Dossier thématique D ossier thématique Prise en charge des pleurésies carcinomateuses d’origine indéterminée Carcinomatous pleuritis of unknown primary ● ● J.M. Bréchot*, P. Créquit* Les carcinomes d’origine indéterminée : une grande famille hétérogène ! Les carcinomes d’origine indéterminée (CUP ou carcinoma of unknown primitive) sont une source d’angoisse pour le patient et posent au clinicien le problème du choix du traitement. Ils ne sont pas rares : en effet, ils représentent 0,5 à 10 % des carcinomes chez l’adulte. Dans la série rapportée par J.L. Abbruzzese en 1994, les 657 patients avec CUP colligés au MD Anderson Cancer Center entre 1987 et 1994 constituaient 1,8 % des patients atteints de néoplasie suivis pendant cette période (1). La majorité (58,1 %) avait un adénocarcinome d’origine indéterminée ; les autres diagnostics histologiques étaient “carcinomes”, “carcinomes épidermoïdes”, “carcinomes neuroendocrines”, et “autres”, ce qui souligne déjà l’hétérogénéité de cette famille (1). L’atteinte pleurale venait en cinquième position avec 76 patients (11,6 %), loin derrière l’atteinte ganglionnaire, hépatique, osseuse et pulmonaire (1). En revanche, S.A. Sahn qui rapporte 1 783 cas de métastases pleurales de néoplasie fait état de 129 cas (7 %) de pleurésies carcinomateuses d’origine indéterminée (2). Le diagnostic histologique est une étape essentielle pour guider le clinicien Ce diagnostic comprend quatre étapes : affirmer qu’il s’agit d’une pleurésie maligne, affirmer que la prolifération maligne est de nature carcinomateuse, en préciser le type histologique et vérifier l’absence d’orientation diagnostique pour un carcinome primitif (3). Une confrontation anatomoclinique est essentielle (4). Le caractère malin est affirmé au mieux sur de multiples prélèvements histologiques obtenus par thoracoscopie. Un panel d’anticorps va permettre de différencier une prolifération carcinomateuse d’un mésothéliome malin, d’un lymphome, d’un mélanome, d’un sarcome, ou d’une tumeur germinale. La différenciation du carcinome peut être de type adénocarcinome, épidermoïde ou neuro-endocrine. Devant une prolifération de type adénocarcinome, l’anatomopathologiste doit, là encore, s’aider de l’immunohistochimie pour orienter le diagnostic, * Hôpital Avicenne, Bobigny. 86 avec en particulier l’étude de l’expression des cytokératines CK7 et CK20, et vérifier l’absence d’expression des récepteurs hormonaux chez la femme (qui orienterait le diagnostic vers un carcinome mammaire primitif ), l’absence d’expression du PSA (prostate specific antigen) chez l’homme (adénocarcinome prostatique), l’absence d’expression de la thyroglobuline si l’adénocarcinome est TTF1 positif (carcinome thyroïdien) ou de la thyrocalcitonine (carcinome médullaire de la thyroïde). La positivité de TTF1 de la prolifération pleurale permet d’affirmer une origine pulmonaire si un carcinome primitif thyroïdien est éliminé (4). La stratégie diagnostique Le bilan doit comprendre un examen clinique complet, une biologie sanguine de routine et un examen d’urines, une tomodensitométrie thoracique et abdominopelvienne. Des investigations supplémentaires peuvent être nécessaires, guidées par les symptômes ou les signes (4, 5). En pratique clinique, devant un adénocarcinome pleural d’origine indéterminée TTF1 négatif, une mammographie est également systématiquement pratiquée chez la femme, vu la fréquence du cancer du sein et l’impact de ce diagnostic sur la stratégie thérapeutique (4). Fibroscopie gastrique et coloscopie peuvent également être discutées : en effet, là aussi une stratégie thérapeutique spécifique à ces cancers peut être proposée avec de bons résultats. La place de la tomographie à émission de positons (TEP) au fluoro-désoxy-glucose (18FDG) dans la recherche d’un carcinome primitif n’est pas clairement établie. Sur sept études ayant inclus un nombre limité de patients et sans stratégie diagnostique toujours rigoureuse, la TEP a permis de déceler un carcinome primitif dans 8 à 53 % des cas, mais avec un taux de faux-positifs de 20 % (4). Dans une étude prospective récente portant sur 25 patients avec imagerie extensive non contributive, la TEP a permis d’identifier un carcinome primitif dans un quart des cas (6). Avec les progrès de la chimiothérapie, des biothérapies ciblées et des indications de plus en plus spécifiques, cet apport a un impact clinique non négligeable. Une nouvelle approche fondée sur l’étude de l’expression des gènes est proposée par R.W. Tothill (7). Une puce ADN a permis d’étudier le profil d’expression de gènes de 229 tumeurs de 14 sites différents et d’histologie très diverse. La sélection de 79 gènes marqueurs de 5 sites (ovaire, sein, pancréas, côlonLa Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 rectum, estomac) a permis une technique de PCR quantitative réalisable sur tissu frais ou inclus en paraffine. Ces techniques ont permis de définir l’origine indéterminée d’un carcinome pour 11 des 13 cas étudiés. Cette approche génomique ne représente pas forcément un surcoût majeur, comparativement à l’imagerie souvent exhaustive réalisée chez ces patients. Une autre équipe propose un panel de 10 gènes marqueurs qui ont amené à identifier correctement 88 % d’adénocarcinomes de sites divers (8). Ces approches doivent être évaluées sur de grandes séries et portées sur le sein dans une démarche diagnostique rigoureuse, étape par étape. La stratégie thérapeutique repose sur une chimiothérapie empirique Les associations les plus utilisées dans les années 1980 étaient celles à base d’anthracyclines (telles que FAM ou fluorouracil + adriamycine + méthotrexate), de cyclophosphamide (telle que CMF ou cyclophosphamide + méthotrexate + fluorouracil) ou de cisplatine (PVB ou platine + vincristine + bléomycine, BEP ou bléomycine + étoposide + cisplatine, PE ou cisplatine + étoposide). J.D. Hainsworth a colligé dans une étude récente les principaux essais thérapeutiques ayant inclus plus de 500 patients atteints de carcinome d’origine indéterminée : sur un total de 30 571 patients, la médiane de survie est de 5 mois, la survie à 1 an de 22 % et la survie à 5 ans de 5 % (9). Des combinaisons plus récentes sont apparues : doublets ou triplets avec sels de platine et de cytotoxiques de troisième génération. Avec ces associations, divers essais de phase II sont en faveur d’une amélioration de la survie avec médiane de survie de 9 à 12 mois, survie à 2 ans de 20 à 25 % (tableau) [9-16]. Les associations sont des doublets avec sels de platine et taxanes, gemcitabine, ou irinotécan, ou des triplets avec adjonction d’étoposide ou de gemcitabine. Des doublets de chimiothérapies sans sels de platine pourraient aussi être efficaces, comme l’association docétaxel + gemcitabine ou gemcitabine + irinotécan (14, 16). Ces résultats demandent à être validés dans des études de phase III. La place des thérapies ciblées n’est pas encore clairement établie. Un essai de phase II récent portant sur des patients avec adénocarcinome ou carcinome peu différencié d’origine indéterminée en échec d’une ou deux lignes de chimiothérapie ou de mauvais indice fonctionnel (Performans status : PS) a évalué l’association d’un antiangiogénique, le bévacizumab, à la dose de 10 mg/kg i.v. toutes les deux semaines et d’un inhibiteur de tyrosine kinase de l’EGFR (epidermal growth factor receptor), l’erlotinib, à la dose de 150 mg/j v.o. (17). Sur les 51 patients inclus (dont 75 % en échec de chimiothérapie), le taux de réponse objective a été de 8 %, le taux de stabilité de 59 %, la médiane de survie sans progression de 6,2 mois, la médiane de survie de 8,9 mois, la survie à 1 an de 42 % (17). Ces résultats très prometteurs ont conduit à la mise en place d’un nouvel essai de phase II comparant en première ligne le doublet paclitaxel + carboplatine à l’association bévacizumab + erlotinib dans cette population (9). Dossier thématique D ossier thématique Y a-t-il des facteurs pronostiques ? Dans la grande série de l’équipe de J.L. Abbruzzese, il ressort comme facteurs de mauvais pronostic pour la survie le sexe masculin, une atteinte carcinomateuse plurifocale, l’histologie d’adénocarcinome et la localisation métastatique hépatique ; à l’inverse, une atteinte ganglionnaire, péritonéale ou une histologie de carcinome neuro-endocrine apparaissent dans cette série comme des facteurs de bon pronostic (18). Néanmoins, il faut encore une fois souligner la grande hétérogénéité de la population étudiée. Un modèle de pronostic plus récent, proposé par S. Culine, a été élaboré à partir de 150 patients atteints de carcinome d’origine indéterminée, puis validé chez 116 patients atteints de cette pathologie et inclus dans deux essais cliniques de phase II (19). L’indice fonctionnel et le taux de LDH (ou s’il est inconnu, la présence ou l’absence de métastases hépatiques) permettent de distinguer un groupe de bon pronostic (PS : 0 ou 1 et LDH normales) avec une médiane de survie de 11,7 mois et une survie à 1 an de 45 %, contrastant avec le groupe de mauvais pronostic (PS ≥ 2 ou LDH élevées) où la médiane de survie est de 3,9 mois et la survie à 1 an de 11 % (p < 0,0001) [19]. Tableau. Chimiothérapie avec cytotoxiques de troisième génération (d’après J.D. Hainsworth) [9]. Étude Chimiothérapie n Taux de réponse (%) Médiane survie (mois) Briasoulis (10) Paclitaxel + carboplatine 77 39 13 Greco (11) Docétaxel + carboplatine 92 43 10 Hainsworth (12) Paclitaxel + carboplatine + étoposide 71 48 11 Greco (13) Paclitaxel + carboplatine + gemcitabine 113 25 9 Greco (14) Paclitaxel + carboplatine + étoposide et gemcitabine + irinotécan 132 30 9 Culine (15) Gemcitabine + cisplatine 38 55 8 Culine (15) Irinotécan + cisplatine 40 38 6 Pouessel (16) Gemcitabine + docétaxel 35 40 10 La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 3 - mars 2007 87 Dossier thématique D ossier thématique Un autre modèle pronostique est proposé par P. Seve, incluant outre le PS, le score de comorbidités, le site des localisations métastatiques et l’âge des patients (20). Sur les 389 patients inclus, la médiane de survie n’est que de 12 semaines. Parmi ceux suivis dans un centre anticancéreux, seuls 42 % ont été traités ; le jeune âge, un bon PS, une atteinte ganglionnaire ou pleurale, et un faible score de comorbidités étaient associés à un traitement par chimiothérapie (20). Last, but not least : l’acceptation par le patient de ce diagnostic “indéterminé, cancer d’origine inconnue” Le clinicien ne peut nier la difficulté que cela représente pour le patient. Mais il se doit de le rassurer, de l’informer que la découverte du carcinome primitif ne modifierait pas la stratégie thérapeutique, que tous les examens discriminants ont été pratiqués et que le traitement proposé repose sur des essais cliniques spécifiquement dédiés à son cas. conclusion Les pleurésies carcinomateuses d’origine indéterminée restent rares. Il importe devant une histologie d’adénocarcinome d’éliminer une métastase de cancer du sein chez la femme, aussi bien par la recherche systématique d’une expression des récepteurs hormonaux sur les prélèvements biopsiques que par la pratique systématique d’une mammographie. Le traitement repose sur un doublet ou un triplet de chimiothérapie avec ou sans sels de platine. La place de la TEP demande à être évaluée. Une détermination précise de la biologie de ces tumeurs permettra d’en limiter l’hétérogénéité et de mieux préciser la place des biothérapies ciblées. ■ Références bibliographiques 1. Abbruzzese JL, Abbruzzese MC, Hess KH et al. Unknown primary carcinoma: natural history and prognostic factors in 657 consecutive patients. J Clin Oncol 1994;12:1272-80. 2. Sahn SA. Pleural diseases related to metastatic malignancies. Eur Respir J 1997;10:1907-13. 3. Bréchot JM, Molina T, Jacoulet P. Pleurésies tumorales secondaires. Presse Med 2002;31:556-61. 88 4. 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