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La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 235 - septembre 1998
e Pr P. Tran Ba Huy a organisé, le 25 avril, à l’hôpi-
tal Lariboisière, à Paris, avec le soutien des labora-
toires Entendre, Solvay Pharma et Upsa, une journée
de formation continue sur le thème de la douleur en ORL.
Cette séance a commencé par un rappel historique de la
prise en charge de la douleur, magnifiquement exposé par
C. Thurel (Paris).
La douleur est l’un des trois principaux motifs d’appel au
médecin, les deux autres étant la fatigue et la fièvre. La dou-
leur a toujours existé. Toutefois, si Hippocrate disait “c’est une
tâche divine de soulager la douleur”, le traitement de celle-ci
est en fait un phénomène assez récent. Il y a à cela trois raisons :
le manque de connaissances anatomiques et physiologiques
concernant la douleur, le manque de moyens thérapeutiques et
aussi, il faut bien l’avouer, un certain manque d’intérêt des
médecins pour la question.
Aristote localisait au niveau du cœur l’origine de toutes les
sensations, dont la douleur, qui n’est autre que l’exacerbation
des sensations tactiles. L’aura d’Aristote était telle qu’il fallut
des siècles pour que cette fausse conception soit remise en
question. C’est, semble-t-il, Descartes qui, le premier, soutint
la conception nerveuse de la sensibilité. Les premiers travaux
sur les racines postérieures de la moelle datent d’un siècle à
peine.
Les textes anciens font état de l’utilisation, à visée antalgique,
de décoctions d’écorce de saule, de l’opium et du poisson tor-
pille (ancêtre de l’électrothérapie). En fait, ces traitements
étaient peu répandus et utilisés uniquement par les puissants de
ce monde qui avaient à la fois les connaissances et la richesse
leur permettant l’accès à ces thérapeutiques antalgiques.
L’aspirine n’a été synthétisée qu’en 1897 et commercialisée en
1899 ; le paracétamol a été synthétisé en 1893 et commercialisé
en 1949 !
Enfin, la douleur n’était pas au premier rang des préoccupa-
tions. Les douleurs chroniques, qui sont surtout le lot des per-
sonnes âgées, étaient plus rares autrefois car les gens mour-
raient avant d’atteindre l’âge de leur apparition. La douleur
aiguë passait au second plan derrière les grandes calamités
comme les épidémies de peste ou de choléra, la grippe espa-
gnole, ou simplement les fièvres puerpérales et les gastroenté-
rites aiguës, qui décimaient les populations.
Les cliniques de la douleur, comme celle qui existe à l’hôpital
Lariboisière, se sont ouvertes il y a moins de 20 ans et l’ensei-
gnement de la douleur n’est pas encore systématique au cours
des études médicales.
A. Serrié a exposé les données les plus récentes sur la physio-
pathologie de la douleur. La douleur peut être définie comme
une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, asso-
ciée à des lésions tissulaires présentes ou potentielles. Il faut
distinguer les douleurs aiguës et les douleurs chroniques
(tableau I).
Les douleurs peuvent être nociceptives, neurogènes ou mixtes
(figure 1). Les douleurs nociceptives correspondent à une
hypersensibilisation. La lésion tissulaire, quelle qu’elle soit,
libère des substances algogènes telles que des ions K+, des
prostaglandines, de la sérotonine, qui vont stimuler les extré-
mités des nerfs sensitifs. Les influx gagnent la corne postérieure
de la moelle, où le message peut être amplifié ou au contraire
atténué avant de parvenir au thalamus puis au cortex. La sensa-
tion tactile est véhiculée par les fibres de gros calibre, alors
que la sensation douloureuse est véhiculée par les fibres de
petit calibre, où l’influx circule plus lentement. Les douleurs
aiguës sont pratiquement toujours nociceptives. Les douleurs
chroniques peuvent être nociceptives, neurogènes ou mixtes.
Par exemple, dans les cancers, les douleurs sont nociceptives
au début, car le cancer, en se développant, crée des lésions tis-
sulaires qui libèrent des substances algogènes. La sensibilité
dans le territoire douloureux est conservée. À un stade plus
évolué, l’apparition de lésions nerveuses va transformer la
nature de la douleur, qui deviendra une douleur neurogène,
dite encore de désafférentation. Dans ce cas, l’examen neuro-
logique retrouve des troubles de la sensibilité dans le territoire
douloureux. La douleur est permanente, souvent à type de brû-
lure, avec des paroxysmes en éclair. La distinction entre dou-
leur nociceptive et douleur neurogène est fondamentale, car
seule la première répond à la morphine.
Les douleurs sine materia, ou douleurs psychogènes, ont une
topographie atypique. Le patient en fait une description très
imagée et luxuriante. Les signes d’accompagnement sont sou-
vent importants à type d’insomnie, d’anxiété et d’asthénie. Il y
a enfin un contexte psycho-socioprofessionnel assez évocateur.
Les douleurs névralgiques (névralgie faciale et glosso-pha-
ryngienne), C.Thurel (Paris).
La prévalence de la névralgie faciale est de 1/20 000. Elle est
La douleur en ORL
L
Douleur aiguë Douleur chronique
Finalité biologique utile inutile
protectrice destructrice
alarme -> diagnostic séquelle
transitoire maladie à part entière
Mécanisme unifactoriel multifactoriel
Réactions somatiques réactionnelles habituation en entretien
Composante affective anxiété dépression
Comportement réaction de défense perte des activités
Tableau I. Comparaison entre les douleurs aiguës et chroniques.
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très rare avant 50 ans et débute en général entre 60 et 70 ans.
Le diagnostic de névralgie faciale ou tic douloureux de la face
se fait sur la clinique. La douleur est paroxystique, en éclair,
unilatérale (il y a seulement 5 % de formes bilatérales), dans
un territoire plus ou moins étendu d’une branche du trijumeau.
La douleur survient au moindre attouchement d’une zone
gachette, en général au niveau de la lèvre supérieure. Les
hommes qui ont une névralgie du V2 évitent soigneusement de
raser le cm2de moustache qui correspond très précisément à
leur zone gachette. Il y a un intervalle libre entre les crises. Il
n’y a pas ou peu de douleurs nocturnes. L’examen neurolo-
gique est en général normal. Les formes symptomatiques de
SEP, de tumeur, de malformation vasculaire (...) ne représen-
tent que 2 % des névralgies du trijumeau. Le traitement est
avant tout médical. Le Tégrétol®(carbamazépine) est habituel-
lement efficace et constitue un excellent test thérapeutique. Il
faut augmenter prudemment les doses, en commençant à 600-
1 200 mg. Une fois la dose active atteinte, le traitement doit
être poursuivi pendant 15 jours avant de commencer à dimi-
nuer les doses 100 mg par 100 mg. Les alternatives sont le Di-
Hydan®(phénytoïne) 300-500 mg, le Rivotril®(clonazépam)
2-6 mg et le Liorésal®(baclofène) 40-50 mg. Les formes
rebelles peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical. La sec-
tion à ciel ouvert, type neurotomie rétrogassérienne, est prati-
quement abandonnée du fait de sa morbidité (les patients sont
souvent très âgés). L’injection superficielle d’alcool est efficace
dans 96 % des cas pendant 6 mois à un an et peut éventuelle-
ment être répétée. La dernière possibilité thérapeutique est
l’injection ou la coagulation percutanée de tout ou partie du
ganglion de Gasser.
La névralgie du glossopharyngien est déclenchée par la déglu-
tition (et non la mastication). La zone gachette est souvent
située au niveau de l’amygdale. Fait important, la névralgie du
glossopharyngien a très souvent une cause ORL, et il faut
s’acharner à dépister un cancer dont la névralgie pourrait être
la première manifestation.
Les manifestations douloureuses d’origine ostéo-articulaire,
F. Lioté (Paris).
Certaines manifestations douloureuses comme la dysphagie et les
céphalées postérieures peuvent avoir une cause rhumatologique.
Les dysphagies d’origine rhumatologique surviennent lorsque
l’hypopharynx ou l’œsophage sont comprimés par une saillie
antérieure du rachis. C’est le cas, par exemple, dans la maladie
de Forestier, en cas de volumineux ostéophytes arthrosiques,
plus rarement en cas de hernie discale ou de calcification dis-
cale antérieure. Le diagnostic repose sur les examens radiolo-
giques ou l’examen tomodensitométrique. Une mention parti-
culière doit être faite concernant une affection rare, mais pou-
vant prêter à confusion avec un abcès rétropharyngé : les calci-
fications apatitiques du muscle long du cou. La symptomatolo-
gie en est volontiers aiguë, bruyante, avec fièvre, cervicalgie
haute, dysphagie et raideur cervicale antalgique. Sur une radio-
graphie de profil, on peut apercevoir, dans les parties molles
prévertébrales, des calcifications homogènes, arrondies, régu-
lières, sans corticale osseuse et très caractéristiques. Ces calci-
fications vont disparaître avec les phénomènes inflammatoires
au bout de quelques semaines. Le traitement repose sur le port
d’une minerve et les AINS.
Une céphalée occipitale ou une douleur cervicale haute ne
doit être rapportée qu’avec une extrême prudence à une affec-
tion rhumatologique. Les céphalées cervicogéniques sont en
fait rares, et la cervicarthrose bien banale, dès l’âge de 25 ans.
Les algies vasculaires de la face, C. Thurel (Paris).
Les algies vasculaires de la face ont une symptomatologie très
stéréotypée. La forme typique est celle de l’homme jeune de 20
à 30 ans. Le début est exceptionnel avant 10 ans et après
60 ans. La douleur survient par accès de début brutal, au
niveau de l’angle interne de l’œil, de la tempe ou dans la
région rétro-orbitaire. En deux minutes, la douleur atteint une
intensité effroyable ; elle s’étend à l’œil, au front et à la joue.
Elle dure de 30 à 120 minutes, puis disparaît complètement.
Les signes accompagnateurs sont toujours identiques chez un
même patient : sudation uni- ou bilatérale, rougeur, larmoie-
ment, rhinorrhée, ptosis, myosis. La douleur survient tous les
jours, à une ou deux reprises, souvent la nuit et à heure fixe, et
ce pendant un à deux mois. Les accès surviennent une à deux
fois par an, pendant toute la vie. Il n’y a pas de facteur déclen-
chant, sauf la prise d’alcool pendant les périodes de crises. On
décrit deux formes cliniques : le syndrome de Statt, hémicrânie
paroxystique survenant dix à quinze fois par jour pendant cinq
minutes, et les formes chroniques avec des douleurs quoti-
diennes pendant des mois, voire des années.
Il n’est pas besoin de faire d’examen complémentaire ; l’inter-
rogatoire suffit pour diagnostiquer une algie vasculaire de la
face. Le problème est thérapeutique. Les traitements chirurgi-
caux sont inefficaces. Une fois débutée, rien ne peut enrayer la
crise douloureuse, sauf le sumatriptan (Imigrane®) 6 mg en
sous-cutané, qui est efficace dans 75 % des cas. Le traitement
préventif des crises repose sur les antimigraineux à fortes
doses : dihydroergotamine injectable (Dihydroergotamine San-
doz®), une injection intramusculaire par jour pendant dix jours,
Synacthène retard®(tétracosactide) 1 mg une fois par jour pen-
dant huit jours, vérapamil (Isoptine®, hors AMM) 120 à
240 mg trois fois par jour, méthysergide (Désernil®) en com-
mençant par un demi comprimé par jour et en augmentant pro-
gressivement jusqu’à trois comprimés au maximum (le risque
douleur
neurogène
mixte
composante
paroxystique
anti-
épileptiques
succès
succès
douleur
nociceptive
paracétamol
échec
codéine
échec
morphine
composante
continue
anti-
dépresseurs
douleur
mixte
addition des traitements
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de fibrose rétropéritonéale est quasiment nul). Dans les formes
chroniques, on peut proposer un traitement au lithium (Téra-
lithe®), en surveillant la lithémie. Le syndrome de Statt est
habituellement sensible à l’indométacine (Indocid®).
Le SADAM, R. Gola (Marseille).
Le SADAM, ou Syndrome AlgoDysfonctionnel de l’Appareil
Manducateur, est plus fréquent qu’on ne le pense. Il touche
davantage les femmes que les hommes. Il est facilité par le
stress, avec une bruxomanie dont le patient n’a pas conscience.
Cette bruxomanie provoque des lésions visibles sur un panorex :
un spicule ou au contraire une lyse osseuse au niveau du
condyle mandibulaire. Le traitement est habituellement du
domaine de l’occlusodontie, mais il faut parfois des traite-
ments plus agressifs sur les maxillaires ou la mandibule pour
soulager durablement ces patientes de leurs douleurs.
Douleur et cancer ORL, E. Pichard Léandry (Villejuif).
Le traitement de la douleur des cancers ORL fait appel à des
antalgiques locaux et généraux, et aux techniques d’accompa-
gnement, sans oublier bien sûr le traitement de la tumeur elle-
même.
Dans tous les cas, il faut administrer très régulièrement les
antalgiques, en privilégiant la voie orale à chaque fois que
c’est possible, et en adaptant les doses à chaque patient. La
dose antalgique de paracétamol est de 50 à 80 mg/kg/j chez
l’enfant (la dose antipyrétique est de 30 mg/kg/j) et de 3 à 6 g/j
chez l’adulte. L’aspirine est rarement employable en cas de
cancer ORL car ces patients sous chimiothérapie ont peu de
plaquettes. La posologie de la codéine orale est de 5 mg/kg/j
chez l’adulte ; elle va bientôt être autorisée chez l’enfant à la
posologie de 3-4 mg/kg/j. Si la voie parentérale doit être utili-
sée, il faut, au début, prescrire deux tiers de la dose orale. La
buprénorphine (Temgésic®en comprimés de 0,2 mg) est utili-
sable par voie sublinguale (ce qui pose des problèmes en cas
d’hyposialie) ou par voie intraveineuse, à raison de 0,015 à
0,03 mg/kg/j en trois à quatre injections. Ce produit a un effet
plafond. La nalbuphine (Nubain®), réservée actuellement à
l’usage hospitalier, est prescrite à la posologie de 1 à 2 mg/kg/j
en perfusions lentes. La morphine (antalgique de palier 3 de
l’OMS, tableau II) a un bon rendement par voie orale. Elle est
autorisée en ambulatoire dès l’âge de six mois et à l’hôpital à
partir d’un mois. La dose de début est de 0,5 à 1 mg/kg/j à
répartir régulièrement en six fois. Les doses sont augmentées
progressivement en fonction de l’effet antalgique obtenu et du
contrôle des effets secondaires. La dose moyenne est de 4 à
8 mg/kg/j, mais certains patients ont besoin de doses notable-
ment plus élevées. Il existe des formes retard : Skénan LP®,
Moscontin ®10, 30, 60, 100 et 200 mg. Les effets secondaires
des opiacés sont la constipation (84 %), la somnolence (76 %),
les nausées (38 %) et le prurit (surtout chez les enfants). Ces
effets secondaires peuvent être gérés par des antagonistes à
faible dose. Le risque de dépression respiratoire n’existe pas si
les doses de morphiniques ont été augmentées très progressi-
vement. La voie orale sera remplacée par la voie parentérale en
cas de fortes doses, de constipation opiniâtre, de troubles de
l’absorption digestive. La perfusion de morphinique sera conti-
nue simple ou en PCA (patient controlled analgesia). Les
formes transdermiques ne doivent être employées que pour les
douleurs d’intensité stable.
Les adjuvants des antalgiques ne doivent pas être négligés
(figure 1). Les antidépresseurs sont efficaces en cas de douleur
neurogène : Anafranil®(clomipramine) 1 mg/kg/j, Laroxyl®
(amitriptyline) 1 mg/kg/j, Tofranil®(imipramine) 0,5 à
3 mg/kg/j. Si la douleur a une composante paroxystique, on
peut proposer des anticonvulsivants : Rivotril®(clonazépam),
Tégrétol®(carbamazépine), ce dernier étant mal toléré chez
l’enfant, Neurontin®(gapapentine), Lamictal®(lamotrigine).
Dr M. François
Palier 1
Non opioïdes :
– paracétamol
– aspirine Palier 2
Opioïdes faibles
– codéine
– buprénorphine (Temgésic®)
– nalbuphine (Nubain®)Palier 3
Opiacés vrais
– sirop de morphine
– Skénan LP®
– Moscontin®
Tableau II. Antalgiques par voie générale : paliers de l’Organisation
Mondiale de la Santé.
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