« éducateurs », la question de la mobilisation des enfants et des adolescents sur les
savoirs ne se pose pas. Soit parce qu’ils considèrent que les enfants sont assujettis à
apprendre ce que les adultes leur imposent, soit parce qu’ils imaginent que les enfants
désirent naturellement apprendre et que leur curiosité se déploie spontanément. Pour les
uns, il s’agit donc de sélectionner les plus dociles, pour les autres, d’attendre que le désir
d’apprendre émerge de lui-même… Et c’est parce que ces deux postures vont être
déconstruites, l’une et l’autre, que la motivation va apparaître comme une question
pédagogique essentielle qui se révélera progressivement déterminante pour fonder une
institution scolaire démocratique.
L’enfant, « spontanément curieux » ?
Janusz Korczak, dès le début du 20e siècle, ébauchera la première « déclaration des
droits de l’enfant ». Pour lui, l’enfant est, tout à la fois, un être complet et inachevé :
parce qu’il est inachevé, il doit être protégé, mais parce qu’il est déjà un être « complet »,
il doit être « respecté ». Les désirs de l’enfant ne peuvent être abolis par décret. Il faut,
pour le moins, « faire avec » (2)… À la même époque, d’ailleurs, la psychanalyse
souligne l’importance des expériences infantiles, des pulsions qui structurent, très tôt, le
psychisme et que nul ne peut éradiquer ou tenir pour insignifiantes. Dans ces conditions,
quiconque considère l’enfant comme une page vierge sur laquelle s’inscriraient les
savoirs qu’on lui dicterait se coupe du sujet désirant qui, seul, peut s’engager dans un
apprentissage, métaboliser des savoirs pour en faire des occasions de développement.
Et c’est ce que ne cessera de répéter le mouvement de l’Éducation nouvelle qui tient son
premier congrès à Calais en 1921 : l’enfant est un sujet et nul ne peut apprendre à sa
place… De là à prôner l’abstention pédagogique, il n’y a qu’un pas que franchit, par
exemple, Alexander Neill, l’auteur de Libres enfants de Summerhill (3) : pour lui, pas
question de contraindre un enfant et, si, par exemple, il refuse d’apprendre à lire, il faut
attendre, aussi longtemps que nécessaire, qu’il en fasse la demande…
Voilà donc qu’à l’opposé de l’enfant docile, assujetti aux injonctions de l’adulte,
apparaît « l’enfant dont il faut respecter inconditionnellement les désirs ». Mais ne
remplace-t-on pas alors une illusion par une autre ? Le psychanalyste Bruno Bettelheim
– qui a passé plusieurs mois à Summerhill – suggère qu’A. Neill peut se permettre d’agir
ainsi car il dispose d’un formidable charisme : pour obtenir son amour, les enfants
finissent toujours par apprendre ! Et A. Neill récupère ainsi en séduction ce qu’il a
abandonné en contrainte… laissant au bord du chemin ceux et celles qui n’auront pas eu
la chance de rencontrer une personnalité aussi « exceptionnelle » !
Aujourd’hui, cette conception de « l’enfant spontanément curieux » subsiste encore ici ou
là. Mais elle ne résiste pas à l’examen. En effet, elle confond désir de savoir et désir
d’apprendre. En réalité, les enfants veulent, bien souvent, savoir, mais ils préfèrent – et
de loin – savoir sans apprendre, à l’économie, en allant au plus vite et au plus efficace,
sans passer par de longs tâtonnements et de difficiles recherches. Tout le progrès
technique, d’ailleurs, leur donne raison, puisqu’il consiste précisément à nous permettre
de savoir faire sans avoir appris… Il fait ici écho, contre toute attente, aux croyances
ésotériques qui nous permettent, elles, de savoir sans comprendre. Ainsi le désir