abc pratique quotidienne Ann Biol Clin 2007 ; 65 (4) : 417-20 Fluoxétine et syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique chez le sujet âgé : à propos d’un cas Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Fluoxetine and inappropriate antidiuretic hormone secretion in elderly patients: a case report S. Siah1 H. Benziane2 A. Dami3 J. Lahlou1 F. Mahassine4 J. Chaari4 I. Ihrai1 Résumé. Les personnes âgées peuvent risquer davantage d’être atteintes d’hyponatrémie liée à l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine. Les médecins qui traitent des patients âgés devraient être conscients de cet effet indésirable qui pourrait être grave, mais qui est réversible. L’observation d’un nouveau cas de SIADH induit par la fluoxétine chez une patiente de 65 ans est l’occasion de rappeler les principaux aspects de cette entité pathologique qui doit être suspectée devant une hyponatrémie, une hypoosmolalité sanguine et une osmolarité urinaire élevée. 1 Mots clés : hyponatrémie, syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH, fluoxétine Service des brûlés, <[email protected]> 2 Service de pharmacie hospitalière, 3 Service de biochimie, toxicologie et expertise, 4 Service de médecine interne, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, Rabat, Maroc Article reçu le 13 décembre 2006, accepté le 4 avril 2007 Abstract. Elderly people are more likely to be affected by hyponatremia related to the use of specific inhibitors of serotonin recaptation. Doctors who treat old patients should be aware of this adverse effect which can be serious but is reversible. The observation of a new case of SIADH induced by fluoxetine in a 65 years-old patient is the opportunity to point out the main aspects of this pathological entity which must be suspected in case with hyponatraemia, blood hypoosmolality and high urinary osmolarity. Key words: hyponatraemia, syndrome of inappropriate antidiuretic hormone secretion, fluoxetine doi: 10.1684/abc.2007.0140 Le syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH) est la conséquence d’un excès d’hormone antidiurétique (ADH) d’origine neurohypophysaire ou ectopique, ou de l’exagération de son effet rénal. Ses causes sont tumorales, neurologiques, bronchopulmonaires et iatrogènes. Nous rapportons un cas de SIADH induit par la fluoxétine (Prozac® 20 mg) chez une patiente de 65 ans. L’observation Madame KB âgée de 65 ans, ayant comme antécédents médicaux : des troubles de l’humeur, une hypertension artérielle traitée par b-bloquant (bétaxolol : 20 mg/j) et un inhibiteur calcique (amlodipine 10 mg/j), et chirurgicaux : Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 une mastectomie gauche suivie de radiothérapie en 1973 pour une néoplasie du sein gauche, a été hospitalisée dans notre service pour perte de substance thoracique apparue il y a 3 mois. L’examen préopératoire a trouvé une patiente en assez bon état général (1,65 m ; 55 kg), apyrétique, un état hémodynamique stable sous antihypertenseurs. Le bilan paraclinique préopératoire a compris une radiographie pulmonaire normale, un électrocardiogramme montrant des signes de surcharge systolique, une échocardiographie transthoracique objectivant une cardiopathie hypertensive à fonction systolique conservée (la fraction d’éjection a été mesurée à 50 %), une tomodensitométrie thoracoabdominale retrouvant une rétraction séquellaire de l’hémithorax gauche, en l’absence de signe d’envahissement tumoral. 417 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. pratique quotidienne Le bilan sanguin est le suivant : globules rouges : 5 620 g/L (N : 4 000-5 400 g/L) ; hémoglobine 12,1 g/dL (N : 12-16 g/dL) ; globules blancs : 6,5 g/L (N : 4-10 g/L) ; natrémie : 141 mmol/L ; kaliémie : 5 mmol/L ; urée : 5,17 mmol/L, créatinine : 56,3 lmol/L, glycémie : 5,67 mmol/L. La patiente a été opérée pour recouvrement par le grand dorsal de la paroi thoracique gauche, sous anesthésie générale. L’induction de l’anesthésie a été réalisée avec du fentanyl, de l’hypnomidate et de l’atracurium. L’entretien de l’anesthésie a été assuré par du propofol au pousseseringue électrique. La durée de l’intervention a été de 3 heures. En postopératoire la patiente a reçu une héparine de bas poids pour la prophylaxie de la maladie thromboembolique : (énoxaparine : 40 mg/24 heures en SC), un antalgique (paracétamol : 1 g/6 heures en IVD), un antihypertenseur (bétaxolol : 20 mg/24 heures), et une réanimation hydroéléctrolytique (sérum salé 0,9 % : 500 mL/ 6 heures). En raison d’une angoisse, d’insomnie et d’antécédents de trouble de l’humeur, un avis psychiatrique a été demandé et un traitement à base de fluoxétine 20 mg/j et bromazépam 6 mg/j a été prescrit. À J+4 la patiente a présenté un syndrome clinique fait de céphalées, obnubilation et nausées. L’état hémodynamique était stable : TA : 150/70 mmHg ; FC : 80 bat/min ; PVC : 9 mmHg. Un examen neurologique a décelé une hypoesthésie vibratoire légère du membre inférieur droit. Il n’y avait pas de signe méningé. Le bilan biochimique sanguin et urinaire pratiqué sur l’automate (Cobas Integra 400 Roche Diagnostics) a montré : une hyponatrémie sévère à 115,2 mmol/L (N : 136-145 mmol/L) ; une hypokaliémie à 2,89 mmol/L (N : 3,4-4,5 mmol/L) ; chlorurémie : 93,2 mmol/L (N : 98-107 mmol/L), déterminées par potentiométrie indirecte sur plasma. L’urée est mesurée : 3 mmol/L (N : 1,6-8,25 mmol/L), son dosage a été réalisé par la méthode enzymatique à l’uréase. La créatininémie : 61,6 lmol/L (N : 62-106 lmol/L), dosée par la réaction de Jaffé cinétique tamponnée sans déproténisation. La glycémie déterminée par la technique à l’hexokinase est de 5 mmol/L (N : 3,05-6,38 mmol/L). Une hyposmolarité à 244 mOsm/L est observée (N : 295-305 mOsm/L). L’ionogramme urinaire a montré : sodium : 219 mmol/ 24 heures (N : 40-220 mmol/24 heures), potassium : 22 mmol/24 heures (N : 25-125 mmol/24 heures) ; chlorure : 240 mmol/24 heures (N : 110-250 mmol/ 24 heures) ; urée : 4 mmol/24 heures (N : 250-500 mmol/ 24 heures) ; osmolarité urinaire : 339 mOsm/L (N : 100800 mOsmo/L) ; créatinine : 1,32 lmol/24 heures (N : 10-18 lmol/24 heures). Un dosage de la cortisolémie est revenu normal à 329 nmol/L (N : 171-536 nmol/L). Le dosage des hormones thyroïdiennes n’a pas montré d’anomalie. Ces dosages 418 ont été effectués par la technique d’électrochimiluminescence sur l’automate Elecsys2010 (Roche Diagnostics). Le diagnostic de syndrome de sécrétion inapproprié d’ADH est suspecté devant l’association d’une hyponatrémie, d’hypo-osmolarité plasmatique, d’une natriurèse conservée, en l’absence d’hypovolémie et d’hypotension artérielle. Le traitement par la fluoxétine a été arrété. Le traitement de l’hyponatrémie a consisté en une restriction hydrique associée à un diurétique (furosémide : 40 mg/24 heures), la perfusion de 2 litres de sérum salé isotonique sur 48 heures, ainsi qu’une recharge potassique. L’évolution clinique et paraclinique a été satisfaisante. L’ionogramme sanguin réalisé à J+6 a montré : natrémie : 137 mmol/L ; kaliémie : 3,98 mmol/L ; urée : 2,67 mmol/L ; osmolarité sanguine : 291 mOsm/L. L’ionogramme urinaire a montré : sodium : 139 mmol/L ; osmolarité urinaire : 347 mOsm/L. Du point de vue étiologique, un bilan pneumologique, un bilan radiologique comprenant une tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne, un dosage des marqueurs tumoraux (CA15-3, CA125, NSE, Cyfra21), effectué par la technique d’électrochimiluminescence sur l’automate Elecsys 2010 (Roche Diagnostics), a été demandé en médecine interne à la recherche d’une récidive tumorale, d’un syndrome paranéoplasique et d’une tuberculose. Toutes les explorations sont revenues négatives. Le diagnostic le plus probable a été une hyponatrémie par un SIADH induit par la fluoxétine administrée en situation post-opératoire. Discussion Le SIADH est une urgence médicale de diagnostic difficile devant une hyponatrémie. La prise en charge en milieu de réanimation est nécessaire pour corriger les troubles hydro-éléctrolytiques et adapter la surveillance hémodynamique et la diurèse. La coopération du réanimateur et du biologiste est importante pour poser le diagnostic et le suivi thérapeutique. Notre patiente a présenté des signes neurologiques avec céphalées, obnubilation et des signes digestifs à types de nausées. L’état hémodynamique était stable et la pression veineuse centrale normale à 9 mmHg. L’ionogramme sanguin réalisé en urgence a retrouvé une hyponatrémie sévère, une hypoosmolalité et une hypokaliémie. L’osmolalité urinaire était élevée. Les signes cliniques, quand ils existent, sont neurologiques et non spécifiques. Leur sévérité dépend de l’importance de l’œdème cérébral osmotique et ainsi de la rapidité d’installation de l’hyponatrémie. Biologiquement, il s’agit d’une hyponatrémie hypotonique à volume extracellulaire normal ou augmenté, associée à une natriurèse élevée, l’osmolalité urinaire étant supérieure à l’osmolalité sanguine. Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Fluoxétine et hyponatrémie L’étiologie du SIADH chez notre patiente n’était pas évidente. Mais trois éventualités se dégageaient : une cause néoplasique, une étiologie postopératoire et finalement une origine médicamenteuse. L’augmentation de la sécrétion d’ADH est fréquente en post-opératoire surtout dans les suites d’une chirurgie majeure [1-3]. Un bilan complet a été réalisé en médecine interne à la recherche d’une cause bacillaire, néoplasique, ou paranéoplasique ; celui-ci est revenu négatif. L’hyponatrémie fait bien évidemment suspecter une insuffisance surrénalienne aiguë mais l’absence d’hypotension artérielle, d’hypovolémie, d’insuffisance rénale fonctionnelle et une cortisolémie normale éliminent ce diagnostic. L’étiologie médicamenteuse semble la plus probable, car l’arrêt de la fluoxétine a permis une restauration de l’état clinique et biologique. L’hyponatrémie s’est installée juste après la prise de fluoxétine et son arrêt a entraîné une normalisation de la natrémie. La fluoxétine est un antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine qui a bénéficié d’une grande popularité depuis sa commercialisation en 1988. C’est le chef de file des inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine, antidépresseur le plus prescrit dans le monde, administré à raison d’une prise par jour, il est bien toléré, sans effets sédatifs. Le SIADH peut être observé avec un grand nombre de médicaments, essentiellement des inhibiteurs sélectifs de la capture de la sérotonine (IRS) comme la fluoxétine [4-7]. Les patients âgés de plus de 65 ans semblent plus susceptibles à cette complication [5, 8]. Plusieurs études ont retrouvé une association, personnes âgées traitées par fluoxétine et SIADH, surtout dans les services de psychiatrie [9, 10]. Une étude réalisée par Liu en 1996 a retrouvé 736 cas d’hyponatrémie et de syndrome d’antidiurèse inappropriée liés à l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine. La fluoxétine était impliquée dans 554 (75,3 %) des cas, la paroxétine dans 91 (12,4 %), la sertraline dans 86 (11,7 %) et la fluvoxamine dans 11 (1,5 %). La période moyenne d’apparition de l’hyponatrémie s’est établie à 13 jours (3 à 120 jours). La plupart (83 %) des cas publiés mettaient en cause des patients de 65 ans ou plus [11]. Pour Wilkinson l’âge, le sexe féminin, le poids faible sont des facteurs de risque corrélés avec la survenue d’une hyponatrémie par SIADH induit par la fluoxétine [12]. Lorsqu’elle est possible, la correction de la cause du SIADH est impérative : suppression d’un traitement par fluoxétine, carbamazépine, traitement d’une méningite, d’une tuberculose... Dans certaines situations (en traumatologie, après chirurgie sur microadénome hypophysaire), le phénomène une fois traité ne se renouvelle pas. Dans tous les cas cependant, la surveillance prolongée de la natrémie reste nécessaire. La restriction hydrique est la Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 mesure thérapeutique la plus importante et la plus adaptée, dont l’efficacité sur la natrémie constitue au surplus l’un des critères du diagnostic [3]. La restriction hydrique limite les apports à 750 ou 1 000 mL par jour. La diurèse est alors toujours supérieure aux entrées et le bilan hydrique est ainsi régulièrement négatif compte tenu des pertes insensibles. Pendant cette période, il est à noter que les patients n’éprouvent pas le besoin de boire et supportent très bien la diète hydrique. Le poids s’abaisse régulièrement et la natrémie s’élève lentement lors des contrôles quotidiens, le risque de myélinolyse centropontine étant ainsi exclu [1]. Lorsque l’hyponatrémie est sévère, inférieure à 120 mmol/L avec des signes neurologiques, une réanimation hydroélectrolytique est nécessaire. Du furosémide intraveineux 20 à 40 mg sera prescrit au préalable pour éviter une hypervolémie et un œdème pulmonaire hémodynamique [13]. Notre patiente a bénéficié d’un apport hydoélectrolytique progressif à base de sérum salé isotonique et de furosémide intraveineux 40 mg. La natrémie s’est corrigée en 48 heures. Conclusion La diversité des causes, tant médicales que chirurgicales, ne doit pas occulter le fait que l’hyponatrémie est l’élément de gravité central au cours du SIADH. Elle doit par conséquent être reconnue et traitée. Les personnes âgées sont plus susceptibles d’être atteintes d’hyponatrémie liée à l’utilisation de fluoxétine [14]. La vigilance de la part des médecins s’impose chez les patients traités par inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, mais il faut surtout y penser pour éviter cet effet indésirable. Un ionogramme sanguin reste le monitorage nécessaire pour détecter une hyponatrémie. La correction de la cause et la restriction hydrique représentent l’essentiel du traitement. Une natrémie inférieure à 120 mmol/L nécessite une recharge sodée. La coopération du biologiste et du réanimateur est la clé de la réussite de la prise en charge de cette urgence médicale. Références 1. Grenier B, Boulard G, Ravussin P. Actualité du syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique en réanimation. Société française d’anesthésie réanimation. Conférences d’actualisation. Paris : Elsevier, 1996 ; 447-62. 2. Callewart CC, Minchew JT, Kanim LEA, et al. Hyponatremia and syndrome of inappropriate antidiuretic hormone secretion in adult spinal surgery. Spine 1994 ; 19 : 1674-9. 3. Soroker D, Azri T, Lurie S, Feld S, Savir I. Symptomatic hyponatremia due to inappropriate antidiuretic hormone secretion following minor surgery. Can J Anaesth 1991 ; 38 : 225-6. 419 pratique quotidienne 4. Gommans JH, Edwards RA. Fluoxetine and hyponatremia. N Z Med J 1990 ; 103 : 106. 5. Kazal L, Hall DL, Miller LG, et al. Fluoxetine-induced SIADH : a geriatric occurrence ? J Fam Pract 1993 ; 36 : 341-3. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 6. Blackstern JV, Birt JA. Syndrome of inappropriate secretion of antidiuretic hormone secondary to fluoxetine. Ann Pharmacother 1993 ; 27 : 273-4. 10. Burke D, Franker S. Fluoxetine and the syndrome of inappropriate secretion of antidiuretic hormone (SIADH). Aust N Z J Psychiatry 1996 ; 30 : 295-8. 11. Liu BA, Mittmann N, Knowles SR, Neil H. Hyponatremia and the syndrome of inappropriate secretion of antidiuretic hormone associated with the use of selective serotonin reuptake inhibitors : a review of spontaneous reports. Can Med Assoc J 1996 ; 155 : 519-27. 7. Cohen BJ, Mahelsky M, Adler L. More cases of SIADH with fluoxetine. Am J Psychiatry 1990 ; 147 : 948-9. 12. Wilkinson TJ, Begg EJ, Winter AC, Sainsbury R. Incidence and risk factors for hyponatraemia following treatment with fluoxetine or paroxetine in ederly people. Br J Clin Phamacol 1999 ; 47 : 211-7. 8. Richard J, Goldberg MD. Selective serotonine reuptake inhibitors. In frequent medical adverse effects. Arch Fam Med 1998 ; 7 : 78-84. 13. Wachsberg RH, Kurtz AB. Use of furosemide in patients with syndrome of inappropriate antidiuretic hormone secretion. Radiology 1992 ; 182 : 898. 9. Jackson CJ, Carson W, Markowitz J, Mintzer J. SIADH associated with fluoxetine and sertraline therapy. Am J Psychiatry 1995 ; 152 : 809-10. 14. Fonzo-Christe C, Vogt N. Susceptibility of the elderly patient to hyponatremia induced by selective serotonin reuptake inhibitors. Therapie 2000 ; 55 : 597-604. 420 Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007