EthicaClinica,n°84–Décembre2016 1
Lejustetempsdessoins
Peut‐onmesurerletempsqu’ilconvient,humainement,depasserauprèsd’unpatient?Qui
ditmesure,ditrègledemesure.Aujourd’hui,onadeplusenplusl’impressionqueletempoestdicté
soitparlatechnique,soitparl’économique.Larègletechniqueréduitlamaladieàunepathologie
objective,nécessitantuneinterventionstandardiséequel’onveutlaplusbrèvepossible.Si,
techniquement,ilestpossibled’opérerenhôpitaldejour,alorsc’estcettedurée‐làquiferaloi.La
règleéconomique,quiestsouventassociéeàlapremière,sebasesurleseuilderentabilité:étant
donnélesmoyensfinanciersdisponibles,onétablitlenombredeconsultationsparjour,ouletaux
d’occupationdessallesd’opération,ouencore,onfixelenombredetoilettesqu’uneinfirmièreou
qu’uneaide‐soignantedoiventaccomplirparheure.Onorganiseletravail(lesdéplacements,
l’ergonomie,etc.)afindegagneruneminuteici,uneautrelà‐bas…Ondéterminedesduréesde
séjourenfonctiondecellesquisontfinancées.Aprésenterleschosesainsi,oncomprendmieuxque
laquestiondel’organisationdutempsestunequestionéminemmentéthique.Car,considérées
seules,cesrèglesdemesurenetiennentaucunementcomptedelapersonne,qu’ils’agissedu
patientouduprestatairedesoins.
Sil’onréintroduitceparamètrehumaindanslamesuredutempsadéquat,sidonccesontles
personnesquideviennentlarègledemesure,toutsecomplique.Cariln’yaplusdestandardisation
possible.Ondevraserésoudreàconstatereneffetqueletempsjustedevientceluiqu’ilfaut,en
fonctiondelarelation,c’est‐à‐dire,enfonctiondespersonnesenprésence:tempscourtpourl’un,
tempslongpourl’autremalgréunepathologiesimilaire,nécessitantlamêmeopération,etles
mêmessoins.Larègle,ici,n’estpluscelled’unstandardfixéunefoispourtoute,etuniversaliséeà
l’ensembledesprestationsdesoinsdumêmegenre.Larègledevientcelle,beaucoupplus
inconfortable,dujustemilieuenfonctiondelasituation,cequimobilisenotrecapacitéàdélibérer
pourjugeraucasparcas.
Letempsadéquatseraitdoncunjustemilieuentredeuxextrêmes:l’unpardéfaut,àsavoir
troppeudetemps;l’autreparexcès,àsavoirtropdetemps.Passertroppeudetemps,c’estfaire
violenceaupatientennerencontrantpassesbesoins.Parexemple,onrestesidéréd’apprendre,de
labouchedecertainsmédecinshospitaliersmaisaussidemédecinsgénéralistes,quevuleur
planningsurchargédeconsultations,ilsn’ontplusmatériellementletempsd’informercorrectement
lespatientsetdes’assurerdeleurcompréhensionetdeleurconsentement.Certainshôpitaux
tententdecontournercettedifficultéenorganisantdesséancesd’informationscollectivesàheure
fixe.C’estmieuxquerien,maislepatientyperdendiscrétion,enconfidentialitéetenrelation
personnalisée.Ceuxquisontmalàl’aisedevantun«public»n’oserontpasposerleursquestions,
etc.Surtout,cettemesureempêchedeseposerlesbonnesquestions:est‐ilnormalqu’unmédecin
voitdesmaladesàlachainesansplusavoirletempsd’unéchangetoutsimplementhumaineten
redoutantlepatientquiluiposeraittropdequestions?Autredramedestempstropcourts:le
retouraudomicilequi,lorsqu’ilestcompliqué(familledéfaillante,logementinsalubre,solitude,
fragilitédelapersonne,servicesàdomicilesurchargés,listed’attenteenmaisonderepos,…)
malmènelepatientetlaisseungoûtameràl’assistantsocial.Etaussiauxsoignants:uneéquipede
soinspalliatifsrapportaitrécemmentsondésarroifaceàcespatientsaccueillisdansleurservicepour
uneduréelégaled’unmois,etqui,voyantl’échéanceapprocher,préféraientintroduireune
demanded’euthanasie(ilsremplissaientparailleurslesconditions)plutôtquederentrerchezeuxou
enmaisonderepos.