DOSSIER THÉMATIQUE L’hormonothérapie dans les cancers du sein Comment définit-on, en 2012, une tumeur hormonosensible ? How to define hormone sensitive breast tumors in 2012? J.M. Guinebretière*, F. Spyratos** L’ efficacité des traitements hormonaux dans le cancer du sein est connue de longue date, grâce à G.T. Beatson : c’est lui qui, le premier, en réalisant des ovariectomies chez des patientes atteintes de tumeurs du sein inopérables, provoqua une diminution importante de la taille des tumeurs (1). Mais il apparut rapidement, après l’identification du rôle thérapeutique de la castration, que ce traitement ne bénéficiait qu’à un nombre limité de patientes, de l’ordre de 30 % (2). Cela suscita de nombreux travaux pour comprendre l’effet de la castration et rechercher des facteurs prédictifs de la réponse. La découverte des estrogènes (3) et de leur métabolisme apporta une première réponse. Celle des récepteurs aux estrogènes (RE) [4] et leur caractérisation (5) permirent d’expliquer que les effets des estrogènes étaient limités aux organes qui seuls expriment ces récepteurs spécifiques et offrirent une voie de recherche thérapeutique pour contrer leur action, conduisant aux premiers médicaments antiestrogènes. Mais elles fournirent également un outil prédictif, car les premiers résultats des études cliniques montrèrent que la présence des récepteurs hormonaux (RH) dans les tumeurs (6) était corrélée à l’efficacité du traitement antihormonal. Le concept d’hormonosensibilité était né. Si une autre forme de récepteur, dite β, a été récemment identifiée, son rôle est mal connu, sans lien prouvé avec la sensibilité aux traitements antihormonaux ou le pronostic des cancers du sein, à la différence du REα, le seul qui soit évalué en routine et qui sera détaillé ici. * Service de pathologie, hôpital René-Huguenin, institut Curie, SaintCloud. ** Service d’oncogénétique, hôpital René-Huguenin, institut Curie, SaintCloud. Quels sont les techniques utilisées et leurs avantages respectifs ? Les premières analyses s’effectuaient sur des tissus tumoraux congelés, homogénéisés puis ultra- 384 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 centrifugés pour obtenir une fraction “cytosolique” à partir de laquelle était réalisé le dosage. Elles mettaient en œuvre des techniques biochimiques classiques : les travaux princeps de E.V. Jensen et al. faisaient appel à des gradients de saccharose, puis, lorsque l’intérêt clinique de la mesure des RE s’est imposé, les méthodes ont évolué pour permettre leur utilisation en routine (6, 7). Ce furent d’abord les hormones radiomarquées, qui permettent de calculer un nombre de sites liant l’hormone spécifiquement (8) et de déterminer leur constante de dissociation (méthode au charbon-dextran [DCC] et calculs selon la méthode de Scatchard). Puis les anticorps monoclonaux et la méthode immunoenzymatique (EIA [enzyme immunoassay]), plus simple et nécessitant des quantités moindres de tissu, ont progressivement remplacé le DCC à la fin des années 1980. La mesure du récepteur à la progestérone (RP) est venue compléter celle du RE, dont la synthèse dépend du RE fonctionnel et qui représentait le témoin de la fonctionnalité du RE. Les résultats étaient exprimés en femtomoles par milligramme de protéines avec un seuil placé à 10 (DCC) ou 15 (EIA) fmol/mg. Les avantages de ces techniques biochimiques sont multiples. D’abord, elles font appel à une technologie parfaitement calibrée, sensible et reproductible. Ensuite, elles offrent une analyse quantitative donnant une valeur numérique. Cette valeur est importante, car, comme l’a montré E.V. Jensen, la réponse à l’hormonothérapie − que ce soit par castration ou par tamoxifène − est meilleure chez les patientes dont les tumeurs présentent les taux de RE les plus élevés. Enfin, elles sont accessibles à un contrôle qualité qui s’est rapidement mis en place à l’échelon européen à partir des années 1970 avec la diffusion de ce test à l’ensemble des cancers infiltrants pour décider de la nécessité d’une hormonothérapie. Résumé L’hormonosensibilité est aujourd’hui évaluée en routine au diagnostic de carcinome infiltrant par l’expression des récepteurs hormonaux en immunohistochimie. Le seuil de positivité a été défini initialement à 10 % de cellules marquées, car il s’agit de la valeur qui assure la meilleure corrélation avec la méthode biochimique. Une étude récente, qui ne fait pas l’unanimité, suggère que le seuil d’efficacité clinique est à 1 %. Il a été évalué à partir d’un matériel tissulaire, peu représentatif et différent de celui qui est utilisé en routine. Des études publiées sur les tumeurs dont l’expression pour les RH est comprise entre 1 et 10 %, on peut retenir qu’elles sont rares et touchent moins de 1 % de la population, que leurs caractéristiques histologiques, cliniques et évolutives les rattachent au groupe des tumeurs RH négatives et que l’hormonothérapie n’apporte pas de bénéfice significatif. Cependant, elles ont également d’importantes contraintes car elles nécessitent un fragment de tumeur congelée, ce qui implique un circuit particulier de gestion des fragments biopsiques ou chirurgicaux. La prise en charge des prélèvements doit être immédiate, dès leur réalisation, pour éviter la dégradation des protéines, qui survient très rapidement. Il est nécessaire de disposer d’un circuit de froid à −80 ou à −180 °C pour conserver avant le test le fragment de tumeur que le pathologiste aura prélevé de la pièce d’exérèse chirurgicale et macrodisséqué. Outre la difficulté de réunir les conditions techniques et de rassembler l’équipe (disponibilité), il faut que la tumeur soit facilement identifiable et de taille suffisante pour qu’un fragment représentatif puisse être prélevé pour le test sans danger pour l’analyse diagnostique de la pièce d’exérèse. Avec le succès du développement du dépistage organisé et individuel du cancer du sein, les tumeurs sont de plus en plus petites et ne sont généralement plus palpables, ce qui ne permet pas toujours au pathologiste de les identifier sur le prélèvement chirurgical ou de prélever un fragment suffisant pour cette analyse. Il n’y avait généralement pas de contrôle microscopique du fragment utilisé, qui pouvait n’être que peu cellulaire, être nécrosé ou incomplètement représentatif, constitué majoritairement par la composante in situ ou la stromaréaction. Enfin, l’analyse s’effectuait à partir d’un broyat tissulaire, et la mesure prenait donc en compte l’ensemble des cellules présentes − cellules inflammatoires, vaisseaux et fibroblastes du stroma, tissu épithélial et conjonctif normal et cellules carcinomateuses infiltrantes − mais aussi in situ (figure 1). En cas de tumeur de petite taille, peu cellulaire ou de stroma abondant, les cellules normales ou les éléments inflammatoires sont majoritaires par rapport aux cellules tumorales, minimisant artificiellement la mesure par dilution. La seconde méthode qui s’est progressivement développée et qui a remplacé la méthode biochimique comme référence, ou gold standard, est l’immunohistochimie (IHC). Cette technique était alors largement répandue dans les laboratoires de pathologie pour le diagnostic, notamment la caractérisation des tumeurs. Elle présente différents avantages en plus de l’accessibilité de la technique implantée dans la plupart des laboratoires. Mots-clés Cancer du sein Tumeurs du sein Récepteurs hormonaux Pronostic Facteur prédictif Hormonothérapie Summary Figure 1. Carcinome infiltrant constitué par une stromaréaction fibreuse prédominante (coloration à l’hématoxyline-éosine-safran [HES], × 100). La composante infiltrante formée de tubes et de travées est minoritaire, intriquée avec la composante intracanalaire d’architecture massive. The hormone sensitivity is today routinely evaluated at the time of the diagnosis of invasive cancer by means of immunohistochemical method. Initially the threshold of positivity, 10% of positive cancer cells, was defined as the threshold best correlated with results of the biochemical method. A recent and controversial publication suggests a different threshold, 1%, based on the correlation with clinical response. However it was established on a special material, less representative and different from those usually used. Two new publications studied features of tumor with expression between 1 and 9%: these tumors represent a very small group of tumors, less than 1% of the whole population, and their histologic, clinical and evolutive features are very similar to the RH negative group, and the hormonal treatment brings no survival benefit. Keywords ➤ Le test peut être réalisé sur un fragment fixé et inclus en paraffine et utiliser le matériel qui a permis de poser le diagnostic. Il n’est plus nécessaire de disposer d’un circuit particulier (chaîne de froid, congélation) ni d’user un fragment supplémentaire et spécifique pour l’analyse, qu’il devient difficile d’obtenir avec la diminution de la taille des tumeurs. Il est aussi possible de réaliser l’analyse de façon rétrospective en cas de tumeurs de découverte fortuite. ➤ L’analyse porte uniquement sur la composante infiltrante, indépendamment de la quantité de tumeur et de stroma présente, puisqu’il s’agit d’une technique morphologique. Il est possible de séparer l’expression des composantes in situ et infiltrante, dont l’expression diffère parfois (figure 1). Breast cancer Breast neoplasm Hormonal receptors Prognosis Predictive factor La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 | 385 DOSSIER THÉMATIQUE L’hormonothérapie dans les cancers du sein Comment définit-on, en 2012, une tumeur hormonosensible ? ➤ Il devient possible d’identifier des tumeurs d’expression hétérogène alors que la méthode biochimique évalue une expression moyenne sans possibilité de reconnaître ces tumeurs dont la prise en charge diffère (figure 2). Il est étonnant qu’aujourd’hui l’importance de cette hétérogénéité comme sa répercussion clinique n’ont pas été étudiées malgré la facilité de sa détection. À la suite de cette nouvelle indication, la méthode immunohistochimique, développée initialement pour le diagnostic, s’est progressivement améliorée : elle est d’abord devenue plus sensible, permettant d’identifier des tumeurs avec un très faible niveau d’expression, puis plus reproductible avec le développement d’automates de coloration. Des contrôles de qualité externe se sont mis en place parallèlement au niveau national (AFAQAP [Association française d’assurance qualité en anatomie et cytologie pathologiques]) et européen (UK NEQAS [United Kingdom National External Quality Assessment Service], NordiQC). Quels sont les seuils utilisés ? Figure 2. Immunomarquage pour le récepteur à l’estrogène (× 100). Marquage hétérogène associant une composante infiltrante négative majoritaire et une composante positive et intense à la fois in situ et infiltrante. Figure 3. Immunomarquage pour le récepteur à la progestérone (× 200). Sont pris en compte le pourcentage de noyaux de cellules carcinomateuses infiltrantes marquées et l’intensité du marquage, ici variable, faible, modérée et intense. 386 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 Pour la biochimie, première technique utilisée, le seuil a été défini en fonction de l’efficacité du traitement avec une valeur évaluée à 20 puis à 10 fmol/mg pour le DCC et 15 fmol/mg pour l’EIA. Au-dessous de cette valeur, l’action du traitement était observée dans moins de 10 % des cas alors que, au-dessus, elle atteignait 60 %. Ces seuils ont été déterminés chez des patientes métastatiques, mais se sont avérés similaires dans un contexte adjuvant (9). La présence d’une faible action en cas de tests négatifs s’explique par des problèmes techniques du dosage et par l’hétérogénéité tumorale pour les RH, le fragment analysé ne contenant pas le contingent positif. Pour l’IHC, le seuil a été établi comme la valeur qui assurait la meilleure concordance avec la technique biochimique, qui était alors la méthode de référence. Il a ainsi été établi à plus de 10 % de noyaux marqués de cellules carcinomateuses infiltrantes (10). Les 2 données analysées sont l’intensité de marquage − définie comme nulle, faible, modérée ou forte − et le pourcentage de cellules tumorales marquées (figure 3). Plusieurs systèmes ou scores ont été proposés − comme le H-score (11) et le Q-score (12), qui apprécient de façon plus quantitative l’expression par rapport au résultat positif/négatif −, mais les rares études ayant évalué l’impact clinique de ces scores n’ont pas identifié d’intérêt supplémentaire (13) ; elles portaient toutefois sur une population limitée. DOSSIER THÉMATIQUE Et la polémique apparut Une publication récente a remis en question la valeur du seuil de 10 % utilisée de longue date en pratique clinique (14). Celle-ci a évalué un nouveau score fondé sur l’intensité de marquage et le pourcentage de cellules marquées en IHC. Chacun est réparti en différentes classes (tableau I), puis combiné ensemble pour donner des valeurs allant de 0 (absence de marquage) à 8 (marquage intense de plus de 2 tiers de cellules tumorales). L’intérêt de ce nouveau score est de fournir une évaluation simple et quantitative de l’expression des RH. Sa validation a été effectuée sur une population de 1 982 patientes, testées au préalable par méthode biochimique, ce qui a permis de comparer sa valeur à celle de la méthode biochimique en fonction de l’efficacité clinique. L’analyse montre d’abord que ce score est prédictif d’une réponse au traitement et que, plus il est élevé, meilleure sera la réponse au traitement antihormonal. Enfin, sa valeur prédictive serait plus élevée que celle de la méthode biochimique. Le seuil de positivité calculé dans cette étude était de 1 %. À la différence des autres études, il ne s’agit pas de la valeur assurant la meilleure concordance avec la méthode biochimique mais du seuil qui est le mieux corrélé avec la réponse au traitement. Cela est possible grâce à la taille importante de la population testée, aux données cliniques et à la longueur du suivi. De par son intérêt quantitatif, ce score a rapidement été utilisé, et la valeur seuil fixée à 1 % introduite dans les recommandations nord-américaines (15). Tableau I. Score d’Allred pour évaluer les récepteurs aux estrogènes et à la progestérone par immunohistochimie. Ce score est obtenu en ajoutant la note de l’intensité du marquage (0 à 3) à celle du pourcentage de cellules marquées (1 à 5). Le total varie de 0 (absence de marquage) à 8 (marquage intense de plus de 2 tiers de cellules tumorales). Le seuil de positivité est défini à 3 (marquage faible de 1 à 10 % des cellules tumorales). Pourcentage de cellules tumorales marquées (noyaux) Score <1% 1 Entre 1 et 10 % 2 Entre 11 et 33 % 3 Entre 34 et 66 % 4 > 66 % 5 Intensité du marquage des cellules tumorales marquées (noyaux) Score Absence de marquage 0 Marquage faible 1 Marquage modéré 2 Marquage intense 3 qualité du matériel utilisé peut donc expliquer le choix d’un seuil bas. Cela explique aussi que, bien que l’IHC identifie davantage de tumeurs RH+ que la biochimie, dans cette étude la détection par IHC soit inférieure à celle de la biochimie : 70,5 % de tumeurs RH+ par IHC contre 78,9 % par biochimie (16). Aujourd’hui, le taux de tumeurs positives en IHC dépasse même 80 %. Les problèmes qu’elle suscite Quelles sont les données récentes ? Si l’intérêt de ce score n’est pas discuté, le seuil de 1 % l’est, en revanche, pour des raisons techniques. Le matériel utilisé pour cette étude est en effet très particulier, correspondant au reliquat des broyats utilisés pour le dosage biochimique. Ceux-ci ont été conservés dans de l’azote liquide puis décongelés, fixés en formol et inclus en paraffine pour réaliser l’étude immunohistochimique. Ils concernent donc un matériel différent de celui utilisé habituellement par le pathologiste. Il s’agit même d’un matériel déconseillé pour de telles analyses, parce qu’il est congelé, ce qui altère l’immunogénicité, parce qu’il est fragmenté et que son analyse morphologique est difficile, sans témoin positif interne identifiable (lobules ou canaux) et, enfin, parce qu’il est de petite taille, donc peu représentatif. Ainsi la mauvaise À la suite de cette publication, bien que ce score soit de plus en plus fréquemment utilisé, une polémique est née sur le seuil de positivité à utiliser, différents centres préférant garder le seuil de 10 %, parce qu’il a été établi à partir du matériel utilisé en routine, alors que d’autres utilisent ce nouveau score avec la norme de 1 % parce qu’il est lié à la réponse au traitement. Aucune nouvelle étude n’a encore essayé de répondre à cette question, car l’établissement d’un seuil nécessite de grandes populations de patientes avec un long suivi clinique. Toutefois, quelques données récentes apportent un éclairage nouveau sur ce problème : d’abord, la fréquence des patientes ayant une tumeur dont l’expression des RE ou des RP est située entre 1 et 10 %, c’est-àdire qui seraient considérées comme positives pour La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 | 387 DOSSIER THÉMATIQUE L’hormonothérapie dans les cancers du sein Comment définit-on, en 2012, une tumeur hormonosensible ? le seuil de 1 % mais négatives pour le seuil de 10 %. Elle est très faible dans le groupe français du GEFPICS (groupe d’évaluation des facteurs pronostiques par immunohistochimie dans les cancers du sein) : moins de 1 % des tumeurs testées, alors qu’elle représente 3 % dans l’étude de J.M. Harvey et al. (14). Dans l’essai thérapeutique BIG 1-98, seules 56 patientes sur les 6 126 incluses étaient dans ce groupe, c’està-dire moins de 1 % (17). Ce problème de seuil ne concerne donc que très peu de patientes. La valeur prédictive du test ne peut être influencée par le choix entre ces 2 seuils. La seconde étude porte sur les caractéristiques biologiques de ces tumeurs (18). Elles ont été établies sur une population de 465 patientes pour lesquelles était disponible, en plus des RH déterminés par IHC sur microbiopsie, du matériel congelé obtenu avant l’intervention. Celui-ci a été utilisé pour une analyse génomique de microarray par puce Affymetrix HG-U133A. Les données de génomique obtenues ont permis de déterminer l’ARN messager (ARNm) des REα, la classification moléculaire (19) établie par le prédicteur PAM 50 Breast Cancer Intrinsic Classifier (20) et enfin le SET (Sensitivity to Endocrine Therapy) index, signature moléculaire de prédiction à l’hormonothérapie récemment publiée (21) et constituée de 165 gènes. Les patientes ont été réparties en 4 classes (RE−, entre 1 et 9 %, 10 %, plus de 10 %), et les 3 données ARNm de REα, la classification moléculaire et le SET index calculés pour chacune des classes (tableau II). Pour la deuxième classe (> 1 à 9 %) des noyaux positifs, les tumeurs sont majoritairement de type basal-like (48 %) et HER2 (32 %). Le taux d’ARNm des RE était négatif dans plus de 75 % des cas et le SET index était faible dans tous les cas, témoignant d’une hormonorésistance. Ainsi, les caractéristiques biologiques des tumeurs entre 1 et 9 % sont en très grande majorité identiques à celles des tumeurs RH−. La dernière étude concerne les caractéristiques cliniques et pathologiques de ces patientes (22). La population étudiée correspond à 1 257 patientes triple-négatives chez qui HER2 n’était pas présent ou n’était pas amplifié et dont les RH étaient inférieurs à 10 %, prises en charge au MD Anderson Cancer Center (États-Unis) entre le 1er janvier 1990 et le 1er janvier 2009. Elle a été stratifiée en 3 classes (tableau III) : RE−, RE+ entre 1 et 5 % et RE+ entre 6 et 10 %. Les caractéristiques cliniques (taille, âge) et histologiques (grade Scarff, Bloom et Richardson [SBR], N, emboles, type histologique), le type de traitement local et général et l’évolution ont été calculés pour chacune des classes. Il n’y avait aucune différence entre les groupes pour la taille, l’âge, le type histologique, le nombre de patientes N+, les emboles, le traitement local ni la chimiothérapie. Le grade diminuait à mesure que le taux de RE augmentait. Il n’a pas été observé de différence de survie ni de lien entre celle-ci et le taux des RH ou de l’hormonothérapie. Les caractéristiques cliniques et histologiques et l’évolution des tumeurs entre 1 et 10 % sont donc très proches de celles des tumeurs en dessous de 1 %. Tableau II. Caractéristiques biologiques selon l’expression immunohistochimique des récepteurs hormonaux (RH) [18]. Taux de cellules RH+ (%) n 0 1à9 Type moléculaire ARNmRE+ (%) Luminal A (n) Luminal B (n) Her2 (n) Basal (n) Normal (n) 183 2 1 51 111 18 8,7 25 0 2 8 12 3 24 10 6 2 1 1 1 1 67 > 10 251 120 61 38 16 16 92 Tableau III. Caractéristiques cliniques et histologiques selon le taux d’expression des récepteurs hormonaux (RH) pour la population triple-négative du MD Anderson Cancer Center (États-Unis) [22]. Taux de positivité des RH (%) Âge (%) Taille (%) ≤ 50 ans > 50 ans T1 T2 T3-4 1-2 3 Non Oui <1 49 51 53 40 7 9 91 71 29 1à5 48,5 51,5 55 36 9 15 85 75 25 6 à 10 53 47 63 34 3 20 80 78 22 SBR : grade Scarff, Bloom et Richardson. 388 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 Grade SBR (%) Emboles (%) DOSSIER THÉMATIQUE Qu’en déduire ? Si la polémique et les débats sont encore vifs sur la valeur du seuil de positivité des RH à appliquer (1 ou 10 %), on peut retenir de ces publications récentes que le taux de tumeurs qui seraient concernées par le changement du seuil est très faible en routine, inférieur à 1 % de l’ensemble des cancers du sein. Cela ne concerne donc qu’un nombre très faible de patientes, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’a pas été possible d’utiliser les données des études princeps qui ont permis de valider la technique IHC, comparativement à la méthode biochimique, car elles ne concernaient qu’un nombre trop faible de patientes de ce groupe pour une analyse statistique significative. Cependant, pour ces patientes, la modification du seuil aurait un effet important sur la prescription d’un traitement antihormonal. Les 2 études récentes sont intéressantes, car elles prouvent que, sur les plans biologique, histologique, clinique et évolutif, les tumeurs RH+ entre 1 et 9 % sont beaucoup plus proches des tumeurs en dessous de 1 % et que la prescription d’un traitement antihormonal n’a pas apporté de gain significatif sur la survie. Dans ce groupe restreint, il existe peut-être quelques tumeurs qui pourraient bénéficier d’un traitement antihormonal, mais leur nombre est encore plus faible. Cela soulève différents problèmes, d’abord pour l’oncologue : doit-on donner ce traitement à toutes les patientes de ce groupe alors que très peu vont en bénéficier ? C’est l’attitude préconisée par la société américaine d’oncologie clinique. Elle est plus modérée au MD Anderson Cancer Center, où l’indication d’hormonothérapie est systématiquement discutée dans le groupe RH entre 1 et 9 % en évaluant le ratio bénéfice/risque, mais, en pratique, l’hormonothérapie n’est prescrite que dans un quart des cas de l’étude de K.P. Raghav et al. (22). Le pathologiste doit ensuite s’efforcer d’identifier dans ce groupe les candidates potentielles. Une des principales hypothèses correspond aux tumeurs hétérogènes dont le contingent le plus faible pour les RH serait concerné par le prélèvement. C’est pourquoi il est préconisé, lorsque l’expression des RH est située entre 1 et 10 % sur biopsie, de renouveler l’analyse sur la pièce de résection secondaire et, si l’analyse a été effectuée sur une pièce de résection, de tester un autre bloc de tumeur (Saint-Paul 2011). Cette hétérogénéité d’expression est insuffisamment rapportée aussi bien en routine que dans le cadre de ces études – ici, aucun cas n’a été rapporté, alors qu’elle survient dans au moins 5 % des tumeurs pour les RH. Enfin, un dernier élément à prendre en compte est la pression des oncologues qui souhaitent offrir une thérapeutique, même si le bénéfice attendu est faible. Et pour demain ? Tester l’hormonosensibilité revient à s’assurer d’abord que la cible, les RH, est bien présente, ce que réalise le test immunohistochimique ou biochimique, mais aussi qu’il n’existe pas de résistance primaire ou secondaire au traitement. Cela implique de nombreuses voies métaboliques de la tumeur, mais aussi de l’hôte, pour les molécules. Les premiers tests génomiques commerciaux commencent à être disponibles, comme le SET index, qui évalue l’expression de 165 gènes liés à l’efficacité du traitement mais sans aucune valeur pronostique. Ces outils sont prometteurs et pourraient apporter des informations utiles pour ce groupe de patients dont les RH sont entre 1 et 10 %. Il est intéressant de noter que, dans ce groupe, aucune des patientes n’a été classée dans la catégorie sensible du SET index. Qu’en conclure ? D’abord les points d’accord : dès que l’expression des RH atteint 10 %, les tumeurs sont hormonosensibles ; lorsqu’elle est inférieure à 1 %, elles sont hormonorésistantes. D’autre part, plus l’expression est forte et diffuse, plus la tumeur sera hormonosensible et plus le traitement aura de chances d’être efficace. La catégorie dont l’expression est située entre 1 et 10 % est controversée, considérée par certains (comme la Société américaine d’oncologie clinique) comme hormonosensible, par d’autres comme hormonorésistante. Celle-ci ne concerne qu’un très faible nombre de patientes, moins de 1 %. Leur biologie comme leurs caractéristiques histologiques, cliniques et évolutives les rapprochent des tumeurs RH−. Le traitement hormonal n’apporte pas de gain significatif en survie. Le pathologiste se doit d’identifier dans ce groupe les tumeurs hétérogènes en testant d’autres prélèvements ou d’autres blocs de la même tumeur. L’oncologue doit évaluer le rapport bénéfice/risque du traitement dans cette catégorie. L’utilisation des tests moléculaires de sensibilité à l’hormonothérapie devrait apporter prochainement des informations complémentaires utiles pour guider la prescription dans ce groupe. ■ Les auteurs remercient les membres du groupe Sein de l’institut Curie, Florence Lerebours et les praticiens de l’hôpital René-Huguenin (Saint-Cloud). La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 8 - octobre 2012 | 389 DOSSIER THÉMATIQUE L’hormonothérapie dans les cancers du sein Comment définit-on, en 2012, une tumeur hormonosensible ? Références bibliographiques (suite de la p. 389) 1. Beatson GT. 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