CHRONIQUE DU DROIT
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no267 - novembre 2001
QUELS SONT LES TEXTES QUI DÉFINISSENT
LE SECRET PROFESSIONNEL ?
Depuis 1810, le code pénal sanctionne la violation du secret
professionnel. Lors de la refonte du code pénal en 1994,
l’article 378 a été remplacé par l’article 226-13 : “La révélation
d’une information à caractère secret par une personne qui en est
dépositaire soit par son état ou sa profession, soit en raison d’une
fonction ou d’une mission temporaire est punie d’un an d’empri-
sonnement et de 15 244,9 (100 000 F) d’amende”. C’est là le
seul texte qui définisse le secret professionnel. Cette définition,
on peut le constater, est suffisamment large pour engendrer toutes
sortes d’interrogations.
À première lecture, trois remarques s’imposent.
– L’élément central est la révélation d’une information à carac-
tère secret. C’est au regard de cette notion de secret confié que
doit se construire tout raisonnement.
– Le texte n’évoque pas le secret médical, mais le secret profes-
sionnel, et ne définit pas les professions concernées. Le même
texte doit être adapté aux médecins, aux banquiers, aux avocats,
et c’est en fonction de la nature de l’information confiée que l’on
apprécie si elle relève ou non du régime du secret professionnel.
Le secret est défini par la loi, et encore par la loi pénale. C’est
dire la solennité de la règle. Raisonner sur le secret renvoie tou-
jours à cette référence fondamentale : les intérêts en cause sont tels
qu’ils légitiment l’intervention de la loi pénale, dont la mission est
de défendre les valeurs fondamentales, fondatrices de la vie sociale.
QUE DIT LE CODE
DE DÉONTOLOGIE MÉDICALE ?
Un non-juriste pourrait être tenté de faire le parallèle entre deux
codes, un code pénal et un code de déontologie. Ce parallèle n’a
pas grand sens. Le code de déontologie n’est certes pas un texte
secondaire, mais il ne saurait être comparé à une loi pénale. C’est
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un décret, en l’occurrence le décret 95-1000 du 6 septembre 1995,
et un décret doit respecter le cadre de la loi. Le décret qu’est le
code de déontologie précise la notion de secret au regard des don-
nées de l’exercice médical, mais il ne saurait contrevenir aux dis-
positions législatives. L’article 4 du code souligne cette subor-
dination à la loi :
“Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients,
s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du méde-
cin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce
qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu, ou compris”.
Deux autres dispositions du code évoquent le secret :
• Article 72 al 1 : “Le médecin doit veiller à ce que les personnes
qui l’assistent dans son exercice soient instruites de leurs obli-
gations en matière de secret professionnel et s’y conforment”.
• Article 73 al 1 : “Le médecin doit protéger contre toute indis-
crétion les documents médicaux concernant les personnes qu’il
a soignées, examinées, quels que soient les contenus et les sup-
ports de ces documents”.
Si le juge doit d’abord statuer par référence à la loi, il ne saurait
méconnaître les dispositions déontologiques. Pendant longtemps,
on a considéré que le code de déontologie n’était applicable qu’en
matière professionnelle ou disciplinaire. Cette lecture restrictive
n’a plus cours. Les dispositions du code de déontologie sont une
référence générale, et notamment pour le juge pénal amené à sta-
tuer sur une affaire de secret médical. Mais la première référence
reste la loi pénale, et plus particulièrement la jurisprudence abon-
dante qui s’est élaborée à partir du texte pénal.
LE SECRET EST-IL INSTITUÉ DANS L’INTÉRÊT
GÉNÉRAL OU DANS L’INTÉRÊT DES PATIENTS ?
C’est là un débat récurrent, et qui n’est pas clos. Le secret est
issu du code pénal, ce qui signifie qu’il est institué pour des
motifs d’intérêt général. Or, le code de déontologie médicale
précise que le secret est institué dans l’intérêt des malades. Entre
le code pénal, c’est-à-dire la loi, et le code de déontologie, c’est-
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Dix questions sur le secret professionnel
G. Devers*
* Avocat au Barreau de Lyon.
Référence sociale majeure, condition de la confiance dans la relation de soins, le secret professionnel, alors même qu’il relève
d’un régime légal, est d’une analyse très délicate. Le secret professionnel est une indiscutable nécessité et il doit être compris
comme un élément d’ordre public de protection de l’intimité. Mais d’autres intérêts, liés à la cohérence de la vie sociale, justi-
fient des limitations du secret. Le secret se comprend dans cette opposition entre intérêt privé et intérêt public.
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no267 - novembre 2001
à-dire le décret, le match est inégal. Le code de déontologie enri-
chit la loi mais ne peut la redéfinir. La référence est l’intérêt
général. La loi pénale protège le secret professionnel et pas seu-
lement le secret médical. La valeur en cause est la confiance, et
non pas le patient. Le secret est institué dans l’intérêt des
patients... mais des patients entendus collectivement. Le secret
est protégé en tant que valeur collective. Le médecin, quoi qu’il
arrive, est tenu au secret professionnel, non parce qu’il aurait
conclu un accord avec le patient, mais parce que, globalement,
l’exercice médical ne peut exister sans la garantie du secret. La
conséquence est l’indisponibilité du secret : le médecin ne peut
se libérer du secret même si le patient lui demande. Il faut sur
ce plan savoir résister aux modes et aux tentations éphémères.
Trois points s’imposent :
Le secret n’est pas opposable au patient, qui est en droit de tout
savoir sur son état de santé, la seule limite étant que le médecin
doit différer l’annonce d’un diagnostic ou d’un pronostic grave
quand cette annonce serait contraire à l’intérêt du patient.
Le patient lui-même n’est pas tenu par le secret et peut révéler
ce que lui a dit ou écrit le médecin.
Le médecin ne peut s’impliquer dans une violation du secret,
ni la cautionner, car la règle est pour lui d’ordre public.
S’il y a loi, et loi pénale, pour protéger le secret, c’est parce que
l’acte de soin suppose l’intimité et que la loi a choisi de faire pré-
valoir la santé, et en définitive la vie, sur d’autres objectifs.
Lorsque le patient s’adresse à un médecin, il doit savoir que celui-
ci lui dira tout, mais que, quelles que soient les circonstances, il
ne dira rien à autrui. L’interprétation du code pénal est éclairée
par le code civil et notamment la disposition fondamentale de
l’article 9 : “Chacun a droit au respect de sa vie privée”.
QUI EST TENU
AU SECRET ?
La lecture de l’article 226-13 conduit à plus d’interrogations que
de certitudes : état, profession, fonction ou mission temporaire…
L’essentiel est ailleurs : c’est la notion de dépositaire. On revient
à l’idée de secret confié. Toutes les professions de santé sont
concernées. Les textes le prévoient explicitement pour les méde-
cins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les sages-
femmes, les infirmières… mais l’analyse doit être étendue aux
aides-soignants ou aux auxiliaires-puéricultrices, qui, du fait de
leur proximité avec les patients, se trouvent au cœur de nombre
de secrets. Chaque professionnel se trouve dépositaire d’un cer-
tain nombre de secrets du fait de sa fonction.
QU’ENTEND-ON
PAR SECRET PARTAGÉ ?
La prise en charge thérapeutique suppose un travail en équipe et
un partage de l’information. Il n’y a pas de violation du secret
professionnel entre les membres d’une équipe. Ceux-ci doivent
partager les informations qui leur ont été confiées par le patient,
c’est-à-dire, pour reprendre la formule du code de déontologie,
non seulement ce qui leur a été dit, mais encore ce qu’ils ont vu,
entendu ou compris.
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Mais cette notion de secret partagé est restrictive : elle est limi-
tée à ce qui est strictement nécessaire et ne peut déborder le cadre
de l’équipe soignante. Un praticien n’a pas la capacité de consul-
ter un autre praticien non-membre de l’équipe sans l’accord du
patient. Il commettrait alors une violation du secret. Il ne s’agit
pas de raisonner pour éviter la sanction mais pour intégrer le
sens de la règle. Chacun doit comprendre combien il est insup-
portable pour un patient de découvrir que son cas a été discuté
à son insu. À l’inverse, un patient acceptera volontiers que son
médecin confronte ses analyses ou cherche des éclairages com-
plémentaires auprès d’autres praticiens... dès lors qu’on aura sol-
licité son accord.
Cette notion de secret partagé soulève de véritables difficultés
en psychiatrie de secteur car la prise en charge suppose le tra-
vail en commun de professionnels tenus à des secrets profes-
sionnels distincts. Les secrets professionnels du médecin et du
travailleur social se chevauchent mais ne se recoupent pas.
Aucun texte ne résout cette difficulté et la règle doit être la pru-
dence et le souci de défendre l’intimité. Seules les informations
strictement indispensables à la prise en charge peuvent être par-
tagées. La transparence n’est pas une valeur, à l’inverse de la
confiance.
QUELLES SONT
LES DÉROGATIONS LÉGALES ?
Le législateur est à la recherche de l’équilibre entre la préserva-
tion de l’intimité de la relation soignante et le partage d’infor-
mation nécessaire à la cohérence sociale.
La famille et le corps médical sont associés pour déclarer les nais-
sances et les décès. Cette mission incombe en premier lieu à la
famille et à défaut aux professions de santé (code civil, article
56). La loi, par contre, laisse à la femme la possibilité d’accou-
cher sous X et la volonté de la femme s’impose alors à l’équipe
médicale, à l’état civil... et à l’enfant. Un projet législatif est
actuellement discuté, qui mettrait en place un organisme tiers qui
pourrait permettre à l’enfant de reconstituer sa filiation.
Fondée sur les critères de santé publique, la loi a institué cer-
taines déclarations obligatoires bien connues :
• Loi du 30 octobre 1946 : Maladies professionnelles.
• Loi du 15 avril 1954 : Alcooliques dangereux.
• Loi du 3 janvier 1968 : Certificats médicaux en vue de l’adop-
tion d’un régime de protection d’un incapable majeur.
De même, le code de la santé publique impose la déclaration des
cas de maladie vénérienne en période contagieuse, la déclaration
restant anonyme. Le décret du 19 septembre 1996 a rendu obli-
gatoire la déclaration de suspicion de maladie de Creutzfeldt-
Jakob ou d’autres encéphalites subaiguës spongiformes trans-
missibles à l’homme, sous forme nominative.
S’agissant du VIH, la règle est le secret, malgré les tentatives de
remise en cause. L’option retenue est celle de la responsabilisa-
tion des patients, ce qui peut placer le médecin dans une situation
particulièrement inconfortable, quand le patient refuse que sa séro-
positivité soit révélée alors même qu’il est marié ou concubin. Le
médecin est renvoyé à sa force de conviction et à son sens des res-
ponsabilités. Cette incertitude est une condition de la qualité.
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LE CARNET DE SANTÉ
EST-IL COMPATIBLE AVEC LE SECRET ?
La loi a institué des limites au secret, et ces limites légales doi-
vent être respectées. Selon le code de la Sécurité sociale, le car-
net de santé doit être présenté à chaque médecin appelé à donner
des soins. En outre, d’autres professions de santé, chirurgiens-
dentistes, sages-femmes, pharmaciens, auxiliaires médicaux et
directeurs de laboratoire d’analyses et de biologie médicale, sont
autorisées à prendre connaissance des informations qui présen-
tent un intérêt pour le malade et qui sont de leur compétence.
L’article L 162-1-4 du code de la Sécurité sociale ajoute :
“Les praticiens amenés à donner des soins à une personne peu-
vent, avec son autorisation, porter des informations pertinentes
sur son carnet de santé afin de faciliter son suivi médical.
D’autre part, ils peuvent être renseignés dans leur domaine de
compétence en tant que de besoin par les autres professionnels
de santé”.
Ces dispositions législatives cherchent à concilier des nécessi-
tés contraires. Le secret est institué par la loi et, en principe,
seule la loi peut en définir les limites. Mais la loi, dont la mis-
sion est l’harmonisation du rapport social, ne peut se satisfaire
de la coexistence d’une multiplicité de secrets individuels. Elle
doit fixer des limites permettant de concilier le but d’intérêt géné-
ral qu’est la protection de la santé et la prise en charge du patient
par des équipes pluridisciplinaires. Le principe législatif est alors
rudoyé et l’on peut à juste titre parler de violation légale du secret
médical. Cela ne signifie pas que ces violations légales soient
illégitimes, mais les praticiens doivent percevoir que l’on se situe
ici dans une atteinte au principe, justifiant une démarche de
grande prudence.
LE SECRET EST-IL REMIS EN CAUSE
PAR LES CONTRATS D’ASSURANCES ?
Deux situations doivent être distinguées :
– Lorsqu’une personne souscrit un contrat auprès d’une compa-
gnie d’assurances, celle-ci peut prendre en compte un certain
nombre d’éléments médicaux, car il n’y a pas de contrat sans une
juste appréciation du risque. Le souscripteur doit remplir un ques-
tionnaire de santé, qui sera analysé par le médecin de la compa-
gnie d’assurances, et celui-ci donnera un avis. Il n’y a pas de vio-
lation du secret car l’assureur n’a pas de connaissance directe de
la déclaration, et l’assuré a donné son accord à l’examen de son
dossier par un médecin de la compagnie. Le contrat peut égale-
ment prévoir des examens réguliers à la demande de la compa-
gnie d’assurances. Ces examens rentrent dans la logique contrac-
tuelle, et ont donc été acceptés par l’assuré : le secret est préservé.
– Il en serait différemment si une compagnie d’assurances cher-
chait à obtenir des renseignements ou faisait analyser les infor-
mations en sa possession par un médecin sans l’accord de
l’assuré. La violation serait manifeste. Il en serait de même si,
après un décès, on sollicitait l’équipe médicale pour connaître
la cause du décès. Un médecin de compagnie d’assurances n’a
pas d’accès au dossier médical, sauf s’il justifie d’une autorisa-
tion écrite du patient.
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C’est au regard de ce schéma général que doivent être analysées
toutes les situations très complexes liées au jeu des contrats
d’assurance, avec une référence constante : la confiance ne peut
être trahie.
COMMENT CONCILIE-T-ON
SECRET PROFESSIONNEL ET DÉFENSE DE L’ENFANT ?
Le médecin est le défenseur naturel de l’enfant, mais il ne doit
pas s’immiscer dans les affaires de famille. Ainsi, il peut consta-
ter qu’un enfant est perturbé, souffre de troubles du sommeil ou
d’autres atteintes, mais il ne peut se permettre d’imputer ces
troubles à l’attitude d’un des parents. Il peut remettre un certifi-
cat établissant les difficultés médicalement constatées au parent
gardien sans violer le secret professionnel, et ce parent pourra
utiliser ce certificat descriptif pour justifier l’organisation d’une
mesure d’expertise.
S’il est confronté à la situation d’un enfant en danger, le méde-
cin doit tout faire pour interrompre le danger, c’est-à-dire mettre
l’enfant à l’abri. La sanction serait la non-assistance à personne
en danger. Mais, parce qu’il est tenu par le secret professionnel,
le médecin n’a pas l’obligation de dénoncer les faits. C’est une
faculté qui lui est ouverte. Souvent, la seule réponse réaliste sera
la dénonciation des faits, mais, dans le raisonnement et dans la
pratique, les notions de protection de l’enfant et de dénonciation
des faits doivent être distinguées. La bonne démarche est de pro-
téger l’enfant en le mettant à l’abri, puis de chercher à l’associer
à la dénonciation des faits.
LE SECRET RÉSISTE-T-IL
AUX ENQUÊTES PÉNALES ?
Le secret, notion d’ordre public, résiste à l’enquête pénale.
L’enquête est à la recherche de la vérité et les enquêteurs, juges ou
policiers, sont tentés de solliciter des informations protégées par
le secret. Le médecin doit discerner ces dérives et les combattre.
S’il est convoqué ou entendu, le médecin doit répondre à la convo-
cation, donner les informations générales, mais il doit opposer le
secret dès lors que les questions portent sur les soins qu’il a don-
nés lui-même, et sur ce qu’il a appris lui-même à l’occasion des
soins. Ces informations ne sont pas confidentielles par nature,
mais confidentielles parce qu’elles ont été confiées à ce médecin.
La justice n’est pas pour autant démunie : elle pourra obtenir un
éclairage complet en organisant une expertise, qui comprendra
la saisie du dossier. Le médecin, parce qu’il a été soignant, est
tenu par le secret. En revanche, la violation du secret devient légi-
time si elle est, pour le médecin, un moyen de sa défense. La
jurisprudence valide alors la révélation des faits. Les informa-
tions médicales qui n’ont pas été acquises à l’occasion de l’inti-
mité de la relation de soin ne relèvent pas du secret.
Il est rare qu’une enquête médicale soit engagée dans le cadre
d’une enquête de flagrance, de telle sorte qu’un médecin sait suf-
fisamment à l’avance quand il sera convoqué et entendu. Il est
alors souhaitable qu’il prenne le temps d’un avis auprès du Conseil
de l’Ordre, d’un confrère ou d’un avocat pour, face à la tourmente
judiciaire, conserver une attitude respectueuse du droit.
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