MISE AU POINT Arthroses du poignet (2e partie) : arthroses de la colonne centrale et du versant ulnaire du poignet Wrist osteoarthritis (2nd part): osteoarthritis of the central part and the ulnar side of the wrist M. Chammas*, B. Coulet*, C. Lazerges* L es arthroses de la colonne centrale, ­c’est-à-dire dont le point de départ se situe autour du lunatum, ou semi-lunaire, et les arthroses du versant ulnaire du poignet sont moins fréquentes que les arthroses du versant radial du poignet, mais les étiologies en sont plus nombreuses. En 1984, H. ­Watson (1), grâce à l’analyse de 4 000 radiographies du poignet, en retrouvait moins de 10 % sur 210 cas d’arthrose localisée au carpe. Ces types d’arthrose du poignet sont classés de la façon suivante (tableau) : ➤➤ Arthroses de la colonne centrale : – arthrose à point de départ radio-lunarien ; – arthrose à point de départ capito-lunarien (entre grand os et semi-lunaire). ➤➤ Arthroses du versant ulnaire : – arthrose ulno-carpienne ; – arthrose radio-ulnaire distale ; – arthrose piso-triquétrale. Comme pour les arthroses du versant radial du poignet, il faudra répondre à plusieurs questions : ➤➤ Quelle est la localisation de l’arthrose au poignet ? ➤➤ Quelle en est la cause ? ➤➤ Quelle est son degré de gravité en termes de mobilité et en imagerie ? ➤➤ Quel est son retentissement fonctionnel ? Ce n’est qu’après ce cheminement que l’option thérapeutique pourra être choisie. Il faut rappeler qu’une arthrose du poignet peut être asymptoma- Tableau. Classification des formes topographiques d’arthroses du poignet et principales étiologies. * Service de chirurgie de la main et du membre supérieur, chirurgie des nerfs périphériques, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier ; faculté de médecine Montpellier-Nîmes, université Montpellier-I. Arthrose versant radial Arthrose colonne centrale Arthrose versant ulnaire Arthrose à départ radio-scaphoïdien – Pseudarthrose scaphoïde (SNAC) – Instabilité scapho-lunaire (SLAC) – Chondrocalcinose (SCAC) Arthrose radio-lunaire – Maladie de Kienböck – Séquelles fracture articulaire radius distal Arthrose ulno-carpienne – Séquelles fractures radius distal – Ulna long constitutionnel Arthrose scapho-trapézo-trapézoïdienne – Chondrocalcinose 8 | La Lettre du Rhumatologue • N° 354 - septembre 2009 Arthrose capito-lunaire – Chondrocalcinose – Kyste synovial opéré Arthrose radio-ulnaire distale – Post-traumatique – Chondrocalcinose Arthrose piso-triquétrale – Microtraumatique et traumatique – Arthropathie métabolique ou inflammatoire Points forts »» Les arthroses de poignet se classent selon leur localisation : arthroses sur le versant radial (les plus fréquentes), arthroses de la colonne centrale, arthroses sur le versant ulnaire. »» Les autres types d’arthrose concernent la colonne centrale, principalement causées par l’ostéonécrose du semi-lunaire ou les séquelles de fractures articulaires du radius. »» Les arthroses sur le versant ulnaire du poignet comprennent l’arthrose ulno-carpienne, le plus souvent après raccourcissement du radius postfracturaire, l’arthrose radio-ulnaire distale sur chondrocalcinose et l’arthrose piso-triquétrale. tique même jusqu’à un stade avancé ou se déclarer par le biais d’un syndrome du canal carpien, comme l’arthrose piso-triquétrale (entre pisiforme et pyramidal). Arthroses centrales du poignet ou périlunariennes Arthrose à point de départ radio-lunarien ◆◆ Étiologies Deux étiologies sont en cause : ➤➤ la maladie de Kienböck, ou ostéonécrose du lunatum, au stade 4 (figure 1), après le stade 3 de fragmentation osseuse ; ➤➤ les séquelles des fractures articulaires du radius distal avec enfoncement de la fossette lunaire du radius (figure 2). L’arthrose de l’interligne radiolunarien est fréquemment associée à celle de l’interligne radio-scaphoïdien. Il s’agit surtout de séquelles de fractures comminutives à haute énergie de l’adulte jeune. Même lorsque la réduction et l’ostéo­ synthèse ont permis une restitution anatomique, la contusion et la nécrose cartilagineuse évoluent vers l’arthrose. Arthrose à point de départ capito-lunarien Cette forme d’arthrose est rare : on l’observe dans le cas de la chondrocalcinose ou après exérèse agressive d’un kyste synovial dorsal du poignet. Le traitement chirurgical en cas de gêne malgré le traitement médical comporte une arthrodèse médiocarpienne, avec le plus souvent exérèse du scaphoïde. Mots-clés Poignet Arthrose Pseudarthrose scaphoïde Dissociation scapho-lunaire Chondrocalcinose Keywords Wrist Osteoarthritis Scaphoid nonunion Scapholunate instability Chondrocalcinosis Figure 1. Maladie de Kienböck au stade 4 avec arthrose radio-lunaire liée à l’écrasement et à la fragmentation du lunatum. ◆◆ Diagnostic La douleur est dorsale, plutôt centrale. La mise en extension du poignet est limitée et douloureuse. Le bilan radiographique est complété par un examen arthrotomodensitométrique pour étudier les autres interlignes du poignet. ◆◆ Traitement Au stade 4 de la maladie de Kienböck, une résection de la première rangée des os du carpe donne des résultats très intéressants lorsque la tête du capitatum ou grand os n’est pas trop altérée. Dans le cas contraire, l’arthrodèse totale de poignet reste le seul recours, à moins que, en cas de mobilité conservée, une dénervation du poignet puisse être proposée. Dans les cals vicieux articulaires du radius distal, une arthrodèse entre le radius et la première rangée des os du carpe permet souvent de garder une mobilité fonctionnelle grâce à l’articulation médiocarpienne restée indemne. Figure 2. Séquelle de fracture articulaire du radius distal avec impaction de la fossette lunarienne du radius. Traitement par arthrodèse radio-lunaire et mobilité post-opératoire. La Lettre du Rhumatologue • N° 354 - septembre 2009 | 9 MISE AU POINT Arthroses du poignet (2e partie) : arthroses de la colonne centrale et du versant ulnaire du poignet Arthroses sur le versant ulnaire du poignet Arthrose ulno-carpienne ◆◆ Étiologies L’arthrose ulno-carpienne est due à un contact anormal et répété entre la tête ulnaire et le carpe dans le cadre d’un syndrome d’impaction ulno-carpien lié à un excès de longueur de l’ulna par rapport au radius. Le plus souvent, l’arthrose siège entre la tête ulnaire et la facette supérieure du lunatum (figure 3). La hauteur de l’ulna par rapport au radius est appelée la variance ulnaire et varie normalement de – 2 à + 2 mm. Normalement, la répartition des contraintes entre le carpe, le radius et l’ulna est de 80 % au A B Figures 3A et 3B. Arthropathie ulno-lunaire sur ulna long post-fracture du radius distal. Figure 4. Syndrome d’impaction ulno-carpien après fracture du radius distal. Traitement par ostéotomie de raccourcissement du radius permettant de retrouver une congruence et un espace articulaire radio-ulnaire distal normal. 10 | La Lettre du Rhumatologue • N° 354 - septembre 2009 niveau radio-carpien et de 20 % au niveau ulnocarpien. Un excès de longueur de l’ulna de 2,5 mm accroît le niveau des contraintes du côté de l’ulna de 42 %. Les causes sont acquises ou congénitales : ➤➤ L’ulna long post-traumatique est le plus fréquent. Chez l’adulte, l’étiologie principale est le raccourcissement du radius après une fracture du radius distal favorisé par l’ostéoporose, la comminution du foyer en cas de traumatisme à haute énergie, une épiphysiodèse du radius distal chez l’enfant ou l’insuffisance du traitement. Plus rarement, il s’agit des séquelles d’une fracture de la tête radiale avec lésion de la membrane interosseuse (lésion d’Essex-Lopresti). Une luxation radio-ulnaire distale est souvent associée. ➤➤ On peut également trouver un ulna long constitutionnel en dehors de tout contexte post-traumatique. La variance ulnaire est supérieure à + 2 mm et peut occasionner à l’âge adulte un syndrome d’impaction ulno-carpien favorisé par les mouvements répétés du poignet en inclinaison ulnaire et pronation, qui augmentent les contraintes du côté ulnaire de 150 %. ◆◆ Diagnostic Les douleurs se situent sur le versant ulnaire du poignet, notamment lors des mouvements répétés, le poignet en inclinaison ulnaire poing fermé. La douleur est reproduite en plaçant le poignet en inclinaison ulnaire et par la pression au dos du poignet entre tête ulnaire et carpe. Sur la radiographie de face du poignet, la variance ulnaire, les séquelles de fracture et les signes de conflit avec une ostéocondensation en miroir au niveau de la tête ulnaire et la facette articulaire du lunatum et du triquetrum ou pyramidal sont visibles au stade d’arthrose. L’IRM ou surtout l’examen arthrotomodensitométrique complètent l’exploration en cas de traitement chirurgical, et permettent de mieux analyser les lésions du complexe ligamentaire triangulaire et une subluxation radio-ulnaire distale associée. ◆◆ Traitement En cas de gêne persistante, le traitement chirurgical est indiqué. En cas d’articulation radio-ulnaire distale bien orientée et congruente, il s’agit d’un raccourcissement de l’ulna (figure 4). Les techniques sont nombreuses, du raccourcissement osseux par ostéotomie à la résection partielle de la tête ulnaire sous arthroscopie. En cas d’incongruence radio-ulnaire distale, on préférera la correction de la déforma- MISE AU POINT tion post-traumatique du radius ou une intervention palliative comme la résection de la tête ulnaire ou l’intervention de Sauvé-Kapandji. Arthrose radio-ulnaire distale L’arthrose radio-ulnaire distale non traumatique est une pathologie rare représentant environ 2,5 % des atteintes arthrosiques du poignet (2). Elle peut s’accompagner d’une rupture de tendons extenseurs, complication qui peut être révélatrice de la maladie (3). Cette rupture tendineuse est retrouvée dans 9 cas sur 11 par Couturier (4). La rupture des tendons extenseurs des 4e et 5e doigts est la plus fréquente. Cette rupture est principalement liée aux ostéophytes et à la saillie dorsale de la tête ulnaire au travers d’une brèche capsulaire (4). Cette atteinte dégénérative peut être d’origine traumatique, mais elle est souvent secondaire à une arthropathie microcristalline telle que la chondrocalcinose articulaire (5). Des signes radiographiques ne sont pas forcément associés ; en revanche, le diagnostic est affirmé par l’analyse de la biopsie synoviale en cas de chirurgie. L’origine primitive de cette arthrose semble beaucoup plus rare. Le traitement est chirurgical en cas de résistance au traitement médical ou en cas de rupture des tendons extenseurs. La résection de la tête ulnaire ou l’intervention de Sauvé-Kapandji associée à une réparation des tendons extenseurs et à une dorsalisation de l’extenseur ulnaire du carpe sont indiquées (4). Arthrose piso-triquétrale L’articulation piso-triquétrale (pisiforme-pyramidal) peut être le siège d’une pathologie douloureuse, comme la plupart des articulations du poignet. Le diagnostic est évoqué devant un poignet douloureux chronique en regard de son bord ulnaire. Mais l’égarement diagnostique n’est pas rare : les symptômes sont souvent rapportés à d’autres articulations de voisinage, et le patient fait l’objet d’examens qui se révèlent négatifs ou bien orientent vers une autre étiologie, qui peut néanmoins être associée (6). ◆◆ Étiologies Anatomiquement, le pisiforme est posé sur le triquetrum ou pyramidal et se comporte comme un os sésamoïde inclus dans le tendon du fléchisseur ulnaire du carpe, ou cubital antérieur. Ce muscle est le fléchisseur du poignet le plus puissant. Le pisi- forme, en position d’instabilité relative sur le socle carpien, subit des contraintes importantes liées non seulement aux traumatismes et microtraumatismes répétés sur le talon de la main mais aussi à la mobilisation du poignet. Ces contraintes associées à un frottement et à une compression font de la pisotriquétrale une articulation extrêmement sollicitée. Les étiologies sont (6) : ➤➤ Les arthroses d’apparence primitive, qui sont fréquentes, souvent bilatérales, et qui surviennent en général chez un patient d’âge mûr, habituellement sans notion traumatique. Un terrain arthrosique y est parfois associé. ➤➤ Les arthroses secondaires : • Par traumatismes ou microtraumatismes, elles surviennent volontiers chez des patients plus jeunes ; l’atteinte est plutôt unilatérale, il existe peu ou pas d’arthrose, les associations lésionnelles sont fréquentes. Le rôle d’une fracture du pyramidal ou d’une instabilité post-traumatique est identifié. Dans les causes microtraumatiques, les chocs répétés sur le talon de la main, notamment en pathologie sportive (sports de raquette), ont été incriminés (7). • Par arthropathie métabolique ou inflammatoire, comme la chondrocalcinose. À côté des véritables arthroses, il y a d’autres causes de douleurs piso-triquétrales. La chirurgie du canal carpien est une cause rare mais réelle de pathologie piso-triquétrale. ­H. et E. Seradge (8) rapportent une série de douleurs piso-triquétrales dans les suites d’une chirurgie du canal carpien, en relation avec une probable modification de stabilisation du pisiforme après section du rétinaculum des fléchisseurs (1,1 % des patients sur une série de 500 canaux carpiens opérés avaient eu une symptomatologie importante de la piso-triquétrale). ◆◆ Diagnostic Il s’agit d’une douleur sur le versant ulnaire du poignet, à la base de l’éminence hypothénar. Trois manœuvres provoquent la symptomatologie et suffisent à poser le diagnostic en réveillant ou en accentuant la douleur (6) : ➤➤ la pression directe sur le pisiforme ; ➤➤ le ballottement ou le rabot du pisiforme (Grinding test de Seradge [8]), qui provoque craquements ­et/­ou douleurs ; ➤➤ la flexion du poignet en inclinaison ulnaire contre résistance, qui met en tension le fléchisseur ulnaire du carpe. Une compression du nerf ulnaire à la loge de Guyon associée est à rechercher systématiquement. La Lettre du Rhumatologue • N° 354 - septembre 2009 | 11 MISE AU POINT Arthroses du poignet (2e partie) : arthroses de la colonne centrale et du versant ulnaire du poignet Lorsque le diagnostic clinique est fait, la radiographie de face et de profil du poignet a toute sa place, bien qu’elle ne montre pas cette articulation. La normalité de cet examen n’exclut pas l’existence d’une arthrose piso-triquétrale, mais la radiographie présente l’­intérêt d’éliminer une pathologie de région et a de ce fait une valeur diagnostique primordiale. Figure 5. Tomodensitométrie du poignet : arthrose piso-triquétrale vue en coupe horizontale. L’incidence axiale du canal carpien objective l’atteinte piso-triquétrale quand elle est bien réalisée, mais seul un cliché de profil à 30° de supination de l’avant-bras dégage bien le pisiforme. La scintigraphie peut être contributive lorsqu’elle montre une hyperfixation localisée à l’articulation pisotriquétrale. L’examen tomodensitométrique reste essentiel : il confirme le diagnostic d’arthrose et permet de parfaitement analyser la lésion (figure 5). Un test diagnostique et thérapeutique par injection de lidocaïne au niveau piso-triquétral peut être très utile en préopératoire (6). ◆◆ Traitement Le traitement médical comporte une immobilisation par orthèse du poignet, l’arrêt du geste nocif, des médications orales et une infiltration de corticoïde retard. En cas d’échec, l’exérèse en sous-périosté du pisiforme est indiquée afin de préserver la continuité et les insertions du fléchisseur ulnaire du carpe (9). Une orthèse de poignet est placée pour 3 semaines en postopératoire. ■ Références bibliographiques 1. Watson H, Ballet F. The SLAC wrist: scapholunate advanced collapse pattern of degenerative arthritis. J Hand Surg [Am] 1984;9:358-65. 2. Donich A, Lektrakul N, Liu C et al. Calcium pyrophosphate dihydrate crystal deposition disease of the wrist: trapezioscaphoid joint abnormality. J Rheumatol 2000;27:2628-34. 3. Vaughan-Jackson O. Rupture of extensor tendons by attrition at the inferior radio-ulnar joint; report of two cases. J Bone Joint Surg Am 1948;30B:528-30. 4. Couturier C, Alnot J. Arthrose non traumatique radio-ulnaire distale : à propos d’une série continue de 11 poignets revus avec un recul moyen de 42 mois. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot 2002; 88:573-81. 5. Zitnan D, Sitaj S. Natural course of articular chondrocalcinosis. Arthritis Rheum 1976;19(Suppl.3):363-90. 6. Le Nen D, Saraux A, Yaacoub C et al. Osteoarthritis of the pisiform-triquetral compartment. A review of eight cases of an underrecognized entity. Rev Rhum Engl Ed 1997;64:396-401. 7. Helal B. Chronic overuse injuries of the piso-triquetral joint in racquet game players. Br J Sports Med 1978;12:195-8. 8. Seradge H, Seradge E. Piso-triquetral pain syndrome after carpal tunnel release. J Hand Surg [Am] 1989;14:858-62. 9. Palmieri T. Pisiform area pain treatment by pisiform excision. J Hand Surg [Am] 1982;7:477-80. Les articles publiés dans La Lettre du Rhumatologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai 1983 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution Imprimé en France - Axiom Graphic - 95830 Cormeilles-en-Vexin. Un flyer “Journal en ligne ACR” (4 pages) est routé avec ce numéro. 12 | La Lettre du Rhumatologue • N° 354 - septembre 2009 Photographie de couverture : © Dana Spiropoulou