférase
(TPMT) est détaillé dans l’article page 72. Les
dérivés pyrimidiques sont détoxiqués et éliminés
par une enzyme, la dihydropyrimidine déshydrogé-
nase (DPD), dont l’activité peut être déficiente chez
certains patients, pour lesquels ces médicaments
sont alors contre-indiqués en raison d’un risque de
toxicité létale. Il en va de même pour l’irinotécan,
dont la clairance implique une enzyme de glucu-
roconjugaison, l’UGT1A1. Chez les patients dont
l’activité de l’UGT1A1 est diminuée, une réduction
de la posologie doit être envisagée.
Conclusion
C’est dans le domaine de l’oncologie que la phar-
macogénétique connaît le plus grand essor depuis
le début du siècle. L’identification d’un nombre
croissant de nouveaux biomarqueurs génétiques
intratumoraux permet de définir de nouvelles cibles
thérapeutiques et de nouveaux médicaments.
Lorsque le séquençage complet du génome de
chaque tumeur sera pratiqué en routine, les princi-
pales anomalies génétiques à l’origine de la crois-
sance de chaque tumeur pourront être identifiées et
spécifiquement antagonisées par une association de
thérapeutiques ciblées, permettant de réellement
atteindre ce que l’on nomme déjà la “médecine
personnalisée”.
1. Wang L, McLeod HL, Weinshilboum RM. Geno-
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3. Choi YL, Soda M, Yamashita Y et al. EML4-ALK mutations
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J Med 2010;363(18):1734-9.
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7. Becquemont L, Alfirevic A, Amstutz U et al. Practical
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cription: 2010 ESF-UB Conference on Pharmacogenetics
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survival with vemurafenib in melanoma with BRAF
V600E mutation. N Engl J Med 2011;364(26):
2507-16.
Références bibliographiques
L’auteur déclare avoir des liens
d’intérêts avec les laboratoires GSK,
Roche, Sanofi et Servier.
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