76
Le Courrier des addictions (4), n° 2, avril/mai/juin 2002
un patient qui était préalablement asymp-
tomatique.
Être observant ou compliant à un traitement
incertain dans ses résultats et dans son vécu,
ainsi que potentiellement dangereux psychi-
quement en l’absence d’information, d’édu-
cation et de toute anticipation au cours de
l’initiation thérapeutique ne pourra que plus
sensibiliser un patient déjà fragilisé.
Favoriser l’observance
Dans un contexte où il faut limiter les
risques de passage à l’acte impulsif (tenta-
tive de suicide, usage de toxique ou rupture
thérapeutique), il devient inconcevable de
fonctionner dans l’urgence ou dans l’inter-
vention isolée. Demander un avis psychia-
trique pour ces patients, afin d’avaliser une
indication thérapeutique sans qu’un suivi
spécialisé soit programmé, ou souhaiter
une intervention en urgence auprès d’un
patient qui n’a jamais vu de psychiatre
lorsque “tout va mal”, ne fera que multi-
plier les risques de rupture ou de prise en
charge inadaptée (arrêt du traitement, choix
de psychotropes inadaptés, etc.).
Anticiper les troubles psychiatriques par une
prise en charge spécialisée précoce, c’est
offrir au patient la possibilité d’anticiper son
avenir social, familial et professionnel, ainsi
que son état clinique. Cette anticipation, ainsi
que le dialogue autour de ses choix sociaux,
familiaux et professionnels (la réflexion
autour de bénéfices secondaires potentiels est
très utile aux deuils nécessaires que peut pro-
voquer la maladie), associée à une disponibi-
lité d’une équipe psychiatrique spécialisée
qui l’aura déjà rencontré et qui l’aura informé
et éduqué, lui mais aussi sa famille, sur les
troubles psychiatriques et “leur dépistage”,
susceptibles d’apparaître sous traitement anti-
viral, sont un véritable gage de sécurité dans
le cadre de ce soin. Le patient passera dès lors
de l’observance à l’adhésion thérapeutique,
relation beaucoup plus souple et, de ce fait,
moins susceptible de se rompre.
Cette information initiale pourra s’accompa-
gner, si le patient le décide, d’un traitement
antidépresseur préventif avant l’initiation du
traitement antiviral, accompagné ou non de
traitements adjuvants (anxiolytiques ou hyp-
notiques). Il sera maintenu tout au long du
traitement antiviral et après l’arrêt de celui-ci
pendant plusieurs semaines.
La prescription des traitements psycho-
tropes dans ce domaine ne doit pas se faire
au hasard. Certaines molécules ont été étu-
diées dans ce cadre et répondent plus spé-
cifiquement aux nécessités cliniques et
pharmacocinétiques qu’imposent la mala-
die et son traitement (1). Cette prescription
ne peut se faire de manière isolée et doit
être accompagnée d’informations, d’éduca-
tion et d’anticipation au sein d’un contexte
psychothérapique. La prescription à l’aveugle
d’un traitement antidépresseur ou anxioly-
tique peut être dangereuse.
Choix du traitement précoce
Dans ce contexte, nous avons proposé en
première intention un traitement antidé-
presseur précoce par sertraline (50 % de
nos prescriptions) et par citalopram (35 %
de nos prescriptions). La viloxazine (5 %
de nos prescriptions), la mirtazapine, la tia-
neptine ont également été utilisées. Un trai-
tement déjà prescrit préalablement et bien
toléré n’a jamais été changé initialement
(moins de 5 % des situations : paroxétine,
amitriptyline, fluoxétine). Près de 85 % de
ces prescriptions n’ont pas été modifiées au
cours du suivi spécialisé et toutes les rééva-
luations thérapeutiques se sont limitées aux
molécules préconisées précédemment.
Cette prise en charge est très satisfaisante dans
ses résultats et le soulagement psychosocial
qu’elle procure, puisqu’elle diminue le risque
d’apparition de troubles affectifs sous traite-
ment, l’intensité et la répercussion des symp-
tômes psychiques, le risque de rupture théra-
peutique et facilite l’action en urgence.
Près de 85 % des patients déjà traités par
interféron et ayant souffert d’un épisode
dépressif ayant justifié l’arrêt ou non d’un
traitement antiviral ont estimé que ce suivi
précoce leur ont apporté un bénéfice psycho-
social indéniable et permis le plus souvent
de mener à terme leur traitement pour la
dose et la durée efficace (90 % des patients
aux antécédents de rupture de soins ont ter-
miné leur traitement).
Conclusion
À l’heure de la curabilité de l’infection par
le virus de l’hépatite C, il est nécessaire de
multiplier les indications thérapeutiques,
de favoriser l’observance et de limiter les
ruptures thérapeutiques. Les troubles affec-
tifs sont probablement le principal obstacle
de cette prise en charge. Dans ce contexte,
il convient de prévenir l’apparition de ces
troubles par une prise en charge précoce et
globale au sein d’une équipe multidiscipli-
naire disponible dans l’urgence. Selon
nous, il y a lieu de proposer une prise en
charge psychiatrique spécialisée à chaque
patient sans préjugé, et ce au moins dès
qu’une décision thérapeutique est posée,
dans le cadre d’un bilan préthérapeutique.
La réflexion que nous menons sur ce sujet
nous conduit à penser qu’il est probable-
ment important, pour ne plus limiter l’ac-
cès aux soins, de réévaluer les contre-indi-
cations psychiatriques du traitement par
interféron et d’informer globalement les
différents intervenants de cette prise en
charge. C’est par cette seule voie que nous
arriverons à endiguer cette maladie et ses
complications, ainsi qu’à initier une
démarche de recherche dans ce domaine.
Références bibliographiques
1. Orefice C, Lang JP. Prise en charge des
patients atteints d’hépatite C, traités par
interféron alpha et présentant des troubles
dépressifs. Synapse 2000 ; 162 : 43-51.
2. Lang JP, Nivoix J, Vecchionacci V.
Prise en charge des troubles maniaco-
dépressifs chez les patients séropositifs au
VHC. Synapse janvier 2001 ; 172 : 27-
30.
3. Lang JP. Les troubles dépressifs chez les
patients séropositifs au VIH et au VHC.
Synapse septembre 1999 ; 158 : 31-6.
4. Lang JP, Hallenguen O, Valli P.
Nécessité d’une prise en charge spéciali-
sée des troubles affectifs chez les patients
séropositifs au VHC. Communication
orale au Congrès de psychiatrie et neuro-
logie de langue française. Hammamet juin
2001. En cours de parution.
5. Touati MA, Sayet L. Syndrome dépres-
sif majeur avec deux épisodes d’angoisse
et d’agitation chez un patient sous interfé-
ron alpha et ribavirine et sous traitement
de substitution aux opiacés. Courrier des
addictions 2001 ; 1 (3) : 29-30.
6. Garre JB, Braconier L, Gohiez B,
Pettenati H, Duverger P, Cales P. Hépatite
virale C chronique, interféron alpha et
troubles anxiodépressifs. Annales Psychia-
triques 2000 ; Ardix : 45-52
7. Lang JP, Michel L, Halleguen O. Prise
en charge des troubles affectifs chez les
patients séropositifs à l’hépatite C : une
enquête prospective chez 50 patients. En
cours de parution.