FLORILÈGE 2001
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La Lettre du Gynécologue - n° 268 - janvier 2002
e périnée fait l’objet d’un investissement lourd sur
les plans culturel, affectif, émotionnel et sexuel. Les
patient(e)s qui souffrent de douleurs périnéales chro-
niques sont souvent en détresse psychologique, en particulier
lorsque aucune cause lésionnelle n’a été identifiée. Nombre de
ces patients ont des difficultés ou des réticences pour parler de
leurs symptômes à leurs proches et même, parfois, à leur
médecin. Ils redoutent de s’entendre dire qu’ils n’ont rien et
que la douleur est “psychosomatique”. Si certains de ces
patients présentent une détresse psychologique, une véritable
pathologie psychiatrique, répondant à des critères psychopa-
thologiques positifs, n’est toutefois en cause que très excep-
tionnellement. Une anxiété ou une humeur dépressive sont fré-
quemment mises en évidence : elles sont probablement plus
souvent une conséquence qu’une cause de la douleur chro-
nique. Elles s’amendent en général rapidement lorsque le trai-
tement de la douleur est efficace. Le stress génère à la fois des
contractures musculaires et une hypertonie sympathique qui
peuvent participer à une hypertonie urétrale, par exemple, ou à
une dyschésie. En pratique, il importe peu que les difficultés
psychologiques soient considérées comme une conséquence ou
comme une cause de la douleur; elles sont là, constituent
ensemble un “système” et doivent donc faire l’objet d’une
réponse de la part d’un médecin souvent mal formé pour cela.
Face à la douleur d’un être vivant, en pratique clinique comme
en physiologie, faire la part de la souffrance psychique et de
ses manifestations somatiques ou séparer une agression tissu-
laire de ses répercussions psycho-affectives est impossible.
Dans un contexte social et culturel qui valorise la “perfor-
mance”, la douleur “physique” (si tant est que cette expression
ait un sens car, par définition, la douleur est une émotion) est
vécue par les patients et par les médecins comme une fatalité :
lorsqu’une cause est identifiée, la “réalité” du symptôme
confère une “légitimité” à la plainte. La cause du mal est, en
quelque sorte, extériorisée. Le patient qui la subit est disculpé.
En revanche, lorsque la douleur paraît disproportionnée par
rapport à la lésion tissulaire supposée être causale, le patient
est d’emblée suspect, bientôt coupable : le mal est dans sa tête,
c’est-à-dire fantasmé comme illégitime et socialement inaccep-
table. Il le sait, et tentera donc de faire alliance avec le méde-
cin pour éviter une “psychologisation” de la souffrance. Pour
le médecin, il est tout à la fois plus facile, moins fatigant, plus
rapide, plus gratifiant, mieux rémunéré, toujours mieux
accepté par le patient et généralement plus conforme à sa for-
mation de traquer inlassablement LA cause, en multipliant les
examens complémentaires et les avis spécialisés, que d’abor-
der les dimensions psychologique, émotionnelle, comporte-
mentale et sociale de la douleur. Si cette quête reste vaine, une
double culpabilité risque fort de s’installer, susceptible d’alté-
rer gravement la relation médecin-malade : renvoyé douloureu-
sement à son impuissance, le (mauvais) médecin est tenté de
rejeter sur le (mauvais) patient la responsabilité de l’échec du
diagnostic et/ou du traitement. Comme le souligne Gérard
Ostermann, le risque est alors celui d’un rejet mutuel ou d’une
escalade iatrogène dans un désir commun de soulagement à
tout prix. Nous savons pourtant que la même lésion tissulaire
ne suscite pas la même émotion douloureuse chez deux
patients différents ou chez un même patient à des moments dif-
férents ou dans des conditions différentes d’environnement. De
nombreux facteurs sont capables de faciliter ou d’empêcher la
transmission des messages nociceptifs, voire de les transformer
: l’humeur, les émotions, le stress, l’équilibre affectif, l’acti-
vité, la qualité du sommeil, l’équilibre hormonal... La mémoire
d’expériences antérieures, la culture, l’état de l’environnement,
etc., sont susceptibles d’avoir une influence sur la nociception.
Notre cerveau n’élabore l’émotion douloureuse à partir
d’informations d’origine nociceptive qu’après les avoir “inté-
grées”, c’est-à-dire évaluées, comparées avec d’autres informa-
tions présentes dans la mémoire, confrontées avec notre état
émotionnel, avec notre environnement (l’existence d’un danger
éventuel, la possibilité ou non d’un secours, d’une fuite salu-
taire...). L’affect “douleur” n’est donc pas directement le reflet
de l’agression subie, il est aussi celui de notre histoire person-
nelle, culturelle et sociale, passée, présente et à venir. La dou-
leur ressentie pourrait être considérée comme la somme de la
souffrance passée, de la douleur actuelle et de l’anticipation
sur la douleur à venir. Par ailleurs, une douleur qui dure long-
temps a nécessairement des répercussions émotionnelles et
psychologiques: fatigue et troubles du sommeil, désabusement
lié à l’inactivité, sentiment de dévalorisation, tendance au repli
sur soi, pouvant aller jusqu’à une véritable dépression. Celle-ci
aggrave encore la douleur en diminuant les possibilités de
modulation de la nociception. Il est possible d’expliquer au
douloureux que ces conséquences de la douleur sont “nor-
males”, que c’est, au contraire, l’absence d’un retentissement
émotionnel, psychologique et relationnel qui ne le serait pas.
Douleurs périnéales : la relation médecin-malade
●M. Bensignor*
L
* Unité d’évaluation et traitement de la douleur, clinique Viaud, 40, rue
Fontaine de Barbin, 44000 Nantes. Tél. : 02 40 37 26 26. Fax : 02 40 37 26 50.