VO CABULAIR E >> T U M E U R * C Par Alain Rey, directeur de la rédaction du Robert, Paris e nom peut effrayer, car il s’associe dans emploi concret est moins voyant ; il suit les progrès l’imaginaire à l’adjectif féminin maligne. de la médecine. Encore à l’époque d’Émile Littré, Pourtant, à reconnaître les mots isolé- dont on connaît la formation médicale, la tumeur ment, ni malin, ni même tumeur ne doivent faire peur. est toute “éminence circonscrite”, c’est-à-dire toute excroissance ou grosseur, sur la peau ou dans un Pour le second, plus personne ne le met en rapport Vocabu laire avec tumulus, et pas même tuméfier ou tumescence. C’est pourtant une famille de mots qui vient, à travers le latin, d’une racine indo-européenne exprimant de manière très générale l’idée de gonflement. Le latin tumor, tumoris, au départ, ne concerne pas seulement la pathologie : il s’applique à toute enflure, à tout gonflement, s’emploie en psychologie et pour le style, lorsque ce dernier est pompeux, enflé, boursouflé. Il y a dans l’Antiquité romaine des “tumeurs” de colère, de peine et de chagrin, ou encore d’orgueil. La métaphore est restée vivante, mais s’exprime autrement. En français, le mot tumeur fait partie des nouveautés qui ont permis, à l’époque de la Renaissance, de parler français en médecine, secteur où les choses se disaient et s’écrivaient en latin. On a d’abord pris le mot latin en le modifiant à peine pour former tumour, qui a un air occitan – et on pense à Montpellier, grande et ancienne école de médecine –, mais la forme francisée tumeur l’a emporté, au milieu du XVIe siècle. organe creux quelle qu’en soit la matière, qu’on ignorait. Ce sens général englobe la signification actuelle, qui n’est pas nouvelle – quand Jean-Jacques Rousseau décrit une “tumeur” à l’estomac qui fait périr son porteur, c’est sans doute d’un cancer qu’il s’agissait –, mais qui est expliquée de manière nouvelle, à partir de la cytologie. Ainsi comprise, la tumeur est une formation nouvelle de cellules – ce que dit le mot néoplasme –, provenant de divers tissus et dont certaines sont normales, d’autres pathologiques et envahissantes, “malignes” – et le Malin, c’est le diable. Kystes, polypes, fibromes, verrues sont dits “bénins”, carcinomes et sarcomes, “malins”, et le sens moderne du mot cancer, qui a toujours été effrayant, mais d’une autre façon, y correspond. Cancer, le “crabe”, de même origine grecque et latine que chancre, est une métaphore de ce qui ronge ; tumeur est une description concrète de ce qui gonfle. Ni l’un ni l’autre mot ne conserve son sens primitif dans ses emplois actuels, qui sont chargés de connaissances récentes. Il en va ainsi À cette époque où le latin est omniprésent, tumeur de très nombreux mots anciens, vagues et imagés signifie aussi “vanité extrême”, comme dans la dans l’usage courant, plus précis mais encore trop langue de Cicéron. Le changement de valeur en généraux pour le spécialiste. * © Le Courrier de la Transplantation 2007;7(1):9. 50 Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. IX - n° 2 - mars-avril 2014