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La douleur en ORL
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e Pr P. Tran Ba Huy a organisé, le 25 avril, à l’hôpital Lariboisière, à Paris, avec le soutien des laboratoires Entendre, Solvay Pharma et Upsa, une journée
de formation continue sur le thème de la douleur en ORL.
Cette séance a commencé par un rappel historique de la
prise en charge de la douleur, magnifiquement exposé par
C. Thurel (Paris).
La douleur est l’un des trois principaux motifs d’appel au
médecin, les deux autres étant la fatigue et la fièvre. La douleur a toujours existé. Toutefois, si Hippocrate disait “c’est une
tâche divine de soulager la douleur”, le traitement de celle-ci
est en fait un phénomène assez récent. Il y a à cela trois raisons :
le manque de connaissances anatomiques et physiologiques
concernant la douleur, le manque de moyens thérapeutiques et
aussi, il faut bien l’avouer, un certain manque d’intérêt des
médecins pour la question.
Aristote localisait au niveau du cœur l’origine de toutes les
sensations, dont la douleur, qui n’est autre que l’exacerbation
des sensations tactiles. L’aura d’Aristote était telle qu’il fallut
des siècles pour que cette fausse conception soit remise en
question. C’est, semble-t-il, Descartes qui, le premier, soutint
la conception nerveuse de la sensibilité. Les premiers travaux
sur les racines postérieures de la moelle datent d’un siècle à
peine.
Les textes anciens font état de l’utilisation, à visée antalgique,
de décoctions d’écorce de saule, de l’opium et du poisson torpille (ancêtre de l’électrothérapie). En fait, ces traitements
étaient peu répandus et utilisés uniquement par les puissants de
ce monde qui avaient à la fois les connaissances et la richesse
leur permettant l’accès à ces thérapeutiques antalgiques.
L’aspirine n’a été synthétisée qu’en 1897 et commercialisée en
1899 ; le paracétamol a été synthétisé en 1893 et commercialisé
en 1949 !
Enfin, la douleur n’était pas au premier rang des préoccupations. Les douleurs chroniques, qui sont surtout le lot des personnes âgées, étaient plus rares autrefois car les gens mourraient avant d’atteindre l’âge de leur apparition. La douleur
aiguë passait au second plan derrière les grandes calamités
comme les épidémies de peste ou de choléra, la grippe espagnole, ou simplement les fièvres puerpérales et les gastroentérites aiguës, qui décimaient les populations.
Les cliniques de la douleur, comme celle qui existe à l’hôpital
Lariboisière, se sont ouvertes il y a moins de 20 ans et l’enseignement de la douleur n’est pas encore systématique au cours
des études médicales.
A. Serrié a exposé les données les plus récentes sur la physiopathologie de la douleur. La douleur peut être définie comme
une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, asso4
ciée à des lésions tissulaires présentes ou potentielles. Il faut
distinguer les douleurs aiguës et les douleurs chroniques
(tableau I).
Tableau I. Comparaison entre les douleurs aiguës et chroniques.
Douleur aiguë
Douleur chronique
Finalité biologique
utile
protectrice
alarme -> diagnostic
transitoire
inutile
destructrice
séquelle
maladie à part entière
Mécanisme
unifactoriel
multifactoriel
Réactions somatiques
réactionnelles
habituation en entretien
Composante affective
anxiété
dépression
Comportement
réaction de défense
perte des activités
Les douleurs peuvent être nociceptives, neurogènes ou mixtes
(figure 1). Les douleurs nociceptives correspondent à une
hypersensibilisation. La lésion tissulaire, quelle qu’elle soit,
libère des substances algogènes telles que des ions K+, des
prostaglandines, de la sérotonine, qui vont stimuler les extrémités des nerfs sensitifs. Les influx gagnent la corne postérieure
de la moelle, où le message peut être amplifié ou au contraire
atténué avant de parvenir au thalamus puis au cortex. La sensation tactile est véhiculée par les fibres de gros calibre, alors
que la sensation douloureuse est véhiculée par les fibres de
petit calibre, où l’influx circule plus lentement. Les douleurs
aiguës sont pratiquement toujours nociceptives. Les douleurs
chroniques peuvent être nociceptives, neurogènes ou mixtes.
Par exemple, dans les cancers, les douleurs sont nociceptives
au début, car le cancer, en se développant, crée des lésions tissulaires qui libèrent des substances algogènes. La sensibilité
dans le territoire douloureux est conservée. À un stade plus
évolué, l’apparition de lésions nerveuses va transformer la
nature de la douleur, qui deviendra une douleur neurogène,
dite encore de désafférentation. Dans ce cas, l’examen neurologique retrouve des troubles de la sensibilité dans le territoire
douloureux. La douleur est permanente, souvent à type de brûlure, avec des paroxysmes en éclair. La distinction entre douleur nociceptive et douleur neurogène est fondamentale, car
seule la première répond à la morphine.
Les douleurs sine materia, ou douleurs psychogènes, ont une
topographie atypique. Le patient en fait une description très
imagée et luxuriante. Les signes d’accompagnement sont souvent importants à type d’insomnie, d’anxiété et d’asthénie. Il y
a enfin un contexte psycho-socioprofessionnel assez évocateur.
Les douleurs névralgiques (névralgie faciale et glosso-pharyngienne), C.Thurel (Paris).
La prévalence de la névralgie faciale est de 1/20 000. Elle est
La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 235 - septembre 1998
douleur
neurogène
composante
continue
douleur
nociceptive
composante
paroxystique
paracétamol
échec
mixte
codéine
antidépresseurs
succès
antiépileptiques
succès
échec
morphine
douleur
mixte
addition des traitements
très rare avant 50 ans et débute en général entre 60 et 70 ans.
Le diagnostic de névralgie faciale ou tic douloureux de la face
se fait sur la clinique. La douleur est paroxystique, en éclair,
unilatérale (il y a seulement 5 % de formes bilatérales), dans
un territoire plus ou moins étendu d’une branche du trijumeau.
La douleur survient au moindre attouchement d’une zone
gachette, en général au niveau de la lèvre supérieure. Les
hommes qui ont une névralgie du V2 évitent soigneusement de
raser le cm2 de moustache qui correspond très précisément à
leur zone gachette. Il y a un intervalle libre entre les crises. Il
n’y a pas ou peu de douleurs nocturnes. L’examen neurologique est en général normal. Les formes symptomatiques de
SEP, de tumeur, de malformation vasculaire (...) ne représentent que 2 % des névralgies du trijumeau. Le traitement est
avant tout médical. Le Tégrétol® (carbamazépine) est habituellement efficace et constitue un excellent test thérapeutique. Il
faut augmenter prudemment les doses, en commençant à 6001 200 mg. Une fois la dose active atteinte, le traitement doit
être poursuivi pendant 15 jours avant de commencer à diminuer les doses 100 mg par 100 mg. Les alternatives sont le DiHydan® (phénytoïne) 300-500 mg, le Rivotril® (clonazépam)
2-6 mg et le Liorésal ® (baclofène) 40-50 mg. Les formes
rebelles peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical. La section à ciel ouvert, type neurotomie rétrogassérienne, est pratiquement abandonnée du fait de sa morbidité (les patients sont
souvent très âgés). L’injection superficielle d’alcool est efficace
dans 96 % des cas pendant 6 mois à un an et peut éventuellement être répétée. La dernière possibilité thérapeutique est
l’injection ou la coagulation percutanée de tout ou partie du
ganglion de Gasser.
La névralgie du glossopharyngien est déclenchée par la déglutition (et non la mastication). La zone gachette est souvent
située au niveau de l’amygdale. Fait important, la névralgie du
glossopharyngien a très souvent une cause ORL, et il faut
s’acharner à dépister un cancer dont la névralgie pourrait être
la première manifestation.
Les manifestations douloureuses d’origine ostéo-articulaire,
F. Lioté (Paris).
Certaines manifestations douloureuses comme la dysphagie et les
céphalées postérieures peuvent avoir une cause rhumatologique.
Les dysphagies d’origine rhumatologique surviennent lorsque
l’hypopharynx ou l’œsophage sont comprimés par une saillie
antérieure du rachis. C’est le cas, par exemple, dans la maladie
de Forestier, en cas de volumineux ostéophytes arthrosiques,
plus rarement en cas de hernie discale ou de calcification discale antérieure. Le diagnostic repose sur les examens radiologiques ou l’examen tomodensitométrique. Une mention particulière doit être faite concernant une affection rare, mais pouvant prêter à confusion avec un abcès rétropharyngé : les calcifications apatitiques du muscle long du cou. La symptomatologie en est volontiers aiguë, bruyante, avec fièvre, cervicalgie
haute, dysphagie et raideur cervicale antalgique. Sur une radiographie de profil, on peut apercevoir, dans les parties molles
prévertébrales, des calcifications homogènes, arrondies, régulières, sans corticale osseuse et très caractéristiques. Ces calcifications vont disparaître avec les phénomènes inflammatoires
au bout de quelques semaines. Le traitement repose sur le port
d’une minerve et les AINS.
Une céphalée occipitale ou une douleur cervicale haute ne
doit être rapportée qu’avec une extrême prudence à une affection rhumatologique. Les céphalées cervicogéniques sont en
fait rares, et la cervicarthrose bien banale, dès l’âge de 25 ans.
Les algies vasculaires de la face, C. Thurel (Paris).
Les algies vasculaires de la face ont une symptomatologie très
stéréotypée. La forme typique est celle de l’homme jeune de 20
à 30 ans. Le début est exceptionnel avant 10 ans et après
60 ans. La douleur survient par accès de début brutal, au
niveau de l’angle interne de l’œil, de la tempe ou dans la
région rétro-orbitaire. En deux minutes, la douleur atteint une
intensité effroyable ; elle s’étend à l’œil, au front et à la joue.
Elle dure de 30 à 120 minutes, puis disparaît complètement.
Les signes accompagnateurs sont toujours identiques chez un
même patient : sudation uni- ou bilatérale, rougeur, larmoiement, rhinorrhée, ptosis, myosis. La douleur survient tous les
jours, à une ou deux reprises, souvent la nuit et à heure fixe, et
ce pendant un à deux mois. Les accès surviennent une à deux
fois par an, pendant toute la vie. Il n’y a pas de facteur déclenchant, sauf la prise d’alcool pendant les périodes de crises. On
décrit deux formes cliniques : le syndrome de Statt, hémicrânie
paroxystique survenant dix à quinze fois par jour pendant cinq
minutes, et les formes chroniques avec des douleurs quotidiennes pendant des mois, voire des années.
Il n’est pas besoin de faire d’examen complémentaire ; l’interrogatoire suffit pour diagnostiquer une algie vasculaire de la
face. Le problème est thérapeutique. Les traitements chirurgicaux sont inefficaces. Une fois débutée, rien ne peut enrayer la
crise douloureuse, sauf le sumatriptan (Imigrane®) 6 mg en
sous-cutané, qui est efficace dans 75 % des cas. Le traitement
préventif des crises repose sur les antimigraineux à fortes
doses : dihydroergotamine injectable (Dihydroergotamine Sandoz®), une injection intramusculaire par jour pendant dix jours,
Synacthène retard® (tétracosactide) 1 mg une fois par jour pendant huit jours, vérapamil (Isoptine ®, hors AMM) 120 à
240 mg trois fois par jour, méthysergide (Désernil®) en commençant par un demi comprimé par jour et en augmentant progressivement jusqu’à trois comprimés au maximum (le risque
La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 235 - septembre 1998
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de fibrose rétropéritonéale est quasiment nul). Dans les formes
chroniques, on peut proposer un traitement au lithium (Téralithe®), en surveillant la lithémie. Le syndrome de Statt est
habituellement sensible à l’indométacine (Indocid®).
Tableau II. Antalgiques par voie générale : paliers de l’Organisation
Mondiale de la Santé.
Le SADAM, R. Gola (Marseille).
Le SADAM, ou Syndrome AlgoDysfonctionnel de l’Appareil
Manducateur, est plus fréquent qu’on ne le pense. Il touche
davantage les femmes que les hommes. Il est facilité par le
stress, avec une bruxomanie dont le patient n’a pas conscience.
Cette bruxomanie provoque des lésions visibles sur un panorex :
un spicule ou au contraire une lyse osseuse au niveau du
condyle mandibulaire. Le traitement est habituellement du
domaine de l’occlusodontie, mais il faut parfois des traitements plus agressifs sur les maxillaires ou la mandibule pour
soulager durablement ces patientes de leurs douleurs.
Palier 2
Opioïdes faibles
– codéine
– buprénorphine (Temgésic®)
– nalbuphine (Nubain®)
Douleur et cancer ORL, E. Pichard Léandry (Villejuif).
Le traitement de la douleur des cancers ORL fait appel à des
antalgiques locaux et généraux, et aux techniques d’accompagnement, sans oublier bien sûr le traitement de la tumeur ellemême.
Dans tous les cas, il faut administrer très régulièrement les
antalgiques, en privilégiant la voie orale à chaque fois que
c’est possible, et en adaptant les doses à chaque patient. La
dose antalgique de paracétamol est de 50 à 80 mg/kg/j chez
l’enfant (la dose antipyrétique est de 30 mg/kg/j) et de 3 à 6 g/j
chez l’adulte. L’aspirine est rarement employable en cas de
cancer ORL car ces patients sous chimiothérapie ont peu de
plaquettes. La posologie de la codéine orale est de 5 mg/kg/j
chez l’adulte ; elle va bientôt être autorisée chez l’enfant à la
posologie de 3-4 mg/kg/j. Si la voie parentérale doit être utilisée, il faut, au début, prescrire deux tiers de la dose orale. La
buprénorphine (Temgésic® en comprimés de 0,2 mg) est utilisable par voie sublinguale (ce qui pose des problèmes en cas
d’hyposialie) ou par voie intraveineuse, à raison de 0,015 à
0,03 mg/kg/j en trois à quatre injections. Ce produit a un effet
plafond. La nalbuphine (Nubain®), réservée actuellement à
l’usage hospitalier, est prescrite à la posologie de 1 à 2 mg/kg/j
en perfusions lentes. La morphine (antalgique de palier 3 de
l’OMS, tableau II) a un bon rendement par voie orale. Elle est
autorisée en ambulatoire dès l’âge de six mois et à l’hôpital à
partir d’un mois. La dose de début est de 0,5 à 1 mg/kg/j à
6
Palier 1
Non opioïdes :
– paracétamol
– aspirine
Palier 3
Opiacés vrais
– sirop de morphine
– Skénan LP®
– Moscontin®
répartir régulièrement en six fois. Les doses sont augmentées
progressivement en fonction de l’effet antalgique obtenu et du
contrôle des effets secondaires. La dose moyenne est de 4 à
8 mg/kg/j, mais certains patients ont besoin de doses notablement plus élevées. Il existe des formes retard : Skénan LP®,
Moscontin ® 10, 30, 60, 100 et 200 mg. Les effets secondaires
des opiacés sont la constipation (84 %), la somnolence (76 %),
les nausées (38 %) et le prurit (surtout chez les enfants). Ces
effets secondaires peuvent être gérés par des antagonistes à
faible dose. Le risque de dépression respiratoire n’existe pas si
les doses de morphiniques ont été augmentées très progressivement. La voie orale sera remplacée par la voie parentérale en
cas de fortes doses, de constipation opiniâtre, de troubles de
l’absorption digestive. La perfusion de morphinique sera continue simple ou en PCA (patient controlled analgesia). Les
formes transdermiques ne doivent être employées que pour les
douleurs d’intensité stable.
Les adjuvants des antalgiques ne doivent pas être négligés
(figure 1). Les antidépresseurs sont efficaces en cas de douleur
neurogène : Anafranil® (clomipramine) 1 mg/kg/j, Laroxyl®
(amitriptyline) 1 mg/kg/j, Tofranil ® (imipramine) 0,5 à
3 mg/kg/j. Si la douleur a une composante paroxystique, on
peut proposer des anticonvulsivants : Rivotril® (clonazépam),
Tégrétol® (carbamazépine), ce dernier étant mal toléré chez
l’enfant, Neurontin® (gapapentine), Lamictal® (lamotrigine).
Dr M. François
La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 235 - septembre 1998
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