VOCABULAIREVOCABULAIRE
VOCABULAIRE
Vocabulaire
C
e nom peut effrayer, car il s’associe dans
l’imaginaire à l’adjectif féminin maligne.
Pourtant, à reconnaître les mots isolément,
ni malin, ni même tumeur ne doivent faire peur.
Pour le second, plus personne ne le met en rapport
avec tumulus, et pas même tuméfier ou tumescence.
C’est pourtant une famille de mots qui vient, à travers
le latin, d’une racine indo-européenne exprimant de
manière très générale l’idée de gonflement. Le latin
tumor, tumoris, au départ, ne concerne pas seulement
la pathologie : il s’applique à toute enflure, à tout
gonflement, s’emploie en psychologie et pour le style,
lorsque ce dernier est pompeux, enflé, boursouflé. Il
y a dans l’Antiquité romaine des “tumeurs” de colère,
de peine et de chagrin, ou encore d’orgueil. La méta-
phore est restée vivante, mais s’exprime autrement.
En français, le mot tumeur fait partie des nouveautés
qui ont permis, à l’époque de la Renaissance, de parler
français en médecine, secteur où les choses se disaient
et s’écrivaient en latin. On a d’abord pris le mot latin
en le modifiant à peine pour former tumour, qui a
un air occitan – et on pense à Montpellier, grande et
ancienne école de médecine –, mais la forme francisée
tumeur l’a emporté, au milieu du XVIe siècle.
À cette époque où le latin est omniprésent, tumeur
signifie aussi “vanité extrême”, comme dans la langue
de Cicéron. Le changement de valeur en emploi
concret est moins voyant ; il suit les progrès de la
médecine. Encore à l’époque d’Émile Littré, dont on
connaît la formation médicale, la tumeur est toute
“éminence circonscrite”, c’est-à-dire toute excrois-
sance ou grosseur, sur la peau ou dans un organe
creux quelle qu’en soit la matière, qu’on ignorait. Ce
sens général englobe la signification actuelle, qui
n’est pas nouvelle – quand Jean-Jacques Rousseau
décrit une “tumeur” à l’estomac qui fait périr son
porteur, c’est sans doute d’un cancer qu’il s’agis-
sait –, mais qui est expliquée de manière nouvelle,
à partir de la cytologie. Ainsi comprise, la tumeur
est une formation nouvelle de cellules – ce que dit
le mot néoplasme –, provenant de divers tissus et
dont certaines sont normales, d’autres patholo-
giques et envahissantes, “malignes” – et le Malin,
c’est le diable. Kystes, polypes, fibromes, verrues
sont dits “bénins”, carcinomes et sarcomes, “malins”,
et le sens moderne du mot cancer, qui a toujours
été effrayant, mais d’une autre façon, y correspond.
Cancer, le “crabe”, de même origine grecque et latine
que chancre, est une métaphore de ce qui ronge ;
tumeur est une description concrète de ce qui gonfle.
Ni l’un ni l’autre mot ne conserve son sens primi-
tif dans ses emplois actuels, qui sont chargés de
connaissances récentes. Il en va ainsi de très nom-
breux mots anciens, vagues et imagés dans l’usage
courant, plus précis mais encore trop généraux pour
le spécialiste.
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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 1 - janvier-février-mars 2012
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* Une première version de cet article a été publiée dans Le Courrier de la Transplantation 2007;1:9.
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TUMEUR* Par Alain Rey, directeur de la rédaction
du Robert, Paris