A C T U A L I Les hypocholestérolémies génétiques N. Berriot-Varoqueaux*, L. P. Aggerbeck**, M.-E. Samson-Bouma P armi les causes multiples d’un syndrome de malabsorption chez l’enfant doivent être envisagées les hypocholestérolémies génétiques. Le tableau clinique inclut une diarrhée chronique, une stéatorrhée et un retard staturo-pondéral. L’endoscopie digestive est détermimante pour établir ce diagnostic. En effet, la présence tout à fait remarquable d’une gelée blanche recouvrant la muqueuse intestinale est l’élément clef de ces pathologies que sont : l’abêtalipoprotéinémie (ABL), l’hypobêtalipoprotéinémie familiale (HBLF) et la maladie d’Anderson (MA). Ces maladies génétiques rares sont caractérisées par une hypocholestérolémie liée à un défaut d’assemblage et/ou de sécrétion des lipoprotéines contenant l’apolipoprotéine B. En ce qui concerne l’origine moléculaire de ces maladies, seuls les gènes impliqués dans l’ABL et l’HBLF sont connus. L’ABL, maladie autosomique récessive rare (environ 100 cas rapportés), est liée aux mutations de la sous-unité lourde de la protéine intramicrosomale de transfert des lipides, (Microsomal Triglyceride Transfer Protein, MTP), facteur essentiel à l’assemblage précoce intraréticulum de l’apoB avec les lipides. * INSERM U327, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris. ** Centre de génétique moléculaire, UPR 9061, CNRS, Gif-sur-Yvette. Le Courrier de l’Arcol (2), n° 1, mars 2000 En ce qui concerne l’HBLF, maladie autosomique dominante (fréquence de 1/500 à 1/1 000 cas), le seul gène actuellement identifié est le gène de l’apoB. Les différentes mutations décrites entraînent ou non l’existence de formes tronquées plasmatiques. Le défaut moléculaire impliqué dans la maladie d’Anderson (appelée également “maladie de rétention des chylomicrons”), maladie autosomique récessive très rare (environ 36 cas rapportés), reste, à ce jour, inconnu. Les gènes de l’apoB ainsi que des apolipoprotéines AI, AIV, CI, CII, CIII et E, des FABP (intestinale et hépatique) et de la MTP ont été exclus par des études de liaison génétique. Si le tableau clinique et biochimique des patients atteints d’ABL ou de MA est homogène, on note, en revanche, une hétérogénéité au sein de l’HBLF. Celle-ci est liée, d’une part, à l’état d’homozygotie ou d’hétérozygotie et, d’autre part, au type de mutation du gène de l’apoB, entraînant ou non la circulation d’apoB tronquée dans le plasma. Ainsi, parmi les formes homozygotes, on distingue les formes sans et les formes avec apoB tronquée plasmatique. En revanche, il est important de noter que dans les formes hétérozygotes, aucune distinction clinique ne peut être faite selon qu’une apoB tronquée circule ou non dans le plasma. Contrairement aux formes asymptomatiques d’HBLF (homozygotes avec apoB tronquée plasmatique et hétérozygotes), les patients HBLF homozygotes sans apoB plasmatique, ABL et MA, présentent constamment un syndrome de malabsorption lipidique associant spécifiquement : 20 T É – une stéatorrhée sous régime normolipidique, résolutive sous régime hypolipidique ; – l’aspect de gelée blanche de la muqueuse duodéno-jéjunale à l’endoscopie digestive (qui est quasi pathognomonique de ces pathologies) ; – une surcharge lipidique des entérocytes à l’examen histochimique ; – l’absence d’augmentation des triglycérides et d’apparition des chylomicrons à l’épreuve de charge en lipides ; – une diminution des taux plasmatiques des vitamines liposolubles avec, comme corollaire, des risques secondaires de complications neuro-ophtalmiques ; – une hypocholestérolémie : 0,20 à 0,50 g/l de cholestérol total pour les ABL et HBLF sans apoB plasmatique, supérieur à 0,50 g/l pour les MA ; les triglycérides étant inférieurs à 0,10 g/l pour les ABL et les HBLF sans apoB plasmatique, normaux, voire augmentés pour les patients MA ; – une diminution ou une absence des lipoprotéines contenant l’apoB ; – une diminution de 50 % des HDL et de l’apoAI. De façon plus spécifique, l’ABL et l’HBLF homozygote sans apoB plasmatique présentent un phénotype identique au niveau biochimique et ultrastructural et se caractérisent, de plus, par une acanthocytose. Biochimiquement, les deux formes d’ apoB plasmatique, codées par le même gène, B100 d’origine hépatique et B48 d’origine intestinale, sont toutes deux absentes du plasma, de même que les lipoprotéines les contenant. Ultrastructuralement, il y a une accumulation massive de lipides dans les entérocytes et les hépatocytes. Celle-ci résulte d’une absence complète d’assemblage des lipoprotéines contenant l’apoB, que ce soit au niveau intestinal ou hépatique. Le diagnostic différentiel entre l’ABL et la forme HBLF sans apoB plasmatique ne peut s’établir qu’à partir de l’enquête familiale. L’ABL se transmettant sur un mode autosomique récessif, les sujets hétérozygotes ABL sont normocholestérolémiques. Au contraire, l’HBLF se transmettant sur un mode autosomique dominant, les sujets hétérozygotes présentent des taux diminués de cholestérol, de LDL-cholestérol et d’apoB. En ce qui concerne la maladie d’ Anderson, celle-ci est caractérisée, biochimiquement, par l’absence des lipoprotéines contenant l’apoB48, la diminution des lipoprotéines contenant l’apoB100 et, ultrastructuralement, par une accumulation massive de lipides libres et de lipides assemblés sous forme de particules lipoprotéiniques (chylomicrons) dans les entérocytes. L’aspect ultrastructural des entérocytes des patients atteints de la maladie d’Anderson suggérerait plutôt un défaut de sécrétion des chylomicrons. Le syndrome de malabsorption lipidique entraîne dans la petite enfance un syndrome cœliaque avec une diarrhée chronique, un retard staturo-pondéral ainsi que des carences en vitamines liposolubles. Un régime hypolipidique permet l’arrêt de la diarrhée avec normalisation de la stéatorrhée et reprise de la courbe staturo-pondérale. Les carences en vitamines liposolubles nécessitent une supplémentation à fortes doses pour prévenir l’apparition, à plus ou moins long terme, de complications neuro-rétiniennes. Celles-ci sont particulièrement précoces et graves chez les patients ABL. Elles apparaissent le plus souvent au cours de la première ou de la deuxième décennie, et miment une maladie de Friedreich. La myopathie observée est complexe, résultant à la fois de la dégénérescence nerveuse et/ou d’une myosite intrinsèque. L’évolution clinique est variable mais, en l’absence de traitement, amène progressivement un important handicap à la marche. Au niveau ophtalmique, les premiers signes sont l’altération de la vision de nuit et des couleurs. Il s’ensuit une diminution de l’acuité visuelle. À l’examen du fond d’œil apparaît une rétinite pigmentaire. Aux stades plus avancés, il y a disparition des éléments scotopiques, puis évolution finale vers l’extinction. Chez les patients HBLF sans apoB plasmatique, il semble que l’apparition des troubles neuro-rétiniens est retardée par rapport à l’ABL, avec, de ce fait, une évolution moins sévère. Il en est de même chez les patients atteints de MA. La fréquence d’apparition des signes neuroophtalmiques augmente avec l’âge des patients et est liée à la durée de la carence vitaminique. Ainsi, à condition d’être instauré précocement, le traitement vitaminique E à fortes doses semble pouvoir prévenir l’apparition des lésions neurologiques. Celui-ci est également indispensable pour prévenir les lésions rétiniennes pour lesquelles le traitement par vitamine A n’est pas suffisant. Contrairement à l’ABL, à l’HBLF sans apoB plasmatique et à la MA, les autres formes d’HBLF (hétérozygote et homozygote avec apoB tronquée plasmatique) n’entraînent pas ce syndrome de malabsorption lipidique. Cela suggère que la sécrétion intestinale des formes tronquées d’apoB suffit à éviter le syndrome de malabsorption lipidique et par voie de conséquence les déficits vitaminiques. Dans ce contexte, une vitaminothérapie systématique ne se justifie pas dans ces formes d’HBLF. En ce qui concerne, de façon plus spécifique, les patients ABL ou HBLF sans apoB plasmastique, la fréquence de la stéatose hépatique, avec risque d’évolution cirrhotique doit inciter à surveiller les fonctions hépatiques de ces patients. En effet, plusieurs cas de stéatose hépatique, confirmée à l’examen anatomopathologique, sont rapportés chez ces sujets. Comme au niveau intestinal, le foie semble donc être le siège d’une surcharge lipidique. Parmi ces cas de stéatose, quatre patients ont développé une cirrhose (deux ABL, deux HBLF homozygotes sans apoB). La physiopathogénie de l’évolution cirrhotique est obscure, mais il reste important de contrôler le bilan hépatique de ces patients et d’évaluer systématiquement la stéatose au diagnostic. De façon inconstante, dans les formes hétérozygotes avec et sans apoB tronquée plasmatique et dans la maladie d’Anderson, une stéatose modérée est également rapportée. Mais aucun cas d’évolution cirrhotique n’est actuellement décrit. Dans ce contexte, le 21 bilan étiologique d’une stéatose hépatique isolée doit comporter un dosage plasmatique d’apoB pour écarter une forme hétérozygote d’HBLF. Dans le contexte de ces hypocholestérolémies génétiques, il nous paraît important de souligner que, en dehors de l’ABL, de l’HBLF et de la MA, deux autres grands axes étiologiques sont à éliminer : les hypocholestérolémies génétiques liées à une diminution des HDL et les hypocholestérolémies secondaires à une pathologie non liée aux lipoprotéines (états chroniques de malabsorption et de malnutrition, hépatopathies sévères, néphropathies, hypersplénisme, hémopathies malignes et enfin dysthyroïdies). Conclusion Il est important de signaler que certains cas d’hypocholestérolémie (isolés ou familiaux), au mécanisme physiopathogénique inexpliqué, ne peuvent être classés dans aucun des cadres nosologiques actuellement définis. ■ Pour en savoir plus ✘ Kane J. P., Havel R. J. The metabolic and molecular basis of inherited disease. Scriver C. R., Beaudet A. L., Sly W. S., Valle D. (eds.) McGraw-Hill, New York, 1995, Vol. 2 : pp. 1853-85. ✘ Linton M. F., Farese R. V., Young S. G. 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