La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 619
VIE PROFESSIONNELLE
Dans un autre cas, il s’agissait d’une septicémie à
streptocoque avec toxic strep syndrome, compliquant
une endométrite du post-partum, la fameuse fi èvre
puerpérale, autrefois si fréquente dans les suites de
couches avant l’arrivée de l’eau de Javel. Il est bon ici
de rappeler l’histoire d’Ignace Semmelweis (1818-
1865), chirurgien et obstétricien hongrois, considéré
comme le père de l’hygiène hospitalière et le précur-
seur de l’antisepsie des mains. L’utilisation de l’eau
de Javel, pour désinfecter les mains des chirurgiens
avant les accouchements, à partir de mai 1847, a
fait chuter dans son hôpital le taux de mortalité par
fi èvre puerpérale des mères en post-partum de 12 %
à 2,4 % puis à 1,3 %. Un grand classique des maladies
infectieuses, donc. Mais c’est l’“expert”, soutenant
que le streptocoque, responsable de cette infection,
avait plutôt été transmis par son mari lors de rela-
tions sexuelles orogénitales avant l’accouchement,
qui a été écouté. Et la patiente a été déboutée de
sa demande de conciliation amiable.
Gérer l’erreur médicale
Les solutions à ce mal qu’est l’erreur médicale
peuvent être déduites des histoires racontées.
Au-delà des facteurs humains (sur lesquels nous
reviendrons), il existe aussi des facteurs d’erreurs
médicales qui sont propres à notre système de
soins. Et on peut craindre, à la lumière de la réforme
actuelle, qu’ils se multiplient. Ils feront alors le
bonheur des experts judicaires comme des avocats
qui gagneront bien mieux leur vie que les médecins,
comme aux États-Unis, modèle pour certains !
Individuellement
La première étape est de reconnaître l’erreur et de
comprendre les mécanismes qui y ont conduit. Ce
n’est pas toujours évident. On observe deux attitudes
possibles. Les uns acceptent. Les autres réfutent,
parfois point par point, avec une mauvaise foi abra-
cadabrantesque. L’erreur doit ensuite être corrigée.
Le patient doit si nécessaire en être informé sous
peine d’une perte de confi ance. Enfi n, il faut être
encore plus attentif au risque d’une autre erreur.
Collectivement
Les erreurs doivent faire l’objet de réunions avec
l’équipe soignante pour partager, trouver les dysfonc-
tionnements de la chaîne décisionnelle et y remé-
dier. Elles résultent souvent de divers facteurs : un
isolement médical, un défaut d’encadrement, un
manque de dialogue, un grain de sable dans la chaîne
décisionnelle, une insuffi sance (parfois de la suffi -
sance) médicale, une incohérence fonctionnelle,
une absence de direction.
Les erreurs ont souvent lieu le week-end ou pendant
les vacances, le pire étant les week-ends pendant les
vacances. Et ce n’est pas un hasard. Il y a un manque
d’encadrement patent pendant ces périodes. Notre
système médical est excellent pour la formation
dans le sens qu’il met à l’épreuve des malades les
médecins assez tôt dans leur cursus. Mais ils doivent
être encadrés par des juniors et des seniors qui
doivent donc être disponibles pour cela.
Prévenir l’erreur médicale
Connaître les erreurs classiques
Certaines erreurs classiques doivent être connues
et enseignées : “un train peut en cacher un autre”,
“avoir la syphilis et le bureau de tabac” ou, autre-
ment dit, une maladie peut être associée à (ou en
cacher) une autre. Parfois, il peut s’agir d’une maladie
rarissime, d’une complication évolutive inhabituelle,
d’une interaction médicamenteuse inattendue, d’un
effet indésirable mal connu. Il ne faut pas non plus
attribuer au “psychosomatique” des symptômes
relevant d’une maladie organique, tout en sachant
que c’est parfois un art bien diffi cile de différencier les
choses, et que cela nécessite souvent une débauche
d’examens complémentaires inutiles. Un autre piège
classique, chez de tels patients, est de savoir recon-
naître l’événement médical au sein de la cohorte des
symptômes fonctionnels habituels de ce malade.
Modestie, disponibilité, compétence
Les erreurs médicales résultent aussi de certains
défauts propres à chacun d’entre nous. Le médecin
se doit donc d’avoir certaines qualités.
Mon Maître (en certains domaines), Marc Gentilini,
avait pour habitude, quand il accueillait les internes,
de leur demander quelle était, à leurs yeux, la qualité
fondamentale d’un médecin. Cela marchait bien. Les
internes se faisaient avoir à chaque fois. “La compé-
tence, Monsieur !” Et lui de leur répondre : “Non, la
Modestie, avec un grand M”. Effectivement, une
des qualités fondamentales d’un médecin est d’être
conscient des limites de ses compétences. “Savoir
ce que l’on sait, savoir ce que l’on ne sait pas, c’est
savoir véritablement” (Confucius, 551-479 av. JC).