La découverte à la une DANS LE SECRET DES AMYLOÏDES Connu pour former des plaques qui étouffent les neurones, le peptide amyloïde ȕ semble jouer un rôle important dans la maladie d’Alzheimer. Mais des chercheurs viennent de découvrir un autre peptide amyloïde, nettement plus abondant, qui perturbe aussi le processus de mémorisation et paraît fort néfaste. Alpha, bêta, gamma… Loin de se résumer à un seul membre, les peptides amyloïdes constituent une véritable famille. Nombreux et variés, longs ou courts, légers ou lourds. Mais jusqu’à présent, tous s’effaçaient derrière un chef de file au notoire succès : le peptide amyloïde ȕ. Dans le cerveau des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, il s’accumule et forme des plaques. Marqueurs biologiques de la pathologie, ces plaques étouffent et affaiblissent les neurones, qui ne parviennent plus à transmettre correctement l’information. Mais voilà qu’un petit nouveau vient de lui voler la vedette : le peptide amyloïde Ș (prononcez êta). Présent dans le cerveau en quantité bien plus importante, il serait, lui aussi, capable de perturber le fonctionnement des cellules nerveuses. Michael Willem et al. « Ș-Secretase processing of APP inhibits neuronal activity in the hippocampus », Nature, 31 août 2015 (1) * G8 : Groupe de discussion formé des chefs d’État et de gouvernement des 8 pays les plus industrialisés. Neurones perturbés Pour les chercheurs allemands qui l’ont mis au jour(1), le peptide amyloïde Ș constituerait une clé importante de compréhension de la maladie. In vitro, il altère la plasticité synaptique. Il empêche donc les neurones de communiquer entre eux. Plus précisément, le peptide s’oppose au renforcement du passage de l’information d’un neurone à l’autre. Or, ce phénomène est à l’origine du processus de mémorisation. En outre, le peptide Ș agit spécialement dans l’hippocampe, cette région cérébrale parfois considérée comme le siège de la mémoire. Pour confirmer leurs premiers résultats, les scientifiques ont conduit des expériences in vivo. Ils ont mesuré l’activité des neurones dans le cerveau de souris endormies, le temps de la manipulation. Ici encore, le peptide amyloïde Ș a déréglé l’activité neuronale. Jeux de ciseaux En réalité, tous les peptides amyloïdes (Alpha, bêta, gamma…) proviennent d’une grosse protéine, baptisée APP, pour amyloïd precursor protein (protéine précurseur amyloïde). Dans les neurones, cette grosse molécule, enchâssée dans la membrane des cellules, est découpée par des « ciseaux moléculaires » appelés enzymes. Première paire de ciseaux à intervenir, la ȕ-sécrétase. Elle coupe la protéine APP en deux. Puis la Ȗ-sécrétase intervient à son tour. En tranchant le morceau d’APP resté à l’intérieur du neurone, elle libère le peptide amyloïde ȕ, celui qui s’accumule dans le cerveau des patients. Les spécialistes parlent de « voie toxique ». Dans leur recherche de thérapie contre la maladie, ils sont nombreux à vouloir bloquer cette voie. Actuellement, plusieurs pistes visent à inhiber l’action de l’enzyme ȕ-sécrétase. Des essais cliniques, assez encourageants, sont en cours. Ce que l’on sait déjà sur la pathologie amyloïde 1. l’enzyme ȕ-sécrétase vient couper la protéine APP, puis l’enzyme Ȗ-sécrétase intervient à son tour 2. Ce mécanisme libère le Peptide aȕ Ce que l’on a découvert 1. une nouvelle paire de ciseaux, l’enzyme Ș-sécrétase pourrait générer une autre voie toxique 2. Ce mécanisme libère le Peptide aȘ Enzyme ȕ-sécrétase Enzyme Ș-sécrétase Peptide aȕ Enzyme Ȗ-sécrétase L’objectif jusqu’à présent, bloquer l’enzyme Ȗ-sécrétase libérant le peptide aȕ qui va s’accumuler dans le cerveau. Enzyme Į-sécrétase Peptide aȘ Une découverte qui interroge, car le peptide aȘ, nettement plus abondant que le peptide aȕ, semble lui aussi avoir des effets néfastes. Alzheimer Infos Hors-série décembre 2015 - 7 Un peptide néfaste En cherchant à comprendre comment ce nouveau peptide amyloïde Ș est fabriqué, les scientifiques allemands ont mis la main sur une nouvelle paire de ciseaux moléculaires. Ils ont baptisé cette enzyme l’Ș-sécrétase. Son action sur la grosse protéine précurseur amyloïde APP génère un fragment qui pourra, à son tour, être coupé par l’une ou l’autre des enzymes déjà connues. Quand la ȕ-sécrétase intervient après l’Ș-sécrétase, elle libère un fragment inoffensif. En revanche, quand une autre enzyme, l’Į-sécrétase, entre en jeu après l’Ș-sécrétase, elle génère un fragment plus long, donc plus stable, aux effets néfastes. C’est le fameux peptide amyloïde Ș. De futurs médicaments déjà périmés ? Problème ? : le blocage de la ȕ-sécrétase, piste thérapeutique fort prometteuse pour lutter contre la formation des plaques amyloïdes dans le cerveau des patients, entraîne une augmentation massive de la concentration du peptide Ș. Ainsi, en voulant supprimer la fabrication du peptide amyloïde ȕ, on génère davantage de peptide amyloïde Ș. Ces résultats inquiètent l’ensemble de la communauté scientifique. Faut-il pour autant abandonner les essais cliniques en cours ? Pas si vite, répondent les chercheurs. Il faudra seulement être extrêmement vigilant sur les possibles effets indésirables des thérapies à l’étude. Pour Sylvie Claeysen(2), chercheuse Inserm à l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier, la découverte du peptide Ș peut conduire à une nouvelle piste thérapeutique. D’ailleurs, une équipe française l’a déjà étudiée, avec des résultats prometteurs. ATE LAURÉ 2010 NCE DE FRA ER IM ALZHE 8 - Faut-il abandonner les essais cliniques en cours ? La découverte du peptide amyloïde Ș est-elle L’inhibition de la ȕ-sécrétase est une voie vraiment importante ? thérapeutique prometteuse. Elle empêche la On connaissait déjà de nombreux peptides fabrication du peptide amyloïde ȕ. Lorsqu’il amyloïdes. La protéine précurseur amyloïde APP s’accumule, les plaques caractéristiques de la est coupée par plusieurs enzymes. Il y a donc une maladie d’Alzheimer se forment. Plusieurs essais multitude de fragments, qui sont autant de peptides cliniques avancés sont en cours. Malheureusement, amyloïdes. Dans cette dernière étude, l’équipe de les travaux de l’équipe allemande chercheurs allemands a identifié un montrent qu’en parallèle, cette voie nouveau site de coupure sur cette grosse « Cette thérapeutique augmente la concentration protéine. Les scientifiques ont également bien identifié l’enzyme à l’origine de cette nouvelle piste du peptide Ș. Or ce dernier paraît avoir une action défavorable sur les processus coupure, ainsi que les peptides générés. Désormais, il faudra les rechercher chez thérapeutique mnésiques. Cela prouve qu’il ne faut pas les patients. En termes de réalisation a montré des complètement bloquer l’activité d’une enzyme. Heureusement, aujourd’hui, les scientifique, cette nouvelle étude est un résultats doses administrées ne permettent pas beau travail. C’est de la biochimie de haut vol. Mais pour être complet, il faudrait spectaculaires » d’inhiber l’enzyme à 100 %. Elles devraient donc limiter l’augmentation de production ajouter des tests comportementaux sur de peptide Ș. Je crois surtout que dans la maladie les souris. Ils permettraient d’observer dans quelle d’Alzheimer, comme dans de nombreuses autres mesure la mémoire des animaux est affectée. Ces pathologies, la solution viendra d’une multithérapie. expériences manquent encore. A l’avenir, nous pourrons combiner plusieurs molécules qui agissent à des endroits différents. Cette découverte peut-elle conduire à une Par exemple, nous pourrions inhiber en partie la nouvelle piste thérapeutique ? ȕ-sécrétase, pour réduire la production de peptide Oui. D’ailleurs, une équipe française travaillait déjà amyloïde ȕ, et inhiber en partie la Ș-sécrétase, pour sur cette nouvelle piste thérapeutique. Elle a rendu réduire la production de peptide amyloïde Ș. A ces ses résultats publics en juillet dernier, soit peu avant la deux voies, il sera possible d’ajouter une molécule qui publication des chercheurs allemands sur le peptide s’attaque aux symptômes de la maladie, comme le amyloïde Ș. Les deux groupes travaillent sur la même donépézil. Tout cela n’est qu’hypothèse, mais je crois enzyme, que les chercheurs allemands ont baptisée à cette multithérapie. D’ailleurs, la combinaison se Ș-sécrétasse. L’équipe dirigée par Santiago Rivera, à fera peut-être en fonction du profil du patient. Cette Marseille, a obtenu des résultats spectaculaires. En identification des profils de patients est importante, travaillant sur un modèle de souris qui mime une forme car la maladie d’Alzheimer est très hétérogène. familiale de la maladie d’Alzheimer, les Français ont montré que la suppression de l’enzyme Ș-sécrétase (2) diminue la formation des plaques amyloïdes et Labélisée chercheuse d’avenir par la région Languedoc-Roussillon réduit l’inflammation cérébrale dans le cerveau des animaux. Surtout, les expériences ont montré que la mémoire des souris était alors préservée ! C’est donc une piste sérieuse. Alzheimer Infos Hors-série décembre 2015