L e s d o u l e...

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Les douleurs pelvi-périnéales
Douleurs périnéales :
la relation médecin-malade
■ M. Bensignor*
L
e périnée fait l’objet d’un investissement
lourd sur les plans culturel, affectif, émotionnel et sexuel. Les patient(e)s qui souffrent
de douleurs périnéales chroniques sont souvent en détresse psychologique, en particulier
lorsque aucune cause lésionnelle n’a été identifiée. Nombre de ces patients ont des difficultés
ou des réticences pour parler de leurs symptômes à leurs proches et même, parfois, à leur
médecin. Ils redoutent de s’entendre dire qu’ils
n’ont rien et que la douleur est “psychosomatique”. Si certains de ces patients présentent
une détresse psychologique, une véritable
pathologie psychiatrique, répondant à des critères psychopathologiques positifs, n’est toutefois en cause que très exceptionnellement.
Une anxiété ou une humeur dépressive sont fréquemment mises en évidence : elles sont probablement plus souvent une conséquence
qu’une cause de la douleur chronique. Elles
s’amendent en général rapidement lorsque le
traitement de la douleur est efficace. Le stress
génère à la fois des contractures musculaires et
une hypertonie sympathique qui peuvent participer à une hypertonie urétrale, par exemple,
ou à une dyschésie. En pratique, il importe peu
que les difficultés psychologiques soient considérées comme une conséquence ou comme
une cause de la douleur ; elles sont là, constituent ensemble un “système” et doivent donc
faire l’objet d’une réponse de la part d’un
médecin souvent mal formé pour cela.
* Unité d’évaluation et traitement
de la douleur, clinique Viaud,
40, rue Fontaine de Barbin, 44000 Nantes.
Tél. : 02 40 37 26 26. Fax : 02 40 37 26 50.
E-mail : [email protected]
Face à la douleur d’un être vivant, en pratique
clinique comme en physiologie, faire la part de
la souffrance psychique et de ses manifestations somatiques ou séparer une agression tissulaire de ses répercussions psycho-affectives
est impossible. Dans un contexte social et culturel qui valorise la “performance”, la douleur
“physique” (si tant est que cette expression ait
un sens car, par définition, la douleur est une
émotion) est vécue par les patients et par les
médecins comme une fatalité : lorsqu’une
cause est identifiée, la “réalité” du symptôme
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
confère une "légitimité" à la plainte. La cause
du mal est, en quelque sorte, extériorisée. Le
patient qui la subit est disculpé. En revanche,
lorsque la douleur paraît disproportionnée par
rapport à la lésion tissulaire supposée être causale, le patient est d’emblée suspect, bientôt
coupable : le mal est dans sa tête, c’est-à-dire
fantasmé comme illégitime et socialement inacceptable. Il le sait, et tentera donc de faire
alliance avec le médecin pour éviter une “psychologisation” de la souffrance. Pour le médecin, il est tout à la fois plus facile, moins fatigant, plus rapide, plus gratifiant, mieux
rémunéré, toujours mieux accepté par le
patient et généralement plus conforme à sa formation de traquer inlassablement LA cause, en
multipliant les examens complémentaires et les
avis spécialisés, que d’aborder les dimensions
psychologique, émotionnelle, comportementale et sociale de la douleur. Si cette quête reste
vaine, une double culpabilité risque fort de
s’installer, susceptible d’altérer gravement la
relation médecin-malade : renvoyé douloureusement à son impuissance, le (mauvais) médecin est tenté de rejeter sur le (mauvais) patient
la responsabilité de l’échec du diagnostic et/ou
du traitement. Comme le souligne Gérard
Ostermann, le risque est alors celui d’un rejet
mutuel ou d’une escalade iatrogène dans un
désir commun de soulagement à tout prix. Nous
savons pourtant que la même lésion tissulaire
ne suscite pas la même émotion douloureuse
chez deux patients différents ou chez un même
patient à des moments différents ou dans des
conditions différentes d’environnement. De
nombreux facteurs sont capables de faciliter ou
d’empêcher la transmission des messages nociceptifs, voire de les transformer : l’humeur, les
émotions, le stress, l’équilibre affectif, l’activité, la qualité du sommeil, l’équilibre hormonal... La mémoire d’expériences antérieures, la
culture, l’état de l’environnement, etc., sont
susceptibles d’avoir une influence sur la nociception. Notre cerveau n’élabore l’émotion
douloureuse à partir d’informations d’origine
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nociceptive qu’après les avoir “intégrées”,
c’est-à-dire évaluées, comparées avec d’autres
informations présentes dans la mémoire,
confrontées avec notre état émotionnel, avec
notre environnement (l’existence d’un danger
éventuel, la possibilité ou non d’un secours,
d’une fuite salutaire...). L’affect “douleur” n’est
donc pas directement le reflet de l’agression
subie, il est aussi celui de notre histoire personnelle, culturelle et sociale, passée, présente
et à venir. La douleur ressentie pourrait être
considérée comme la somme de la souffrance
passée, de la douleur actuelle et de l’anticipation sur la douleur à venir. Par ailleurs, une douleur qui dure longtemps a nécessairement des
répercussions émotionnelles et psychologiques : fatigue et troubles du sommeil, désabusement lié à l’inactivité, sentiment de dévalorisation, tendance au repli sur soi, pouvant
aller jusqu’à une véritable dépression. Celle-ci
aggrave encore la douleur en diminuant les
possibilités de modulation de la nociception. Il
est possible d’expliquer au douloureux que ces
conséquences de la douleur sont “normales”,
que c’est, au contraire, l’absence d’un retentissement émotionnel, psychologique et relationnel qui ne le serait pas.
L’ÉCOUTE
Une écoute attentive et bienveillante est la première étape indispensable. Pouvoir parler de sa
souffrance, se sentir entendu, reconnu, peut
déjà être un soulagement. Formés dans la perspective d’une médecine interventionnelle et
activiste, nous avons du mal à concevoir que la
demande du douloureux puisse parfois se limiter à pouvoir dire sa plainte (porter plainte).
UNE ÉVALUATION QUANTITATIVE
ET QUALITATIVE
Une évaluation convenable doit concerner non
seulement l’intensité de la douleur, mais aussi
les mécanismes en cause : mettre en évidence
une lésion qui rendrait possible un traitement
étiologique devrait, bien entendu, constituer
une priorité, même pour un “psy”. Il convient
de préciser la date et les circonstances du
début, les caractéristiques de la douleur, les
modalités d’aggravation et d’amélioration. Les
stratégies d’adaptation du comportement sont
aussi utiles à connaître : elles permettent sou-
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vent de se faire une idée des résistances au
changement et des motivations à évoluer. Les
signes associés, les antécédents, le contexte
psychologique familial et social doivent être
notés. Les différents examens cliniques et complémentaires doivent être passés en revue ainsi
que les traitements antérieurement essayés et
leurs résultats.
LA RELATION MÉDECIN-PATIENT
Établir une relation de qualité nécessite le respect de quelques principes.
Croire le patient : il est indispensable de croire
a priori à la réalité de la douleur du patient.
Laisser entendre à un douloureux que, d’après
les radios et le scanner, il ne devrait pas avoir
aussi mal qu’il le dit, est aussi absurde et
improductif que de lui signifier qu’il n’est pas
possible qu’il ait un jour éprouvé du plaisir en
compagnie de son conjoint puisque ce dernier
n’est objectivement pas très attirant ! De plus,
même si le médecin n’a pas toujours un tiroir
diagnostique accessible pour faire cadrer la
plainte avec son savoir, le douloureux se
connaît souvent mieux que personne et il peut
avoir des idées précises sur la cause de son
mal, susceptibles de faire évoluer les connaissances médicales.
Éviter de rendre le patient responsable de
l’échec : une réaction de suspicion vis-à-vis du
patient qui résiste au traitement est tentante et
délétère : “Si mon (bon) traitement ne donne
rien, je ne peux pas être responsable, c’est
donc de la faute du (mauvais) patient qui
résiste au pouvoir légitime de guérir que me
confère mon doctorat !” Même non prononcée,
cette suspicion est immédiatement traduite en
langage non verbal et décodée par le patient :
“Je ne peux plus faire confiance à mon médecin
puisqu’il ne me croit pas.”
Ne pas surestimer les bénéfices secondaires :
dans une situation non voulue mais qui dure
malgré lui, le patient, dans une logique adaptative, tente de profiter de certains bénéfices
secondaires (arrêt de travail, prise en charge à
100 %, pension, réaménagement de l’équilibre
familial...). Ceux-ci peuvent renforcer les résistances au traitement. Ils ne sont toutefois que
rarement le facteur principal d’entretien du syndrome douloureux. Leur rôle dans la pérennisa-
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
Les douleurs pelvi-périnéales
tion de la douleur ne doit être évoqué qu’avec
prudence sous peine d’altérer durablement la
relation médecin-malade.
Éviter de rendre le patient dépendant : devant
un patient qui tente de vous placer sur un piédestal : “je n’ai plus confiance qu’en vous...
vous êtes mon dernier recours...”, il vaut mieux
conserver une “position basse”. Se présenter
comme l’homme providentiel d’une situation
désespérée contribue à maintenir le patient
dans un état de dépendance. Si l’évolution
n’est pas favorable, il peut être très délicat de
se dégager d’une “position haute” avec un
patient déçu, sans s’engager dans une escalade
iatrogène dans le désir commun d’un soulagement à tout prix.
Réinterpréter les symptômes : les univers
conceptuels des médecins et des patients sont
parfois assez éloignés. Il est souvent utile d’inciter le patient à exprimer son interprétation
des causes et des mécanismes d’entretien de
sa douleur, pour tâcher de rectifier en termes
clairs et compréhensibles pour lui les concepts
erronés. Ceux-ci peuvent être fondés sur des
fantasmes, sur le langage d’organicistes forcenés ou de “psy” interprétatifs consultés précédemment, sur des comptes rendus d’imagerie
qui trouvent généralement quelques particularités à décrire, sans que leur responsabilité
directe dans le syndrome douloureux puisse
toujours être affirmé avec certitude, fréquemment aussi sur quelques clichés simplistes
complaisamment véhiculés par les médias.
Se demander “comment” la douleur dure plutôt que “pourquoi ?”
Lorsqu’un individu se trouve confronté à des
difficultés qui durent et se répètent en dépit de
sa volonté et de ses efforts pour modifier la
situation, la question posée est : que faut-il
faire pour changer cette situation ? Répondre à
cette question implique de s’interroger au préalable et d’interroger le patient sur les facteurs
qui contribuent à entretenir cette situation.
Demander pourquoi la douleur perdure conduit
inévitablement à invoquer l’anxiété, la fatigue,
la perte de l’estime de soi, les difficultés familiales et sociales. Cette formulation implique
plus ou moins une relation de causalité et la
suspicion que la douleur vient de l’intérieur.
Nous avons vu que ces représentations sont
socialement inacceptables et qu’il convient
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. I - mars 2001
“d’externaliser” la cause du mal. Dans ce
contexte, il est plus productif de (se) demander
comment cette situation non voulue persiste,
comment les tensions, la lassitude, l’agressivité
contribuent à amplifier la douleur. Le dialogue
peut alors se nouer dans un climat plus serein,
hors de toute culpabilité, en envisageant non
un enchaînement de causes et d’effets, mais un
système complexe dans lequel les différents
éléments interagissent naturellement. Il est
alors plus facile d’envisager que la modification
d’un (ou a fortiori de plusieurs) des facteurs en
cause puisse contribuer à faire évoluer l’ensemble du système. Le potentiel dynamique de
cette question est beaucoup plus fort car, en
éliminant suspicion et culpabilité, elle ouvre
des perspectives thérapeutiques.
FAIRE PRÉCISER LA DEMANDE
La demande initiale est, en règle, celle du bon
traitement radical d’une cause unique non ou
mal identifiée supposée être à l’origine de la
douleur. L’éradication de la cause devrait
nécessairement aboutir à la disparition des
troubles. Or, le problème n’est souvent pas si
simple. Il importe donc d’aider le patient à
reformuler sa demande et surtout à infléchir
ses espérances vers des objectifs plus réalistes
et moins enthousiasmants : diminuer l’intensité
de la douleur, la profondeur de la souffrance,
identifier et prendre en considération dans le
projet thérapeutique les facteurs de comorbidité associés (anxiété, dépression, difficultés
relationnelles, affectives, sociales et professionnelles). En préalable à toute tentative de
traitement, il importe de préciser quelle est la
demande exprimée du patient et ce qui se
cache derrière cette demande. Si la demande
est réaliste, compte tenu du sujet (de sa personnalité, de ses structures névrotiques, de la
pathologie en cause), de son histoire, de son
environnement, de ses désirs, des possibilités
de la médecine, de la psychologie, de la
société, comment y répondre ? Sinon, comment
renégocier la demande pour aider le patient à
mettre en place des éléments de réponse ?
ÉTABLIR UN CONTRAT
La satisfaction que le patient est susceptible de
tirer du traitement dépend en grande partie de
ce qu’il en espère. En l’absence d’un objectif
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d o s s i e r
clairement défini et mesurable, le but implicite
du traitement est la guérison. Comme en
matière de douleur chronique, celle-ci est rarement obtenue, la déception réciproque est prévisible. Un contrat thérapeutique doit définir de
manière précise les éléments suivants :
Les objectifs, qui ne doivent pas se limiter à
une diminution de l’intensité de la douleur
(subjective), mais comporter des critères fonctionnels réalistes et mesurables. La réalisation
de ces objectifs permet au patient de s’engager
dans une dynamique de changement, de
constater que tout n’est pas inexorablement
“toujours pareil”.
Les moyens à mettre en œuvre pour atteindre
les objectifs négociés.
Tant les objectifs que les moyens peuvent être
renégociés aux différentes étapes de la prise en
charge, en fonction de ce qui a (ou n’a pas)
changé.
Cet entretien réclame beaucoup de temps, de
tact et d’énergie. Il est difficile pour le praticien
comme pour le patient. Mais de sa qualité peut
dépendre la capacité du douloureux à mobiliser
ses propres ressources et à s’orienter d’une
logique de stagnation, d’attentes irréalistes
toujours déçues d’un traitement radical et de
frustrations, vers une perspective de réadaptation : comment diminuer l’intensité de la douleur, accepter les inconvénients des traitements, comment faire mieux, faire plus malgré
la douleur, faute de pouvoir faire sans… L’issue
de la prise en charge à long terme est largement
conditionnée par la qualité de la relation médecin-malade, qui repose elle-même sur la qualité
des entretiens initiaux. Cet entretien devrait
permettre d’éviter les inconvénients de deux
attitudes également néfastes qui consistent
soit à répondre au coup par coup aux symptômes dans une escalade iatrogène en sous-
estimant les facteurs de comorbidité associés,
soit à considérer prioritairement les facteurs
affectifs psychologiques, émotionnels et comportementaux en méconnaissant une pathologie douloureuse identifiable et curable. Une
prise en charge en relaxation peut être indiquée ; elle est susceptible de constituer une
étape vers une thérapie comportementale ou
une psychothérapie plus en profondeur pour
lesquelles les douloureux ne sont généralement pas spontanément demandeurs.
CONCLUSION
La dimension psycho-affective de la douleur
doit occuper sa juste place. Trop de patients
sont considérés comme ayant des douleurs
psychogènes parce qu’une anomalie n’a pu être
objectivée par la clinique ou par les examens
complémentaires. Il existe suffisamment de
données pour démanteler le cadre vague de
douleurs périnéales sine materia qui devient un
diagnostic rare lorsque le patient est convenablement interrogé et exploré. Il n’y a nul doute
que d’autres progrès viendront encore préciser
la démarche diagnostique et, par conséquent,
la thérapeutique.
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POUR
EN SAVOIR PLUS
...
❒ Ferragut E. La dimension de la souffrance chez le
malade douloureux chronique. Masson éd. Paris 1994.
❒ O’Hanlon WH, Weiner-Davis M. L’orientation vers les
solutions. Satas, Bruxelles 1995.
❒ Queneau P, Ostermann G. Le médecin, le patient et sa
douleur. Masson éd. Paris 1995.
❒ Watslawick P. Le langage du changement. Éléments de
communication thérapeutique. Point Seuil 1980.
Les articles publiés dans “Correspondances en pelvi-périnéologie” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© 2001 DaTeBe S.A.
Impression : Point 44, Champigny-sur-Marne. Dépôt légal : mars 2001
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