Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 3-4, mars/avril 2001
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Très bien et bravo ! pour
cette approche préventive
de la médecine avec
l’espérance un peu folle
de voir disparaître à
terme ces tableaux cli-
niques étiquetés forme
de Charcot et Vulpian.
Mais n’oublions-nous
pas trop rapidement les
patients affaiblis depuis
plusieurs années par
cette maladie ? Eux ne
souffrent plus d’incerti-
tudes diagnostiques mais
bien des conséquences
directes et réelles du
handicap généré par plu-
sieurs années de pous-
sées auxquelles a succédé
l’installation insidieuse
mais continue des défi-
cits moteurs sensitifs, sphinctériens,
visuels, sensoriels et cognitifs.
Rappelons que, si l’espérance de vie
n’est pas diminuée pour la très grande
majorité des patients, environ 50 %
d’entre eux ont perdu leur autonomie
motrice après 15 ans d’évolution et dû
cesser depuis plusieurs années leur
activité professionnelle.
Le paradoxe est que ces patients, sou-
vent les mieux informés sur la maladie,
ses thérapeutiques d’aujourd’hui et ses
perspectives de demain, ne peuvent
bénéficier (à juste titre sans doute) des
interférons ou du copolymère dès qu’ils
franchissent la valeur 6,5 de l’échelle
EDSS. Aujourd’hui, tout patient peut
avoir accès à des sources d’informa-
tions diverses via Internet ou les asso-
ciations de malades. Il existe souvent
une inadéquation entre la perception de
la maladie par les patients eux-mêmes,
via ces médias créant souvent de faux
espoirs, et les informations données par
leur médecin, en général plus réservés
sur les nouveautés. Cette situation est
source d’incompréhension et d’insatis-
faction et crée un climat de suspicion.
À la fois les plus éclairés et les plus
atteints, ces patients sont en général les
plus agressifs mais aussi les plus rési-
gnés sur les perspectives thérapeutiques
qui, globalement, sont plutôt proposées
aux formes débutantes. C’est vrai pour
les formes rémittentes avec séquelles
devenues secondairement progressives,
encore plus pour les formes d’emblée
progressives auxquelles se sont heur-
tées les vagues protocolaires successives
des essais thérapeu-
tiques, sans aucun résul-
tat probant.
Globalement, quelle que
soit la forme clinique, le
handicap va tôt ou tard
s’aggraver chez la majorité
des sclérosés en plaques
et réduire progressive-
ment leur autonomie. Ils
vont franchir cette barre
fatidique du 6,5 à
l’EDSS leur coupant
tout espoir d’un traite-
ment de fond. Adieu
interférons, endoxan,
novantrone, copaxone !
Mais n’y a-t-il pour
autant aucun espoir à
leur donner ?
Les différentes attitudes
L’attitude française actuelle :
trop souvent la résignation
Malheureusement, encore trop souvent,
les neurologues de l’Hexagone ne rai-
sonnent qu’en termes de physiopathologie
et de pharmacologie et vont jusqu’à
dire : “Je ne peux plus rien pour vous.
Cette attitude, reflet d’un monde carté-
sien qui ne croit qu’en la pilule miracle,
est par trop réductrice et oublie la prise
en charge globale qui certes est le reflet
de notre incapacité à guérir mais peut
rendre des services énormes au patient.
L’attitude outre-Atlantique
La prise en charge est bien différente
dans un pays comme le Canada, où le
système de santé est pourtant plus pro-
che du système français que du système
Il y a encore dix ans, la sclérose en plaques était peu
médiatisée, les traitements de fond n’existaient pas et
les neurologues préoccupés par cette maladie considérée
comme incurable n’étaient pas légion. MacAlpine ne disait-il
pas : “Celui qui veut briser sa carrière scientifique doit
s’intéresser à la SEP” ? Les temps ont changé, l’annonce
du diagnostic est plus rapide, et la mise en route d’un
traitement immunomodulateur de plus en plus précoce.
À tel point que le dogme inébranlable de la deuxième
poussée, jusque-là indispensable pour définir avec quasi-
certitude la maladie, va sans doute imploser d’ici peu,
au grand dam de Poser, pour traiter, dès la primo-
manifestation, les patients (espérons que tous auront bien
une SEP) dont l’activité IRM sera considérée comme trop
intense pour être négligée.
* Service de neurologie,
CH Saint-Philibert, Lomme.
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Les plus informés
sont-ils les mieux soignés ?
P. Hautecœur*
Info-Patients
L’éthique
au quotidien
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américain. L’accent est mis sur les traite-
ments symptomatiques (douleurs, fati-
gue, troubles sphinctériens) et sur la
prise en charge pluridisciplinaire asso-
ciant neurologue, rééducateur, infirmiè-
re référente spécialisée dans la SEP,
psychothérapeute, ergothérapeute, assis-
tante sociale, association de malades.
Ainsi, quel que soit le stade de sa maladie,
le patient n’est pas abandonné et cela
représente sans aucun doute l’un des
meilleurs traitements de fond qui soit.
Les patients concernés
Ils représentent in fine la majorité des
sclérosés en plaques. En effet, 50 % des
malades passent en forme secondaire-
ment progressive après dix ans d’évolu-
tion, 90 % après 25 ans. Si les formes
bénignes sont classiquement dans la pro-
portion de 30 % à 10 ans, elles ne repré-
sentent plus que 10 % à 22 ans.
Cinquante pour cent des formes d’em-
blée progressives ont un EDSS à 6 après
10 ans d’évolution et à 8 après 22 ans.
Quelle que soit l’évolution, 10 % ont un
EDSS à 8 après 10 et 15 ans et dans
34 % des cas après 30 ans. Ils souffrent
alors de difficultés motrices, de troubles
de la coordination, visuels, neuro-
psychologiques et sphinctériens. Alors
qu’auparavant, ils mettaient en avant à la
fois leur crainte d’invalidité mais aussi
leurs espoirs dans les thérapeutiques
nouvelles, avec le temps, les patients
expriment de plus en plus d’agressivité
vis-à-vis de la maladie mais aussi de leur
médecin. Comme ils le disent, leur
maladie les prive autant de leurs jambes
que de leurs rêves. Diminués, ils ont
perdu toute autonomie et sont totalement
dépendants de leur entourage. Le handi-
cap physique est rapidement générateur
d’un handicap social. L’atteinte des dif-
férentes fonctions entraîne une incapaci-
té de travail, source de perte financière
pour le malade et sa famille, mais aussi
pour la collectivité par le biais des diffé-
rentes prestations, indemnités, alloca-
tions versées. La SEP provoque égale-
ment un retrait de la vie sociale et asso-
ciative, le handicap confinant progressi-
vement les patients à domicile.
L’incidence sur l’entourage n’en est que
plus importante, puisque l’état du
patient peut conduire à une aide pluri-
quotidienne dont l’ampleur s’accroît
avec le handicap.
La solution : une nouvelle
prise en charge
De plus en plus, la prise en charge des
sclérosés en plaques, quel que soit le
stade de la maladie, va devenir ambula-
toire. Beaucoup des raisons qui pous-
saient encore à hospitaliser récemment
les patients deviennent caduques,
puisque les diagnostics, le traitement des
poussées ou l’instauration d’un interfé-
ron peuvent relever totalement de la
compétence et être dans les attributions
des neurologues de proximité. En revan-
che, pour ces patients au stade avancé,
affectés dans plusieurs de leurs fonc-
tions, l’approche pluridisciplinaire va
très vite devenir incontournable.
C’est dire tout d’abord l’importance des
réseaux de soins construits autour du
patient, regroupant certes les neurologues
(libéraux, hospitaliers, universitaires)
mais aussi les autres professionnels de la
santé impliqués dans la prise en charge
globale de la SEP, ainsi que les associa-
tions de malades.
C’est dire aussi l’importance des consul-
tations pluridisciplinaires permettant,
d’une part, d’organiser une prise en
charge adaptée des problèmes à la fois
sensorimoteurs, thymiques, cognitifs et
sociaux et, d’autre part, d’éduquer les
patients aux différentes thérapeutiques.
Durant quelques heures, les patients,
loin d’être délaissés, vont être vus par
plusieurs spécialistes : le neurologue, le
rééducateur prenant en charge le handi-
cap, la spasticité, les troubles génito-
sphinctériens – en collaboration éven-
tuellement avec les stomathérapeutes –,
la douleur et la fatigue, le psychologue
dont le rôle n’est plus à démontrer, l’in-
firmière spécialisée dans cette maladie
et tous ses traitements, l’assistante
sociale enfin, en relation avec l’ergo-
thérapeute et d’autres personnes pouvant
intervenir directement au domicile afin
d’adapter au mieux l’habitat, la salle de
bains et les moyens de transport au han-
dicap du patient. Cette consultation peut
déboucher sur la programmation d’une
“hospitalisation d’un jour”, comme disent
les Canadiens, afin de réaliser certaines
investigations complémentaires : écho-
graphie, examen urodynamique…, de
prescrire certaines thérapeutiques,
comme la toxine botulique ou le baclo-
fène intrarachidien, de réaliser certains
bilans kinésithérapiques spécifiques à la
SEP pour la spasticité, l’équilibre ou la
motricité, d’éduquer les patients aux
autosondages si le syndrome cérébelleux
n’est pas trop gênant ou à la neurostimu-
lation transcutanée. Le neurologue de
proximité va participer ensuite active-
ment à la mise en œuvre et au suivi des
traitements symptomatiques en collabo-
ration avec le médecin généraliste, le
kinésithérapeute et l’infirmière.
De nombreux symptômes sont tout de
même accessibles aux traitements médi-
camenteux. D’autres peuvent même par-
fois représenter une épine irritative à la
maladie elle-même. Est-il encore toléra-
ble de voir des patients non suivis régu-
lièrement sur le plan urinaire, alors que
l’on connaît l’influence des difficultés
mictionnelles et des infections qui en
découlent irrémédiablement sur les
symptômes préexistants et sur la fré-
quence des poussées ? Est-il encore per-
mis de négliger des symptômes comme
la douleur, la fatigue, les troubles
sexuels et la dépression, quand on sait à
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Info-Patients
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quel point ils peuvent altérer, dès le
début de la maladie, la qualité de la
vie ? La coordination devra aussi se
faire avec l’ergothérapeute et l’ortho-
phoniste dont le rôle peut être capital :
contrôle respiratoire avec coordination
de l’apnée puis de la reprise respiratoire,
technique de rééducation appropriée
aux troubles de la déglutition parfois si
dangereux. Bien sûr, le psychologue et
même le psychiatre font partie intégrante
de cette prise en charge globale et du
suivi. Quant à la rééducation, elle doit
être adaptée à chaque malade et peut, en
tout état de cause, améliorer certains
symptômes de façon notable.
Mais au-delà de ces considérations plu-
tôt techniques, l’accent doit être mis sur
la relation malade-médecin fondée sur
la transparence, la vérité et l’informa-
tion la plus complète possible. Toute
divergence entre la perception de la
maladie par le patient lui-même et par
son médecin peut conduire à une incom-
préhension. C’est ainsi que les malades
sont poussés naturellement à s’orienter
vers d’autres horizons et vers les méde-
cines parallèles, dont les arrière-pensées
ne sont pas toujours des plus honnêtes.
La neurologie ne se résume pas, loin
s’en faut, à un examen clinique sensori-
moteur même des plus fins, aboutissant
à quelques examens complémentaires
parfois symbolisés, pour le grand
public, par des mots comme ponction
lombaire, suivi d’une ordonnance, géné-
rant parfois plus d’effets adverses que
d’espoirs de soulagement. Le mot inter-
rogatoire devrait être supprimé et rem-
placé par celui d’entretien ou d’écoute,
créant un climat de confiance et surtout
apportant le maximum d’informations
sur la maladie. C’est aussi le rôle de ces
infirmières “référentes” d’outre-
Atlantique prenant une part très impor-
tante dans ce domaine. Le programme
ACT (Actions for choices in treatment
of multiple sclerosis) a été conçu dans
ce sens par des neurologues et psycho-
logues anglo-saxons (en collaboration
avec les laboratoires Schering). Il va se
développer très prochainement en
France. Il repose sur un modèle psycho-
logique appelé théorie de l’autorégula-
tion, ou modèle des représentations
mentales, dont l’idée générale est que
les individus réagissent au monde tel
qu’ils le perçoivent et non tel qu’il est ou
tel que les professionnels de la santé le
voient. Le comportement de tout indivi-
du est donc fondé sur ses croyances for-
gées par l’entourage, les médias, etc.
S’ils arrivent à lever la part d’irrationnel
qui dicte au patient ses réactions face à
la maladie, les médecins peuvent ainsi
augmenter les chances de ce dernier
d’améliorer sa condition. Avec ACT, le
patient est invité à analyser ce qu’il
éprouve, à faire le point sur l’état de ses
connaissances et de ses besoins en
information. Il devient alors acteur de sa
prise en charge thérapeutique. Le sup-
port de ce programme est un question-
naire structuré en cinq points remis au
patient, mais aussi pour partie à l’entou-
rage afin de connaître la façon dont ce
dernier perçoit les difficultés et les réac-
tions du proche face à sa maladie. Ce
document renseigne sur sa propre per-
ception des termes “sclérose en
plaques”, de ses symptômes, des causes
possibles de sa maladie, de son évolu-
tion à court, moyen et long termes, les
conséquences sur sa vie quotidienne et
l’efficacité de ses traitements. Les pre-
miers résultats sont très intéressants, car
ils montrent l’ampleur des changements
que nous allons devoir opérer dans notre
façon d’agir pour améliorer la prise en
charge par une écoute de qualité et lever
toutes les ambiguïtés et incertitudes que
nous générons dans l’esprit de nos
patients par notre propre comportement,
lui-même reflet de notre environnement
par trop scientifique. Ils devraient per-
mettre tout particulièrement d’associer
le patient aux propositions et choix thé-
rapeutiques qui lui sont offerts, seuls
garants d’une réussite.
Environnement et comportement indivi-
duel sont étroitement interconnectés,
comme nous venons de le voir. C’est
pourquoi, quelle que soit la qualité de la
relation malade-médecin et des soins
prodigués, le soutien de l’entourage
familial du cercle d’amis, des associa-
tions de malades, voire le dialogue entre
patients peuvent également jouer un
rôle capital dans cette prise en charge.
Ne passons pas pour autant d’un extrême
à l’autre et sachons raison garder.
Technicité, rigueur scientifique et
recherche sont les seules chances d’amé-
lioration. Elles peuvent être très rapide-
ment source de challenges aussi insen-
sés que l’apparition d’un traitement pré-
coce, préventif et efficace à long terme.
Simplement elles doivent, pour l’ins-
tant, être complétées par une approche
plus humaine de cette catégorie de
malades plus ou moins bien informés,
rarement éclairés mais trop souvent
négligés.
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Info-Patients
Tableau. Les éléments de prise en charge.
Réseau de soins élargi
Consultation pluridisciplinaire
Traitements symptomatiques
Relation malade-médecin :
– écoute, information
– participation active du patient à son
traitement
Associations de malades
Famille, amis
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