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Mise au point
Sommeil et symptomatologie
En termes de critères diagnostiques, les
troubles du sommeil ne sont pas men-
tionnés dans les classifications interna-
tionales. Le DSM IV (1), comme la CIM-
10 (2) ne les prennent nullement en
compte, en raison de leur absence de spé-
cificité dans les manifestations cliniques
de la schizophrénie. De même, la classi-
fication internationale des troubles du
sommeil (3) n’est guère plus affinée, se
contentant d’un diagnostic de “psychose
associée à un trouble du sommeil”, défi-
ni comme “l’association d’une plainte
d’insomnie ou d’hypersomnie à un dia-
gnostic de schizophrénie, de trouble schi-
zophréniforme ou d’une autre psychose”.
En se limitant à ces références, la ques-
tion pourrait être vite réglée : circulez, il
n’y a rien à voir !
C’est pourquoi l’étude de la littérature
internationale est heureusement plus
riche et ouvre parfois des perspectives
autrement plus intéressantes.
Au niveau clinique, les synthèses se suivent
et se ressemblent… Les dernières franco-
phones en date sont celles de A. Autret et
de P. Gaillard, en 1990, dans le cadre du
rapport de neurologie du Congrès de psy-
chiatrie et de neurologie de langue françai-
se (4), et celle de J.M. Vanelle, en 1992, lors
des séminaires de psychiatrie biologique du
centre hospitalier de Sainte-Anne (5). Ces
auteurs rapportent des manifestations cli-
niques assez peu spécifiques : une aug-
mentation de la latence d’endormisse-
ment, associée à une diminution de l’in-
dex d’efficacité du sommeil par augmen-
tation du nombre et de la durée des
éveils. Nous verrons, plus loin, que ces
éléments cliniques ont été largement
confirmés par les enregistrements poly-
graphiques de sommeil.
Si ces symptômes s’avèrent peu spéci-
fiques, ils sont, au contraire, très sen-
sibles. Plusieurs travaux ont insisté sur
leur intérêt prédictif d’une éventuelle
rechute. E. Chemerinski et al. (6) rap-
portent en ce sens une étude portant sur
122 patients atteints de schizophrénie,
inclus dans une étude d’imagerie céré-
brale. Ces sujets étaient soumis à un sevra-
ge médicamenteux de trois semaines.
Avant ce sevrage et à son terme, une éva-
luation de l’état clinique (SANS, SAPS) et
du sommeil (items 8, 9 et 10 de l’échelle
de Hamilton-dépression à 24 items) était
réalisée. Les résultats montrent que
l’existence d’une insomnie avant sevrage
est corrélée à la survenue de symptômes
positifs après sevrage. De même, l’exis-
tence d’une insomnie terminale de base
est associée à la présence d’une désorga-
nisation importante après sevrage. Ainsi,
si l’existence d’une insomnie ne peut
permettre de porter un diagnostic de
schizophrénie, sa persistance, en cours
de traitement, doit être considérée
comme un marqueur d’instabilité et
conduire à la prudence quant à l’arrêt du
traitement. Il s’agit là de la confirmation
de données cliniques empiriques.
Une autre approche clinique, plus récente
et encore peu développée, consiste à étu-
dier le sommeil au travers des enregistre-
ments actigraphiques. Cette méthode per-
met l’enregistrement continu, sur de
longues périodes, de l’activité motrice
d’un individu dans des conditions ordi-
naires de vie. Si ces outils ne permettent
pas, stricto sensu, d’évaluer le sommeil,
ils permettent de distinguer des périodes
d’activité de périodes de repos assimilées
à des périodes de sommeil. Les quelques
travaux publiés (7, 8) mettent en évidence
une irrégularité des périodes d’activité,
parfois accompagnées d’un décalage de
phase et d’un niveau d’activité nocturne
supérieur à celui des témoins, ce qui
confirme la multiplication des éveils
nocturnes. Plus intéressante est la publica-
tion de Martin et al. (9) portant sur des enre-
gistrements actigraphiques de 24 heures de
28 patients schizophrènes (âge moyen de
58 ans). Ces auteurs retrouvent des
périodes de repos qui occupent 67 % de
la nuit et 9 % du jour. De surcroît, l’am-
plitude des troubles du sommeil (évaluée
par la diminution des périodes de repos
nocturne) est corrélée à l’intensité des
troubles cognitifs. De même, l’importan-
ce et l’ancienneté du traitement antipsy-
chotique sont inversement corrélées à
l’intensité de l’activité motrice. Enfin,
l’augmentation des périodes de repos
nocturnes s’accompagne d’une améliora-
tion des performances cognitives et des
activités diurnes. Ces données mettent en
évidence l’implication probable des
troubles du sommeil dans la qualité des
performances cognitives des patients
Sommeil et schizophrénie
P. Delbrouck*
* CH de Saint-Nazaire,
service de psychiatrie 2.
L
e sommeil et ses troubles sont
constamment associés aux patholo-
gies psychiatriques. Souvent, ils font
partie intégrante de la sphère syndro-
mique, pilier plus ou moins central du dia-
gnostic ; ailleurs, ils constituent un trouble
comorbide qui influence l’évolution de la
maladie psychiatrique associée. Enfin, ils
peuvent, par leur manipulation, être à
l’origine de stratégie thérapeutique.
C’est au travers de ces trois approches
complémentaires que nous aborderons la
question des liens qui se tissent entre le
sommeil et le trouble schizophrénique.
Mise au point
111
Mise au point
Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 5, mai 2004
schizophrènes, comme pour celles de
tout individu. Mais la plupart des publi-
cations portant sur l’évaluation cognitive
de ces sujets ne prennent pas pour autant
en compte cette dimension.
Plus précise, l’analyse des tracés d’enre-
gistrements polysomnographiques confir-
me les données cliniques déjà évoquées :
augmentation de la latence d’endormis-
sement, diminution de l’index d’efficaci-
té et augmentation de la durée et du
nombre des éveils (5). Au niveau du som-
meil lent profond, il semble exister un
consensus sur la diminution du stade 4 de
sommeil dont l’explication reste souvent
confuse (10). Certains auteurs (11, 12)
retrouvent une corrélation entre les ano-
malies polysomnographiques et l’impor-
tance des signes négatifs et/ou l’augmen-
tation de la taille des ventricules céré-
braux. D’autres auteurs (13) affirment
que ces altérations du sommeil lent pro-
fond seraient améliorées par les traite-
ments antipsychotiques.
Au niveau du sommeil paradoxal, la
situation est plus controversée. Ainsi,
certains auteurs (14-16) ont évoqué une
diminution de la latence d’apparition du
sommeil paradoxal, comparable à celle
rapportée dans les troubles dépressifs
majeurs, ce qui pourrait être expliqué
par une pression accrue du sommeil
REM. Pour autant, ces résultats sont cri-
tiquables à de nombreux point de vue :
ainsi, il est rarement fait état d’une éva-
luation de la dimention dépressive du
trouble schizophrénique, qui est pour-
tant fréquente, les critères diagnostiques
sont incertains et la distinction trouble
bipolaire/schizophrénie parfois limite.
Par ailleurs, aucun auteur n’a constaté
de rebond de sommeil paradoxal après
privation, comme on en constate dans
les troubles de l’humeur. Enfin, les pri-
vations partielles ou totales de sommeil
sont sans effet thérapeutique. Par
ailleurs, une étude (15) retrouve une
corrélation positive entre taux de pro-
lactine et latence d’apparition du som-
meil paradoxal et une corrélation néga-
tive entre prolactinémie et durée des
périodes REM. Il est, dans ces condi-
tions, difficile d’apprécier l’existence
d’une perturbation du sommeil para-
doxal dans la schizophrénie, dont l’ori-
gine peut être multiple et d’interpréta-
tion complexe.
L’étude des rêves, et notamment de leur
contenu, est une autre approche du
sommeil paradoxal, même si l’on ne
peut réduire l’activité onirique à cette
seule période de sommeil. Certains
auteurs (17) rapportent une augmenta-
tion de l’activité onirique relatée par les
patients, dont les thèmes sont volon-
tiers marqués par une anxiété importan-
te. Leur congruence à la thématique
délirante est variable. Cette approche
classique est à rapprocher d’hypothèses
plus récentes tentant de relier rêve et
hallucination. L’idée n’est pas nouvelle.
Dans l’antiquité, Aristote affirmait déjà
“qu’il est évident que la cause qui fait
que, dans certaines maladies, on se
trompe, même tout éveillé, est celle qui
dans le sommeil produit le rêve” et,
quelques siècles plus tard, Moreau de
Tours affirmait à son tour “qu’il y a
identité entre l’état de rêve et la folie”.
Des travaux récents ayant permis de
mieux comprendre les mécanismes du
sommeil, notamment avec la découver-
te de nouvelles molécules (18, 19) ont
redonné un coup de jeune à ces théo-
ries. Les sécrétions d’hypocrétine
seraient corrélées à la latence d’endor-
missement et agiraient sur les systèmes
dopaminergiques sous-corticaux au tra-
vers d’une action excitatrice sur l’hypo-
thalamus. Par ailleurs, la leptine serait
impliquée dans la régulation de certains
comportements et dans l’intégration
cognitive. Les manifestations halluci-
natoires liées à l’endormissement des
patients narcoleptiques pourraient ainsi
partager des mécanismes communs
avec certaines hallucinations rappor-
tées par les sujets atteints de schizo-
phrénie (20). Ces différents éléments
montrent clairement l’importance de
cet état de conscience qu’est le sommeil
sur nos capacités et nos comportments
diurnes. Ils illustrent d’un jour nouveau
notre approche des relations entre le
sommeil et la schizophrénie.
Sommeil et comorbidité
Une autre approche de l’étude des rela-
tions entre la schizophrénie et les
troubles du sommeil consiste à prendre
en compte ces derniers au titre de fac-
teurs comorbides. Nous ne reviendrons
pas sur les liens entre narcolepsie et
schizophrénie précédemment évoqués,
pour nous arrêter sur ceux existant entre
syndrome d’apnée du sommeil (SAS) et
schizophrénie.
Le SAS est une pathologie fréquente
qui associe une obésité, un ronflement
et des apnées nocturnes. L’effet des
neuroleptiques et des autres antipsy-
chotiques pourrait concourir à en aug-
menter le risque au travers d’une prise
de poids fréquente et importante et/ou
de la dépression respiratoire potentielle
(21, 22). Pour autant, il reste difficile
d’évaluer la prévalence réelle de ce
trouble chez des patients psycho-
tiques (23). Il existe peu de travaux
publiés et la question d’un risque majo-
ré, en dehors de celui associé à la prise
de poids, reste non résolue. Le rôle joué
par les antipsychotiques demeure incer-
tain (24). Mais, plusieurs publications
de cas témoins rapportent les difficul-
tés diagnostiques qu’induisent la
confusion fréquente entre l’évolution
déficitaire du trouble et la présence
d’une somnolence diurne, ainsi que la
résistance à l’efficacité thérapeutique
induite par le SAS. Par ailleurs, plu-
sieurs auteurs rapportent l’amélioration
clinique de leurs patients après mise
sous CPAP, même si des effets para-
doxaux existent (25). On pourrait évo-
quer de la même façon les relations
entre le syndrome des jambes sans
repos et les dyskinésies induites par les
neuroleptiques (26).
112
Mise au point
Mise au point
Manipulation du sommeil et
schizophrénie
La troisième approche du sommeil et de
la schizophrénie pourrait être celle des
vertus thérapeutiques de sa manipula-
tion. Si, dans les troubles de l’humeur,
les privations totales, partielles ou sélec-
tives de sommeil ont fait preuve d’une
efficacité certaine, bien que temporaire,
aucune publication n’existe montrant un
intérêt de telles pratiques pour la prise
en charge de la schizophrénie. À l’oppo-
sé, les “cures de sommeil” introduites
dans les années 1920 par Jakob Klasi,
psychiatre suisse, eurent leurs heures de
gloire jusque dans le milieu des années
1930, date à laquelle elles furent pro-
gressivement abandonnées au profit de
thérapeutiques plus performantes (27).
Conclusion
En conclusion, les perturbations du
sommeil sont constantes aux différentes
phases de la maladie schizophrénique.
Si leur spécificité est pauvre, leur sensi-
bilité est grande et doit constituer un élé-
ment de surveillance clinique essentiel.
Par ailleurs, les récentes découvertes
dans la physiologie du sommeil ouvrent
des perspectives nouvelles dans notre
appréhension de la physiopathologie des
psychoses et de leur manifestation prin-
cipale : les hallucinations. Enfin, l’exis-
tence d’une comorbidité hypnique ne
doit pas être sous-évaluée.
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