M I S E A U P O I N T Les hypothèses infectieuses de la sarcoïdose ● J. Salomon*, C. Perronne* Résumé : La sarcoïdose est la conséquence d’une réaction immunitaire exagérée de type cellulaire en réponse à des antigènes encore mal identifiés. Cette réponse se caractérise par la formation de granulomes typiques constitués de macrophages activés et de lymphocytes T. L’étiologie de la sarcoïdose est inconnue à ce jour. Les progrès récents suggèrent l’existence de multiples causes associant un terrain génétique particulier et une exposition à des agents environnementaux spécifiques. De nombreuses similitudes cliniques et histologiques avec l’infection tuberculeuse plaident depuis des années pour l’intervention de Mycobacterium tuberculosis, mais d’autres mycobactéries atypiques pourraient être impliquées dans la genèse de la sarcoïdose. Certaines données épidémiologiques vont dans ce sens. D’importants progrès ont été récemment effectués dans l’amélioration des connaissances sur la pathogénie, les mécanismes immunitaires qui président à la formation de granulomes et au développement de la maladie. Les progrès de la biologie moléculaire et de la microbiologie permettent d’approfondir les travaux sur les hypothèses infectieuses et, en particulier, la mise en évidence de mycobactéries. Les avancées thérapeutiques sont plus prudentes. Si les mycobactéries sont souvent considérées comme des agents responsables ou favorisants de la maladie, peu d’études portent sur l’impact d’une antibiothérapie adaptée. Mots-clés : Sarcoïdose - Mycobactéries - Granulomes. a sarcoïdose est une granulomatose multisystémique qui peut toucher tous les organes. L’atteinte thoracique (80 à 90 % des cas) et ganglionnaire (20 à 80 % des cas) est très fréquente. On retrouve souvent une atteinte des yeux, de la peau et du foie (25 % des cas). Le cœur et le système nerveux central (5 % des cas) et parfois les reins (1 % des cas) sont touchés, avec des conséquences importantes sur le pronostic. La maladie est secondaire à une réponse immune incontrôlée caractérisée, au plan histopathologique, par la présence de granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires, sans nécrose cellulaire, encore parfois appelés tuberculoïdes du fait de leur description initiale dans la tuberculose. Les progrès observés ces dernières années portent sur l'imagerie – qui a permis d’améliorer le diagnostic des formes atypiques, d’évaluer plus finement les atteintes viscérales, de mieux comprendre l’histoire naturelle de la maladie et d’assurer un suivi thérapeutique optimal – et sur la pathogénie. Ces progrès ont amélioré les connaissances portant sur le processus de formation des granulomes et sur les facteurs intrinsèques et extrinsèques susceptibles d’intervenir dans la survenue de la maladie. Il est désormais établi que cette maladie est la résultante d’une réponse immune excessive médiée par les monocytes, les macrophages et les lymphocytes T en réponse à des antigènes (1, 2). Cette réponse se traduit par la formation de granulomes typiques au niveau des lésions. L * Service des maladies infectieuses et tropicales, centre hospitalo-universitaire Paris-Ouest, hôpital Raymond-Poincaré, 92380 Garches Cedex. 228 GENÈSE DU GRANULOME Les granulomes au cours de la sarcoïdose sont de type immunitaire ; leur formation est la conséquence d’une réaction immunitaire cellulaire associant monocytes, macrophages et lymphocytes T. Ils ont une structure complexe avec un follicule central riche en macrophages activés, appelés cellules épithélioïdes, car ressemblant aux cellules épithéliales, les lymphocytes T se retrouvant entre les cellules épithélioïdes et en couronne autour de la lésion. Au centre de la lésion, il s’agit de lymphocytes T CD4+, alors qu’on observe des amas de lymphocytes CD8+ et de lymphocytes B en périphérie de la lésion. Il n’y a, en général, pas de polynucléaires neutrophiles ou éosinophiles. Le mécanisme de formation des granulomes est mieux connu grâce aux modèles animaux (3). Les monocytes et macrophages convergent vers la substance considérée comme étrangère pour la phagocyter. En cas d’échec, ils se transforment en cellules épithélioïdes. Dans le même temps, les lymphocytes infiltrent ces amas cellulaires, qui deviennent alors des granulomes. La formation de granulomes est déclenchée par des antigènes spécifiques (particules inhalées, antigènes du soi, agents infectieux...) internalisés dans les macrophages. Les antigènes partiellement dégradés sont présentés à la surface des macrophages en tant qu’épitopes antigéniques associés à des molécules de classe II du complexe majeur d’histocompatibilité. Les lymphocytes T les reconnaissent et déclenchent une réponse immunitaire spécifique. La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 6 - nov.-déc. 2002 Leur activation est à l’origine d’une prolifération locale liée à la production d’IL-2, d’une immobilisation et d’une prolifération de monocytes. Le développement progressif des granulomes est la résultante de ces activations et interactions cellulaires. Les monocytes périphériques maturent en progressant vers le cœur du granulome et deviennent des cellules épithélioïdes regroupées en sous-unités centrées par des lymphocytes. Cette intense réaction cellulaire à l’origine de la formation de granulomes sarcoïdiens a été observée dans le poumon. Les macrophages alvéolaires, cellules jeunes, sont d’excellents présentateurs d’antigènes. Leurs capacités phagocytaires sont importantes, de même que les productions d’enzymes protéolytiques, de radicaux libres, d’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) et de lysozyme (2, 3). Ils incorporent le gallium 67 et fixent les analogues de la somatostatine (4). Ils expriment à leur surface un grand nombre de molécules HLA DR, le récepteur de l’IL-2 (CD25), le récepteur de la transferrine (CD71) et des molécules d’adhérence permettant l’activation des lymphocytes T (2, 3). Au cours de la sarcoïdose, les lymphocytes T activés expriment à leur surface le récepteur de l’IL-2, celui de la transferrine, les molécules de classe II, le very late activation antigen 1 (VLA-1), le ligand des molécules de costimulation B7 (CD28) et des molécules permettant les interactions avec les macrophages. L’IL-2 est la cause principale de la prolifération locale de lymphocytes T, mais d’autres cytokines sont impliquées, telles que l’IL-15 (5) ; enfin, un environnement local évitant l’apoptose pourrait aussi intervenir (6). Le profil des cytokines produites par les lymphocytes T a été caractérisé dans le liquide broncho-alvéolaire et les lésions granulomateuses des malades (7). Il est de type Th 1, comme dans l’hypersensibilité retardée ou dans la réponse aux agents infectieux intracellulaires. L’orientation des lymphocytes T vers le phénotype Th 1 semble liée à l’IL-12 et à l’IFN. L’IL-12 produite précocement est sécrétée par les macrophages dans la sarcoïdose, et les lymphocytes T expriment nombre de ses récepteurs ; elle est un puissant inducteur d’IFN, qui pourrait jouer un rôle majeur dans la formation des granulomes (8, 9). D’autres cytokines sont produites au sein des lésions, telles que le GM-CSF et le TNF. Il en est de même des chémokines comme le MIP-1, le MCP-1, le RANTES, l’IP-10 (10, 11). Les granulomes peuvent évoluer sur plusieurs années, ou involuer en laissant une cicatrice fibreuse. ÉTIOLOGIE DE LA SARCOÏDOSE L’étiologie de la sarcoïdose demeure incertaine en raison de la diversité des tableaux cliniques, de la ressemblance avec d’autres granulomatoses et de l’absence de test diagnostique spécifique. La survenue de la maladie pourrait être multifactorielle, associant une prédisposition génétique et une exposition à des facteurs exogènes particuliers. Des facteurs génétiques intervenant sur la réponse immunitaire, la fonction des lymphocytes T, la présentation et la reconnaissance de l’antigène pourraient intervenir dans la genèse de la maladie. Des haplotypes HLA particuliers ont été répertoriés La Lettre du Pneumologue - Volume V - no 6 - nov.-déc. 2002 chez des patients d’origines diverses, associés à des formes cliniques et évolutives différentes (1). Des facteurs dépendant de l’hôte comme le polymorphisme des gènes codant pour l’enzyme de conversion de l’angiotensine (12) ou pour le récepteur de la vitamine D (13) ont été évoqués. Une instabilité génétique a été récemment décrite chez certains malades, laissant supposer que des gènes suppresseurs de tumeur pourraient intervenir (14). Cela est à relier à la découverte récente d’un risque accru de développement d’un cancer au niveau des organes atteints (15). La récidive de la sarcoïdose sur un poumon greffé à des malades atteints de sarcoïdose est aussi un argument en faveur de facteurs liés à l’hôte (16). De nombreux agents, organiques ou inorganiques, tels que des germes intracellulaires ou des complexes antigènes-anticorps, peuvent déclencher la formation de granulomes de type immunitaire. Les antigènes, sous forme de particules, sont internalisés par les monocytes et les macrophages. Il y a accumulation et persistance dans les cellules (germes résistants aux mécanismes de bactéricidie intracellulaire) de substances immunogènes. Les travaux les plus récents ont porté sur le répertoire des lymphocytes T, pour préciser la spécificité antigénique, et sur la détection d’agents mycobactériens dans les lésions. Le récepteur T présente une grande diversité due au réarrangement des gènes codant pour différentes régions des chaînes qui le composent. Si la sarcoïdose est due à des antigènes particuliers, on devrait retrouver des populations oligoclonales de lymphocytes T activés. Seul un nombre limité de clones de lymphocytes T a été retrouvé chez les malades (17). Des antigènes ou des épitopes différents pourraient donc intervenir dans la sarcoïdose. Enfin, il est probable que, lors de la réaction granulomateuse, les lymphocytes T soient recrutés et activés de façon non spécifique. La formation de granulomes au site d’injection d’homogénats de tissus sarcoïdiens au cours du test de Kveim-Siltzbach ou la survenue de la maladie chez des sujets greffés à partir de donneurs ayant un antécédent de sarcoïdose (18) plaident en faveur de l’intervention d’un agent transmissible. De très nombreux agents infectieux ont été suspectés ou recherchés au cours des dernières décennies : mycobactéries, virus, mycoplasmes, Nocardia, corynébactéries, Propionibacterium acnes... (19). Les mycobactéries sont régulièrement suspectées, notamment du fait de nombreuses similitudes cliniques, biologiques et histologiques existant entre la sarcoïdose et certaines formes de tuberculose (20). Les cliniciens se doivent de rechercher un processus tuberculeux en cours avant de traiter, ce qui nécessite souvent de longues semaines d’attente pour obtenir des résultats définitifs de culture. La corticothérapie, traitement de référence de la sarcoïdose, compte parmi ses multiples effets indésirables celui de révéler une infection latente à mycobactéries (21). De nombreux travaux ont porté sur l’isolement de mycobactéries dans les tissus sarcoïdiens ou la recherche de formes altérées expliquant le défaut de culture ou l’absence de mycobactéries identifiables (culture lente et délicate, nombre faible de bactéries, bactéries inertes, bactéries déficientes ou transformées par une phage). Ces travaux basés sur des techniques de microbiologie ont donné quelques résultats positifs chez une minorité de patients (1). 229 M I S E A La recherche de mycobactéries dans les tissus au cours de la sarcoïdose a connu un regain d’intérêt du fait du développement de techniques de biologie moléculaire sensibles telles que l’amplification de l’ADN par polymerase chain reaction (PCR). Les résultats sont d’interprétation délicate. En effet, on détecte de l’ADN mycobactérien du groupe Mycobacterium tuberculosis dans une proportion de 10 à 64 % des prélèvements étudiés (22, 23) et de l’ADN d’autres espèces comme Mycobacterium kansasii ou Mycobacterium avium chez des patients atteints. La technique de PCR est encore imparfaite, mais le nombre de faux positifs devrait continuer à diminuer. Reutgen a retrouvé, dans le sérum de patients atteints de sarcoïdose, une réponse sérologique contre une fraction antigénique de Mycobacterium xenopi (connu comme agent pathogène chez l’immunocompétent et responsable d’infections extrapulmonaires sévères chez l’immunodéprimé), de façon significative par rapport à des sujets témoins (24). Des arguments épidémiologiques suggèrent l’existence d’un cofacteur transmissible dans la genèse de la maladie. Certaines études ont retrouvé des arguments pour une possible transmission : atteinte préférentielle du personnel soignant, absence d’incidence accrue de la sarcoïdose aux Antilles, mais incidence accrue chez les Antillais ayant vécu en métropole. Parkes a étudié l’épidémiologie de la sarcoïdose sur l’île de Man (25) et trouvé une surincidence de cette maladie chez les infirmières, avec la notion de contacts préalables avec la sarcoïdose dans les mêmes proportions que la tuberculose (42 %). Edmonstone a lui aussi trouvé une incidence élevée de la maladie au sein du personnel hospitalier (26). L’éventuelle diffusion de la sarcoïdose parmi une population d’adultes vivant dans une étroite promiscuité, en milieu carcéral par exemple, n’a jamais été étudiée, mais pourrait permettre un jour une comparaison avec la tuberculose. La survenue de cas familiaux peut être liée à une transmission d’agent infectieux par les contacts étroits, mais aussi être due à des facteurs génétiques. Dans les arguments négatifs, on retrouve également le fait qu’aucun ADN mycobactérien n’a été détecté dans les homogénats tissulaires utilisés dans le test de Kveim-Siltzbach (27). La prudence reste de mise, du fait d’éventuels faux positifs – certaines mycobactéries sont considérées comme des contaminants de l’eau – ou d’un défaut de sensibilité des techniques (22). Des études récentes ont porté sur des formes particulières de mycobactéries au développement modifié avec une multiplication très lente, des déficiences importantes ou l’intervention de phages (28). Ainsi, des mycobactéries pourraient intervenir très tôt dans la genèse du processus pathologique, puis être éliminées par la réponse granulomateuse avant la phase clinique de la maladie. TRAITEMENT Les principales attitudes thérapeutiques actuelles sont l’abstention dans les formes cliniques peu sévères et la corticothérapie dans les formes graves. L’expérience acquise avec les traitements d’épargne des corticoïdes élargit la palette des options thérapeutiques. La réponse au traitement ne permet pas non plus de trancher dans la zone grise entre sarcoïdose et infection à mycobactéries. Compte tenu de l’évolution favorable de certains 230 U P O I N T patients non traités, une bonne évolution sous traitement antituberculeux ne permet pas de conclure. À l’inverse, d’autres patients ayant une culture positive ont une réponse incomplète ou pauvre sous traitement antimycobactérien adapté et évoluent bien sous corticoïdes. D’autres patients semblent présenter un tableau mixte évoquant alternativement ou conjointement une sarcoïdose ou une infection à mycobactéries, ce qui souligne l’absence de frontière claire entre ces pathologies, situation à rapprocher de la comparaison lèpre tuberculoïde-lèpre lépromateuse. Le rôle exact des mycobactéries dans le développement de la maladie reste donc à définir, mais il est probable que, dans certains cas, les mycobactéries soient un facteur déclenchant de la réponse immunitaire. Il est alors tentant d’essayer une thérapeutique antimycobactérienne moderne associant la clarithromycine, la ciprofloxacine, la clofazimine et la rifampicine. Le pyrazinamide, actif sur M. tuberculosis, est inactif sur les mycobactéries atypiques (19). La rifabutine pourrait être aussi utilisée (29). Des succès thérapeutiques sont rapportés sous traitement antibiotique (30), mais des études internationales aux critères d’inclusion stricts et portant sur des nombres élevés de patients sont nécessaires pour faire avancer les connaissances. CONCLUSION Ces dernières années ont été marquées par des progrès de l’imagerie permettant d’améliorer le diagnostic des formes atypiques, d’évaluer plus finement les atteintes viscérales, de mieux comprendre l’histoire naturelle de la maladie et d’assurer un suivi thérapeutique optimal et de la physiopathogénie du processus de formation des granulomes. Il est désormais établi que cette maladie est la résultante d’une réponse immune excessive. Des mycobactéries pourraient jouer un rôle déclenchant de la réponse immunitaire. Des études internationales randomisées portant sur des traitements antibiotiques sont nécessaires. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. American Thoracic Society. Statement on sarcoidosis. Am J Respir Crit Care Med 1999 ; 160 : 736-55. 2. Valeyre D, Soler P, Tazi A et al. Sarcoïdose. In : Kahn MF, Peltier AP, Meyer O, Piette JC, eds. Maladies et syndromes systémiques. Paris : MédecineSciences Flammarion 2000 ; 1 : 1207-36. 3. 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