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Mise au point
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 5, mai 2004
schizophrènes, comme pour celles de
tout individu. Mais la plupart des publi-
cations portant sur l’évaluation cognitive
de ces sujets ne prennent pas pour autant
en compte cette dimension.
Plus précise, l’analyse des tracés d’enre-
gistrements polysomnographiques confir-
me les données cliniques déjà évoquées :
augmentation de la latence d’endormis-
sement, diminution de l’index d’efficaci-
té et augmentation de la durée et du
nombre des éveils (5). Au niveau du som-
meil lent profond, il semble exister un
consensus sur la diminution du stade 4 de
sommeil dont l’explication reste souvent
confuse (10). Certains auteurs (11, 12)
retrouvent une corrélation entre les ano-
malies polysomnographiques et l’impor-
tance des signes négatifs et/ou l’augmen-
tation de la taille des ventricules céré-
braux. D’autres auteurs (13) affirment
que ces altérations du sommeil lent pro-
fond seraient améliorées par les traite-
ments antipsychotiques.
Au niveau du sommeil paradoxal, la
situation est plus controversée. Ainsi,
certains auteurs (14-16) ont évoqué une
diminution de la latence d’apparition du
sommeil paradoxal, comparable à celle
rapportée dans les troubles dépressifs
majeurs, ce qui pourrait être expliqué
par une pression accrue du sommeil
REM. Pour autant, ces résultats sont cri-
tiquables à de nombreux point de vue :
ainsi, il est rarement fait état d’une éva-
luation de la dimention dépressive du
trouble schizophrénique, qui est pour-
tant fréquente, les critères diagnostiques
sont incertains et la distinction trouble
bipolaire/schizophrénie parfois limite.
Par ailleurs, aucun auteur n’a constaté
de rebond de sommeil paradoxal après
privation, comme on en constate dans
les troubles de l’humeur. Enfin, les pri-
vations partielles ou totales de sommeil
sont sans effet thérapeutique. Par
ailleurs, une étude (15) retrouve une
corrélation positive entre taux de pro-
lactine et latence d’apparition du som-
meil paradoxal et une corrélation néga-
tive entre prolactinémie et durée des
périodes REM. Il est, dans ces condi-
tions, difficile d’apprécier l’existence
d’une perturbation du sommeil para-
doxal dans la schizophrénie, dont l’ori-
gine peut être multiple et d’interpréta-
tion complexe.
L’étude des rêves, et notamment de leur
contenu, est une autre approche du
sommeil paradoxal, même si l’on ne
peut réduire l’activité onirique à cette
seule période de sommeil. Certains
auteurs (17) rapportent une augmenta-
tion de l’activité onirique relatée par les
patients, dont les thèmes sont volon-
tiers marqués par une anxiété importan-
te. Leur congruence à la thématique
délirante est variable. Cette approche
classique est à rapprocher d’hypothèses
plus récentes tentant de relier rêve et
hallucination. L’idée n’est pas nouvelle.
Dans l’antiquité, Aristote affirmait déjà
“qu’il est évident que la cause qui fait
que, dans certaines maladies, on se
trompe, même tout éveillé, est celle qui
dans le sommeil produit le rêve” et,
quelques siècles plus tard, Moreau de
Tours affirmait à son tour “qu’il y a
identité entre l’état de rêve et la folie”.
Des travaux récents ayant permis de
mieux comprendre les mécanismes du
sommeil, notamment avec la découver-
te de nouvelles molécules (18, 19) ont
redonné un coup de jeune à ces théo-
ries. Les sécrétions d’hypocrétine
seraient corrélées à la latence d’endor-
missement et agiraient sur les systèmes
dopaminergiques sous-corticaux au tra-
vers d’une action excitatrice sur l’hypo-
thalamus. Par ailleurs, la leptine serait
impliquée dans la régulation de certains
comportements et dans l’intégration
cognitive. Les manifestations halluci-
natoires liées à l’endormissement des
patients narcoleptiques pourraient ainsi
partager des mécanismes communs
avec certaines hallucinations rappor-
tées par les sujets atteints de schizo-
phrénie (20). Ces différents éléments
montrent clairement l’importance de
cet état de conscience qu’est le sommeil
sur nos capacités et nos comportments
diurnes. Ils illustrent d’un jour nouveau
notre approche des relations entre le
sommeil et la schizophrénie.
Sommeil et comorbidité
Une autre approche de l’étude des rela-
tions entre la schizophrénie et les
troubles du sommeil consiste à prendre
en compte ces derniers au titre de fac-
teurs comorbides. Nous ne reviendrons
pas sur les liens entre narcolepsie et
schizophrénie précédemment évoqués,
pour nous arrêter sur ceux existant entre
syndrome d’apnée du sommeil (SAS) et
schizophrénie.
Le SAS est une pathologie fréquente
qui associe une obésité, un ronflement
et des apnées nocturnes. L’effet des
neuroleptiques et des autres antipsy-
chotiques pourrait concourir à en aug-
menter le risque au travers d’une prise
de poids fréquente et importante et/ou
de la dépression respiratoire potentielle
(21, 22). Pour autant, il reste difficile
d’évaluer la prévalence réelle de ce
trouble chez des patients psycho-
tiques (23). Il existe peu de travaux
publiés et la question d’un risque majo-
ré, en dehors de celui associé à la prise
de poids, reste non résolue. Le rôle joué
par les antipsychotiques demeure incer-
tain (24). Mais, plusieurs publications
de cas témoins rapportent les difficul-
tés diagnostiques qu’induisent la
confusion fréquente entre l’évolution
déficitaire du trouble et la présence
d’une somnolence diurne, ainsi que la
résistance à l’efficacité thérapeutique
induite par le SAS. Par ailleurs, plu-
sieurs auteurs rapportent l’amélioration
clinique de leurs patients après mise
sous CPAP, même si des effets para-
doxaux existent (25). On pourrait évo-
quer de la même façon les relations
entre le syndrome des jambes sans
repos et les dyskinésies induites par les
neuroleptiques (26).