Le Courrier de la Transplantation - Volume VII - n
o 1 - janvier-février-mars 2007
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Vocabulaire
Tumeur
C
e nom peut effrayer, car il s’as-
socie dans l’imaginaire à l’adjectif
féminin maligne. Pourtant, à recon-
naître les mots isolément, ni malin, ni même
tumeur ne doivent faire peur.
Pour le second, plus personne ne le met en
rapport avec tumulus, et pas même tumé-
fier ou tumescence. C’est pourtant une
famille de mots qui vient, à travers le latin,
d’une racine indo-européenne exprimant
de manière très générale l’idée de gone-
ment. Le latin tumor, tumoris, au départ,
ne concerne pas seulement la pathologie :
il s’applique à toute enure, à tout gone-
ment, s’emploie en psychologie et pour
le style, lorsque ce dernier est pompeux,
ené, boursoué. Il y a dans l’Antiquité
romaine des “tumeurs” de colère, de peine
et de chagrin, ou encore d’orgueil. La méta-
phore est restée vivante, mais s’exprime
autrement.
En français, le mot tumeur fait partie des
nouveautés qui ont permis, à l’époque de
la Renaissance, de parler français en méde-
cine, secteur où les choses se disaient et
s’écrivaient en latin. On a d’abord pris
le mot latin en le modiant à peine pour
former tumour, qui a un air occitan – et on pense à Montpellier, grande et
ancienne école de médecine –, mais la forme francisée tumeur l’a emporté, au
milieu du XVIe siècle.
À cette époque où le latin est omniprésent, tumeur signie aussi “vanité extrême”,
comme dans la langue de Cicéron. Le changement de valeur en emploi concret
est moins voyant ; il suit les progrès de la médecine. Encore à l’époque d’Émile
Littré, dont on connaît la formation médicale, la tumeur est toute “éminence
circonscrite”, c’est-à-dire toute excroissance ou grosseur, sur la peau ou dans
un organe creux quelle qu’en soit la matière, qu’on ignorait. Ce sens général
englobe la signication actuelle, qui n’est pas nouvelle – quand Jean-Jacques
Rousseau décrit une “tumeur” à l’estomac qui fait périr son porteur, c’est sans
doute d’un cancer qu’il s’agissait –, mais qui est expliquée de manière nouvelle,
à partir de la cytologie. Ainsi comprise, la tumeur est une formation nouvelle
de cellules – ce que dit le mot néoplasme –, provenant de divers tissus et dont
certaines sont normales, d’autres pathologiques et envahissantes, “malignes” – et
le Malin, c’est le diable. Kystes, polypes, bromes, verrues sont dits “bénins”,
carcinomes et sarcomes, “malins”, et le sens moderne du mot cancer, qui a
toujours été effrayant, mais d’une autre façon, y correspond. Cancer, le “crabe”,
de même origine grecque et latine que chancre, est une métaphore de ce qui
ronge ; tumeur est une description concrète de ce qui gone. Ni l’un ni l’autre
mot ne conserve son sens primitif dans ses emplois actuels, qui sont chargés de
connaissances récentes. Il en va ainsi de très nombreux mots anciens, vagues
et imagés dans l’usage courant, plus précis mais encore trop généraux pour le
spécialiste. L’entrée dans la terminologie médicale d’un mot de la vie courante –
pensons à transplantation, mot de jardinier – lui donne des pouvoirs et des
défauts nouveaux.
Alain Rey, directeur de rédaction du Robert, Paris