LES DETERMINANTS DE L’INVESTISSEMENT
Introduction :
L’investissement est une donnée à la fois des plus fondamentales- Patrick Villieu parle du
« principal inititiateur des mouvements de l’activité » (Macroéconomie. L’investissement, 2000)
et des plus instables de l’économie. Si le taux d’investissement (FBCF/ VA) des SNF baisse de
manière générale depuis le début des années 1960, il connaît de nombreuses variations
cycliques au cours de cette période. Dans un contexte de financiarisation de l’économie- depuis
les années 1980-, les déterminants de l’investissement ont fortement évolué, au profit des
déterminants financiers (financement direct). Cependant, le passage d’une « économie
d’endettement » à une « économie de marchés financiers » (Hicks, La crise de l’économie
keynésienne, 1974- caractérisée par la domination de la finance directe- ne doit pas amener à
négliger les autres déterminants de l’investissement : ainsi, le financement sur endettement (par
recours au crédit bancaire) représente toujours environ le tiers du financement total des
entreprises.
Quels sont les différents déterminants de l’investissement et leur importance respective dans la
décision d’investir ?
1) LES DETERMINANTS ECONOMIQUES DE L’INVESTISSEMENT
1.1) L’épargne, un préalable indispensable à l’investissement ?
Toute la théorie classique s’appuie sur la loi des débouchés énoncée par Say (Traité d’économie
politique, 1803) : « tout produit crée offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout
le montant de sa valeur ». ->la thésaurisation n’est pas prise en compte (Say écrit dans le contexte
d’une monnaie métallique -> pas de problème de dévaluation de la monnaie, or elle remet en cause
la présence de débouchés à l’investissement.
Par ailleurs, l’épargne est vue comme préalable à l’investissement (égalité ante-post) : le taux d’auto-
financement (épargne brute/ FCBF) des SNF est en effet important (78,7% en 2007), mais instable, il
a déjà atteint des niveaux très bas (43% en 1980), ce qui montre que les entreprises ont aussi recours
à d’autres modes de financement de l’investissement.
1.2) Demande anticipée et multiplicateur d’investissement dans la théorie keynésienne : une
égalité I=S ex-post
Dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), Keynes inverse le
raisonnement des Classiques et place la fonction de consommation au cœur de la décision d’investir :
l’entreprise investit en fonction de la demande anticipée des ménages.
L’indépendance de l’investissement vis-à-vis de l’épargne s’explique par le multiplicateur (Richard
Kahn, 1931) : ∆Y= k. ∆I= (1-c). ∆I
Un investissement entraîne une redistribution de revenu plus que proportionnelle. Donc
l’Etat peut investir sans épargne préalable, il sera payé en retour (hausse d’impôt, baisse des
prestations permises par la hausse des revenus). C’est pourquoi Keynes appelle à une
« socialisation de l’investissement », mais l’ouverture de l’économie- la « contrainte
extérieure »- affaiblit l’effet du multiplicateur, la politique de relance étant davantage
utilisée pour importer que pour augmenter la production (cf échec de Mauroy en 1983)
1.3) L’épargne reste une variable prépondérante pour les entreprises les plus soumises au
problème d’asymétrie d’information
Problème d’aléa moral particulièrement sensible :
- Pour l’innovation, du fait de la forte technicité de ce domaine (-> coûts irrécupérables
élevés). C’est pourquoi la grande majorité des dépenses de R et D sont autofinancées. Mais
cet autofinancement s’avère souvent insuffisant: en 2008, selon Martin Kessler, 30% des
chefs d’entreprises innovantes déclarent renoncer à leurs projets par manque d’accès aux
capitaux -> problème de compétitivité hors-prix des entreprises françaises
- Pour les petites entreprises, qui souffrent à la fois d’un faible accès au crédit et d’un manque
de confiance de la part des marchés financiers.
2) LES DETERMINANTS MONETAIRES DE L’INVESTISSEMENT
2.1) le financement indirect (par recours au crédit bancaire) reste une variable importante de
l’investissement
En 2005, 28,5% du financement se fait par intermédiation. Malgré le passage à une économie de
marché, la place des établissements bancaires reste donc déterminante dans l’investissement.
Avantages du financement par recours au crédit bancaire:
- Pas de risque de dispersion du capital
- Permet l’accès un financement externe pour les petites entreprises
- Mécanismes plus souples que l’émission de titres
Inconvénients :
- Contrainte de remboursement
- Versement d’intérêts
- Dépendance de l’entreprise vis-à-vis du banquier
2.2) la comparaison taux d’intérêt/ efficacité marginale du capital fonde la décision d’investir
La décision d’investir dépend de « l’efficacité marginale du capital » (Keynes), ie le taux de
rendement interne : un investissement n’est rentable que si le coût du capital est inférieur au TRI
-> le taux d’intérêt est au cœur de la décision d’investir.
- Effet de levier : RE > ti –> hausse de la RF qui incite l’entreprise à se financer par endettement
- Malivaux (Réexamen de la théorie du chômage, 1980) définit la notion de profitabilité, qui
« mesure l’avantage qui peut être obtenu de nouvellles combinaisons productives » : RF ti
réel -> on voit aussi la place de l’inflation dans la décision d’investir : une forte inflation
réduit le ti réel et donc favorise l’investissement
2.3) les problèmes d’asymètrie d’information gênent l’accès à la liquidité et sont donc un frein à
l’investissement
Si le crédit représente 40-60% de l’activité d’une banque en moyenne, les établissements bancaires
favorisent les grandes entreprises, au détriment, de plus en plus, des PME : celles-ci ont vu le nombre
de refus de crédit passer de 5% à 17% entre 2007 et 2010= rationnement/ assèchement du crédit
générateur de fortes inégalités, lié à des problèmes d’informations : une hausse du ti augmenterait
les risques d’anti-sélection, c’est pourquoi les banques préfèrent cibler leur prêts en direction des
demandeurs qui présentent le moins de risque. Les PME françaises sont ainsi marquées par un sous-
investissement- souligné par le rapport Gallois, qui prône un choc de compétitivité (par
l’investissement)-, qui compromet leur compétitivité à long-terme. Or les PME sont un moteur
essentiel de l’emploi en France. Les chiffres soulignent ce paradoxe : en 2000, les PME représentent
65% de l’emploi total contre seulement 35% des investissements.
3) LES DETERMINANTS FINANCIERS DE L’INVESTISSEMENT
3.1) un mouvement de désintermation motivé par une demande croissante d’accès à la liquidité
Depuis les 80ies, désintermédiation= recours croissant aux marchés par émission de titres (actions,
obligations, etc). L’investissement, particulièrement important au moment de la création de
l’entreprise (achat de capital fixe), peut alors être pris en charge par des capital-risqueurs, spécialisés
dans l’apport de fonds propres pour les entreprises en voie de création. Les grandes entreprises ont
un meillleur accès au marché financier. Avantages de cette désintermdiation : l’accès au capital est
gratuit (contrairement au crédit bancaire rémunéré par un intérêt) et peut même être bénéfique en
cas de forte spéculation (hausse du Q de Tobin).
3.2) la désintermédiation ne résout pas totalement le problème d’asymétrie d’information, qui
reste un frein à l’investissement, en particulier pour les petites entreprises et pour certains
investissements particulièrement sensibles à ce risque (recherche…)
Les asymètries d’informations entre actionnaires et managers sont soulignées par la théorie de
l’agence (Jensen et Meckling, 1976) : l’actionnaire (agent) doit faire confiance au principal
(l’entrepreneur) pour accepter de financer l’investissement. Cependant, les actionnaires ont
aujourd’hui tendance à valoriser la rentabilité de cours terme, au détriment des petites entreprises.
Les capital-risqueurs favorisent aussi les grandes entreprises (qui peuvent fournir de meilleures
informations et donc atténuent le risque d’aléa moral).
3.3) le « retour de l’actionnaire », une menace pour l’investissement des entreprises ?
Depuis les 80ies, et surtout les 90ies- avec le développement de la « gouvernance d’entreprise -qui
accroît le poids des actionnaires dans les conseils d’administration-, les dividendes ont littéralement
explosé. Par ailleurs, la financiarisation a également permis aux managers de s’enrichir par le
système des stock-options (droit accordé à un dirigeant d’entreprise d’acquérir dans le futur les
actions de son entreprise à un prix convenu à l’avance).
La montée de l’actionnaire gêne l’épargne et donc l’investissement
Elle entrave le bon développement de l’entreprise sur le long terme et donc sa capacité à
investir sur le long terme
Elle modifie la rémunération des facteurs de production au profit du capital, ce qui accroît les
inégalités et donc, dans une perspective keynésienne, exerce une pression à la baisse sur la
demande anticipée des ménages : réouverture des inégalité de revenus par le haut du fait de
l’augmentation fulgurante des dividendes, tandis que les salariés peinent à faire entendre
leurs intérêts : la part des salaires dans le partage de la VA chute dans les années 1980 pour
se stabiliser depuis, à 67% en 2007 pour les SNF.
Conclusion :
Les déterminants de l’investissement sont multiples, bien que le financement de l’investissement se
réalise de plus en plus sur les marchés financiers. Les banques elles-mêmes sont de plus en plus
impliquées dans ces opérations financières, dont la volatilité les pousse aujourd’hui à pratiquer un
assèchement du crédit particulièrement regrettable pour les PME, qui jouent pourtant un rôle
essentiel au sein du système industriel français. Finalement, c’est, derrière cette question de
l’investissement, l’ensemble de la situation économique qui est questionnée : en permettant à tel ou
tel acteur d’investir, les marchés financiers exercent un pouvoir considérable sur le dynamisme à
long terme des entreprises. C’est enfin un problème de justice sociale qui est soulevé : la
financiarisation de l’économie s’est accompagnée d’un mouvement de ré-ouverture des inégalités de
revenus, au profit des actionnaires et des chefs de grandes entreprises ayant pris part aux intérêts
des actionnaires par l’intermédiaire des stock-options.
Références:
Keynes, Théorie générale de l’intérêt, de l’emploi et de la monnaie (1936)
Beitone, A. Cazorla, C. Dollo et A. Drai, Dictionnaire de science économique (2011)
Keissler, « Comment financer l’innovation ? » Regards croisés sur l’économie (2008)
Michael C. Jensen et William H. Meckling, Theory of the firm, "managerial behavior agency costs and
ownership structure", 1976
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