Anesth Reanim. 2015; 1: 197–212 Directives anticipées Article spécial en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/anrea www.sciencedirect.com Bassam Al Nasser 1, Arié Attias 2, Houtin Baghdadi 3, Antoine Baumann 4, Jean Etienne Bazin 5, Laurent Beydon 6, Philippe Bizouarn 7, Frédérique Claudot 8, Béatrice Éon 9,10, Fabienne Fieux 11, Christophe Frot 12, Caroline Guibet Lafaye 13, Olivier Muzard 14, Armelle Nicolas Robin 15, Virginie Orjubin 16, Manuel Otero-Lopez 17, Corine Pelluchon 18, Justine Pereira 19, France Roussin 11, Comité éthique de la Sfar Disponible sur internet le : 23 avril 2015 1. Clinique du Parc Saint-Lazare, 1, avenue Jean-Rostand, 60000 Beauvais, France 2. Groupe hospitalier Henri-Mondor, réanimation chirurgicale polyvalente et polytraumatologique, service d'anesthésie et des réanimations chirurgicales, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94000 Créteil, France 3. Centre hospitalier du pays d'Aix, pôle anesthésie–douleur–soins palliatifs, avenue des Tamaris, 13616 Aix-en-Provence cedex 1, France 4. Hôpital Central, CHU de Nancy, département d'anesthésie-réanimation, 29, avenue de Lattre-de-Tassigny, 54035 Nancy cedex, France 5. CHU de Clermont-Ferrand, hôpital Estaing, département d'anesthésieréanimation, 1, place Lucie-Aubrac, 63003 Clermont-Ferrand, France 6. CHU d'Angers, pôle d'anesthésie-réanimation, 4, rue Larrey, 49033 Angers cedex 01, France 7. CHU de Nantes, hôpital Laënnec, département d'anesthésie réanimation, boulevard Jacques-Monod, BP 1005, 44093 Nantes cedex 1, France 8. EA 7299, faculté de médecine de Nancy, université de Lorraine, 54000 Nancy, France 9. Groupe hospitalier de la Timone, réanimation des urgences et médicale, pôle réanimation urgence samu hyperbarie, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex, France 10. UMR 7268 ADéS, Aix-Marseille université, EFS/CNRS, Espace éthique méditerranéen, Marseille, France 11. Hôpital Saint-Louis, département d'anesthésie réanimation, 1, avenue ClaudeVellefaux, 75745 Paris cedex 10, France 12. Hôpital Avicenne, département d'anesthésie réanimation, 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex, France 13. CNRS, centre Maurice-Halbwachs, 48, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France 14. Clinique Turin, 5-11, rue de Turin, 75008 Paris, France 15. Hôpital de la Pitié-Salpétrière, département d'anesthésie réanimation, boulevard de l'Hôpital, 75013 Paris, France 16. Service Castel Thibault, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », 3, impasse de l'Abbaye, 94100 Saint-Maur-des-Fossés, France 17. Hôpital Européen Georges-Pompidou, département d'anesthésie réanimation, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France 18. Université de Poitiers, UFR SHA, département de philosophie, 8, rue Descartes, 86022 Poitiers, France 19. CHRU Carémeau, service des réanimations médicale et chirurgicale, place du PrRobert-Debré, 30029 Nîmes cedex 9, France Correspondance : tome 1 > n83 > juin 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2015.03.001 © 2015 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 197 Laurent Beydon, CHU d'Angers, pôle d'anesthésie-réanimation, 4, rue Larrey, 49033 Angers cedex 01, France. [email protected] Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. Mots clés Directives anticipées Éthique Soins de fin de vie Réanimation Keywords Advance directives Ethics Terminal care Intensive care Résumé Ce document fait le point sur la littérature scientifique concernant les directives anticipées (DA). Il reflète également l'analyse du comité éthique de la Sfar. Les éléments singuliers des expériences étrangères sont décrits en regard de la situation française. Leurs forces et limites sont analysées. Les DA permettent une réelle expression de l'autonomie des patients mais diffèrent notablement d'un pays à l'autre. L'exemple allemand semble particulièrement abouti. Aux États-Unis, une hiérarchie des types de DA et en particulier les POLST (Physician Orders for Life-Sustaining Treatment) dont le cadre est unifié, tente de répondre au besoin d'une disponibilité effective des DA auprès du patient, notamment en cas de transfert. Des registres ont été créés par des états ou des associations caritatives afin d'en assurer la traçabilité. On entrevoit la nécessité pour le patient de rédiger ses DA en fonction de son vécu (clairement décrit), de son contexte spécifique et de ses valeurs personnelles. Des rubriques cruciales sont par exemple : désigner la personne de confiance mais aussi celles qu'on ne veut pas voir participer à des décisions futures ; préciser le niveau de décision qu'on concède à la celle-ci ; mentionner son choix vis-à-vis du don d'organes. La notion de validité restreinte des DA dans la loi française pose un problème en regard du risque de coma végétatif, voire de locked-in syndrome. Il semble souhaitable que cette clause calendaire ne s'applique pas à cette éventualité. Summary Anticipated directives This article reviews advance directives (AD) and corresponding worldwide literature. From this comparative analysis and considering the French regulation, the authors highlight limits and prospects to improve AD and their applicability. All national laws aim at protecting patient's autonomy but differ by country. The German experience seems promising and well balanced. In the USA, a series of hierarchical types of AD have been proposed among which POLST (Physician Orders for Life-Sustaining Treatment) may help securing AD and their availability at bedside, especially in case of patient transfer. Repositories for AD may serve the same purpose in an efficient way. Models for AD have been proposed to patients by learned societies to highlight items important to consider which are not straightforward to patients. Documenting these points are mostly important to build AD contextual enough to patient condition. Moreover, a patient value testimony is probably the best way to help AD being considered by caregivers. Choosing a spokesperson with a clear delimitation of what patient expects from or confers to her, as a representative represents another major goal of AD. In addition to the end of life, AD may also encompass the issue of organ donation and the case of a permanent vegetative state. Time limited validity for AD raises difficulties when the case of a vegetative state and locked-in syndrome is considered in full health and the withdrawal of life support therapies is foreseen. Introduction 198 L'anesthésiste informe le patient des risques et conséquences attendus ou possibles liés notamment à l'anesthésie pour une intervention donnée. En tant que réanimateur, il est régulièrement confronté aux décisions de poursuivre ou non, voire d'engager des traitements de support vital, chez des patients incapables d'exprimer leur volonté et chez qui la question de la vanité des thérapeutiques se pose, parfois de façon conflictuelle avec les proches. Dans ces contextes, les directives anticipées (DA) devraient constituer un moyen essentiel pour préserver l'expression de l'autonomie et le respect des choix d'un patient. La période préopératoire d'une chirurgie majeure constitue sans doute un moment propice pour les évoquer. Cela d'autant que leur utilité s'impose peu à peu dans le débat public et notamment chaque fois que de possibles modifications de la loi Leonetti sont évoquées du fait de nouvelles « affaires » largement médiatisées. L'affaire Vincent Lambert l'atteste. Les DA sont légalement bien établies, en France comme dans bien d'autres pays, mais avec des différences notables. La possibilité tome 1 > n83 > juin 2015 de rédiger des DA est insuffisamment connues et très peu utilisées. Enfin, leur disponibilité le moment venu n'est pas garantie. Ce travail est le fruit d'une réflexion collective du comité éthique de la Société française d'anesthésie et de réanimation (comité ICARE) dont le but est d'apporter un éclairage à ceux qui souhaitent se pencher sur ce sujet d'actualité et pouvoir aider leurs patients à considérer l'intérêt des DA pour eux-mêmes et leurs proches. Ce faisant, le comité tente de convaincre si besoin était, que les DA pour peu qu'elles impliquent les médecins aux côtés des patients, ne peuvent qu'enrichir la relation médecin/patient et aider à une prise en charge globale du patient en fin de vie. Situation générale Le renforcement de l'autonomie du patient s'impose graduellement. L'Amérique du Nord avait anticipé ce besoin dès 1991, et a produit depuis lors, une abondante littérature. En Europe, la Convention sur les Droits de l'Homme et la Biomédecine a établi en 1997 la nécessité de respecter les souhaits des patients pour les traitements les concernant20. Le principe des directives anticipées a été formalisé depuis, par le Conseil de l'Europe (Recommendation CM/Rec (2009)11) [1]. Les États européens s'y sont conformés en droit national. Les sources émanant d'autres pays et d'autres cultures sont moindres et plus disparates. En France, les lois dites Kouchner (4 mars 2002) et Leonetti (22 avril 2005) formalisent la défense de cette expression de l'autonomie. En préalable à ces lois, le Sénat avait établi en 2004 une analyse comparative des textes légaux européens [2], certains ont évolué depuis lors. Les bases légales à l'étranger États-Unis, Canada, Grande Bretagne Aux États-Unis (Patient Self Determination Act, 1991) [3], et Grande Bretagne (Mental Capacity Act, 2005–2007), le respect de l'autonomie est souverain. Le Patient Self Determination Act a été imposé aux États-Unis, de façon déterministe à tous les établissements bénéficiant des subsides Medicare et Medicaid, les maisons de retraite, le HMO (Health Maintenance Organization). Ces établissements doivent fournir aux patients/résidents une information sur les directives anticipées et la manière dont l'établissement en tient compte (ou non). Ils demandent copie d'éventuelles DA qu'ils incluent dans le dossier du patient et forment les personnels sur ces questions. Cependant, en aucun cas, la rédaction de DA ne peut être imposée car une fois informé, le patient demeure libre de formuler ou non des DA. Celles-ci ne peuvent prendre effet que quand le médecin en charge, avec éventuellement confirmation par un autre, atteste de l'incapacité du patient à décider de ses choix par lui-même. Le succès de ces mesures incitatives est resté limité pour différentes raisons que nous évoquerons. A contrario, malgré des cultures similaires, aucune mesure contraignante d'envergure pour encourager les DA existe au Canada et Grande Bretagne. Par ailleurs, les DA sont soumises à un lourd formalisme qui diffère notoirement selon les états et/ou provinces (États-Unis et Canada) [4] du fait du contexte fédéral. On retrouve la contresignature de témoins (qui doivent formellement accepter ce mandat par écrit et ne peuvent pas être rémunérés, et pas non plus être le conjoint, un proche ou un soignant direct [5]), et/ou d'un notaire et/ou d'un médecin aux États-Unis, mais pas dans l'ensemble du Canada. De simples témoins sont requis en Grande Bretagne. Ces différences régionales compliquent l'information de la population et la rédaction des DA. On distingue, au-delà des « Do Not Resucitate Orders » proches de nos décisions de limitation des thérapeutiques actives, trois niveaux de DA en cas d'aggravation : « Living Wills » qui sont les DA informelles (e.g. parler à un proche) sans autre but qu'informatif et par là d'interprétation difficile ; « Durable (enduring) Power of Attorney » (DPA) qui correspond à la désignation d'une personne de confiance. Cette dernière pourra parler en lieu et place du patient, s'il en est incapable, alors que les proches (non DPA) n'ont aucun pouvoir formel en tant que tels ; « Advance Care Planning » (ACP) qui sont des DA proprement dites (pour des situations de fin de vie, ou situations irréversibles comme le coma végétatif, après un délai de réanimation suffisant) et qui comprennent schématiquement un volet portant sur les traitements et un autre sur les valeurs du patient. Ce dernier volet, crucial pour interpréter les choix thérapeutiques émis dans les DA, n'est ni systématique, ni au centre de la logique bien que constamment recommandé. Le non-respect par les soignants des directives contenues dans les ACP est souvent cité, notamment dans les publications des années 1990 (contemporaines de la mise en place du Patient Self Determination Act). Pourtant, l'ACP s'impose au médecin. En absence d'ACP, prévaut l'avis de la personne de confiance dûment désignée par le patient via un DPA. Cela suppose que l'ACP soit valide, précis et applicable au contexte. En cas d'opposition majeure entre médecins et personne de confiance, les tribunaux seront saisis. Pour tenter de favoriser le respect des ACP, les « Physician Orders for Life-Sustaining Treatment » (POLST) [6,7] ont été ajoutés aux États-Unis. Ce sont des DA établies selon un format standardisé21 et de couleur vive pour être facilement identifié au sein du dossier patient. Elles sont élaborées avec le patient en pleine capacité de décision (souvent atteint de pathologie sévère ou âgé), en présence d'un médecin qui recueille personnellement la volonté du patient de recevoir en totalité, partiellement ou pas des traitements comme la réanimation cardiorespiratoire, l'alimentation par Article spécial Directives anticipées 21 http://conventions.coe.int/Treaty/EN/Treaties/html/164.htm. tome 1 > n83 > juin 2015 Voir un exemple accessible en ligne sur le site www.polst.org (rubrique ressources/ ressource library, « california POLST form »). 199 20 200 Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. sonde, l'intubation trachéale, des soins de confort, etc. [8]. Le but de ce document est de résoudre le problème du non respect médical des DA (par absence de participation médicale à l'élaboration de la DA ce qui favorise souvent des DA non pertinentes vis-à-vis du contexte médical, ou par sa non présence dans le dossier médical). Ce document a pour but d'être constamment visible car présent dans le dossier. Il doit suivre le patient tout au long de ses transferts entre établissements. Le fait de respecter des POLST est plus marqué chez des urgentistes expérimentés et pour les patients les plus âgés. Si les POLST étaient toujours mal connus de la moitié des urgentistes new yorkais [9], ils étaient effectifs et suivis dans 94 % des cas, en maison de retraite [10]. En Grande Bretagne, une recommandation de l'équivalent de nos Samu spécifie bien qu'il est licite de ne pas réanimer lors d'interventions extrahospitalières, (notamment si des paramédicaux sont seuls présents à la prise en charge) si des DA valides sont disponibles et récusent la mise en œuvre d'une réanimation [11]. Plus encore, en Grande Bretagne, ne pas réanimer s'impose en l'absence de DA, chez un patient en phase terminale et alors que la mort est imminente et inévitable et que la réanimation ne serait pas efficace. Le but étant de ne pas initier une réanimation inutile. L'exemple américain est intéressant car il montre, par la juxtaposition des différents niveaux de DA, advenus successivement, qu'il fallait finalement des POLST (obligatoirement élaborées avec un médecin) pour tenter de faire respecter les choix du patient après l'avoir aidé à les rédiger, via un médecin. Un point clé est que ces POLST suivent le patient au fil de ses hospitalisations ou transferts. De nombreuses associations entretiennent des registres de patients ayant rédigé des DA pour faciliter encore la traçabilité des DA. Malgré cela, les DA peinent encore à s'imposer du fait d'un rapport de force flou, dans la pratique, entre médecins et directives anticipées. On note qu'en Grande Bretagne, aux États-Unis et au Canada, l'actualisation régulière des DA n'est pas obligatoire. Enfin, il demeure pour le médecin la possibilité de passer outre aux DA, si elles ne semblent pas valides ou applicables. Cette construction est donc finalement fragile du point de vue du respect strict de l'autonomie du patient, et ce d'autant que les tribunaux ont tendance à juger peu sévèrement les cas de non respect des DA [12]. Dans ce contexte, l'argumentaire du patient dans la rédaction des DA permettra de convaincre médecins et juges du bienfondé de ses choix. Par cette voie, il y a alors de fortes chances d'échapper à une récusation des DA, au cas où elles auraient été jugées non adaptées au contexte ou irrecevables en regard de l'état de l'art, le moment venu. Ce volet mémorandum des DA (« values-based history »), vivement recommandé dans les guides pour la rédaction des DA, destinés aux patients, lui permet de se présenter comme une personne dans son entièreté et sa singularité. Il argumente ses choix au regard de son vécu, ses croyances et convictions. C'est d'ailleurs autour de ces valeurs que travaillent les bénévoles accompagnant les patients en fin de vie et dont l'utilité est avérée. Cette exercice holistique a l'avantage de pouvoir éclairer la décision médicale et la compréhension des proches de façon indépendante des aspects techniques médicaux [13]. En résumé, le patient a à respecter 4 étapes essentielles pour formaliser des DA : identifier ses préférences et ses choix en regard de son expérience personnelle ; choisir une personne de confiance avec discernement et vérifier qu'elle consent à cette mission et a compris ce qu'on attend d'elle et ce que cela implique ; déterminer précisément quelle marge décisionnelle on lui concède ; informer famille et proches des points précédents [14]. Aux Etats-Unis, le Texas constitue un cas particulier car une loi a été votée pour empêcher le recours aux tribunaux lorsque des proches s'opposent à l'arrêt de traitements dits « futiles » (arrêt envisagé après consultation du comité d'éthique local). Le juge ne peut s'opposer à l'arrêt des traitements. Il peut tout au plus imposer un délai pour transférer le patient vers un autre établissement (et seulement si un tel transfert s'avère possible). Cette loi a pour but de limiter les demandes de traitements vains de la part des proches et non des patients eux-mêmes [15]. Elle vise aussi à éviter que les proches ne se sentent investis du fardeau de la décision d'arrêt, cette dernière s'imposant comme une décision institutionnelle. Allemagne Depuis 2009, une loi régit les directives anticipées [16]. Le patient doit décrire par écrit et signer une demande formelle se référant à des situations précises (e.g. « en cas de coma chronique ») pour lesquelles il souhaite des mesures concrètes (e.g. « voire interrompre toute mesure de support dont l'alimentation artificielle »). Cette loi ne prévoit pas au préalable de seuil de gravité, de pathologie type ou de notion de « patient en phase terminale ». Le patient désigne en même temps une personne de confiance. Les volontés du patient sont contraignantes pour le corps médical qui doit vérifier que le contexte clinique correspond à celui évoqué dans les directives. La volonté du patient de refuser des traitements doit être respectée, fusse-t-elle susceptible d'entraîner la mort. Cette loi n'impose au patient ni témoin cosignataire, ni participation d'un médecin, et pas non plus d'acte notarié. La directive ne suppose pas de renouvellement régulier ce qui fait de cette loi, un texte privilégiant l'expression et le respect de la parole du patient, particulièrement simple dans sa mise en œuvre. En cas d'absence de DA, un témoignage formellement attesté des choix thérapeutiques du patient, peut s'imposer. Hormis l'absence de personne de confiance, le médecin et cette dernière doivent ensemble statuer sur la concordance entre les DA et la pathologie ou le contexte et sur la recevabilité des DA. tome 1 > n83 > juin 2015 Cette analyse croisée constitue le garant de premier niveau contre un recours contentieux d'une des parties en présence. En l'absence de consensus, l'avis du tribunal sera demandé. Enfin, un représentant des droits du patient est requis par voie légale, pour tout patient sans DA, sans personne de confiance et hors urgence. Au-delà de la recevabilité des DA, la recherche d'un bénéfice cliniquement tangible pour le patient est au cœur de la démarche. Le maintien de la vie comme seul objectif n'est pas recevable et ne peut justifier en soi le maintien des traitements de support vital. Ce critère pivot qui s'impose à tous de façon explicite exclut a priori l'émergence d'une « affaire Vincent Lambert ». Ainsi, si tout traitement doit être régulièrement évalué et arrêté s'il perd incidemment tout effet bénéfique, on trouve en miroir le fait que tout traitement médicalement justifié ne peut être envisagé contre la volonté exprimée dans les DA. On voit ici que le texte allemand garantit sans restriction l'autonomie du patient tout en imposant une contextualisation forte des DA. En excluant les thérapeutiques déraisonnables, il tranche à la racine la question de la vanité. Il rejoint en ce sens les attendus de la loi Leonetti, tout en s'affranchissant de la clause de la phase terminale, (lors d'une maladie incurable), ou de situations analogues à celle qui a fait débat dans l'affaire Vincent Lambert, (un coma végétatif). Il ne permet pas des décisions générales de principe comme « je refuse la ventilation artificielle » de par la nécessité de formaliser des choix « en contexte précis ». Cette contextualisation permet sans doute d'éviter sans grand risque, le renouvellement périodique des DA. Enfin, comme ailleurs, nulle institution ne peut exiger des DA de ses bénéficiaires. Le texte allemand semble se libérer des écueils et autres limites dans tous les autres textes nationaux, tout en conservant une réelle simplicité de mise en œuvre. Il place le tribunal en recours, sa seule mission étant de juger de la cohérence du contexte avec celui envisagé par les DA. Ce faisant, il ne place pas « l'état de l'art médical », les médecins ou la personne de confiance, au-dessus des choix du patient. Italie, Espagne, Portugal Depuis peu, l'Italie a envisagé un projet de loi (actuellement en suspens) sur le sujet de DA non contraignantes et celui de la désignation d'une personne de confiance [17]. Suisse, Danemark, Pays-Bas La Suisse propose une rédaction sur papier libre, sans imposer de renouvellement calendaire et sans tiers extérieur pour l'authentifier. Les DA sont contraignantes sauf s'il est permis de douter qu'elles reflètent encore la volonté actuelle du patient. Au Danemark et aux Pays-Bas, les DA sont contraignantes [2]. directives sont une option pour toute personne majeure, capable de s'exprimer de façon libre et éclairée. Elles sont écrites par le patient lui-même ou à défaut retranscrites et signées par deux témoins, dont la personne de confiance. Elles doivent être réactualisées au moins tous les 3 ans et sont révocables à tout moment. Cette limite de validité fait obstacle à des DA formulées en pleine santé par quiconque envisageraient l'éventualité d'un coma végétatif et l'arrêt des thérapeutiques vitales si leur rédaction date de plus de trois ans au moment de la survenue de l'incapacité de s'exprimer. Ces DA peuvent faire état de la décision du patient quant au don d'organes. Elles sont prioritaires sur tout avis non médical, (y compris celui de la personne de confiance) mais elles ne sont pas formellement opposables aux décisions médicales (mais « le médecin en tient compte » ou encore « la décision de limitation ou d'arrêt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s'il en a rédigé, l'avis de la personne de confiance qu'il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d'un de ses proches »). Ainsi, les DA n'ont pas de caractère formellement contraignant mais constitue un élément de réflexion essentiel pour l'équipe soignante, au cours de la procédure collégiale de limitation ou d'arrêt des soins. Un exemple de DA est disponible (site « ameli.fr »)22 en ligne mais il interroge sur sa faible pertinence et surtout son côté glaçant au regard des documents disponibles sur des sites ou associations de patients étrangers. Sa lecture montre les limites d'une simplification à outrance d'un tel document : on y trouve une liste de mesures thérapeutiques vitales usuelles de réanimation avec les mentions « traitements à entreprendre ou poursuivre : oui, non, ne sais pas » sans aucun commentaire, aucune contextualisation et nulle mention des valeurs du patient. Ceci explique peut-être que les DA ne soient formalisées en France que par 2,5 % des patients décédés en 2009 et 1,8 % de patients en fin de vie pour lesquels une décision de limitation ou d'arrêt de traitement (LAT) a été prise alors qu'ils n'étaient plus en mesure d'exprimer leurs attentes23. La publication de tels documents type du genre que nous évoquons, illustre le retard de la réflexion sur ce sujet en France, sachant que ces formulaires « catalogues à cocher » sont connus depuis plus de 20 ans pour avoir une faible pertinence contextuelle [18,19] et demeurent largement flous quant à la signification, par exemple, d'un « devenir acceptable » [20]. Article spécial Directives anticipées Personne de confiance Il s'agit d'une personne désignée par écrit par le patient (parent, proche ou le médecin traitant). La personne de confiance est Situation française actuelle Le dispositif des directives anticipées est inscrit dans le Code de la santé publique et la loi Leonetti (loi du 22 avril 2005). Ces tome 1 > n83 > juin 2015 22 http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/ directives_anticipees__formulaire_Rx_2014-04-07_.pdf. 23 Rérérence INED, citée dans l'avis 121 du CCNE. 201 Directives anticipées Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. consultée en cas de réflexion pouvant conduire à une limitation ou un arrêt de traitements de support vital ou avant d'entreprendre une intervention ou des investigations (en dehors de l'urgence). Elle peut demander la mise en œuvre d'une procédure collégiale dans le cadre de la loi du 22 avril 2005. Son avis est consultatif mais prévaut à celui de toute autre personne non médecin. Au-delà de ce côté quelque peu administratif, la personne de confiance doit prendre conscience de sa responsabilité lorsque l'équipe médicale se rapprochera d'elle en particulier pour obtenir les informations susceptibles de préciser les caractères, valeurs et attentes de la personne dont elle est le porte-parole. Pourtant, en France, l'acceptation de cette responsabilité par le mandataire n'est pas confirmée par une attestation écrite de sa part. Mandat de protection future 202 Depuis 2007, ce dispositif juridique permet à chacun de désigner une personne chargée de veiller sur tout ou partie de son patrimoine et/ou sur elle, le jour où elle ne pourrait plus le faire. Cela concerne (pour elle-même) toute personne, majeure ou mineure émancipée. Ce mandat s'envisage également de la part de parents pour un enfant à charge, majeur ou mineur. L'étendue du mandat est libre. Il s'établit sous seing privé (enregistré à la recette des impôts et se limitant alors à des actes d'administration du patrimoine) ou via un acte notarié (permettant des actes de disposition du patrimoine). Ces mandats sont signés entre mandant et mandataire. Le mandat prend effet lorsque la personne n'est plus en mesure de pourvoir seule à ses intérêts (tel que certifié par un médecin agréé) et après enregistrement par le greffe du tribunal d'instance. Le mandat prend fin quand le mandant a recouvré ses capacités. Ce dispositif comprend des lacunes : il permet au mandant de continuer à effectuer des actes exclus du mandat, contrairement aux autres mesures de tutelle. Contrairement à ces dernières, ce n'est pas le juge qui contrôle la gestion du mandataire mais une personne désignée par le mandant. La certification de l'état médical du mandant, requis pour la mise en œuvre du mandat, se fait par un médecin agréé sans forte exigence de documentation des motifs médicaux. Enfin, le mandat n'est pas enregistré de façon centralisée, laissant toute possibilité au mandant de réaliser des actes prévus dans le mandat, à l'insu du mandataire. Il s'agit donc d'un contrat non exempt de défauts et d'une réelle lourdeur procédurale. Son succès est à ce jour très limité. En l'état actuel du droit français, il est frappant de constater qu'il est lourdement imprégné du principe de la protection des « incapables » et que le principe du respect de l'autonomie surgit avec retard, sous l'effet de la transposition du droit européen et sans grande réflexion organisationnelle ou pratique. La réflexion française demeure à certains égards en deçà du niveau de celle existant dans bien des pays où le respect de l'autonomie est plus anciennement établi. Situations cliniques spécifiques Ressuscitation Ce contexte concerne l'urgence. Quelques chiffres aux États-Unis méritent considération. En 1997, la crainte de poursuites influence les pratiques en faveur de la ressuscitation (94 %) même si 55 % font état de ressuscitations considérées comme vaines [21]. La situation a évolué depuis, car les DA étaient respectées à 86 % en 2007 vs 78 % en 1997 [22]. Ceci a un impact sur la mortalité : en traumatologie, chez les personnes âgées, les DA ou la demande des proches d'arrêter la réanimation triple le taux de décès par rapport à celui attendu [23]. Psychiatrie, suicide, démence Les DA ont pu être étendues aux patients psychiatriques (aux États-Unis et en Grande Bretagne) dans le but de pouvoir organiser la prise en charge de situations de crise et les options thérapeutiques (type et lieu de prise en charge, notamment), par anticipation et en impliquant le patient et sa personne de confiance. On n'a pas à ce jour la preuve de leur efficacité réelle [24,25]. Le cas des suicidants interpelle directement l'anesthésiste réanimateur et fait débat [26]. Ne pas réanimer en considérant le suicide comme un choix explicite n'est pas envisageable au regard de la tradition médicale. Dans cet esprit, certains proposent une attitude d'emblée très conservatrice avant d'envisager secondairement et éventuellement, la possibilité de ne pas poursuivre la réanimation d'un patient inconscient : lorsque les proches le demandent, que des critères contextuels objectifs existent pour justifier cette demande, après un délai suffisant, et au-delà, que soit avérée une pathologie suicidaire réfractaire à des traitement maximalistes bien conduits et dont l'échec serait formellement attesté par les psychiatres en charge du patient ou consultés [27]. En effet, seule une faible fraction des suicidants graves récidive. Pour certains l'avis du juge s'impose [28,29]. La démence pose également de réels problèmes. Elle n'exclut pas les DA en tant que telles mais la difficulté tient à la lente dégradation des capacités de décision. Chaque situation doit amener à reconsidérer les capacités de décision du patient face à cette situation et non pas à déclarer une incompétence absolue du simple fait de la maladie. Il importe de favoriser la capacité d'expression de ses propres préférences, son propre caractère et ses propres convictions avant que ne survienne l ' « ignorance de soi » et la perte de cette capacité de décision [29]. Respecter les choix d'un patient dément, s'ils sont en cohérence avec le caractère général de sa vie antérieure et les préférences antérieurement exprimées semble plus conforme au droit à la bienfaisance que le respect de préférences actuelles qui ne reflèteraient plus une conscience de soi cohérente, ni de but discernables à court terme. Quand et pendant combien de temps se rend-on compte de sa propre démence et jusqu'à quand peut-on décider de ses choix tome 1 > n83 > juin 2015 Expérience acquise, au vu de la littérature (même si tout n'est pas transposable) Quel est le niveau de diffusion des DA ? On retrouve une évolution temporelle pour tous les pays qui ont du recul sur le sujet et en particulier les États-Unis : Dans les années 1980–1990, on rapporte des taux de DA de l'ordre de 4–17 % [31]. Ce taux passait en 2008 de 18 % à 36 %, selon un rapport du HHS (Health and Human Service) au Sénat américain. Le taux de 30 % semble refléter la moyenne actuelle de prévalence des DA aux États-Unis [32–35], et sont équivalentes en cardiologie [32], médecine [33], néphrologie [36], tous établissements confondus. On retrouve des taux élevés dans des contextes particuliers et sans doute propices aux DA, comme dans les maisons de retraite (70 %) et pour les patients en soins palliatifs (93 %) [37]. Les personnes ayant nommé une personne de confiance (durable power of attorney) demandent des traitements limités (93 %), de confort (96 %) et rarement des traitements maximaux (2 %) et décèdent moins à l'hôpital [38,39]. Ces choix sont respectés dans plus de 80 % des cas. Au Canada, on cite le taux de 47 % [40] en 2010. Une étude récente permet de mieux cerner la réalité [41] chez des patients âgés, hospitalisés pour une affection aiguë ou chronique et chez leur proches : environ 80 % des patients et proches ont pensé à la fin de vie pour eux ou leur proche et 80 % d'entre eux en ont parlé (mais 18 % avec un spécialiste, 30 % avec un généraliste et 10 % avec un autre professionnel de santé). Les DA étaient remplies dans 48 % des cas et 73 % avaient désigné une personne de confiance. Pourtant, seulement 25 % des patients se sont vu demander à l'admission s'ils avaient des DA. Ces DA tome 1 > n83 > juin 2015 envisageaient une majorité de soins de confort (31 %) ou un mélange de soins de confort et de traitements actifs (31 %) mais sans réanimation cardiorespiratoire ; 12 % voulaient des soins maximaux et une ressuscitation éventuelle. On trouve d'autres études analogues [42]. Aux Pays-Bas, le taux n'est que de 5 % dans la population générale [43] et inférieur à 10 % en Allemagne [44]. Le taux français serait de l'ordre de 2,5 % pour 15 000 décès selon l'étude INED de 2012 [45]. Enfin, le taux de patients en fin de vie parlant de leurs préférences de soins à leur médecin va de 7 % en Espagne à 47 % aux Pays-Bas. Effet des DA sur les coûts On sait que la fin de vie coûte cher : 25 % des dépenses Medicare sont allouées au 6 % des patients qui décèdent chaque année [46]. Cela incite à tenter d'identifier l'effet des DA sur les coûts. On retrouve des données divergentes, certaines études (rétrospectives) montraient que les DA permettaient de réduire les thérapeutiques inutiles et les coûts en fin de vie [47– 50], notamment dans les régions des États-Unis où ces coûts sont élevés [51]. Cela laisserait entendre que les DA peuvent infléchir des pratiques caractérisées par une médecine orientée « tout aigu » [52]. Cet effet n'a pas été confirmé par d'autres études [53–57] même si l'étude méthodologiquement indiscutable manque encore [58]. Le fait de formuler des DA ne semble pas associé à une mortalité accrue à un an et sur une période d'étude de 6 ans [59]. Ceci contraste avec ce qui a été dit plus haut à propos des personnes âgées traumatisées. Peut-on tout déterminer à l'avance ? Du seul fait des différences de contexte, de contraintes particulières, des législations différentes d'un pays à l'autre, les DA ne peuvent être ni universelles, ni applicables de façon standardisée. Les situations étant le plus souvent multifactorielles et les termes des DA difficiles à apprécier, elles seront d'autant moins ambiguës que les valeurs, le contexte, les attentes, voire les limites auront été clairement explicitées et rédigées en amont [60]. De ces précisions découle le fait qu'on puisse ou non conférer aux DA un caractère contraignant et opposable. L'enjeu est de taille car on peut craindre que la non opposabilité des DA agisse comme un frein vis-àvis de l'appropriation de celles-ci par les patients et la population en général. A contrario, le corps médical craint, en toute logique, des demandes en contradiction avec les bénéfices attendus de l'application de l'état de l'art, que les patients ignorent généralement. Ceci, sans parler des pathologies intercurrentes curables. . . La question de la validité limitée des DA (3 ans en France) est logique dans le cas des pathologies chroniques et/ou de la fin de vie. Mais cette restriction pose problème à quiconque voudrait être certain de ne pas être maintenu en état végétatif (ou en locked-in) à la suite d'un coma inopiné (AVC, accident. . .). Or, ce souhait peut apparaître à tout âge, et notamment chez des 203 en toute lucidité ? Cette situation accroît la difficulté sans pour autant disqualifier la démarche. Elle pose le problème de la temporalité : la limite de validité des 3 ans est-elle ici pertinente et gérable ? Les DA peuvent-elles s'imposer aux proches (e.g. ne pas pouvoir placer le patient en institution, selon un souhait exprimé par le patient via ses DA, alors que cela devient indispensable pour préserver la santé des proches ?). On ouvre ici le débat entre respect des DA et soins sous contrainte, qui pose problème même s'il sort du cadre de notre réflexion. Enfin, quelles sont les compétences et peut être la volonté pour un médecin non spécialiste d'évaluer la faculté de jugement d'un patient aux capacités cognitives déclinantes, au regard de ses probables incertitudes dans ce domaine ? En effet, peu de spécialités médicales se sentent en devoir et capacité de réaliser cette évaluation [30], ce qui limite la portée et le recours aux DA dans un contexte de démence précoce. Malgré ces difficultés, il semble que la démence précoce, soit compatible avec des DA pour peu qu'elles soient formulées avec l'aide d'un médecin et que le contexte clinique soit clairement évoqué. Ici plus encore, l'exposé par le patient de ses préférences et en quoi elles justifient ses choix est susceptible de favoriser le respect de ces DA. Article spécial Directives anticipées 204 Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. sujets sains ou peu malades. On entrevoit l'intérêt de soustraire à la restriction calendaire cette question du coma végétatif et d'imposer dans ce cas précis, plus encore que dans les DA de fin de vie, un exposé formel des valeurs du patient pour éviter des conflits d'interprétation par les proches et les soignants. Ainsi, un contexte très clairement défini dans une DA prise par un adulte jeune et en pleine santé laisserait ouvert sine die le principe du refus de l'alimentation artificielle/hydratation en cas de coma végétatif ou de locked-in. Tel est l'esprit de la position allemande où le renouvellement est optionnel, tout comme en Suisse, par exemple. La révocation des DA est garantie à tout moment, pour peu que le patient le demande. En revanche, des médecins expriment leur difficulté à respecter des DA lorsque l'opinion médicale sur la conduite à tenir immédiate diffère de celle des directives [61]. La temporalité constitue la principale source de divergences, voire de conflits. Citons le cas typique du traumatisme crânien grave au pronostic généralement incertain. Or, des DA « standard » ont toutes les chances de récuser par avance une réanimation si un handicap sévère est plausible. Inversement, le corps médical sait que s'il existe un lien entre profondeur-durée du coma et mauvais pronostic, des cas échappent à cette statistique. En Amérique du nord, les décisions de non ressuscitation chez de tels patients sont prises tôt, (un tiers dans les premières 24 heures, les deux tiers dans la première semaine) sur des convictions de mauvais pronostic et de préférence supposée du patient [62]. Ces décisions sont prises plus tardivement en France, peut être en partie parce que l'élément financier est pris en charge par la collectivité et la couverture assurancielle quasi générale. On se donne ainsi le recul suffisant pour évaluer le pronostic, quitte à limiter ultérieurement les traitements de support vital ou ne pas traiter une complication, le moment venu. Cette phase d'observation sous couvert de traitements maximaux est particulièrement difficile à accepter pour les proches, si des DA rejettent formellement le risque d'un handicap. Décrire cette situation assez fréquente et les raisons d'une période de traitement maximal d'épreuve, dans un guide destiné aux patients souhaitant rédiger des DA est utile. Mais la situation opposée existe également : celle d'un état critique brutal, survenu chez une personne très âgée mais encore alerte la veille et autonome pour les actes de la vie courante. Si le pronostic est défavorable de façon certaine du fait de l'âge, des lésions et des comorbidités, il est fréquent que les proches refusent de l'envisager (et demandent des soins maximaux), tant il est difficile d'accepter qu'on puisse jardiner la veille et mourir le lendemain. . . Ici encore, la partie « histoire/valeurs personnelles » des DA est cruciale de même que le respect des principes de bienveillance et non malfaisance avancés par les médecins pour éclairer ces situations et plus encore, pour nourrir un dialogue médecins/proches susceptible de dénouer la situation et favoriser un consensus, fut-il long et laborieux à atteindre. Des décisions éclairées : comment les favoriser Même avec l'aide d'un médecin, les DA ne peuvent tout envisager : les situations médicales ne sont jamais totalement prévisibles, tout comme l'effet des traitements. Les proches à qui les DA peuvent concéder l'essentiel de la décision sont souvent pris en défaut dans leur capacité à décider à la place du patient, c'est-à-dire « comme ce dernier aurait pu le faire luimême » [63,64]. La personne de confiance, sans pouvoir éviter tous les écueils liés à la délégation, a le mérite d'avoir été choisie par le patient comme la plus à même de le représenter. Ce choix crée une hiérarchie décisionnelle au sein des proches et délivre les autres du poids de la décision. C'est la seule voie permettant d'exclure ceux parmi les proches que le patient souhaiterait formellement exclure de toute décision le concernant. Mais que faire en cas de divergence d'appréciation entre personne de confiance, contenu des DA et médecins ? L'approche allemande est intéressante en ce qu'elle récuse tout traitement visant à ne faire que prolonger la vie et au-delà, oblige à une recherche de consensus. Ce n'est qu'à défaut d'un consensus qu'il est fait appel au juge. Au Texas, c'est un comité d'éthique qui est le pivot, le juge ayant un rôle marginal. Ces approches montrent que les DA en tant que telles peuvent requérir des arbitrages et que certaines législations l'ont envisagé délibérément. Cela peut aider à limiter des craintes à propos des DA, notamment le fait que si elles étaient strictement opposables, elles pourraient priver les patients d'une chance de succès d'un traitement donné qu'il n'avait pu envisager faute de connaissances médicales suffisantes. On peut cependant s'interroger sur le risque de recours juridique systématique, difficilement soutenable. L'analyse de l'application de la loi texane montre cependant que le comité d'éthique consulté ne validait pas la décision de LAT dans 30 % des cas ce qui démontre son utilité [65]. On est loin d'une loi d'airain sachant que certains patients chez qui la LAT est validée par le comité éthique consulté verront leur traitement poursuivi tandis que pour d'autres, les proches consentiront à l'arrêt, in fine. L'arbitrage par un comité d'éthique ou un juge n'est pas non plus exempt de partialité. Une analyse de jugements britanniques est éclairante, à propos de cas de patients ayant souhaité l'arrêt des thérapeutiques vitales, en l'absence de DA formelles mais en présence d'un témoignage des proches. Cela illustre la variabilité des décisions. Citons les exemples rapportés : un sujet jeune pour qui les parents s'opposent à l'arrêt ; un prisonnier à qui l'autonomie décisionnelle est considérée comme aliénée par une peine de prison en cours ; un patient considéré comme lié par un interdit religieux du fait de son éducation mais décrit comme athée alors même qu'il avait rompu avec sa communauté. . . [60] Sans prétendre à la panacée, le mérite des DA n'est-il pas d'abord de recueillir l'expression de la volonté de l'individu lui-même et en corollaire de faciliter une discussion approfondie des médecins avec les proches, en introduisant cet tome 1 > n83 > juin 2015 Rendre les DA disponibles, le moment venu Au-delà du chiffre de patients ayant rédigé des DA, se pose la question de leur disponibilité au moment où l'on en a besoin. Tel est particulièrement le cas des patients résidant en institution souvent transférés aux urgences en dépit de tout bénéfice réel attendu [66]. On retrouve des preuves selon lesquelles, même le généraliste ou les proches ne sont pas au courant de l'existence de DA pourtant stockées dans les registres de ces institutions et ne sont effectivement utilisées que dans 70 % des cas [67]. D'autres citent même une disponibilité de seulement 50 % de DA. Dans un service d'urgences canadien, 20 % des patients déclarent avoir des DA mais seul un quart d'entre eux les ont apportées [68]. En cancérologie du sein, 66 % des femmes ont des DA mais leur médecin n'en connaissait l'existence que dans seulement 14 % des cas, et ces patientes sont trois fois plus enclines à élaborer des DA avec leurs proches qu'avec les médecins [69]. Ces derniers n'ont d'ailleurs pas plus de DA formalisées pour eux-mêmes que leurs patients [70] ! Ainsi, l'approche POLST qui repose sur ce document standardisé (élaboré avec l'aide obligatoire d'un médecin), de couleur vive et facile à identifier et qui doit suivre le patient quoi qu'il arrive, constitue une voie intéressante. Ces POLST permettent d'augmenter significativement le nombre des DA et les admissions en soins palliatifs [71]. On pourrait espérer pouvoir sécuriser ces documents en facilitant le dépôt par le médecin, de ces formulaires POLST à l'issue de leur élaboration, sur un site national dédié, et accessible ultérieurement à tout soignant via la carte CPS. Ainsi l'Oregon [72] et l'Alberta [73] ont mis en place un registre informatique des POLST. La fiabilité de ce registre semble correcte (3 % des POLST enregistrées ne sont pas retrouvées) [74]. Transposé en France, il serait logique que de tels POST envisagent globalement : la fin de vie, le coma végétatif et le don d'organes. Quelques données annexes en faveur des DA En Belgique, on note un lien entre les DA (50 % des patients en maisons de retraite) et la dispensation de soins palliatifs en fin de vie permettant d'éviter nombre de transferts à l'hôpital pour y mourir [75]. Aux États-Unis, les DA permettent de limiter les traitements agressifs (dont chimiothérapies) en fin de vie et de favoriser plus précocement la prise en charge en soins palliatifs [76]. Au Japon, un lien entre l'augmentation des DA (60 % des patients des maisons de retraite) et l'augmentation des crédits alloués à la fin de vie est noté [77]. Enfin, les DA sont souvent comprises par le grand public comme s'appliquant dans le cadre d'une maladie terminale, à l'hôpital alors qu'il est probable qu'elles concernent autant voire plus, les patients très âgés en institution, chez qui se pose avec acuité la tome 1 > n83 > juin 2015 question de « où et comment mourir » ; situation où l'hospitalisation ne constitue pas toujours la meilleure option. Or, faute de DA ou de POLST, c'est souvent la solution qui s'impose par défaut. Difficultés Les freins aux DA sont multiples et concernent les patients, les médecins et les procédures administratives [78]. Du côté médical Le peu de temps médical disponible et le fait que le patient et parfois le médecin ne se sentent pas à l'aise avec le sujet expliquerait la faible implication des médecins pour les DA [79]. Même en cancérologie, à l'annonce d'un pronostic défavorable, seulement 25 % des oncologues discutent les DA [80]. On note que lors de consultations banales, 84 % des occasions de parler des DA sont manquées par le médecin [81]. Une étude ancienne montre que les médecins consacrent en moyenne 6 minutes aux DA (quand ils les abordent) et 91 % utilisent souvent des illustrations selon des « scénarios catastrophe » conduisant la majorité des patients à un refus de traitement tandis que seulement la moitié des médecins recherchent les préférences réelles du patient et explorent avec lui les situations incertaines [82]. La question est sans doute plus de préparer le patient et ses proches à des situations critiques attendues et plausibles et d'envisager avec lui et ses proches des stratégies adaptées [83] que de mettre l'accent sur des « DA pour les DA », peu spécifiques et souvent peu applicables car trop générales [84]. Pourtant, les patients qui ont pu discuter des DA avec leur médecin sont plus satisfaits d'eux que les patients n'ayant pas eu cette opportunité [85]. A contrario, on retrouve un lien entre une mauvaise communication patient-médecins (et information) et un faible taux de DA [86]. Les médecins sont plus sensibles à des critères normatifs extérieurs (dont l'état de l'art), oubliant peut être le vécu singulier de chaque personne, et sont moins ouverts aux DA que les patients [87]. Sur le versant chirurgical, une étude américaine montre que la moitié des chirurgiens envisagent les DA du patient en préopératoire mais que la moitié refuse d'opérer un patient qui aurait émis des DA qui limiteraient les techniques de support vital postopératoires [88]. On retrouve d'ailleurs plus de DA chez les patients médicaux que chirurgicaux [89]. Cette particularité montre qu'un effort d'information s'impose encore pour faire évoluer les mentalités. Enfin, une valorisation financière de toute consultation qui conduirait à l'élaboration de DA est défendue de façon logique [90,91]. En particulier, en 2010, aux États-Unis, l'opinion publique soutenait que, dans le cadre de leur affiliation au Medicare, les patients aient une discussion sur les DA avec le médecin, durant la visite médicale annuelle et gratuite, de médecine préventive [92]. Le médecin est sujet à de potentiels conflits d'intérêt ou des conflits éthiques : 205 acte pérenne que sont les DA ? Il est probable que cela convienne à la grande majorité des situations ce qui en soi les justifie pleinement. Article spécial Directives anticipées Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. la compréhension des pathologies par les patients est limitée, source de malentendus d'autant que les options médicales ne sont pas aussi claires et univoques que la population se l'imagine. Il est difficile pour un médecin de suivre littéralement des DA, dès lors qu'une parcelle d'ambiguïté et d'incertitude surgit ou persiste ; le fait que dans la vie courante, on prend beaucoup de décisions avec une information partielle, ne semble pas un motif suffisant pour légitimer des DA ambiguës ; les médecins peuvent se satisfaire de déléguer l'information sur les DA à des personnels non-impliqués dans la prise en charge du patient, et ainsi peu contributifs. A contrario, Perkins décrit de façon convaincante sa pratique pour aider les patients à formuler des DA : une approche par étapes, sur plusieurs consultations [93]. Or, à ce jour, la situation en France, encourage le patient à agir seul, si tant est qu'il y pense et y parvienne ; la notion de « trop c'est trop », qui peut être évidente pour un patient, s'avère moins claire pour un médecin qui ne considère souvent que l'état de l'art (pour ne pas citer d'éventuelles considérations pécuniaires), sans pour autant considérer le fardeau lié à la pénibilité des traitements proposés. La mortalité si souvent utilisée dans les études scientifiques pour établir le bénéfice d'un traitement ne résume pas, et de loin, l'ensemble des enjeux pour un patient en fin de vie ; car pour lui, le confort prime souvent ; la filière palliative n'est pas rentable et de surcroît difficile à fiabiliser, en institution comme en ville ou à domicile. Cela tient à des raisons de tarification, de formation des acteurs, de réseau de soins mal répartis, etc. ; la fin de vie s'apparente pour beaucoup à la médecine sociale, largement dévalorisée car non connectée à l'industrie de la santé qui, on le sait, canalise indirectement les choix de santé publique et les investissements ; la médecine curative domine le terrain, selon un but consensuel de réinsérer le travailleur parmi les forces vives de la nation. Ceci occulte la situation actuelle d'une population vieillissante et la généralisation de fins de vies longues et très (trop) médicalisées pour un bénéfice réel restant à démontrer ; enfin, ce poncif bien connu : la fin de vie fait peur en ce qu'elle renvoie à la mort. Or, ni la société, ni les soignants ne sont familiers de cette réalité si souvent occultée. Versant patients 206 Autonomie et paternalisme se sont longuement affrontés. Actuellement, l'individu tend à s'émanciper et à se sentir suffisamment sûr de lui pour oser se soustraire au poids de la société, de la famille et de la religion. Cet axiome souffre pourtant bien des exceptions. Pour les patients, les motivations pour des DA, outre garantir le respect de leurs choix peuvent être de ne pas vouloir importuner les proches. Ils souhaitent cependant que le médecin aborde luimême la question des DA [94], probablement par manque de connaissance du sujet et des enjeux [79,34]. Les DA demeurent également très dépendantes du contexte culturel et social [95]. En Europe du sud, par exemple, on note peu de DA, peu de LAT, une information limitée sur le pronostic en comparaison de l'Europe du nord [96]. Au sein des minorités culturelles américaines (et indépendamment du niveau de revenus), les DA sont moins répandues pour des raisons multiples [97] [30 % du taux constaté chez les sujets de race blanche [98] et les conflits à propos des limitations de traitement sont plus fréquents (au sein de la famille et avec les médecins)]. Cela augmente le nombre de patients décédant avec une réanimation non limitée [99]. On l'explique en partie par un souhait accru de traitements maximaux (et par le refus d' « une exclusion de plus ») [100] et donc une moindre propension aux limitations de traitement [101]. On le voit, les facteurs socioculturels sont bien réels et importants à prendre en compte tant ils diffèrent entre pays ou communautés, ce qui fait que le modèle « blanc/ nord-américain » n'est pas forcément universel, même s'il domine dans la littérature [102]. Se pose également la question des ressources financières nécessaires (notaire) pour officialiser les DA dans certains cas (power of attorney aux États-Unis, mandat de protection future notarié, en France) et le niveau d'éducation qui constitue une barrière reconnue à leur élaboration, notamment au sein des minorités peu scolarisées [103–105]. Les textes régissant les DA étant du niveau de classe terminale [95]. Dix pour cent des formulaires de DA correspondent à un niveau de lecture équivalent ou plus simple que celui du lecteur américain moyen [106]. Des formulaires illustrés, rédigés simplement, accessibles par le plus grand nombre sont préférés [107]. Les complexités administratives peuvent être dissuasives (acte notarié, non reconnaissance de proches extra-familiaux ou comme personne de confiance, etc.). Enfin, les termes de réanimation cardiorespiratoire, ventilation mécanique et pronostic sont mal connus et mal compris des patients [108]. Après explication, nombre d'entre eux refusent ces traitements si la guérison espérée est inférieure à 10 % [109]. La stabilité des DA au cours du temps est importante à considérer. Il semblerait que les choix soient stables sur une durée de 1–2 ans [110]. D'autres montrent que pour des patients souffrant de pathologies chroniques graves, 38 % changent d'avis à propos de la réanimation cardiorespiratoire et de la ventilation mécanique, un an après leur DA initiale [5]. Enfin, les patients souhaitent envisager les DA plus tôt que ne l'envisagent les médecins ; cette discussion devant selon eux être à l'initiative du médecin [111]. Les proches Le positionnement des proches est complexe et laisse une grande part à l'aspect émotionnel et à des sentiments très tome 1 > n83 > juin 2015 Aides pour les DA Parmi les diverses méthodes incitatives testées, c'est l'association de matériels pédagogiques et d'aide mémoires électroniques pour les médecins lors de bilans de santé (qui « surgissent » automatiquement lors des consultations) qui semblent le plus à même d'augmenter le taux de DA (passant de 4 % à 21–24 %) [120–122]. D'autres ont montré que le rappel aux médecins seuls était moins opérant, mais que son association avec des documents sur les DA envoyés aux patients augmentait de 15 % ces DA [123]. Enfin, pour d'autres, l'association de moyens incitatifs vis-à-vis des patients doublent le taux de DA [124] avec un net effet de la répétition [125]. On peut penser qu'une telle aide médicale puisse favoriser la relation médecin/malade et ce d'autant que le patient pourra être certain que ses DA seront prises en compte. L'objectif des DA serait aussi d'envisager la fin de vie dès que la question se pose, pour permettre d'aborder et de débuter les soins palliatifs au moment opportun et non en ultime recours. En témoigne, l'étude pivot de Temel et al. [126] chez des patients atteints de cancer du poumon métastasé qui fait référence : des soins palliatifs débutés en même temps que le plan de soin du cancer améliorent survie et qualité de vie. Une autre étude rapporte que d'envisager la fin de vie avec des patients cancéreux en phase avancée (délai médian de décès : 4 mois) n'augmente pas l'anxiété ou la dépression. Cela permet moins d'admissions en réanimation et plus d'admissions en hospice où contrairement aux services « aigus » la qualité de vie est meilleure, les soins agressifs moindres (ces derniers générant plus de dépression chez les proches et une moindre qualité de vie chez le patient) [127]. Ailleurs, 81 % des patients randomisés et par là encouragés à formuler des DA ainsi que la désignation de la personne de confiance, l'ont fait, par rapport tome 1 > n83 > juin 2015 à 31 % dans le groupe témoin. Les proches sont comme précédemment moins anxieux et moins dépressif [39]. La fin de vie n'est pas une période clairement identifiée. Il s'agit en effet le plus souvent d'un processus de déclin graduel. Or, les médecins sont souvent peu enclins et non formés à établir un pronostic de fin de vie tandis que les patients ne sont pas non plus toujours à même d'identifier qu'ils ont atteint cette phase [128]. Il est par ailleurs difficile pour le patient et le médecin d'anticiper les résultats du traitement d'une poussée de la maladie : réussi, ce traitement sera salvateur, en échec on peut alors passer du côté d'un accompagnement de la fin de vie moins agressif. Comment formaliser ces choix par anticipation et par écrit ; a fortiori si cet échange à propos du futur n'a pas été initié précocement dans le cours de la maladie ? Ceci d'autant que les préférences du patient évoluent au fil de l'altération de son état [129]. On sait également que l'ajout systématique de thérapeutiques au gré des comorbidités successives augmente les effets secondaires, auxquels les patients sont plus sensibles que les prescripteurs [130] ! Faut-il des DA spécifiques selon les pathologies ? Elles sont proposées comme plus pertinentes par certains car elles envisageraient plus les symptômes que des états ou des diagnostics [131]. Enfin, certains suggèrent des points à discuter avec les patients à l'admission pour le guider dans sa réflexion [132] : qui voudriez-vous ou pas, comme votre représentant (personne de confiance) pour prendre des décisions en votre nom, si vous n'en êtes plus capable ? jusqu'où voulez-vous que la personne de confiance soit impliquée et décide en votre nom ? quelles indications lui avez-vous données en ce sens ? vos proches sont-ils au courant de cette désignation et de ces indications ? quel niveau de flexibilité voulez-vous dans l'application de vos DA ? comment envisagez-vous le moment où les traitements actuels seront inefficaces ? souhaitez-vous des mesures thérapeutiques supplémentaires, avec des inconvénients probables et des effets incertains ? surtout quelles sont vos préférences pour la vie à venir ? Pour les patients incapables de s'exprimer les questions suivantes peuvent être posées aux proches [133] : parlez-moi de votre proche ; la situation actuelle est celle-ci ; le devenir le plus probable est celui-là. . . ; quelqu'un de votre famille a-t-il déjà vécu cela ? quelles sont les valeurs les plus importantes pour lui/elle (le/ la patient(e)) ? voici ce que nous proposons. Cela vous semble-t-il en accord avec ses valeurs ? y a-t-il un consensus parmi les proches ? Sinon, comment pensez-vous y parvenir ? 207 contradictoires (ne pas manquer une chance de guérison, participer, accompagner sans hâter la mort, décider ou ne pas décider, éviter des souffrances inutiles. . .) [112]. En outre, la personne de confiance ne connaît pas toujours les souhaits du patient [113]. Pourtant, si les décisions de fin de vie impliquant les proches ont un effet négatif durable sur un tiers d'entre eux [114], l'existence de DA clarifiant les choix du patient permettent de réduire la charge émotionnelle des proches [114]. Cela concerne en particulier le sentiment de détresse impuissante [115]. La qualité des relations patient/proches est déterminante : si elle est bonne, elles favorise l'élaboration de DA [116,117]. Ces relations peuvent aussi orienter les représentations : chez les traumatisés crâniens, des relations patientproches très fortes incitent ces derniers à privilégier l'hypothèse d'un effet thérapeutique bénéfique et d'une amélioration, quelles que soient les lésions objectives [118]. Enfin, les patients sans famille ni proches et sans DA « bénéficient » de soins plus longs et agressifs, administrés en quelque sorte « par défaut » [119]. Article spécial Directives anticipées Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. Conclusions Les DA sont avant tout pensées pour permettre l'expression de l'autonomie du patient hors d'état d'exprimer sa volonté. Elles sont de ce fait étroitement liées à la désignation de la personne de confiance. Elles doivent contribuer aux décisions médicales en fin de vie ou en situation de coma végétatif. Elles sont également pressenties comme permettant la diminution des souffrances induites par des thérapeutiques devenues inutiles ou indésirables. En limitant les traitements vains, elles devraient également aboutir à une diminution des coûts financiers en fin de vie. Or, l'expérience montre que ces buts, aussi légitimes soient-ils, se heurtent à des difficultés. Il est souvent complexe pour un patient de se préfigurer la portée exacte de choix, tels qu'ils se poseront un jour. De cette difficulté découle la question de rendre ou non les DA opposables. Un exposé de ses valeurs et de ses préférences, par le patient lui-même aidé par son médecin ; de ses attentes, exprimées sous forme de soulagement des symptômes ; de ses sentiments et convictions constitue un élément clé de la démarche. À défaut, les seuls énoncés du souhait ou du refus de traitements ou de réanimation « standard et hors contexte » qui recouvrent un nombre important de situations souvent contradictoires et impossibles à formaliser de façon univoque ne peuvent que pérenniser les difficultés. Plus encore, l'exposé de ces valeurs, formulé tôt, pourrait permettre au patient d'imposer dès la maladie grave connue, un plan de soins sans acharnement (si tel est son souhait) et encourager fortement les médecins à associer précocement une démarche palliative aux traitements dits « curatifs ». Cette démarche par anticipation, autour des valeurs personnelles, protège également le patient de ses proches (et réciproquement), aussi bien intentionnés soient-ils. Au final et au-delà des patients, les DA interpellent peut-être plus encore les médecins incités à aborder plus tôt et plus souvent la fin de vie avec leurs patients pour favoriser un accompagnement que des limitations de thérapeutiques actives, décidées en méconnaissance des préférences des patients ne remplaceront jamais. À défaut, toutes les ambiguïtés, tous les échecs s'expliquent aisément. Néanmoins, envisager sa propre fin n'est ni facile, ni le souhait de tous. Les DA ne peuvent dès lors que demeurer optionnelles. L'anticipation individuelle d'une situation de coma végétatif constitue un volet important des DA. Les limites de validité (3 ans) imposées actuellement ne sont pas logiques dans ce cas et justifieraient une dérogation spécifique au cadre légal actuel. Ce faisant, on peut espérer qu'une telle mesure facilite auprès de la population générale l'appropriation des DA. Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article. Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] 208 [8] Council of, Europe, Recommendation CM/Rec (2009)11 of the Committee of Ministers to member states on principles continuing powers of attorney and advance directives for, incapacity. Eur J Health Law 2010;17: 205–10. Les droits du malade en fin de vie;[1–38]. 2004, http://www.senat.fr/lc/lc139/ lc1390.html. Brown BA. The history of advance directives. A literature review. J Gerontol Nurs 2003;29: 4–14. Browne A, Sullivan B. Advance directives in Canada. Camb Q Healthc Ethics 2006;15: 256–60. Olick RS. Defining features of advance directives in law and clinical practice. Chest 2012;141:232–8. Bomba PA, Kemp M, Black JS. POLST: an improvement over traditional advance directives. Cleve Clin J Med 2012;79:457–64. Pope TM, Hexum M. Legal briefing: POLST: physician orders for life-sustaining treatment. J Clin Ethics 2012;23:353–76. 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Article spécial Directives anticipées ANNEXE 25 Rubriques Questions à réponse libre Exemples Commentaires/explications Contexte Exprimez votre ressenti sur votre état physique passé et actuel Quel est votre vécu personnel qui vous incite à rédiger des DA ? Le but est de pouvoir prendre en compte des situations futures selon vos souhaits réels Description des mesures de réanimation usuelles (ventilation, défibrillation, réanimation de l'arrêt cardiaque. . .) permettant le maintien en vie, en urgence et posent un problème de décision si le patient ne peut exprimer des choix. Idem pour les démences progressives Quel est votre état de santé actuel ? Capacité de discernement Je suis en bonne santé J'ai ou ai eu des maladies/handicap lourds J'ai des douleurs qui ont le retentissement suivant :. . . Je suis dépendant de tel traitement, ce qui a telle implication dans ma vie courante Je suis atteint de telle maladie, et mon pronostic est le suivant : . . . Voici ce que j'attends de la vie et/ou de mes traitements : . . . Mentionner que vous êtes en pleine possession de vos moyens et à défaut, faire figurer une mention signée de votre médecin attestant de votre capacité de décision actuelle État tome 1 > n83 > juin 2015 J'ai peur de la mort, mal vécu la mort d'un proche, je vis seul, Je ne voudrais pas constituer un fardeau pour mes proches L'interprétation de vos DA impose de lever au mieux d'éventuelles ambiguïtés : faites-vous aider de votre médecin 211 Exemples de rubriques relevées dans différents formulaires de DA24, Article spécial B. Al Nasser, A. Attias, H. Baghdadi, A. Baumann, J.E. Bazin, L. Beydon, et al. Annexe (Suite). Rubriques Questions à réponse libre Exemples Traitements Buts des traitements envisagés Bénéficier d'une réanimation à condition de pouvoir retrouver mon état antérieur Bénéficier de traitements visant à soulager mes douleurs et non à prolonger ma vie Bénéficier de traitements me permettant de retourner chez moi, et non de mourir à l'hôpital Soins intensifs, réanimation en urgence Quelles sont vos choix ? Handicap Quels sont les handicaps que vous accepteriez ou non ? Mes derniers instants 24 212 25 Je souhaite ou non être pris en charge en Vos choix permettront d'éclairer les soignants sur la réanimation conduite à tenir : limiter ou ne pas entreprendre de mesures prolongeant la vie, se limiter à traiter les Je souhaite désormais ne pas être hospitalisé et mourir chez moi douleur ou au contraire tout faire pour tenter de vous Je veux vivre le plus possible et bénéficier de guérir ou améliorer même transitoirement votre état tous les traitements disponibles. . . clinique En cas de coma végétatif ou chronique, je ne veux pas être maintenu en vie par une alimentation artificielle Pouvoir être mobilisé en fauteuil roulant Dépendre d'un appareil de respiration artificielle Garder le lit en permanence Vivre des douleurs importantes que j'arrive à gérer Subir des douleurs incontrôlables Ne pas être maître de mon corps (vessie, intestin) Perdre l'usage de la parole et/ou de la compréhension Ma souffrance actuelle est devenue insupportable Comment et où mourir ? Avec une prise en charge de soins palliatifs Avec mes proches, à domicile Avec mes proches, peu importe le lieu Avec l'aide de telle communauté spirituelle Don d'organes Si le contexte le rend possible Je souhaite faire don de mes organes en vue de greffe et/ou pour la science Je ne souhaite pas faire don de mes organes Personne de confiance ou mandataire Coordonnées de cette personne Voici le niveau de délégation que je lui concède Nature du contrat, lieu où il se trouve Voici la ou les personnes que je ne veux pas impliquer, ni voir intervenir dans mes choix de fin de vie En cas de désaccord formel sur l'interprétation de mes DA Commentaires/explications Ces rubriques sont des exemples. Essayez de vous figurer ce que vous souhaitez ou ne souhaitez pas. Ces choix interviendront si vous n'êtes plus en mesure de vous exprimer Prendre toute mesure selon ce que je lui ai indiqué, Prendre toute mesure qui lui paraît défendre au mieux mes souhaits (tout n'étant pas prévisible par avance), Décider avec le corps médical. . . Mr/Mme X Je veux que soit appelé : Mr/Mme X La personne désignée par moi sera souveraine Le corps médical sera le mieux en mesure de faire les bons choix ASSM/FMH (Académie suisse des sciences médicales). http://www.fmh.ch/files/pdf11/PV_f_Ausfuehrliche_Version.pdf. Humanistischer Verband Deutschlands : https://patientenverfuegung.de/standard/pdf/spv-fragebogen-aktuell.pdf. tome 1 > n83 > juin 2015